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La campagne de 1743.


Les premières troupes piémontaises dans les vallées.

" Le Roi fait monter des troupes dans nos vallées, entre autres les régiments de Déespac et Keller suisses avec le bataillon de Pignerol. Les premiers campèrent aux près de l’ubac de l'Église de Pont et les autres s'arrêtèrent à Château Dauphin, et ici à la Chanal on envoya les Vaudois au nombre de près de deux mille hommes qui logèrent pour quelque temps tous dans les maisons, ce qui causait une confusion la plus extraordinaire, on ne pouvait point se remuer dans le pauvre village ; mais ce qui est le pire c'est que ces gens accoutumées aux vols et aux butins d'autre fois commettaient mille brigandages ; ils écorchaient les brebis, les moutons et autres bêtes à la campagne et chargeaient nos pauvres bergers de coups…

Ils se servirent de toute sorte de ruse pour nous faire passer pour rebelles auprès des commandants, … pour nous rendre haïssables et pour nous faire passer pour des rebelles auprès des Piémontais, qui ne nous ont jamais aimes, qui au contraire nous tiennent pour des traîtres, pour des sujets infidèles [105] ".


Premiers travaux de défense.

" L'Espagnol s'avançant du côté de Barcelonnette on croyait, qu'il tenterait le passage par col de Longet, et pour lui boucher cette entrée l’ingénieur Arducis crût n'avoir d'autre moyen plus propre que de faire enfler le lac qui est au dessus de l'Antoline, et au dessous des portilloles sur les chemins de Maurin. Pour exécuter ce vaste dessein, il fallut faire une muraille fort épaisse à l'embouchure du lac entre les deux roches, au dessous du lac ; pour ce faire il fallut une grande quantité d'ouvriers, on commanda donc depuis Saluce jusqu'ici tous les travailleurs de campagne pour venir travailler à cet ouvrage, et après de pénibles fatigues on vint à arrêter l'eau qui fit enfler le lac jusqu'au milieu de la plaine qui est au dessus, tirant vers le vallon de la Niere, et occupèrent le chemin ordinaire qui conduit à Maurin ; mais y avait autre lieu à passer, ou ne pouvait on pas facilement déboucher le lac, je me portai, et j'examinai, le dessein et l'ouvrage, et je jugeai de son inutilité dans mon cœur en l'applaudissant à Monsieur l'ingénieur : on serait cependant passé plus commodément en faisant le tour à main droit du lac, et en moins d'une heure rendus tous les travaux inutiles. On fit voir a ce pauvre ingénieur que l'infanterie pourrait facilement descendre par les herbes gorgé qui va aboutir au vallon de la Niere.

Il ordonna qu'on fit un gros fossé au bout des herbes passant d'un roc à l'autre, d'une largeur et profondeur considérable. Plus de quatre cents travailleurs furent employés à ce grand ouvrage, et en moins de huit jours les herbes furent coupées dans la Niere. "

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            Col Longet  ( 2649m )
 " Pour fermer donc absolument l'entrée aux Espagnols, qui trouvant le col de Longet bouché par le lac, et par ces fosses insurmontables, auraient pu faire le tour et venir par le col de l'Agnel, il porta toutes ses attentions de ce côté là ; faisant toujours redoubler le nombre des travailleurs, il se porta à la tête de cette armée laborieuse au col de l'Agnel ; la première des ses vues fût le pas du Crapon : il le fit couper ; les mines y jouèrent pendant quatre ou cinq jours et on parvint à empêcher le passage aux gens à cheval, et prévoyant qu'ils auraient pu descendre par le col viel il ordonna qu'on y fit un fossé semblable à celui des herbes. Il y avait encore le vallon de la Lauzette à boucher après quoi nous allions être à l'abri de toute incursion et insensiblement cette vallée allait devenir une citadelle bien flanquée de bastions et de profondes fossés ; il y fait faire les mêmes travaux et le tout fût fait presque dans le même temps parce que la grande quantité du monde qu'on avait fait monter, pouvait suffire à tout en la divisant comme on fit.

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Haut vallon Vallanta.
Au bas de la pente : les vallées Varaita.

Nous voilà bien assurés, les travaux sont achevés, on peut attendre l'ennemi de pied ferme. S'ils viennent par Longet, ils se noient dans le lac ; si par les herbes, ils resteront dans le fossé ; si par l'Agnel, le chemin y est rendu impraticable ; enfin par la Lauzette, outre qu'ils y trouvent un fossé, les Vaudois qui sont campés au Patagon leur disputeront l'entrée avec valeur à moins, qu'à leur ordinaire, ils ne décampent à la vue de l'ennemi, …

Il fallait se prémunir contre tout événement c'est pourquoi les travaux de nos montagnes étaient réduits à leur accomplissement ; Arducis jeta les yeux sur le Château de Pont, ce roc lui parut inaccessible aux Espagnols, au cas que ces premières fortifications étant forcées, on descendit plus bas, il y fait encore travailler, il entoure le roc de moles, et de facines et y construit à la fin un faible retranchement ; qu'on me dise après tout, si on ne se plaisait pas à faire dépenser d'argent au Roi et à mettre les habitants surnommés dans la dernière gêne [105].

Lorsque tout fût achevé, et qu'on attendait de jour en jour de voir échouer le dessein des Espagnols, par de mesures si justement prises on eut avis qu'il allaient camper à Guillestre et de là à Briançon. "

" L’avant-garde de cette armée partit pour se rendre en Savoie, passant par le col du Galibier. Monsieur le comte de Glimes qui conduisait cette armée entra dans ce duché. Monsieur de Las Minas y entra dans peu de temps après.

Plus d'ennemi, plus d'alarme, et plus de passage à défendre. Les Vaudois décampèrent d'ici vers le douze septembre pour se rendre au col de la Rocie, et de la en Savoie, tout le reste des troupes en fit de même, et nôtre vallée resta évacuée jusqu'à la Saint Luc, pendant le quel temps le monde respirait un peu, en se consolant de soins, des peines, et des fatigues passées [105] ".

La vie reprit normalement à Pont, à Chianale ou à Bellino. Il était cependant interdit de se rendre en France ce qui valut à Don Tholosan d’être arrêté pour être allé à la foire. Il fut conduit à Saluces où il fut libéré par le gouverneur.

