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Bataille de la Battagliola :
Introduction.
Il y avait
tout juste une trentaine d’années que les trois communes
de la haute vallée Varaita, Bellino, Pont et Casteldelfino,
avaient été rattachées à la Maison de
Savoie lorsque se déroulèrent ces formidables batailles
de 1743 et 1744 sur la crête des Alpes.
En effet,
par le traité d’Utrecht de 1713, une légère
modification de frontière avait écarté ces
trois communes du Dauphiné et de la France, alors que depuis
le début du XIIIème siècle ces hautes vallées
constituaient l’Escarton de Château Dauphin, partie prenante
du Grand Escarton de Briançon que certains présentent
comme une véritable République alpine et qui était
en fait une communauté d’intérêt.
La frontière avait logiquement
rejoint la crête des Alpes et passait au col de la Lauzette,
au pied du mont Viso, au cols Agnel et de Saint Véran qui
donnaient sur le Queyras, puis aux cols de Longet et de l’Autaret
(ou de Maurin) qui descendaient sur la haute vallée de l’Ubaye,
vers Barcelonnette.
Une trentaine d’années, c’est peu
pour les habitants de ces quelques communes qui n’avaient pas abandonné
leur patois occitan (le vivaro-provençal dit-on), encore
moins la rédaction des actes officiels en français
et qui allaient plus volontiers à la foire de Briançon
qu’à celles de Saluces ou de Cunéo.
Ce peuple de montagnards avait eu quelque
peine à s’habituer au nouveau pouvoir mais celui-ci était
si lointain que leurs préoccupations restaient, comme
toujours, attachées à leur vie quotidienne, une
vie difficile principalement liée à l’élevage
des vaches et aux travaux des champs. L’activité, réduite
pendant les mois d’hivers à cause de la neige devenait plus
intense pendant les mois d’été, comme dans toutes les
zones montagneuses.
Don Bernard Tholosan, curé de Pont,
nous a laissé un mémoire sur cette période. Ecoutons
ses soucis pour l’année 1740 :
" L'année 1740 fût une
année des plus froides que j'ai jamais passé, son
froid égalait celui de 1709 et il eut cela de plus que celui-ci
ne se fit sentir qu'en janvier, et l'autre dura jusqu'à la fin
du mois de mai [105].
Mais dans le lieu où nous habitons
il semblait que le printemps avait oublié de paraître,
et que la terre avait perdu sa fécondité, car au milieu
de mai, que dis-je, à la fin, on ne voyait encore aucune verdure
ni dans les champs, ni dans les prés, ce qui fût cause
de la perte de beaucoup de bétail faute de nourriture [105]. "
Ils étaient loin, nos villageois,
des préoccupations politiques des souverains européens
et ne se doutaient pas qu’ils allaient subir un tel désastre.
Nous allons voir arriver dans nos vallées
des troupes franco-espagnoles et on peut se demander les raisons
de leur présence dans les Alpes. Il est nécessaire
de faire un bref retour en arrière pour expliquer les relations
entre les familles royales française et espagnole et les problèmes
liés à la succession d’Autriche.
Arrière-petit-fils
de Louis XIV, Louis XV régnait sur
la France depuis 1723. De son mariage avec Marie Leszczinska, fille
du roi détrôné de Pologne, Louis XV avait
eu dix enfants et l’aînée des princesses avait épousé
l’Infant d’Espagne.
Philippe V, roi
d’Espagne était un Bourbon, petit-fils de Louis XIV, et oncle
du roi de France, et il avait renoncé à la couronne
de France pour accepter celle d’Espagne lors de la succession de Charles
II de Habsbourg.
Les deux familles
royales étaient très liées. Leurs intérêts
communs expliquent leur entente lors de la guerre de Succession
d’Autriche.
Les prétentions espagnoles en Italie.
Le roi d’Espagne,Philippe V,
venait de perdre ses possessions italiennes (1720), mais son remariage
avec Elisabeth Farnèse, princesse de Parme, lui avait ouvert
l’espoir des successions de Parme et de Toscane.
