Une époque prospère.
En 1608, la commune de Caromb paie encore pour l’avoine et la pignatelle
de la cavalerie italienne, pour un quartier de trois mois, puis encore pour
trois mois et finalement nos concitoyens préfèrent payer 840
florins pour s'en débarrasser. Ouf, un peu de tranquillité
! Les archives ne nous disent pas si c’est pour fêter cela que l’on
achète un tambour à Carpentras.
Lorsque des égyptiens ou bohémiens se présentent aux
portes de la ville, pendant l’été 1608, notre largesse est
sans limite : on leur donne 5 florins et trois sols afin qu’ils ne pénètrent
même pas dans le village.
On organise un festin pour le vice-légat (décembre 1608)
et on lui offre 4 perdrix, 4 chapons et 4 "conhiles" (lapins) le mois suivant.
Les même présents gratifient le vice-légat à
la Noël 1610 et en 1614.
Au début du XVIIe siècle, le Comtat est calme, protégé
par son statut de terre pontificale, et il est épargné par
les guerres. César de Vervins, chanoine du chapitre d’Avignon, fait
reconstruire la chapelle Sainte-Croix au sommet du Ventoux, rétablissant
le symbole local de la religion catholique
Cependant, la grande politique va rattacher provisoirement, et par trois
fois, le Comtat à la France [33].
En attendant, Caromb travaille, répare la chapelle des Pénitents
gris, s'occupe des eaux : en 1611, on met des «borneaux» aux
fontaines, en remplacant les anciennes canalisations en plomb par des conduites
réalisées avec des tuyaux en terre-cuite vernissée à
l'intérieur ; on met des bards pour servir de pont au passage de
la porte du Rieu et sur la rivière de la Malagronne.
Nos employés municipaux sont nombreux : le garde, le capitaine des
portes, le mesureur de blé, la sage-femme et bien sûr le maître
d’école. Nous avons même un "secrétaire de mairie" qui
rédige les procès-verbaux des séances du conseil, car
Beaumes prend exemple sur nous lorsqu'il faut décider du traitement
à donner à son propre secrétaire. Il est fixé
" à la mode de Caromb ", c'est à dire qu'il reçoit
20 écus (en 1610) [120].
Nous leur envoyons aussi un de nos chirurgiens : Jéhan Goubert,
dit Prévost, de Caromb, en 1612 pour un salaire de 100 florins.
Le calme revient après la signature de l'Edit de Nantes et chacun
retourne à ses champs de blé, ses vignes ou ses vergers d’oliviers.
Les finances s’améliorent, les taxes sont payées régulièrement
: la taille, la rève du poisson qui rapporte 27 florins pour l’année
1613 et la rève des bouchers, plus importante, puisqu’elle génère
313 florins pour la même période. La boucherie est affermée
pour 4 ans.
A quoi ressemble le village de Caromb en l’année 1607 ? Un dessin
nous le représente entouré de remparts crénelés.
A l’intérieur des remparts, le château et ses tours, des maisons
qui occupent toute la surface et le beffroi. Hors des remparts, l’église
est là, et de loin, elle paraît encore plus haute et grande
sans les murs de soutènements actuels. La colline descend très
vite, des fondations de l’église vers la Baisse ou le chemin de Carpentras
(aujourd’hui appelé ancien chemin de Carpentras). Son clocher est
couvert d’une toiture comme celle d’aujourd’hui. La Place de l’église
commence à prendre forme, car des maisons se dressent déjà
de l’autre côté du fossé du château, de ce que
l’on appellera « le Cours ». En particulier, la maison de mes
parents, au coin de la Payanne et les maisons d’à côté,
semblent exister. Mais pour pénétrer dans l’enceinte du village
il faut franchir fossé et pont.
La place descend en pente douce de la porte du village vers l’église.
De l’autre côté de la place (après la Mirande), une
première maison se détache dans la pente de la Baisse. Le quartier
de la Baisse est encore inhabité, l’enceinte descendant très
bas, au pied de la colline. Une porte (de la Font ou fontaine) ouvre sur le
chemin de Modène et une autre, le portail du Rieu, vers Malaucène
et Beaumes. La porte principale est celle de la Place. Elle donne l’accès
directement au Château et à ses écuries.
Un fontainier réalise un “truey” (bassin) à la porte du Rieu
en 1609. L'été suivant, la commune achète 7 billes
de chêne pour faire un pont-levis à la porte de la fontaine,
une piboule pour fabriquer un banc pour la boucherie et crée un nouveau
moulin à blé équipé d'un puits, d'une roue
et d'une vanne réalisés par un menuisier de Mormoiron. Le
23 décembre, juste avant Noël, la commune paie 20 florins pour
la construction d'un fournil et 180 florins pour la construction de corps
de garde à la porte de l'église et au Portail Neuf. On refait
le pont-levis de la porte de la Font, avec poutres et traverses en chêne.
On se souvient de la guerre récente et les temps ne sont pas encore
très sûrs. Henri IV a été assassiné. On
préfère prévoir : le 18 novembre 1611, Caromb achète
pour 12 florins de cordes pour les arquebuses, continue à entretenir
les compagnies de soldats du pays. Les années suivantes, on s’arme
encore de 80 arquebuses, 14 mousquets, 18 piques, une centaine de livres
de plomb pour faire les balles, 155 livres de poudre et 54 “bandoulières”
qui sont distribués aux habitants (1613 et 1614).
Qu’on se le dise, Caromb est armé jusqu’aux dents !
On confie l'éducation des jeunes filles aux sœurs ursulines pour
un coût de 60 florins par an et on ajoute un «régent
des écoles» pour contrôler l’administration. La sage-femme
soigne gratuitement les nécessiteux, à la charge de la commune.
Un maître de santé garde en personne la porte de la fontaine
pendant 5 jours sur une rumeur de maladie.
