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L'Histoire :
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LA REPUBLIQUE DE BRIANCON : POURQUOI ET COMMENT ?

© Jean-Luc BERNARD (4 Septembre 2004)

L’institution de la République Briançonnaise des Escartons regroupant de part et d’autre de l’actuelle frontière les communautés du Queyras, Briançon, Oulx, Pragelas et Châteaudauphin, peut évoquer pour nous une sorte d’état ou de région autonome au sens où nous l’entendons aujourd’hui.

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Figure Jean Gallian
Pour tenter de bien comprendre la réalité de cette institution née au coeur de la période médiévale, il convient d’explorer la Grande Histoire et de se transporter en ces temps troublés dont peu de documents nous sont parvenus.

Après l’effondrement de Rome du fait des invasions barbares, c’est le retour à l’anarchie.

Les petits propriétaires semblent avoir disparu au profit des grands, partout le territoire se morcelle en seigneuries et le pouvoir royal laisse place à un droit mixte : le droit seigneurial, ne contenant que des rapports de dépendance purement privés.

Sur les deux versants des Alpes, les terres concernant la République de Briançon devinrent en 1030 propriété de la famille des comtes d’Albon régnant en Dauphiné sous la domination du Saint Empire germanique.

Les rares documents disponibles montrent que notre région n’a pas échappé à cette organisation féodale dominée par la coutume et où la majorité des rapports entre personnes ou groupes de personnes est organisé par des transactions de type privé.

Tout individu était l’homme (vassal) d’un seigneur auquel il était subordonné et auquel tous biens appartenait (l’héritier devait recevoir l’investiture du seigneur pour entrer en possession du bien de son auteur).

Dans ce contexte particulier, toute organisation publique ou municipale ayant pu préexister avait disparu dès le VI° siècle et jusque vers l’an 1000 les villes comme les campagnes étaient administrées directement par les comtes et leurs agents (Viguiers, Bayles ou Châtelains).

Au sein de nos montagnes cependant, en raison de l’éloignement du pouvoir situé à plusieurs jours de marche et des nécessités d’entraide, l’existence de cellules de vie publique semble s’être imposée.

Chaque communauté s’identifiant aux paroisse y élisait ses consuls et autres agents (Mansia ou Massier) chargés d’organiser les efforts à accomplir en commun.

Bien évidemment, l’origine de ces communautés, attestées en Queyras seulement en 1260 et en apparente incompatibilité avec le droit féodal omniprésent, peut surprendre et mérite d’être éclaircie.

A y regarder de plus près quelques siècles auparavant, comme de nombreuses contrées et selon certains auteurs tel Jean BRUNET, nos hautes vallées étaient largement ou totalement dépeuplées lors de la retraite des Sarrazins au X° siècle.

Sans doute des hordes de pillards hantaient elles ces espaces quasi désertés.

Or, partout au XI° siècle, d’immenses forêts incultes appartenant aux seigneurs justiciers furent défrichées.

Au cours de cette période, et surtout au XII° et XIII° siècles, un mouvement d’émancipation tendit à faire obtenir aux habitants de la plupart des villes mais aussi des campagnes , un régime privilégié.

Pour attirer des " hôtes " dans ces " villae novae " il convenait de garantir à ces colons (ordre religieux ou laïques) divers avantages et, au moment de la fondation, le seigneur propriétaire du sol publiait une charte organisant divers privilèges fiscaux ou juridiques (liberté, droit d’asile pour les serfs fugitifs).

Peut-on voir dans ce processus de colonisation favorisant l’immigration et ces concessions seigneuriales dénommées " Manses ", " Cabanneries ", " Borderies ", " Faucherées " en Dauphiné, l’origine d’un grand nombre de nos paroisses et communautés ?

Expliquant ce paradoxe " Communautés / Droit seigneurial " ce contexte, que semblent confirmer la vocation de vallées refuges de nos contrées comme bien des institutions ou noms de lieux : Manse (Massier, Maï di Barna), Cabanneries (Lou Chazal), Faucherées (Pra Fauchier), s’accorde assez naturellement avec l’acte de naissance de la République Briançonnaise des Escartons : La Grande Charte de 1343.