Laissons nos vallées quelques instants pour écouter un militaire français, Pierre Joseph de Bourcet. Il nous raconte la stratégie franco-espagnole :

" Le roi de Sardaigne, sachant l'armée d'Espagne en Savoie pendant la campagne de 1742 et au commencement de 1743, avait pris des précautions sur tous les débouchés de la frontière du Piémont pour empêcher le passage des Espagnols, dont l’unique objet était d'entrer en Lombardie pour y faire diversion ou pour rejoindre l'armée de Montemar, devenue ensuite l'armée de M. de Gages. Dès que la cour de Madrid eut fait déclarer celle de France en sa faveur en qualité d'auxiliaire par le nombre de quatorze bataillons d'infanterie qu'elle lui fournil, elle envoya ordre à son général, M. de La Mina, de rassembler l’armée sous Montmeillan et de marcher sur la frontière de Piémont du côté de Briançon. La cour de Versailles donna en même temps l’ordre au sieur Bourcet, pour lors ingénieur en chef à Mont-Dauphin , de se rendre auprès de M. de La Mina, qui l’établit maréchal général des logis pour la marche qu'il projetait de faire faire à son armée ; et cet ingénieur lui ayant donné son projet de mouvement, l’armée partit de Montmeillan [107].

Les quatorze bataillons français marchèrent par le côté de Gap et Embrun, et campèrent dans le même temps au village de la Bessée. [107]

L’objet de celle marche regardait le siège d'Exilles, pour l'attaque duquel on avait dirigé, par la grande route de Grenoble à Embrun et Briançon, le canon et autres effets d'artillerie nécessaires, et on l’avait combiné pour arriver au plus tard sur le Mont Genèvre le 8 ou le 10 septembre, par conséquent assez tôt pour se flatter d'avoir assujetti Exilles avant la fin de septembre ; mais les négociations de la cour de Madrid avec le roi de Sardaigne ayant fait suspendre l'achat des vivres et la marche du canon, qui fut arrêté à Lesdiguières, on ne songea plus, à l'époque du 8 septembre, qui fut celle de l'arrivée de l'armée d'Espagne sous Briançon, qu'à préparer les routes pour entrer en Piémont en qualité d'amis du roi de Sardaigne ; mais la négociation n'ayant pas eu le succès qu'on attendait, et le roi de Sardaigne ayant fait sur-le-champ un traité à Worms avec la reine de Hongrie, le général espagnol eut ordre d'entreprendre sur ce souverain par quelque acte d'hostilité [107] ".

Pendant l’hiver 1742-43, un détachement de Vaudois était resté en poste dans la haute vallée Varaita, et au début de l’été ce sont deux compagnies de Vaudois qui arrivèrent et s’installérent. Comprenant que les Gallispans faisaient mouvement de la Savoie vers le Briançonnais, l’armée piémontaise vint renforcer les défenses.

" Les troupes campèrent à la Levé c'est à dire depuis les Alpiols jusqu'au Villaret, et il y en avait même un régiment dans les bois du Sapé, du côté de Bellino, il avait un camp aux Espeirrasses, et un autre a Bondormir, et nôtre armée passa tout l'été dans cette position sans faire aucun mouvement.

Les habitants étaient d'autant plus fatigués par les fournitures qu'ils étaient obligés de faire à l'armée en paille, fourrage, et bois, mais en une quantité qui parait incroyable ; cette seule communauté avait formé un magasin au Château de Pont, à la Chanal, au Villaret, et plusieurs autres endroits de sorte qu'on portait aux susdits magasin près de trois milles rubs de foin par jour. Jusque là cependant on était pas bien assuré si l'ennemi passerait dans cette vallée, ou s'il prendrait le chemin de Nice, on ne fit pas de grands retranchements, chaque régiment, ou bataillon, s'était remparé à l'hâte de front à l'ennemi, et à dire le vrai on croyait qu'il y eût de l'intelligence, et on se persuadait facilement que l'armée n 'était ici que pour parade ou pour couvrir quelque fin [105] ".

Pourtant les Espagnols préparaient leur attaque et définissaient leur stratégie offensive :

Figure : Guerre factice 1743
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" Le général, qui ne reçut ses ordres que du 20 au 22 septembre, prévoyant que, quelque diligence qu'il pût faire pour remettre l'artillerie en marche, elle ne pourrait arriver sur le Mont Genèvre qu'au mois d'octobre et dans un temps où les nouvelles neiges menacent d'interrompre toute communication aux voitures à roues, abandonna le projet de siège d'Exilles et proposa d'entrer par la vallée de Château Dauphin qui se trouvait dégarnie de places fortifiées.

Lorsqu'il fut déterminé qu'on marcherait dans la vallée de Château Dauphin pour faire quelque acte d'hostilité contre le roi de Sardaigne, on tint un conseil de guerre auquel prirent part l'Infant, M. le marquis de La Mina, M. le comte de Marcieux et tous les principaux officiers de l’armée. Le sieur Bourcel commença par y établir, par la connaissance du pays, la disposition des débouchés sur l'ennemi, la position de ses troupes derrière les retranchements qu'il avait fait construire dont la droite appuyait au mont Viso, le centre à la tour de Pont et la gauche à Pierre Longue ; et, d'après les réflexions auxquelles ces connaissances conduisirent, il proposa de déboucher en Piémont sur trois colonnes, dont celle de la gauche marcherait par le col de Lagnel, celle du centre par le col de Saint-Véran et celle de la droite par le col du Longet ; les deux premières dans le projet d'arriver sur la Chenal, et la troisième dans celui d'arriver dans la vallée de Bellins, d'où on pourrait tourner par Château Dauphin la position et les retranchements des ennemis situés au-dessus du Villaret, tandis que les deux premières colonnes les attaqueraient de front.

Cette proposition était relative à la disposition de la frontière et fut approuvée par tous les officiers généraux qui formaient le conseil de guerre, excepté par M. de La Mina, dont l’avis ne se trouva pas prépondérant et qui ne voulut pas admettre la marche de la colonne de la droite pour des raisons qu'on n'a jamais pu savoir. Le projet de marche fut donc réduit à deux colonnes pour déboucher seulement par les cols de Lagnel et de Saint-Véran ; et comme pour arriver sur Molines, qui sépare les deux vallons ayant rapport à ces deux cols, il y aurait eu beaucoup trop de retardement à faire marcher toute l'armée par un seul chemin, on disposa la marche de façon que quinze bataillons espagnols, aux ordres de M. de Camposanto, s'avancèrent jusqu'à la Roche, traversant le camp des Français établi à la Bessée, d'où on les dirigea par Guillestre sur Seillac et le petit col du Fromage, pour les faire arriver à Molines; on fit suivre la même route aux quatorze bataillons français, et le reste de l'armée d'Espagne marcha par Cervières, le col d'Hizouard et le château de Queyras sur Molines, qui devenait le lieu d'assemblée, et d'où la division destinée à passer le col de Saint-Véran fut camper à la Chalp, et celle du col de Lagnel à Fongillarde [107] ".

Au mois de septembre 1743, le roi de Sardaigne se rendit dans la haute vallée Varaita et la population commenca à se rendre compte que la guerre était proche.