La commune n'oublie pas les pauvres et leur distribue 80 pains aux portes
de la ville en avril-mai 1608, après le terrible hiver qui a gelé
nos oliviers et toutes les cultures.
Notons la pratique de la dénonciation encouragée dans la communauté
et qui rapporte des amendes dont le montant est distribué à
part égale entre commune, seigneur et dénonciateur.
Tout est bon pour faire respecter la loi et faire rentrer l'argent.
Dans ce pays profondément catholique, comme ailleurs en Comtat, on
consacre une large part du temps à assister aux offices, prêches,
rites et processions. La commune rémunère les prêcheurs,
pères capucins, pendant les 40 jours du carême, pour un coût
de 120 florins payés le 26 août 1609 et la salle du conseil
municipal s'orne d'un crucifix dédié à Notre-Dame de
Saint-Jean, peint par un peintre de Montargis, le 7 juin 1611, qu'un menuisier
du village encadre le 1er octobre 1611.
On est loin de la séparation de l'Eglise et de l'Etat en Comtat
Venaissin !
Aux débuts du XVIIe siècle, la commune dote les congrégations
et les prêtres. L'ermite de Notre-Dame-des-Innocents reçoit
régulièrement 80 florins. On lui accorde en plus une subvention
communale de 65 florins pour la réparation de son habitation attenante
à Notre-Dame-des-Innocents. Deux paires d'escarpins sont payées
par la commune en 1611, pour les bâtonniers des processions (quatre
florins), 140 florins d'aumône aux pénitents gris de Caromb
pour qu'ils bâtissent leur chapelle. Une paire d'escarpins bleus est
encore payée pour le bâtonnier de procession. La communauté
s'engage encore pour 145 florins de fournitures afin de bâtir une chapelle
dans l'église, dite «chapelle du Damas blanc», puis à
y faire une chaumière en l'honneur de Saint Maurice.
L'ouverture vers l'extérieur est manifeste, les échanges commerciaux
se multiplient au-delà du Comtat, vers la France.
Les charges féodales sont encore lourdes malgré les privilèges
et les rachats effectués au seigneur. De 1608 à 1611, la commune
paie plusieurs impôts, loyers et revenus au seigneur et au Comtat.
En 1610-1611, l'impôt rapporte 4.500 écus au pays, 2 ducats
d'or de loyer de la seigneurie au seigneur, 3.870 écus de cote foncière
payés au Comtat et 100 écus ou 500 florins sont offerts comme
«étrennes» à Madame de Créquy, Chrestienne
d'Aguerre, épouse de François d'Agout, comtesse de Sault et
dame de Caromb, en complément du prix payé pour l’achat du
moulin dit le Neuf à huile.
Entre 1612 et 1615, cinq cahiers de papiers des archives montrent que les
recettes proviennent du revenu des moulins à huile et à os,
du mesurage de l'huile et du vin, des taxes sur la boucherie, la poissonnerie
et des produits des fours communaux. Quelques filous essaient de tricher
sur les mesures comme le montre les amendes liées à cette fraude.
On étalonne les poids et mesures, le 14 avril 1614.
Dans le même temps on commence à niveler les fossés
de l'ancien château, à la porte du Rieu comme à celle
de la Fontaine. Le 28 avril 1615, on pose une pierre neuve à la fontaine
de la place et on ferre le pont-levis de la porte de l'église et
des “clédiers” de la porte de la Font.
Des chapelles de Caromb sont dédiées à Saint Blaise
en 1619, à Saint Charles de Borromée en 1619 également,
aux Sept Plaies en 1671, à Sainte Anne en 1693, et à Sainte
Marie-Magdeleine en 1684 [58].
Aux XVe et XVIe siècles, la commune organise les «joies»
de Saint Maurice. On se reportera utilement au chapitre sur les fêtes
du village.
Il reste des sous dans la caisse commune après paiement de 4.800
écus au comtat : on en fait profiter les religieux et on fait repeindre
la salle des écritures. Nos financiers connaissent des problèmes
de change car diverses monnaies circulent dans le pays : il en coûte
2 sols par ducat pour l’achat d’avoine en 1612, et 3 sols par écu
pour changer 5 écus patas contre des gros en argent, en 1613.
Sous Richelieu, les habitants du Comtat obtiennent le droit d'acheter le
blé commercial à bas prix.
Relique retrouvée.
Le vocable de l'église était originellement Notre-Dame-des-Grâces,
mais nous avons vu qu'elle fut dédiée à Saint Maurice,
et qu'une relique lui fut attribuée. Cette importante relique fut
volée pendant les guerres de religions. Elle nous est restituée
et transportée d'Avignon le 14 avril 1613 [58].
Comment est-elle retrouvée ? Le père Mariau, de l'ordre des
Jésuitins, est venu prêcher le Carême en 1612. Il a
trouvé une partie du fémur de 16 centimètres de long.
Il nous reste une pièce officielle, un extrait des conclusions des
Parlements de Caromb, BB3 an 1613 - 10 mars - Archives de Caromb : "et
finalement a esté conclu et arresté à cause que le R.
Père Mariau de l'ordre des Jésuitins qui prêche le
Carêsme de l'année passée au lieu dit de Caromb pour
le culte qu'il porte à l'église et amitié à
la communauté du dit lieu, a mandé de Chambéry à
Avignon pour décorer la dite église, des reliques des os
de Monsieur St. Maurice et de ses compagnons, patrons d'icelle, que de mander
hommes en Avignon les quérir, et pour les enchâsser et honorer
de prendre un ou deux des plus vieux calices d'argent et qui seront moins
utiles au service de la dite église pour ce fère."
Tuilerie.
Le 26 avril 1634, Claude d’Embrun de Caromb vend à Antoine Falque,
pour le prix de 16 écus, une terre d’environ trois quartes, et son
droit de cuire des tuiles, ceci sous la cense de 3 petits deniers payables
à la Noël à Monsieur le baron du Barroux.
Les monastères
carombais.