Très tôt en effet, les communautés plus ou moins détentrices de franchises et privilèges de droit ou de fait, se rendirent compte de la nécessité de se regrouper entre elles pour la défense de leurs intérêts communs : Les Escartons.

Le dernier des Dauphins, Humbert II (1333-1349), amateur d’art, épris de justice, débordant de générosité, se montre plein de bonnes intentions, affranchissant ses sujets de diverses servitudes.

Sa vie opulente le conduisit rapidement à la ruine et, privé de successeur, il céda nombre de ses droits comme sa propre seigneurie au Royaume de France en 1349.

Par la Grande Charte signée quelques années auparavant, cinq Escartons " fédérés " au sein de la République de Briançon purent ainsi acquérir, moyennant une rente annuelle de 12 000 ducats d’or, grand nombre de droits et privilèges dont celui d’y pouvoir hériter normalement des biens de ses pères.

Sorte de vassale collective assimilée à un baron, cette république devait toujours allégeance au Dauphin mais pouvait s’imposer ou se réunir librement, élire ses représentants, gérer bois, canaux et chemins, faire commerce ou circuler librement en Dauphiné.

Au traité d’Utrech en 1713, le Royaume de France cède à la Savoie les trois Escartons situés sur le versant oriental.

Protégée sur le versant français par le droit royal la " Grande Charte ", la République des Escartons ne disparut qu’en 1789 au titre de l’extinction des " privilèges d’ancien régime " et l’ultime assemblée se réunit en 1791.

Nombre de ces prérogatives purent être sauvegardées sur les versants Italiens jusque vers 1860.

Issue sans aucun doute d’un concours de circonstances géographique et économique bien particulier, la Grande Charte du 29 Mai 1343 officialisant la République des Escartons du Briançonnais peut surprendre par ses allures d’acte privé intervenu en bonne et due forme par devant un juriste assermenté (Maître Guigues Froment de Grenoble, notaire public par autorité apostolique, impériale, royale et delphinale) entre " le Seigneur Humbert II, Dauphin de Viennois, Prince de Briançon, Marquis de Cézanne d’une part, et les Consuls, Syndics et Procureurs des universités (communautés) de la Principauté du Briançonnais d’autre part. "

Certes, ce type de convention relativement répandu et consacrant d’ordinaire les faveurs consenties par le seigneur aux cités et faubourgs du Moyen Age, n’étonneront point l’historien.

En fait, la Charte de 1343 est mentionnée à cet égard comme un véritable modèle du genre, tant par sa modernité que par l’importance des privilèges accordés.

Mais surtout, sur le plan interne, les Escartons du Briançonnais constituaient un véritable modèle d’organisation démocratique qui a pu les faire assimiler à une " république " disposant de sa pleine souveraineté.

A dates régulières, les représentants élus des divers Escartons se réunissaient selon des règles précises pour expédier les affaires courantes relevant de leur compétence et répartir les charges et les corvées.

Des comptes y étaient établis avec rigueur, et les archives conservées dans des armoires pourvues d’autant de clefs que de communautés.

Comment de simples agriculteurs pouvaient-ils en ces temps reculés posséder la maturité requise et maîtriser non seulement l’écrit mais aussi la science juridique et comptable nécessaire à de telles démarches et une telle gestion ?

Qui étaient-ils ? De quels courants d’immigration avaient-ils pu bénéficier ?

Cette grande culture caractérisant nos anciens demeurera sans doute pour longtemps le véritable mystère de notre monde alpin et nos analyses doivent, à défaut de documentation, rester prudentes...

Démocrates avant l’heure, profitant sans doute de circonstances géographiques et politiques exceptionnelles, ils avaient su se frayer une oasis de liberté au sein même de l’asservissement du monde féodal.

Héritiers d’un patrimoine culturel et indissociable au delà d’une frontière artificielle imposée en 1713, saurons-nous dans un effort commun retrouver le dynamisme nécessaire à l’affrontement d’une avenir incertain ?

Ne dit-on pas que l’union crée la force ?
 

Jean-Luc BERNARD
4 Septembre 2004
Bibliographie :
    • Histoire du Droit – Auguste DAUMAS
    • Lous Escartoun - Alzani Editore 1998
    • Le Queyras – Général GUILLAUME 1985
    • Histoire du Dauphiné – Presses Universitaires de France

   
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