" On ne douta plus que l'affaire ne fût des plus sérieuses ; nous nous rendîmes cependant tous les curés, consuls, et secrétaires de la vallée dans la maison de Monsieur Antoine Richard feu Mathieu ou il se logea, et là nous eûmes l'honneur de lui offrir nos respects, en assurant Sa Majesté que nous étions près à sacrifier nos corps et nos biens pour son service ; il nous reçut avec beaucoup de bonté, et répondit à nos offres en nous disant, qu'il savait bien que ses troupes nous faisaient beaucoup de mal, mais que l'Espagnol en était la cause, qu'il nous payerait tout dans la suite ; quoique accablés de tant de travaux et obérés de tant de fournitures, une réponse aussi gracieuse nous consola beaucoup, et nous engagea de nouveau à faire tout pour son service, en un mot nous retirâmes chez nous contents et satisfaits [105].

Sur ces entrefaites un envoyé de la Reine d'Hongrie se rendit à la cour suivi de Monsieur le marquis d'Ormea et après une longue conférence, on signa le traité d'alliance qui nous fût manifesté par les cocardes vertes que les soldats et officiers de nôtre armée prirent incontinent. Le Roi visita tous les postes tant du côté de Bellino que du côté deAlpiols et dans cette position l'armée attendit de pied ferme l'ennemi [105]  ".

Figure : Les distances en Val Varaita (Carte de B. de Monthoux).


 
Les troupes dans le Queyras.

Les "Transitons" de Molines , ces fameux manuscrits écrits au jour le jour par les habitants du village, nous racontent le passage des troupes :

" L'an 1743, au mois d'octobre, dom Philip, fils du roy d'Espagne, avec son armée étant de cinquante mille hommes, ont commencé à passer au présent lieu de Molines, pour s'en aller en Italie, ayant fait un camp au lieu du Serre appelé la Chirouse et un autre à Costeroux, à la Gravière des plans, à Revelet, au clot dal Cougnas, au clot de Coste Laurière ; de même, il y en avoit aussi au pont des Marous, au pra dal Bois, à la Chalp-Ronde, sans compter ceux que nous avions dans les maisons, plusieurs capitaines et soldats avec leurs ordres et plusieurs artilleries et brigades dont nous avons été obligés et même forcez à fournir quantité de foin et de paille et outre le bois qu'ils ont coupé dans la commune, étant au nombre de cinquante mille pieds d'arbres, il nous a fallu fournir quantité de bois, tant pour la cuite du pain de munitions que pour le corps de garde. "

" Le général espagnol Las Minas dispose de 14 bataillons espagnols auxquels se joignent, sous les ordres du prince de Conti, 12 bataillons français venus par Guillestre et Ceillac. Il dispose en outre de 20 canons ".

L’ensemble des forces franco-espagnoles est sous les ordres de l’Infant Don Philippe d’Espagne.


Les sardes pratiquent la politique de la terre brûlée.

" D'abord que l'ennemi approcha ses piquets vers nos montagnes, nos tourments sans conter nos alarmes redoublèrent, car pour ne pas laisser de substance à son armée, on ordonna de vider toutes les maisons au-dessus de Château de Pont.

Il fallut cependant obéir et pour parvenir plus vite à cette évacuation, on envoya pendant dix jours près de trois mille mulets avec des fourrageurs pour emporter tout le fourrage au camp.

Nous fîmes une estime qui montait à près de cinquante mille rubs en fourrage seulement, parce que l'année avait été des plus abondantes, sans conter celui qu'était allé aux magasin.

L'ennemi s'étant approché du sommet de la montagne, on ordonna que tout le foin et la paille qui restait encore dans les maisons fût porté au tour de la Chanal à cinquante pas de distance des maisons afin d'y être brûlé. Tout fût exécuté à la lettre, et ceux qui n'avaient pas de monde étaient obligés de payer des soldats pour sortir leur récolte. Pour les orges ils étaient encore en campagne parce que ayant occupés de cette façon les habitants, ils ne purent pas les ramasser ; il y en avait une belle récolte mais tout fût perdu [105].

L’armée piémontaise avait organisé une importante logistique pour apporter le ravitaillement nécessaire aux 18 bataillons du bois de Levée, aux 11 bataillons installés à Villaret et aux milices du fond de la vallée. Il fallait, par exemple, apporter quotidiennement 277 quintaux de fromage.


Le passage des cols.

L’avant-garde espagnole apparut sur le col Agnel. C’était un corps de fusilliers de montagne que l’on appelait "Mignones" ou "Miquelets", une infanterie légère, habilitée à des mouvements rapides en zone alpine, seulement équipée de cordes et de pistolets enfoncés sous la ceinture.

Ensuite, les 14 bataillons espagnols, soit 14.000 hommes, commencèrent, le trois octobre, à s'emparer du col de l'Agnel à 2.748 m d’altitude. La passe du Crapon ayant été minée, l'artillerie passa par le vieux col Agnel. Les 12 bataillons français, soit 16.000 hommes, sous le commandement du général comte de Marcieux, franchirent le col de Saint Véran (2.848 m).

A Chianale, Don Tholosan alla au-devant des troupes jusqu’au Pont des Bernardi.

" D'abord que les miquelets furent sur le pas de Loule nos piquets consistant en milices, Vaudois, et quelques soldats d'ordonnance se replièrent vers Pont.


Carte : les troupes face à face dans nos vallées.

 En se repliant ils mirent le feu aux pailles et fourrages qui étaient autour de la Chanal en plusieurs endroits de Pont ; triste spectacle, on vit dans un instant un feu mêlé de fumée qui entourait tout le village. Les cris des hommes et des femmes, les pleurs des enfants mêlés avec le bruit de ces flammes formaient un fracas inouï, et on ne s'entendait pas les uns et les autres [105].

Après une court halte que firent les Espagnols sur Loule ils descendirent en bas jusqu'au Pont des Bernardi.

Don Tholosan fut bien reçu par les officiers qui lui assurèrent qu’ils ne feraient aucun mal à ses paroissiens.

Le général Las Minas et le marquis de Castelar arrivèrent au dit pont, et il nous firent sonne par un sergent et deux soldats de nous présenter.

Nous ne partîmes pas assez tôt pour avoir le bonheur de faire nôtre révérence à Las Minas qui laissa à son poste le marquis de Castelar qui nous reçut avec toutes les politesses possibles, nous offrant de son tabac et sa protection et nous assurant de ne permettre jamais qu'aucun mal nous fût fait. C'était peut être de tous les Espagnols, le plus poli, le plus affable, et le plus complaisant.