Dès le début du XVIIe siècle et après la contre-réforme,
une vigoureuse renaissance catholique se manifeste dans l'ensemble de la
France. Nombre d'ordres religieux anciens (Chartreux, Bénédictins,
Franciscains, Dominicains) ou nouveaux (Jésuites, Visitandines, Ursulines,
Oratoriens) rétablissent ou édifient des couvents qui aujourd'hui
encore marquent la physionomie de bien des villes.
Deux monastères apparaissent à Caromb :
En 1616, Claude François de La Baume, seigneur de Caromb, fonde
le couvent des Cordeliers, dit « des Pères » de l'ordre
des Franciscains dans une maison du quartier de l'Arinier, près du
chemin de Malaucène. Vers 1642, ces frères mineurs conventuels
s'établissent dans le village. Les religieux portent une grosse corde
en guise de ceinture avec des nœuds. L’ordre a été créé
par Saint François d’Assises en 1210 et existe en France depuis 1217.
Les franciscains possèdent alors 284 couvents en France.
Leur chapelle est construite en 1643 par le travail et l'industrie des
religieuses, sous Innocent X. Elle est bénie, le 18 octobre 1644,
et dédiée à N.D. des Sept Douleurs : il n’en reste
aucune trace aujourd’hui ; seul l'arceau de la porte d'entrée du
jardin, sur la petite place qui a pris leur nom (place des Pères)
subsiste encore. De ces religieux, à la robe de bure, à la
tête rasée, sauf une couronne de cheveux, nous savons seulement
que le Révérend Père Johanés d'Ancezune est curé
de Caromb en 1642 et que, beaucoup plus tard, l'abbé Joseph Alexandre
Philippe Durand, cordelier à Caromb devient curé à Mormoiron
où il mourra en 1809 [39].
L'an
1627 voit l'arrivée des Ursulines et des Carmélites à
Carpentras [33]. Les Ursulines sont à Pernes en 1617 [117].
L’ordre de Sainte Ursule fut fondé par Angèle de Médici
de Brescia (Italie) en 1506. Il fut introduit d’abord à Avignon,
en 1517, par César de Bus et Françoise de Blermond, puis dans
les communes du Comtat. César de Bus, est natif de Cavaillon (1544-1607)
et le vicaire Chamoux de cette ville a publié, en 1864, un ouvrage
qui lui est consacré ( "Le vénérable César
de Bus") [39].
Jeanne Mounier, du Thor, crée le monastère de religieuses
de Caromb avec pour mission de secourir les malheureux et d'éduquer
les jeunes filles. Habillées de robe de bure bleu-noir, avec une
coiffe et un grand col blanc, elles s'installent en 1622 et vont y rester
jusqu'à 1764.
Le premier couvent est érigé
au centre du vieux village, "impasse du Couvent", près de la Grande
Rue. La première supérieure est Jeanne Monnier. A l'entrée
de leur église se trouve la chapelle seigneuriale. L'entrée
de cet ancien couvent est située au fond d'une impasse, et à
côté de cette porte se trouve celle de leur église.
Ces deux portes, qui présentent encore une réelle valeur artistique,
ont été mises en valeur par la création d'une placette.
Nous retrouverons quelques Ursulines dans les pages qui suivent, et particulièrement
au moment de la Révolution.
La construction de la chapelle des Pénitents Gris a démoli
cet ancien couvent des Ursulines, en 1882 [39].
C’est dans ce couvent que vient, âgée de 12 ans, la
jeune Esprite de Josseaud (1640) dont la vie d’humilité fera l’admiration
de toute la région [39].
Un couvent de religieuses hospitalières de la congrégation
de la Sainte-Famille sera fondé à Caromb en 1683.
Citons quelques prêtres carombais : Claude Estienne (1632), Pierre Blanc
(1651) et M. Riperty (1653).
En 1624, nous savons aussi que M. Jean est
chirurgien [148].
Pré Fantasti et
les frères Barberini.
Qui sont ces deux personnages importants, ex-cardinaux qui viennent de
s'installer à Caromb, en 1647, et qui alimentent les discussions
de nos villageois ? Les frères Antoine et François Barberini,
exilés par le pape Innocent X, ont trouvé refuge dans une maison
au nord de la commune, sur les premiers contreforts du Paty, pas très
loin du village. Inquiétude, curiosité, méfiance et
doute, créent une légende qui perdure sur cette maison
appelée aujourd'hui «Pré-Fantasti». Ils n'y restent
pas très longtemps, mais suffisamment pour marquer à jamais
les esprits des Carombais.
Avant de raconter la légende, voyons l'histoire réelle de
ces personnages.
La famille Barberini est originaire de Florence et elle commence à
être vraiment importante lorsque Mattéo Barberini (1568-1644)
est élu pape, à Rome, le 6 août 1623, sous le nom d'Urbain
VIII [112].
Commençons donc par l’histoire de ce pape.
Son père meurt alors qu'il est âgé de trois ans et
sa mère Camille Barbadoro s'installe à Rome auprès
de son oncle François Barberini, qui occupe déjà un
poste important au Vatican. Le futur pape fait ses études à
Rome, puis à Pise où il obtient un titre de docteur en droit.
Il embrasse alors une carrière ecclésiastique, occupe des
postes de plus en plus importants dans la hiérarchie ecclésiastique,
jusqu'à être élu légat du pape en France, en
1601. Il présente les félicitations du pape au roi Henri IV
lors de la naissance de son fils le dauphin, futur Louis XIII.
A la mort de Grégoire XV, en 1623, un conclave de 55 évêques
se réunit et 50 d'entre eux se mettent d'accord sur son nom, le 6
août. Son couronnement a lieu le 29 septembre et, trois jours plus
tard, il nomme son neveu François Barberini cardinal, puis bibliothécaire
du Vatican (1627). François a à peine 30 ans. Le pape favorise
sa famille en lui distribuant les postes importants de l'Eglise.