Ce roi a eu deux fils de son
premier mariage, le prince des Asturies et l’Infant Ferdinand,
puis trois autres fils d’Elizabeth Farnèse : les Infants Charles,
Philippe et Louis-Antoine.
Lorsque le duc Antoine Farnèse
mourût, en 1731, l’Infant Charles fut reconnu duc de Parme
et de Plaisance aux termes du traité de Vienne.
Le 7 novembre 1733, Louis XV
et son oncle Philippe V signaient le premier pacte de famille par
lequel ils se promettaient mutuelle assistance et assuraient à
l’Infant Charles les successions de Parme et de Plaisance ainsi que
les conquêtes qu’il réaliserait en Italie.
Nommé par son père
généralissime des armées espagnoles en Italie,
l’Infant et ses troupes écrasèrent les impériaux
(1734) et il fut reconnu roi à Naples. En 1736, il renonça
cependant à Parme et Plaisance en faveur de l’empereur Charles
VI d’Autriche.
Vu de Pont, on expliquera cela
de manière beaucoup plus simple :
" Pour augmenter le nombre
des ennemis contre l'Autriche, le Roi de France maria une fille
avec Don Philippe troisième fils de Philippe cinquième
Roi d'Espagne, et il y à bien apparence qu'on résolut
en le mariant de lui procurer un royaume par le démembrement
du royaume de quelque couronne ; marque de ça, c'est que d'abord
que Charles sixième fût mort on embarqua à Barcellonne
une armée de quarante cinq mille hommes qui commandés
par monsieur de Montmar alla débarquer sur les côtes
de la Toscane, vers la fin de novembre 1741" . [105]
L’Infant Philippe souhaitait
se constituer un royaume en Italie.
La succession d’Autriche.
Jusque là, la Maison
d’Autriche n’avait pas eu de problème de succession et utilisait
la loi Salique qui permettait l’accession au trône des seuls
descendants de sexe masculin. Mais l'empereur Charles VI n'eut que
des filles. Il voulut laisser son héritage à sa fille
aînée, Marie-Thérèse, et régla sa
succession au moyen d'une loi solennelle, appelée
Sanction Pragmatique . Cet acte décidait
que Marie-Thérèse succéderait à son père
et établissait le droit des femmes à succéder
.
Les souverains d'Europe profitèrent
de la mort de Charles VI (1740), pour remettre en question cette
loi et l’héritage associé :
- l'Electeur de Bavière
réclama tout l'héritage,
- l'Electeur de
Saxe voulut la Bohème,
- le roi de Sardaigne
prétendait au Milanais.
- Frédéric
II de Prusse réclama la Silésie.
Le
parti de la guerre, en France.
Le pouvoir était
exercé par le cardinal de Fleury, qui ne voulait pas la guerre,
mais beaucoup de nobles français voulaient profiter de l'occasion
pour détruire la maison d'Autriche, poursuivant la vieille
tradition qui, d’Henri IV, à Richelieu, et à Mazarin,
visait à "abaisser la maison d'Autriche". La maîtresse
du roi, Pauline-Félicité de Nesle, entreprit d'éliminer
le cardinal, partisan de la paix, en se faisant protecteur du maréchal
de Belle-Isle qui représentait, lui, le parti de la guerre
contre l'Autriche.
Louis XV ne refusait rien
à sa maîtresse et décida de faire la guerre pour démembrer
l'Empire autrichien.
Le roi de Sardaigne.
Ce conflit dynastique
n’avait pas de raison, à priori, d’entraîner une catastrophe
en val Varaita : le roi de Sardaigne s’était rangé
du côté de la France et de l’Espagne, s’opposait à
l’Autriche et revendiquait des parts de l’héritage au nom de
traités antérieurs à 1713.
Charles-Emmanuel III,
deuxième roi de Sardaigne succédait à son
père et à une longue lignée de comtes et de
ducs de la Maison de Savoie qui avaient agrandi leurs Etats depuis
quelques vallées savoyardes jusqu’à la mer Méditerranée,
en passant par le Piémont.
Le titre de roi avait
été attendu longtemps, depuis qu’un de leurs ancêtres,
Amédée VIII, avait été nommé
duc, en 1416.