Le marquis cependant pour nous donner des marques de la bonne conduite qu'il voulait faire observer défendit de ne rien prendre qu'en payant et le peu de pain que nous leurs avions porté fût distribué à qui en voulait avec de l'argent. Nous quittâmes au commencement de la nuit ce seigneur, et nous retirâmes dans nos maisons ".

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Descente des col Agnel et de St Véran.

Pendant la nuit, les habitants de Chianale allumèrent des feux dans le village car ils craignent une attaque des uns ou des autres.

" Le quatrième jour étant venu voilà que toute l'armée se mit en marche et les miquelets qui le soir d'auparavant s'étaient repliés au bout du col de l'Agnel descendirent les premiers suivis de toute l'armée espagnole ; pour les Français, ils descendirent par le col de Saint Véran. C'était un coup d'œil admirable que cette descente, les différentes colonnes formaient comme autant de torrents qui descendent avec impétuosité du haut des montagnes, avec cette différence seulement que ces troupes marchant avec gravité recréaient la vue par la variation des couleurs dont leurs régiments étaient habillés. Cette descente dura tout le jour, même jusqu'à bien avant dans la nuit, le tout entra cependant avec ordre, et personne ne vint dans nos maisons qu'après que tout fût campé. Les Espagnols campèrent depuis le plan de Verney jusqu'au pré de la Pierre, et les Français campèrent à la Chalme (Chalane). La cavalerie et l'artillerie était autour de la Chanal, et heureusement pour nous tous les officiers généraux occupèrent nos maisons, et par leurs logements ils les garantirent de toute insulte, à l'exception de celles qui n'eurent point d'officiers qui furent en quelque façon détruites. Pour l'Infant Don Philippe il logea à la mission, les autres furent logés par billet que je fis moi même avec le fourrier général de l'armée.

Cette armée se forma dans trois jours qu'elle séjourna ici, et fit descendre leurs canons. Comme le pas du Crapan était coupé, ils firent un chemin par le col vieux, et le descendirent avec une si grande facilité, que leur arrivée ne retarda presque point la marche de l'armée. Arrivés au pont neuf quoiqu'il fût bien voûté, ils ne jugèrent pas à propos d'y passer dessus, mais ils firent un autre pont un peu au dessus au pied du pré de la cure et en suite ils ne s'écartèrent plus du grand chemin, qu'à la Rua Gensanne où ils firent le tour de la première maison à main gauche et dernière le four à main droite". [105]


Les armées franco-espagnoles à La Chanal.

Le 6 octobre, toute l'armée à l'effectif de 25.000 hommes était en position autour de La Chenal (Chianale), face à Charles Emmanuel installé à Pont, derrière ses fortifications. Des centaines de soldats de l’artillerie avaient descendu les 12 canons de campagne, de 8 et de 12, jusqu’à Chianale.

" Pendant le triste séjour de cette armée autour de la Chanal dans une saison ou le froid se faisait extrêmement sentir, nos bois furent entièrement abattus, et selon l'estime qu'en fût faite plus de vingt mille pines furent coupées, perte des plus sensibles et plus considérables que nous ayons faite ; on entendait que coups de hocches (haches), et fracas d'arbres renversés, il y périt même plusieurs soldats que les arbres en tombant avaient écrasés, le jour était obscurci par la fumée des corps de garde, et la nuit semblait un jour, par les feux en si grand nombre allumés. Le cinq, le six, et le sept octobre se passèrent sans que cette armée fit aucun mouvement seulement pour attendre les provisions nécessaires, ce qui avait jeté une si grande disette dans cette armée que le pain y valait vingt quatre sous la livre, et le vin cinquante sous le pot ; encore n'en trouvait-on pas, les chevaux et mulets morts servaient de nourriture exquise aux pauvres soldats : aussi en mourait-il une grande quantité, faute de fourrage, il n'y eût pas grange ni recoin des montagnes qui ne fût fouillé tant pour avoir du fourrage que pour trouver d'autres nourritures, et nous pouvons dire qu'il est venu de paille de Gap ici, enfin c'était la plus grande détresse du monde [105] ".


Position des armées sardes.

Les cartes militaires de 1743 nous indiquent la position des régiments piémontais : Si l’on regarde vers le fond de la vallée, les bataillons de la droite sont les deux des Gardes, d‘Audibert, Turin, Baden-Reith et Riethman. Ceux du centre sont Rebinder, les fusiliers de Savoie, Montferrat, Saluce, la Reine et Mondovi. Ceux de la gauche sont de Montferrat, les fusiliers Guibert, Tarentaise, de Diespack et la Marine. Les carabiniers des Dragons du Roy sont vers le mont Viso, ceux de Piémont sont aux batteries de Pont. Sur la crête de Bellino se tiennent les bataillons du Genevois, à droite, et ceux de la Reine sur la gauche.


La Bataille.

Après 3 jours d’arrêt les armés gallispanes descendirent vers le château de Pont. Un détachement chercha à pénétrer dans la vallée de Bellino, mais fut repoussé par les Piémontais.

M. de Bourcet précise que " L’ objet était d'attaquer le retranchement que le roi de Sardaigne avait fait faire entre le mont Viso et Pierre-Longue, qui sépare la vallée de la Chenal de celle de Bellins, et de marcher sur Saluces, d'où on aurait été en état de ravager la plaine de Piémont ou de la traverser pour se porter sur le Parmesan et sur le Plaisantin ; mais pour cet effet il aurait été nécessaire de se précautionner de vivres et de tout ce dont on aurait eu besoin, au lieu que l'armée d'Espagne entra dans la vallée de la Chenal, ayant à peiné pour quinze jours de subsistances assurées [107].

Pour en revenir à ce qui fut fait relativement aux retranchements, on les avait reconnus d'assez près et on en projeta l'attaque de cette sorte :

  • une colonne à la droite devait attaquer les retranchements de Pierre-Longue;
  • une seconde colonne, ceux du Villaret, toutes deux à la droite du château de Pont ;
  • une troisième colonne était dirigée par le château de Pont et en devait former l'attaque,
  • une quatrième colonne était chargée d'attaquer les retranchements à la gauche du château de Pont, sur le penchant qui bordait la rive gauche du ruisseau de Valante,
  • et une cinquième colonne s'était rendue au pied du mont Viso, à la source dudit ruisseau de Valante [107].
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Itinéraire de la brigade d’Anjou.

Cette disposition embrassait l'étendue des retranchements sur tout le front et ne pouvait être mieux arrangée; mais il est aisé de s'apercevoir que les ennemis n'avaient aucun sujet de crainte, ni pour leur droite à cause des escarpements du mont Viso, ni pour leur gauche puisqu'on n'avait dirigé aucune troupe dans la vallée de Bellins, d'où on pouvait tourner Pierre-Longue et revenir sur les derrières des retranchements du Villaret.