La "Biblioteca Barberina" fondée en 1632 par François Barberini
possède de nombreux manuscrits de ce XVIIe siècle Elle fait
partie de l'actuelle Bibliothéque Apostolique du Vatican et contient
plus de 10.000 actes en latin. Les correspondances et manuscrits concernent
les activités du pape Urbain VIII et sont divisée par langues
: latin, italien et français.
Nous retrouvons, dans la correspondance de M. Peyresc de Carpentras (fonds
Peiresc, Bibliothèque Inguimbertine) des traces de relation entre
Carpentras et le vice-légat François au sujet de livres rares
et de manuscrits sûrement pour acquisition pour cette bibliothèque.
François y regroupe une grande quantité
de livres et aussi de nombreuses peintures. Il s'occupe des questions orientales,
traduit Marc-Aurèle et participe aux discussions entre les grands,
principalement entre la France et l'Espagne. Il a pour secrétaire
un anglais, Georges Conn, qui obtient des libertés pour les catholiques
face à l'Eglise anglicane [113].
Il est nommé vice-chancelier de l'Eglise en 1632, et commandant
en chef des troupes papales, après avoir été légat
d'Avignon de 1623 à 1631.
Antoine est le plus jeune des neveux du pape.
Il devient lui aussi cardinal en 1627.
Ce sont ces deux frères, François et Antoine, que l'on retrouvera
à Caromb, en 1647. Le troisième frère, Taddée
est fait Prince de Palestine, préfet de Rome et il s'occupe des armées
pontificales.
Toute la famille Barberini bénéficie des largesses du pape,
en particulier ses frères et ses neveux, et accumule les richesses,
au point que le pape, pris de scrupules, demande à un comité
de vérifier la légitimité de leur richesse. Le comité
se prononce en leur faveur et les frères gardent leurs biens. Pendant
les dix premières années de son pontificat, Urbain VIII est
peu influencé par ses neveux dans ses décisions apostoliques,
mais ceux-ci deviennent très riches.
Cette famille fait édifier un immense palais, à Rome,
par Gian Lorenzo Bernini. Un palais-villa, mi-sacré, mi-profane
construit par Taddée Barberini, qui joue, avec son épouse
Anna Colonna, un rôle de premier plan sous le pontificat de son oncle.
Ce bâtiment, est divisé en deux ailes : le secteur nord du
palais est habité par Taddée et son épouse, le secteur
sud est occupé par les ecclésiastiques (les cardinaux Barberini)
et en particulier par le cardinal François, qui y fait aménager
sa célèbre bibliothèque au dernier étage. L’ensemble
de l’édifice témoigne donc de l’histoire et des usages de
cette famille papale, qui marque profondément la culture romaine
du XVIIe siècle, en faisant de Rome le centre politique et culturel
de l’Europe [115].
Les Barberini apportent leur contribution à la culture italienne
de l'époque. Outre la Bibliothèque de François, ils
soutiennent les chants sacrés et en particuliers les castrats qui
deviennent les soprani des chapelles pontificales dès 1622. Loreto
Vittori, l'un de ces fameux castrats, est admis au palais Barberini en 1642.
Ils soutiennent aussi la création de nombreux opéras. Le
cardinal Mazarin, avant de devenir Premier ministre de Louis XIII, est
à Rome et collabore avec Antoine Barberini pour la préparation
du célèbre drame sacré de Landi II Sant'Alesio. Avec
quelques autres grandes familles romaines, ils créent un véritable
mécénat pour le rayonnement de Rome. Antoine Barberini est
l'ami de Léonora Baroni, une chanteuse de musique sacrée célèbre
sous Mazarin, en France (1644), après l'avoir été en
Italie [114].
François est nommé légat d'Avignon de 1623 à
1633, puis son frère Antoine occupe ce poste de 1633 à la
mort du pape en 1644.
La famille Barberini est liée à Galilée (1564-1642).
Dès mars 1611, celui-ci entre en relation avec le cardinal Mattéo
Barberini. Ses travaux sur l'astronomie gênent l'Eglise et les dominicains
l'attaquent et dénoncent ses opinions "erronées" concernant
le mouvement de la Terre. Galilée doit se défendre contre
les calomnies pour éviter une condamnation de ses théories.
Peu après l'accession à la papauté, notre pape Barberini
lui accorde une audience et lui conseille la prudence. Six ans plus tard
(1630), il lui accorde une sixième et dernière entrevue, avant
de rompre avec lui. Mais il est trop tard pour arrêter la machine de
l'Eglise et en octobre 1632, Galilée reçoit l'ordre de comparaître
devant le commissaire général du Saint Office à Rome.
L'année suivante, Galilée, sur les injonctions du pape doit
passer devant un tribunal de théologiens, et malgré les tentatives
de conciliations, les menaces de torture, il est condamné à
l'emprisonnement. Il prononce une formule d'abjuration, évite la
prison, mais reste fâché avec le pape [ 116].
Le pape utilise son neveu François pour régler les affaires
importantes : il l'envoie en France et en Espagne, accompagné de
Gianbattista Ponfili, le futur pape Innocent X [113]. En 1625, il l'envoie
à Paris rencontrer Richelieu, avec le titre de Légat à
latere, c'est à dire comme son représentant avec les mêmes
droits que lui, pour régler l'affaire d'un petit territoire des Grisons
dans les Alpes, la Valteline, source de conflit entre la France et l'Espagne
(qui possède alors Milan).
Un compte rendu détaillé de cette visite nous montre le caractère
du légat : il ne veut pas admettre la présence des prélats
français "en rochet et camai", « parce que ce costume est
marque de juridiction», et qu'il prétend qu'en sa personne
toute juridiction ecclésiastique doit céder devant celle du
pape qu'il représente. Le roi lui-même doit disputer son rang
à ce terrible légat qui veut que ce prince vienne au devant
de lui, «ce que possible le roi ne désire faire». Une
indisposition fort à propos le dispense de trancher cette question
[109].