A cheval sur la crête
des Alpes, "portier des Alpes", la Maison de Savoie avait su jouer
longtemps avec ses alliances, matrimoniales ou politiques, pour servir
ses intérêts et agrandir son domaine.
Le 28 mai 1741 se
constitue une ligue avec la France, l’Espagne, la Prusse, la Saxe,
la Bavière et la Sardaigne. La guerre se déroulait
alors loin de notre région, en Silésie (1740), en Bohême
(1742) et en Bavière (1743) jusqu’à ce que les troupes
franco-espagnoles, les "Gallispans" s’approchent des Alpes.
Carte des cols du fond de la vallée Varaita.
"Dimostrazione
dei colli nelle fini della valle di Varaita".
Archivio di Stato di Torino. Carta topografica della val
Varaita.
Référence : 0048651
Ecoutons encore le
récit de notre curé de Pont :
" Tout le monde
était dans l'attente de savoir ce que faisaient les Espagnols
en Italie, et personne pensait qu'ils dussent nous venir causer
des troubles semblables à ceux qu'ils nous ont causé.
Si on nous eussent prédit qu'ils dussent venir dans le pays,
cette prédiction aurait été prise pour une
rêverie, ou pour un songe " [105].
" Don Philippe
donc partit d'Espagne avec une armée de vingt mille hommes
ou environ, passant par le Languedoc au mois de mars, se rendit en
Provence et là ils y passent le printemps et l'été
sans faire aucun mouvement jusqu'au mois de septembre ou ils décampèrent
et se rendirent dans la vallée de Barcelonnette. "
Les intérêts
du roi de Sardaigne divergeaient par rapport à ceux de l’entente
franco-espagnole, aussi, pour ne pas faillir à la tradition
de la Maison de Savoie, le roi fit une nouvelle volte-face et, par
le traité de Worms, s’allia avec l’Autriche (1742). En échange
de cet accord, son royaume devait s’agrandir de terres prises au
duc de Milan, de la ville de Piacenza , de quelques autres villes et
des droits sur le marquisat de Finale.
En conséquence
de ce traité, Louis XV lui déclara la guerre, se
proposant de lui reprendre ce qu’il avait dû céder
au Piémont en vertu de l’article 4 du traité d’Utrecht,
en particulier la haute vallée Varaita.
Charles Emmanuel
III s’était donné des moyens militaires pour défendre
son Etat : l’armée piémontaise était composée
de régiments d’Infanterie, de Cavalerie, de la Maison Militaire
de S. M. et de régiments de Dragons.
L’Infanterie
comptait de nombreux régiments composés de troupes
régulières nationales (Gardes, Savoie, Montferrat,
Piémont, Fusilliers, Saluces, La Marine et La Reine),
des régiments provinciaux créés à partir
du service militaire obligatoire ( Chablais, Tarantaise, Nice,
Aoste, Turin, Verceil, Mondovi, Asti et Casal ) et quelques régiments
étrangers ( Suisse, Allemand, Italien et Mixte ).
La Cavalerie
était divisée en Piémont Royal et
Savoie .
La Maison
Militaire de S. M. regroupait trois compagnies des Gardes de
S.M ., deux compagnies d’Arquebusiers , une compagnie
de 100 Suisses de la Garde
, la compagnie des Halebardiers du vice-roi de Sardaigne
et la compagnie des Gardes Chasse .
En ce qui
concerne les Dragons, il y avait ceux de S.M., du Genevois,
du Piémont, de la Reine et de Sardaigne.
Quelques milices,
comme celle des Vaudois, furent créées à la demande
et suivant les besoins.
Une grande
partie de cette armée se retrouvera dans la haute vallée
Varaita en 1743 et 1744.
Du côté
de la France, le prince de Conti, Louis François de Bourbon
(1717-1776) était commandant des troupes. Il était
intéressé par les résultats de cette guerre
de succession car il briguait le trône de Pologne que son grand
père François-Louis avait un temps obtenu, en 1697.
On lui reconnaissait alors de brillantes qualités militaires.
L'armée piémontaise
: drapeaux et uniformes.
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