Pour favoriser la marche de la colonne qui était destinée à attaquer le château de Pont et celle de la colonne qui lui était contiguë par la gauche, on avait disposé dès la veille une batterie de huit pièces de quatre sur le village, et un détachement fut commandé pour aller mettre le feu audit village, afin d'ôter à l'ennemi la facilité qu'il aurait trouvée de défendre le débouché de ces deux colonnes par l'occupation des maisons, qu'il avait fait créneler [107].

Don Tholosan raconte le début de la bataille :

" Le jour de Nôtre Dame du Rosaire les officiers se confessèrent presque tous et le jour d'après, qui était le huit, l'armée partit pour Pont en deux colonnes, les Espagnols allèrent passer aux granges du Clot et les Français à la droite au dessus du chemin royal. La cavalerie, artillerie, et équipages gardèrent le grand chemin ; ils campèrent depuis les routes jusqu'au Château du Pont, et Don Philippe se logea chez Sieur jean Gaudessard, notaire de Pont, d'abord qu'ils furent campés on approcha l'artillerie à Saint Chaffré pour battre le Château. [105] ".

Et M. de Bourcet nous donne la version " française " :

" Pendant que la cinquième colonne marchait du vallon de Soustras pour se rendre au pied du mont Viso, les Piémontais abandonnèrent le château de Pont et le village, et s'étant retirés derrière leurs retranchements, d'où ils ne se montraient d'aucune part, on crut qu'ils les avaient entièrement abandonnés et que rien ne s'opposait plus à la marche de l'armée le long de la vallée de Château Dauphin; et la confiance dans laquelle se trouvèrent l’Infant et M, le marquis de La Mina de cette retraite fit donner l'ordre à la cinquième colonne de ne point attaquer et de rejoindre l'armée par le vallon de Vallante qui était le plus court chemin; cet ordre arriva au moment qu'on se disposait à l'attaque ; à sa réception le maréchal de camp espagnol qui commandait une colonne composée de la brigade d'Anjou, des troupes françaises et d'environ huit cents Espagnols, se mit en marche le long du chemin qui était établi à mi-penchant sur la rive droite du ruisseau de Vallante, n'apercevant que quelques paysans dans les retranchements des ennemis qui bordaient le sommet du penchant de la rive gauche, et ne doutant pas qu'il n'y eût depuis la veille quelque nouvelle d'accommodement entre l'Espagne et le roi de Sardaigne [107]. "

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La bataille de Pont

Dans le même moment,  M. de La Mina, avec l'opinion que les ennemis avaient abandonné leurs retranchements, fit partir un détachement pour établir un pont sur le ruisseau de Valante entre le château de Pont et les retranchements, afin de faire avancer l'armée sur le Villaret; mais les ennemis, qui jusque-là ne s'étaient pas montrés, sortirent des bois qui se trouvaient derrière leurs retranchements et firent feu non seulement sur le détachement qui avait ordre de travailler au pont, mais encore sur la colonne de la gauche, qui, descendant le vallon de Valante, parcourait un défilé subordonné à leurs retranchements et d'où on ne put opposer aucun contre-feu, soit parce qu'il n'y avait qu'un escarpement à la droite du défilé, soit parce que la troupe aurait été doublement exposée en s'arrêtant pour tirer, et que d'ailleurs les ennemis se trouvaient couverts par le parapet de leurs retranchements de façon qu'on ne voyait que le bout de leurs chapeaux. Cet éveil si peu espéré donna l'alerte à M. de La Mina, qui, en même temps des coups de fusil qu'on tirait dans le vallon de Valante, sentit, mais trop tard, combien il avait exposé la cinquième colonne en lui donnant ordre de rejoindre l'armée par le vallon de Valante, dans la confiance où il fut qu'il n'y avait plus de troupes ennemies dans les retranchements ; et pour remédier autant que possible au danger dans lequel était cette colonne, il fit marcher les grenadiers et piquets de l'armée entre le château de Pont et les retranchements, comme pour les attaquer; on disposa deux batteries de pièces de canon de campagne et de montage : sur la partie desdits retranchements la plus exposée dudit château, afin d'attirer l'attention des ennemis et de les obliger à se dégarnir sur leur droite et à diminuer par conséquent le feu qu'ils opposaient à la marche de la cinquième colonne; mais le contre-feu ne produisit aucun avantage, la colonne perdit quatre ou cinq cents hommes et ne put s'éloigner du danger qu'à la fourche des chemins, un peu au-dessus des cassines, d'où la tête de colonne s'avança sur les cassines, et la queue par impatience suivit la direction du chemin le plus rapproché du ruisseau et y souffrit beaucoup, L'inquiétude dans laquelle on était sur cette colonne avait fait détacher un aide de camp pour porter le contre-ordre au maréchal général espagnol et l’avertir du danger qu'il trouverait à suivre le vallon de Valante, Mais cet aide de camp marcha par le vallon de Soustras et n’arriva au pied du mont Viso par le col de Valante que deux heures après le départ de la colonne. [107].

Don Tholosan vécut tout cela dans son village et le mémoire qu’il nous a laissé donne une version semblable de cette bataille :

" Le 9 octobre l'armée se mit en bataille, partie aux hubacs de l'Eglise de Pont, et partie sur la gauche au dessus du Château, on attaqua vigoureusement le dit Château qui était palissadé, je veux dire le village et le fort qui n'était que de fascines et de gazons [105].

Encore que Monsieur Boregard qu'y commandait se fût préparé à une vigoureuse défense avec des pierres et des fauls en cas qu'on vint à l'assaut, il ne résista pas longtemps et passant par un chemin qui était par derrière allant au pré du curé, il se retira dans son camp laissant tout aux Espagnols qu'y entrèrent sans coup férir. Le dix fût un peu plus rude car Las Minas étant allé sur la servière de la Para reconnaître la position de nôtre armée aux bois de la Levé, il vit qu'il était nécessaire de l'attaquer sur l'aille droite qu'était auprès des monyers au pied des Alpiols. Pour ce faire il ordonna à la brigade d'Anjou avec quelques Espagnols commandés par Monsieur De Courvolan (  ou "de Carvalhao" d’après "Mercure Historique et politique"  du mois de novembre 1743,  la Haye, Ed Frédéric-Henri Scheuleer Tome CXV., p. 515 et aussi Staatsgeheimen van Europa, Amsterdam, 1750 ) de passer par Soustra, et aller au bout du vallon du Château descendre par le même et se porter aux granges des Chaulieres pour attaquer le camp du régiment des gardes qui occupait le poste susdit. Tout cela fût exécuté, on partit d'ici à l'entrée de la nuit, et on alla camper au bout de Soustra au petit point du jour, ils se portèrent sur la crête du vieux vallon du Château ou ayant reconnu nôtre camp ils descendirent à petit bruit dans le vallon.