Nous possédons, de cette visite, une médaille en argent qui
représente François Barberini. Cette médaille est
conservée au cabinet des médailles de la Bibliothèque
Nationale. D'un très beau travail, elle nous a conservé les
traits du jeune légat, avec une légende en latin dont voici
la traduction : "François Barberini, Florentin, cardinal de la Sainte
Eglise romaine, légat à latere en France" [109].
Avec quelques extraits représentatifs de l'ambiance de l'époque,
remarquons l'étiquette et le formalisme liés à cette
visite solennelle, les usages de l'époque et la puissance du pape
sur les peuples et les souverains [109].
«Le 21 mai 1625, après de
longs débats sur des questions de préséance, le légat
entre à Paris, accueilli formellement par la ville : d'abord les
300 archets de la ville, à cheval avec leurs hoquetons de gala, puis
les deux maîtres des œuvres de maçonnerie et charpenterie, les
dix sergents de la ville à cheval, le greffier, le prévôt
des marchands, les échevins, le procureur du roi, le receveur de
la ville, les conseillers, les seize quarteniers, les maîtres et gardes
des marchandises et enfin les bourgeois mandés, tous vêtus
de leurs meilleurs habits, à cheval et en housse… Après révérences,
discours et réponses, une procession est organisée,…. Le légat,
vêtu à la cardinale, était monté sur une belle
mule blanche, dont la selle, la housse et tout le harnachement étaient
d'écarlate, les ferrements dorés d'or de ducat (or fin), et
les bossettes et mors d'argent» [109].
La suite du compte rendu devient plus cocasse : pressé par la
foule, «le légat est mis bas de sa mule, volé, bousculé,
et, pensant être perdu, court à pied jusqu'à Notre-Dame
se réfugier dans le chœur, fort effrayé devant la multitude
» [109].
Pas si courageux que cela notre légat
!
Vers la fin du pontificat d'Urbain, ses neveux prennent de l'importance
et le poussent à entreprendre une guerre contre le duc de Parme,
un Farnèse, suite à un conflit de préséance,
d'étiquette, lors de sa venue à Rome, en 1639. Le conflit
dure jusqu'en 1644, avec mesures douanières contre le duché,
envoi des troupes pontificales, mais les Barberini, qui veulent enlever aux
Farnèse les seigneuries de Castro et de Ronciglione, ne parviennent
pas à conquérir le moindre arpent de terre et finalement, le
pape est obligé de signer la paix [109]. Les neveux créent
aussi des difficultés avec la Toscane, Modène et Venise.
A la mort du pontife, le 29 juillet 1644, un conclave difficile élit
le pape Innocent X. Les Français, Mazarin en tête, ne veulent
pas d'un pape favorable à l'Espagne, mais l'élu arrive à
concilier les positions opposées, malgré sa sympathie reconnue
envers l'Espagne. Mazarin le connaît depuis longtemps et a donné
son accord.
Les frères Barberini ont combattu la candidature de ce cardinal
Pampelini qui ne leur est pas favorable, mais c'est lui qui est élu,
et cela marque un tournant important dans leurs vies.
A peine installé, le nouveau pape prend des mesures contre eux,
accusés de s'être accaparés des biens ecclésiastiques
ou publics et, pour échapper à la sentence du pape, les deux
frères François et Antoine s'enfuient à Paris où
ils trouvent un puissant protecteur et défenseur en la personne
de Mazarin. Le pape publie une bulle qui prévoit de retirer les fonctions
et les revenus des cardinaux s'ils ne rentrent pas dans le giron de
l'Eglise sous six mois, puis fait confisquer les propriétés
des Barberini. Le parlement français et Mazarin prennent leur défense,
menacent d'envoyer les troupes en terres papales et le pape doit abolir
son décret.
Les frères Barberini sont réhabilités en 1646. Ils
décident de revenir s'installer en Venaissin, mais, brouillés
avec le légat en fonction, ils viennent s'installer à Caromb
(1647) et y vivent pendant neuf ans, à la «calotte rouge»,
ce manoir isolé qui appartient à une famille noble,
les du Puy. François est âgé de 50 ans alors qu’Antoine
est un peu plus jeune lors de leur arrivée dans notre village.
Après le faste des années de leur oncle, le pape, après
le pouvoir et l’argent, après les contacts avec les grands de ce
monde, partout en Europe, les souverains comme les artistes, ils se retrouvent
sans fortune et sans revenus de l'Eglise. Peut-être aussi ont-ils
besoin de se faire oublier de Rome, des états italiens et de l'Eglise.
Ils ont cependant de quoi vivre chichement pendant quelques années.
Ils viennent aux offices à Caromb et sont présents lorsque
le père capucin Denis vient prêcher le Carême avec l'évêque
de Carpentras, Monseigneur Bichi (1647).
Ils sont souvent en visite à Carpentras où ils fréquentent
le savant professeur M. Berthet [105].
Plus tard, ils rentrent à Rome, et il semble qu'ils reprennent
leurs postes au sein de l'Eglise. On retrouve :
1- en 1655, une consécration à
l'épiscopat d'Antoine Barberini, né en 1607. Le prélat
consécrateur est Monseigneur Scanapolo, évêque de Sidonie,
assisté de Monseigneur Mottini, évêque, prélat
du pape, et de Monseigneur Laurenzio Gravotti, évêque de Vintimille.
Monseigneur Barberini est fait Grand Prieur de l'Ordre de Malte et Cardinal
de l'Eglise Romaine. Sa consécration a lieu à Rome où
il reçoit le titre et les fonctions d'évêque de Frascati.
Il est nommé archevêque de Reims en 1667.
2- le 12 novembre 1668, Monseigneur Barberini
consacre comme évêque coadjuteur avec droit de succession Monseigneur
Charles-Maurice Le Tellier. Cette consécration a lieu dans l'église
de la Sorbonne à Paris.
Antoine meurt en 1671 et son frère François en 1679 à
82 ans [105]. La ligne mâle des Barberini s’éteindra en 1738
et leurs biens passeront à la famille des Colonna.
Telle fut la vie de ces habitants de Pré Fantasti et leur histoire
; passons à la légende.
Installés en dehors du village, ces deux ex-cardinaux, déchus
de leur puissance, en conflit avec la hiérarchie de l'Eglise, ont
dû créer un véritable problème pour les carombais
qui se sont posés bien des questions à leur sujet pendant
les neuf années de présence chez nous. Visiblement ils ne
discutaient pas avec les gens du village ; à peine venaient-ils
à l'église pour repartir aussitôt. La fréquentation
de savants (de Carpentras !) et le soutien de la royauté française,
devaient laisser des questions sans réponse et devaient exciter la
curiosité. Comme toujours en pareil cas, lorsque la réalité
est cachée ou inconnue, l'imagination prend le dessus, surtout dans
un pays où l'exagération méridionale est déjà
coutumière. Le temps passant, leur histoire s'est transformée.
Voilà ce qu'elle était devenue au début du XXe siècle
:
Ces deux frères Barberini, à Caromb, s'adonnaient volontiers
à l'alchimie, voulaient transformer les métaux en or grâce
à la "pierre philosophale". Cette pratique interdite tenait plus
de la sorcellerie que de la science et méritait alors supplice et bûcher.
Pour éviter le scandale et protéger ses neveux, le pape les
expatria à Caromb, dans une résidence qui appartenait à
la papauté [98].
Alchimiste
Incorrigibles, ils continuèrent leur activité et l'étendirent
même à la fabrication et la vente d'un élixir de longue
vie, une escroquerie juteuse mais qui causa leur perte. Entre eux, l'entente
se dégrada. Celui qui écoulait la marchandise soupçonna
son frère de garder la majeure partie des bénéfices
de leur commerce. En réponse à sa plainte, il reçut,
pour toute réponse, le contenu d'une fiole de vitriol au visage. Défiguré,
brûlé, il agonisa pendant des heures à proximité
du manoir carombais et mourut dans d'atroces souffrances [98].
Son frère, s'il ne fut jamais inquiété par la justice
en prétextant un accident de manipulation chimique, fut obsédé
par cet acte qui l'empêcha de dormir et lui fit perdre l'esprit. Il
serait mort dans cette même maison [98].
Il va sans dire que la population carombaise se tenait à l'écart
et que plus personne ne s'approcha de ce lieu.
D'autres versions de l'histoire de Préfantasti existent et elles
nous sont apportées par Jean-Claude Bréssieux [98].
- - D'après Georges Brun (Promenades
vauclusiennes) les deux frères furent exilés par Innocent
X pour ramener une certaine austérité à la Cour pontificale,
ce qui est vrai.
- - Le dictionnaire Bordas indique qu'Innocent
X enquêta sur leurs malversations et qu'ils s'enfuirent en France
où Mazarin les défendit. On leur reprochait d'avoir utilisé
les pierres des ruines romaines pour construire leur palais.
- - André Richaud dans son roman
"La Barette Rouge" situe son action à Préfantasti et décrit
un cardinal persécuté par le pape.
Hilaire Bonnaventure nous indique aussi que les portraits de ces deux
frères étaient reproduits dans une vieille édition du
grand Larousse.
Un meurtre, au début du XXe siècle, à proximité
de leur résidence carombaise, amplifiera la crainte et la superstition
liées à ce lieu.
Aujourd'hui encore, chaque personne du village a vu ou entendu parlé
de cette maison hantée et l'imagination enfantine l'a peuplée
de fantômes. Il est vrai que cette maison isolée, cernée
de végétation, dont le nom "Pré-Fantasti" ajoute aux
doutes, est encore entourée de mystère.
Le Barroux, Serres, Caromb.
Au début du XVIe siècle, un Jean-Pierre Rouvigliasc, érudit
et mécène reçoit les musiciens et les poètes
au château du Barroux, le transformant en une cours d’amour inspirée
du Moyen Âge où l’on mène une vie fastueuse. Les Rouvigliasc
possèdent le château jusqu’en 1659.
Notons quelques mauvais tours climatiques : le 21 août 1616, des
pluies diluviennes s’abattent sur le Comtat. La Mède déborde.
Bédoin, Carpentras, Maudène (sic), Pernes et aussi Vaison
subissent des dégâts importants ; en 1618, quatre des arches
du pont Saint Bénézet sont emportées par le Rhône.
Puis c'est chez nous, en août 1622, que toute la plaine est inondée
après des pluies torrentielles qui font déborder toutes nos
rivières et anéantissent les récoltes [45, 33]. Le
pont de Serres est emporté et reconstruit pour un coût de 9.000
livres. L'année 1623 voit arriver la grêle et l'hiver 1624-25
est rude : les oliviers gèlent à nouveau [75]. Jean Brien,
prêtre et vicaire perpétuel de notre paroisse, ne perd pas
le moral et s'occupe activement de la musique de notre église.
En 1628-29, une grande peste afflige notre région et la moitié
de la population de Carpentras, soit 3.000 personnes, en meurt. La population
de Mazan est décimée. Celle de Bédoin est anéantie
à tel point qu’il ne reste que sept couples mariés [38]. L’année
suivante, le représentant du pape, le recteur du Comtat Perse Caraccio
vient visiter notre commune et apporter sa bénédiction à
ses fidèles sujets. En 1633, le recteur renouvelle cette visite[39]
puis se dirige vers Bédoin, un village qui compte alors 1769 habitants,
produit 4.000 salinés de blé, 4.000 salinés de vin
et 100 charges d’huile [38].
Du côté de Beaumes, on conduit les eaux d'Aubune jusqu'à
l'esplanade du village en 1639 [120]. A Caromb on répare remparts
et guérites (1643) et on agrandit la place en achetant la moitié
du tinal (cellier) du seigneur.