Au Château ayant reconnu que le plus fort de nôtre armée se trouvait à la Vignasse et sur le ravin dit la ruine grosse pour faciliter l'attaque que la brigade d'Anjou devait faire au pied des Alpiols, on monta pendant la nuit, du neuf au dix, six pièces de canons de six à huit livres de baIe, au champ qui est dessus Courbiére et dressèrent une batterie qui incommodait beaucoup nos troupes, tandis que ceux du Château faisaient un feu continuel sur les mêmes, mais étant couverts de quelques retranchements faites avec des arbres renversés, ils n'en furent pas beaucoup endommagés. Tout étant ainsi disposé on attendait de moment en moment le succès de l'attaque, mais la susdite brigade étant arrivée aux Chaulieres, soit qu'ayant reconnu que le camp des gardes fût inaccessible, soit ils aient reçus ordre de descendre par le grand chemin, et se rendre au Château sans faire aucune attaque ils descendirent sans rien faire, et arrivés à la descente du Ponteillat ils essuyèrent le feu de toute nôtre mousqueterie jusqu'au moulin des Alpetes, et là une partie suivit le grand chemin jusqu'au Château, et les autres passèrent aux Alpetes et de là au travers du sentier de Courbiere même avec leurs chevaux dont il s'en précipita une grande quantité. Il faut cependant remarquer qu'en égard au grand feu qu'ils essuyèrent des nôtres il n'y en eût pas beaucoup de tués. Le nombre des blessés fût assez grand, et à dire le vrai, il ne devait échapper personne de cette brigade, mais les nôtres ne sortant pas de retranchements, se trouvaient en quelque façon hors de portée, tandis que la dite brigade faisait ainsi sa retraite ; il sortait du Château un feu vif et continué pour la favoriser, il ne resta dans cette affaire aucune personne de marque que Monsieur le baron D'Alles lieutenant colonel du régiment de Crésy qui vint mourir ici de ses blessures et qui par ordre de Don Philippe fût enterré dans l'église de Saint Laurent avec tous les honneurs militaires, et l'aide de camp de Las Minas, la susdite brigade n'eût de morts, à ce qu'on a pu reconnaître qu'une quarantaine d'hommes, ainsi se passa la journée du dix [105] ".

Du côté de Pont on avait détaché quelques troupes espagnoles qui passant par le vallon de Fioutrouse, le 8 octobre, se rendirent à Bondormir (2.651 m), pour tourner les défenses piémontaises par la vallée de Bellino.

Mais ce col stratégique était bien défendu par deux bataillons piémontais installés dans leurs trancheés et les Espagnols durent arrêter leur avance, passer la nuit du 8 au 9 octobre sur les pentes du col jusqu’à recevoir l’aide d’une compagnie de Grenadiers et de Miquelets. Une nouvelle attaque fut repoussée et les Piémontais restèrent en possession du col. Une dernière attaque, dans la matinée du 10 octobre, n’eut pas plus de succès et les troupes redescendirent à Chianale.

Ils détachèrent un gros piquet de grenadiers et miquelets au long du bois de Romagne, et allèrent pour attaquer les nôtres qui étaient à la Bataïole, il se fit un grand feu de part et d'autre sans aucun effet, et l'Espagnol vers la nuit fût obligé de se replier dans son camp

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Attaque du col de Bondormir

Retour des forces franco-espagnoles.

M. de Bourcet ajoute : " Après que cette colonne eut rejoint l’armée, on assembla un conseil de guerre auquel assistèrent l'Infant. tous les officiers généraux de l'armée espagnole et ceux des quatorze bataillons français; on y fit le rapport de la situation des ennemis, et d'après les réflexions auxquelles conduisirent la bonté de leur position, le peu de subsistances qu'on avait, et le danger de voir à chaque instant les cols de Lagnel et de Saint-Véran fermés par les neiges, on opina qu'il fallait se retirer; il n'y eut que M. de La Mina qui insista à tenter l’attaque de la gauche des ennemis qui faisait la droite de l'armée combinée, et pour laquelle on décida la marche de quatorze bataillons espagnols ou français qui devaient s'avancer par le vallon de Fioutrouse et par la Battayole sur Pierre Longue ; mais un courrier d'Espagne, qui arriva pendant la nuit, suspendit, cette marche et il ne fut plus question que de penser à la retraite, pour la sûreté de laquelle on fit marcher quelques bataillons aux cols de Sainl-Véran et de Lagnel, pendant que l'armée, ayant fait mettre le feu au château de Pont, fortifié en fascinages, marcha par la Rua de Genzane sur le village de la Chenal[107] ".

Don Tholosan : " On s'attendait le onze à une attaque général, mais il ne se tira que quelques coups de fusil de part et d'autre surtout à la ribayaille ou les miquelets étaient postés avec nos piquets qu'étaient dans les bois de la Plate du Château. On tint un Conseil de guerre où, ayant mieux considéré la rigueur de la saison, les Espagnols prirent la résolution de s'en retourner sans entreprendre autre chose ; la nuit donc de l'onze au douze ils mirent le feu aux retranchements du Château, et toute l'armée se retira dans le camp à la Chanal dont les tentes n'avaient jamais été levées [105]. "

M. de Bourcet : " Le feu mis au château de la Chenal un peu trop tôt et, avant que l'armée se fût retirée, occasionna plusieurs coups de canon tirés des retranchements, qui donnèrent lieu à quelques mouvements indécents qu'on aurait pu éviter si on avait mis l’armée en bataille plus en arrière avant d'avoir fait mettre le feu audit château[107]."

Don Tholosan : " Cette retraite nous effraya plus que l'entrée, et voyant qu'on avait mis le feu à cinq ou six maisons de Pont, comme à celle de Jean Favre aux routes, à celles des Gallians au Forest, à celles de Monsieur Lambert et Jean Pierre Gensanne à la Rua Gensanne, nous pensions d'éprouver le même sort. Tout ce pauvre pays était dans la dernière consternation car on disait communément dans l'armée qu'on mettrait infailliblement le feu aux quatre coins de ce village, pour éviter un si grand malheur nous recourûmes à la clémence du Prince qui nous fit assurer par Monsieur de Castelar, qu'il ne donnerait point de semblables ordres ".


La retraite par le col Agnel.