Cimetière.
Depuis toujours, on enterre autour de l'église paroissiale. Des
documents nous apprennent qu'entre l'église et le château,
le seigneur a fait construire une petite chapelle au milieu du cimetière.
Cette chapelle fut démolie le 16 juin 1646. Lorsqu'on fit des travaux
sur la place de l'église (actuellement place Nationale), on découvrit
de nombreux ossements. Environ à la même époque, on
recommence à se faire ensevelir dans les églises et tous ceux
qui le veulent peuvent y faire creuser un caveau de famille. La nôtre
contient encore 60 tombeaux de deux mètres de long, un mètre
quatre vingt de large et un mètre quatre vingt cinq de haut, aménagés
dans la crypte [98]. Le défunt est simplement roulé dans un
drap. Ces tombes appartiennent en général aux vieilles familles
paysannes de Caromb, aux «ménagers» aisés qui
ont pu faire les frais d'un caveau. Les grands personnages ont des monuments
funéraires, comme celui d'Etienne de Vesc. Ces caveaux servent jusqu'à
la fin du règne de Louis XV, où un arrêt du Conseil
d'Etat les proscrit comme contraire à la santé publique (1773)
[54].
Pénitents blancs
et gris.
Ordres et confréries se multiplient encore.
Le juriste provençal Durand de la Maillane donne, en 1770, dans
le dictionnaire de droit canonique, une définition précise
de ce que sont les pénitents : il s'agit de « fidèles
qui, dans les provinces méridionales du royaume, se réunissent
en confréries pour remplir certains devoirs de dévotion et
de charité, comme de chanter les offices divins dans une chapelle
qui leur est propre, d'ensevelir les morts, d'assister les malades, de faire
des processions en l'honneur de Dieu... »
Il s'agit donc de laïcs réunis dans un but de piété
et de charité chrétienne. L'origine de cette pratique est
fort ancienne, puisque les premières confréries apparaissent
en Italie dès la seconde moitié du XIVe siècle.
Elles se développent lors des grandes épidémies ou sous
l'influence des ordres mendiants, puis durant les guerres de religion du XVIe
siècle.
La confrérie des Pénitents Blancs de Caromb est fondée
en 1644, alors qu’elle existe dans le Comtat depuis 1527. Elle porte l'habit
blanc, d’où son nom. Sa chapelle est installée sur la Place
du Château (ancienne caserne des sapeurs pompiers). Une statue de
la vierge surmonte cette chapelle. Cette belle vierge au grand manteau qui
écrase un serpent est actuellement installée devant la chapelle
du Paty [98].
Trop à l'étroit dans ses murs du centre du village, la confrérie
achète un immeuble voisin et agrandit sa chapelle. St Libérat
est le patron de cette confrérie et sa fête est le 13 août.
Une statue en bois doré de ce saint orne notre église (elle
date du 18e siècle).
La confrérie des Pénitents gris a son siège
dans la grande chapelle des hommes à l'église paroissiale
depuis 1550, a pour patron St Jean l'Evangéliste, et sa fête
du 27 décembre est toujours repoussée au 24 août afin
que les jeunes gens puissent se dévêtir et endosser les habits
de l'époque pour la procession qui représente un tableau
du Crucifiement : le Christ montant au calvaire avec tous les personnages,
la croix, St Siméon, les bourreaux, suivis des Evangélistes,
des Apôtres, des Saints, des Saintes,…Tous les confrères en
tenue parcourent les rues du pays.
Bien plus tard, le feu dévorera le coffre contenant
ces habits et cette solennité ne se reproduira plus [39].
Les Pénitents sont installés depuis longtemps dans la commune
lorsqu’ils décident de construire leur propre chapelle (1613).
Leur ordre est hiérarchiquement composé
de la manière suivante :
- - les Infirmiers, qui pratiquent
la charité,
- - les Sacristains, qui officient,
- - les Choristes, chargés
de l'entretien de la chapelle,
- - des Perpétuels qui commandent.
Les postulants doivent payer eux-mêmes leur robe de bure, aussi la
confrérie est réservée à des personnes relativement
aisées [97].
La confrérie des pénitents
gris a des démêlés avec l'évêque vers
l'année 1621, car dans une visite pastorale à Caromb, l'évêque
interdit à ses membres la chapelle Sainte-Anne qui est près
de la fontaine et devant le château [58].
Le pays au début
du XVIIe siècle.
En ce début du XVIIe siècle, faisons un peu de géopolitique
régionale : nous avons pour cela un certain nombre de cartes de l’époque,
reproduites dans ce livre.
D’abord la carte « la principauté d’Orange et le Comtat Venaissin
», datée de 1627, par Jacques de Chieze Orangeois, publiée
en 1631 et dédiée à Frédéric Henri de
Nassau, prince d’Orange. Cette carte nous montre les limites exactes du Comtat
Venaissin et de la Principauté d’Orange. Caron _notons l’orthographe
_ y est représentée par un château et une église.
Modène, Crillon, Loubarroux et Serre l’entourent et les routes vont
de Carpentras « chef du comtat » à Serre, puis Caron,
Modène, Crillon et Bédoin. Malausaine a l’air d’un grand village,
tandis que le Groseau est représenté par une église,
près de la source.
Depuis Guillaume, prince d'Orange en 1544, la principauté est passée
en 1584 à son fils Philippe Guillaume (1554-1618), puis, en 1618,
à son petit-fils Maurice, comte de Nassau, stadholder de Hollande.
Leurs terres s’étendent du Rhône jusqu’à Suzette, donc
très loin vers l’est. Les Dentelles de Monmirail dépendent
d’Orange, alors que La Fare est dans le domaine papal. Entre le Bas-Comtat
(Carpentras) et le Haut-Comtat (Vaison), un seul passage est possible, celui
de Loubarroux.