Don Tholosan : " A deux heures après minuit l'armée commença à se retirer, et le Prince partit aussi à la faveur de la clarté des flambeaux et lanternes car la nuit était des plus obscures à cause d'un brouillard répandu et le jour étant arrivé il neigeait à grande force, et faisait un froid insupportable ; cette retraite se fit pendant le jour avec beaucoup de gravité et sans précipitation, mais l'artillerie étant embourbée au milieu de la montagne interrompit extrêmement la marche, et fût cause que l'arrière garde dormit au milieu du col de l'Agnel, de sorte que depuis les granges du Rio jusqu'à Molines tout était rempli de monde, d'équipages, et munitions, et de l'autre côté depuis la grange de pagé jusqu'à Saint Véran c'était la même chose. On a jamais vue une armée dans une si grande misère. Le froid étant excessif, il gela une grande quantité de monde : et fût cause d'une grande désertion ; on voyait venir les compagnies entières, on ne peut point s'imaginer la perte qu'ils firent, soit en équipages, en tentes, en munitions de guerre, car leurs poudres, leurs boulets, leurs outils, tout y resta : ils perdirent jusque leur chapelles, et plus de six cent mulets ou chevaux [105] ".

M. de Bourcet : " Les ennemis ne sortirent point de leurs retranchements et ne songèrent qu'à inquiéter la retraite de l'armée, qui se fit en désordre à cause de la neige qui tombait, des glaces qui couvraient les chemins des deux montagnes et du froid excessif ; il y eut des équipages pillés par les valets ou par les soldats de l'armée ".

A l’époque les militaires nobles portaient encore une partie de leur argent et quelques objets précieux.

Don Tholosan : " Nos paysans se seraient facilement dédommagés du mal qu'ils avaient reçus de cette armée, si les troupes de nôtre Roi ne se fussent portées à leur poursuite, mais aussitôt qu'on sût que l'ennemi eût repassé le col et qu'il ne restait en de ça que l'arrière garde, on envoya d'abord tous les Vaudois, les grenadiers à leur poursuite et ce fût eux qui eurent la meilleure portion du butin, il y eût des soldats qui firent leur fortune parce qu'ils attrapèrent les argenteries ; un entre autres en eût pour plus de dix mille livres, un autre rencontra une bourse de deux cent louis d'Espagne, les vases sacrés, les burettes d'argent et les soucoupes des chapelles, tout fût trouvé par les Vaudois, et les soldats, et le Roi croyant que la chapelle de Don Philippe y fût restée, ce que je ne crois pas, fit acheter tout cela, et en fit un présent à la paroisse de Saint Eusèbe en reconnaissance du séjour qu'il avait fait à Château Dauphin et en action de grâce d'avoir repoussé l'ennemi avec tant de gloire. Une chose que je ne pouvais pas souffrir, et que je ne veux pas passer ici, fût que nos habitants allaient aussi vers la montagne pour voir d'attraper quelque chose, mais on le leur enlevait tout par chemin, et on ne laissait entrer qui que ce soit à la Chanal sans être fouillé, tout leur était ôté jusqu'à ce qu'ils avaient acheté des soldats, et au moindre refus de remettre, ils étaient assommés. Ils entraient même dans les maison, et emportaient non seulement ce qu'ils avaient eu des Espagnols, mais encore ce qui leur appartenait. On aurait dit qu'on avait donné ce village au pillage, je m'attendais bien à ce mauvais traitement de la part des nôtres, parce qu'ils nous ont toujours regardés comme de traîtres, comme gens aimants les Français, ils auraient voulu que l'ennemi nous eût brûlés, et pillés, et cela n'étant pas arrivé, les avait confirmé dans la mauvaise opinion qu'ils ont de nous, il y eût encore quelques particuliers qu'eurent des bonnes rencontres, et ceux qui surent cacher leur butin ne s'en trouvèrent pas mal [105] ".


L’abandon des canons.

Le grand froid fit geler les pieds de beaucoup de soldats et on perdit plus de monde dans la marche de cette mauvaise journée qu'on n'en avait perdu pendant les huit jours qu'on s'était trouvé en présence de l'ennemi[107].

" Ce qui faisait retarder l'arrière garde espagnole était l'artillerie qu'ils ne voulaient pas perdre. Pendant deux jours consécutifs ils vinrent tenter de faire passer douze pièces de gros canons, mais les chemins étaient si gelés qu'il leur fût impossible de le faire, et malgré toute leur force ils furent contraints de les abandonner après en avoir encloués quelque uns, brisés les armes et les morillons aux autres de sorte qu'on peut dire qu'ils s'en retournèrent débarrassés de tout l'attirail de l'armée [105]. "

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M. de Bourcet donne une explication plus tactique de l’abandon des canons : " Il arriva à cette retraite que les douze pièces de canon de quatre que les Espagnols avaient empruntées au roi de France, ayant remonté les deux tiers de la montagne, sous prétexte de la gelée M. de la Mina ne voulut pas qu'on continua à les monter jusqu'au sommet, d'où on aurait pu les ramener jusqu'au Château-Queyras, et que, n'ayant point voulu écouter le sieur Bourcet, qui lui assurait qu'avec vingt ducats il ferait monter lesdites pièces à bras d'hommes, il ordonna qu'on brûlât les affûts et qu'on précipitât les pièces ; ce qui donna la tentation de croire qu'il l'avait fait exprès pour piquer le roi de France et l'engager à soutenir la guerre contre le roi de Sardaigne; et effectivement, pendant la campagne de 1744, le Roi donnera quarante bataillons, etc. "

Don Tholosan : " On reconnut donc qu'ils avaient abandonnés leurs canons, nos troupes s'empressèrent de les venir prendre et les conduire en triomphe comme les trophées de leur victoire. On redoubla donc les piquets, et on ordonna à tous nos habitants d'aller au col de l'Agnel ou ils étaient afin de les traîner en bas, il aurait fallu des cordages et des roues, et tout manquait, on voulait prendre celles de nos cloches quelle ressource, cependant je ne sais comme l'on fit, à force de maltraiter le consul et les conseillers pour avoir des pals de fer, et cordes nécessaires, on parvint à les descendre [105].

Lorsque les canons arrivèrent au pont des Bernardi, nous allâmes quelques prêtres ensemble à leur rencontre, là je reconnus en quelle estime j'étais auprès de nos officiers [105] ".

Le marquis de Seyssel reprocha au curé Tholosan son " entente " avec les Français. Celui-ci protesta de son innocence.

On ne saurait finir cette année sans vous dire que la descente des ces canons nous fût plus douloureuse que le séjour des ennemis, car le froid étant rude on allumaient des feux en toutes les rues de la Chanal, et nos maisons qui avaient déjà passés tant de dangers semblaient n'être réduites en cendre que par les mains de nos amis, et sans que j'eu la précaution de loger des officiers la maison curial n'en échappait pas [105].

Conduite à Turin, attelée à des mulets pris aux Espagnols, l’artillerie y fut exposée triomphalement [107], lors d’une cérémonie à la cathédrale en présence du roi et de la cour pour célébrer la victoire.

Les "Transitons" donnent le bilan de cette désastreuse campagne de 1743 : "Etant donné la façon que les canons et coups de fusil de l'armée du roy de Sardaigne ayant ronflé sur l'armée dudit dom Philip, de sorte qu'il est resté à la bataille 8.000 hommes, sans que l'armée dudit dom Philip en aye peu tuer que 200. Il est vrai que les mignons (ou mignots) en ont tué quelques-uns dans les montagnes. Dont il y avoit une grande extrémité ; le pain de munition se vendait 3 livres chaque pain. Et les espions ont rapporté que la reine Dongrie (de Hongrie) avoit en chemin onze mille hommes, avec douze pièces de canon pour ayder au roy de Sardaigne et en cela le dit dom Philip a esté obligé, avec son armée restante, de s’en retourner sur ses pas"

En fait, l’armée gallispane perdit un bon millier d’hommes dans cette aventure et près de 3.000 prisonniers ou déserteurs restèrent en Piémont.


Retour par le Queyras.

Les franco-espagnols retournèrent par le Col Agnel, harcelés par l’ennemi et repassérent dans le Queyras. A Molines, ils brûlèrent tout ce qu’ils trouvaient , planches ou portes de maison, pour se protéger du froid.

Les "Transitons" : " le dit dom Philip a esté obligé, avec son armée restante, de s’en retourner sur ses pas et ils ont encore aussy passé au présent lieu de Mollines dont le passage nous a fayt plus de mal en venant qu'en allant et ils ont brûlé les planches des couverts, les portes des maisons, laditte armée estant réduite à l'extrémité tant pour le pain que pour la gellée de froid qui faisoit en ce temps-là, qu'il en resta sur la montagne environ 150 hommes et 1’artillerie estant presque la dernière, ne pouvant pas avancer, les Vaudois lui ayant donné dessus, et ils ont pris la plus grosse partie de façon qu il y a des capitaines qui ne leur est resté que l'habit qu'ils avoient sur le corps.


Epidémie.

Don Tholosan : " La neige étant tombée les troupes sardes se retirèrent de cette vallée pour aller prendre leurs quartiers d'hiver, et on ne laissa ici qu'un petit détachement des Vaudois qu'y restèrent tout l'hiver et ainsi se passa cette année 1743, qui fût funeste à plusieurs, car l'armée espagnole ayant laissé beaucoup de morts dans les chemins qu'en étaient remplis depuis la Chanal jusqu'à Molines, outre plusieurs malades dans les hôpitaux, il s'engendra une fièvre maligne parmi nos habitants qui en réduisit au tombeau près de septante, dans l'espace de trois mois, maladie qui ne donnait pas le temps de se reconnaître, c'est pourquoi d'abord qu'ils s'en sentaient saisis, on les confessait et communiait tout de suite [105] ".

Chianale perdit 70 personnes sur 500 habitants, à cause de cette épidémie. Il en est de même dans le Queyras :

Les "Transitons" : " Ledit dom Philip a quitté dicy avec son armée nous ayant réduits en grand dommage ; nous a laissé aussy plusieurs maladies savoir tant dirrées (diarrhées) que fièvre maline quy a causé la mort à plusieurs personnes ."

Une chose qui fût pour nous un motif de remercier Dieu des grâces qu'il nous avait fait, au milieu de ces troubles fût le respect qu'ils portèrent à nos églises, aux personnes ecclésiastiques et religieuses et à celle du sexe, car il n'arriva ni viol, ni autre affront, cas ordinaire aux gens de guerre dans le pays ennemi. On ruina presque tous les moulins, et on détruisit bien de maisons [105].

La campagne de 1743 terminée, les militaires français tirèrent les conclusions de cette "Affaire de La Chanal".

Voici les réflexions de M. de Bourcet :

1. Les propositions qu’avait faites le roi de Sardaigne à la cour de Madrid ne devaient point suspendre la marche du canon ni l’approvisionnement des vivres; ces précautions n'ajoutaient ni ne diminuaient rien aux articles dont on aurait pu convenir, et si elles avaient été précises, on aurait eu encore le temps de prendre Exilles et de faire repentir le roi de Sardaigne de son traité de Worms, puisque son pays se serait trouvé ouvert par la campagne de 1744 et qu'on aurait pu s'avancer sur Turin sans craindre le canon et la Brunette, trop éloignée du penchant de la droite de la vallée de Suse pour en défendre le débouché [107].

2. Quel succès pouvait-on espérer de la vallée de Château-Dauphin en y débouchant au commencement d'octobre et sans avoir une ressource de plus de quinze jours de subsistances ? Ne devait-on pas, au contraire, craindre de s'y voir renfermer par les neiges; car si, pendant que l'armée était devant le château de Pont, il en était tombé trois ou quatre pieds, comment l'armée combinée aurait-elle pu se retirer et de quoi aurait-elle vécu ? On ne peut penser à cette situation sans frémir, lorsqu'on connaît le pays et le peu de moyens de vaincre les neiges lorsqu'il fait du vent. Il y avait donc eu peu de réflexion dans la détermination de s'avancer jusqu'au château de Pont à une époque si reculée, et on serait bien tenté de penser que cette marche s'est entreprise dans le seul objet d'engager les troupes de France à un acte d'hostilité contre le roi de Sardaigne, afin de s'assurer de leur concours dans les opérations de la campagne suivante ; et effectivement le Roi, qui avait accordé avec beaucoup de peine les quatorze bataillons, en donna quarante la campagne suivante, et quatre-vingts dans la suite.[107]

3. [ Au sujet de la brigade d’Anjou] Si le général espagnol, lorsqu’il fut désabusé de la prétendue retraite des ennemis, avait fait partir de quart d’heure en quart d'heure quelques exprès par le plus court chemin, son contre-ordre aurait pu arriver à temps, et le maréchal de camp qui commandait cette cinquième colonne aurait rejoint l’armée par le même chemin du col de Valante et du vallon de Soustras par lequel il était arrivé au pied du mont Viso et où il n'aurait eu rien à craindre; au lieu que, par le défaut de prévoyance, on perdit à cette fausse marche beaucoup de monde; et on pourrait ajouter ici qu’avant de prendre la confiance sur la retraite des ennemis, on aurait dû s’en assurer par quelque parti qui eut été reconnaître et au moyen duquel on aurait su que cette prétendue retraite n'était qu'une feinte et une ruse de guerre de leur part.

Cette campagne de 1743 fut un échec pour les armées franco-espagnoles mais elle leur apporta une meilleure connaissance des montagnes du Val Varaita et de leurs pièges et fut une répétition générale pour ce qui se passa l'année suivante.

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