Ce découpage des terres papales, de la principauté, et de
la France favorise toute sorte de contrebandes. Les frontières sont
à deux pas de nos villages et il est facile de faire passer en France
des livres, des cartes à jouer, de la soie, du salpêtre, du
sel et du tabac. En effet, le Comtat s’est fait une spécialité,
en imprimerie, de contrefaire les livres du royaume sans acquitter des droits,
de fabriquer les jeux de cartes taxés en France ou d’autres jeux interdits
(biribi, pharaon, bassette).
La grande culture est, à partir de 1630, celle du tabac (jusqu’en
1734). L’industrie est orientée autour des soieries exportées
vers la France. La sériciculture est très développée
dans le Comtat, avec de nombreux moulins à soie et des filatures
qui emploient essentiellement une main d’œuvre féminine.
La population vit bien dans notre région, l’économie y est
prospère et surtout elle bénéficie d’un double régime
plein d’avantages : les habitants sont sujets du pape, mais depuis François
Ier, ils sont « régnicoles », c’est à dire sujets
du roi de France. Le pape n’impose ni taxes directes, ni charges militaires
car il n’a pas d’armées à entretenir. Les rois ont concédé
des avantages commerciaux. Si l’on ajoute à cela un peu de contrebande,
il y a toujours un moyen de faire quelques sous.
Ne reste-t-il pas, de nos jours, quelque chose de cette situation géopolitique
? Les taxes qu’il faut éviter ? Une absence d’impôts que l’on
aimerait poursuivre ? Trêve de galéjades ! Mais être
enclavé dans le grand royaume de France n’a pas que des inconvénients
!
Sous Louis XIII.
Au temps de Louis XIII et de Richelieu, de la guerre de succession de Montferrat,
de l'occupation de la Savoie par les troupes françaises, les charges
pèsent lourdement sur les épaules de nos voisins les contribuables
français [75]. La taille est lourde, mal répartie et toujours
croissante.
Si les voisins français sont beaucoup imposés, ce n'est pas
le cas en Comtat et cela excite la convoitise du gouvernement français
qui commence à exercer une pression fiscale sur notre enclave : les
droits de douane sur les marchandises et deniers exportés en France,
soit vers le Dauphiné au nord ou vers la Provence au sud, sont relevés
et les officiers du Roy, les fermiers des douanes s'installent aux limites
du Comtat. Il s'en suit des protestations officielles, le départ,
puis le retour de l'administration française, l'insurrection des Comtadins
et de nombreuses négociations entre pape, vice-légat, évêque
et leur puissant voisin [75].
Il n’y a qu’à voir les intrigues de Richelieu pour rattacher
la principauté d'Orange à la France : en 1620, Maurice de
Nassau a fait de grands travaux de fortification au château d'Orange
et ses énormes remparts dominent la plaine. Une entente cordiale semble
unir le roi de France Louis XIII et les stathoulders de Hollande, princes
d'Orange, mais derrière cette façade le roi souhaite établir
sa souveraineté sur ce territoire. Richelieu, entre 1625 et 1630, achète
en sous-main le gouverneur Jean de Hertoge d'Osmale, l'avocat général
du parlement, le sieur Julien et trouve un appui avec l'évêque
d'Orange, Jean de Tulles.
Un premier complot, qui devait faire sauter le château, est déjoué
en 1627, puis le prince d'Orange envoie un de ses meilleurs conseillers,
Jean de Kuyt, régler le problème par la force : le gouverneur
est tué lors d'une escarmouche. La diplomatie aplanit les difficultés
et rétablit l'entente cordiale [101].
Nos carombais sont peu conscients de la grande politique menée par
la France et ont des occupations plus saines : il y a fort à parier
que la chasse est un passe-temps apprécié. La recherche des
truffes aussi : l’usage de porcs muselés pour les rechercher débute
au XVIIe siècle et s’ajoute aux chiens dressés ou à
la mouche Rabassière utilisée jusque là.
L’église de Caromb, construite au XIVe siècle, est remaniée
en 1625.
Le Mont Ventoux est surmonté d’une Sainte-Croix, visible de tout
le Comtat.
On est farouchement catholique, fortement attaché au pape ou à
ses représentants locaux, légat ou recteur.
Les juifs de Carpentras prospèrent et atteignent 10% de la population
totale de la ville.
Les Baume-Montrevel,
seigneurs de Caromb.
La Maison de Baume, seigneur de Ratte est originaire du Bugey et compte
parmi les plus anciennes familles nobles de la province de Bresse (
*55
): elle a compté des cardinaux, des archevêques
de Besançon, deux grands maîtres des arbalétriers, deux
maréchaux de France, un maréchal et amiral de Savoie, un vice-roi
de Naples, dix-sept gouverneurs et lieutenants généraux de
province, des chanoines comtes de Lyon, deux chevaliers de Saint-Michel sous
Louis XII et François 1er, deux du Saint-Esprit, quatre de la Toison
d’or et quatre de l’Annonciade. Elle est connue par filiation depuis 1140.
Elle se divise en plusieurs branches dites de Montrevel, de Mont-Saint-Sorbin,
les comtes et marquis de Montrevel [141].
Les armoiries de cette famille sont d’or à la vivre d’azur posée
en bande (ou de la bande vivrée d’azur) ; leur cimier est un cygne
d’argent ; leurs supports, deux griffons d’or ; leur cri : «
La Baume » ; leur devise : l’honneur guide mes pas [142].
La Baume-Montrevel
Il ne reste plus aucune trace aujourd’hui du château que l’on appelait
de la Baume.
Parmi les personnages remarquables de cette famille, citons Jean de la
Baume, comte de Montrevel en Bresse (vers 1358-1435), conseiller et chambellan
du roi. Il était fils de Guillaume de la Baume et d’une dame d’Aubonne.
Il commanda les troupes du duc d’Anjou pendant la conquête du royaume
de Naples et de Sicile, reçut en récompense le comté
de Cynople en Calabre (1383), suivit le duc de Savoie dans la guerre contre
les Valaisans. Il fut chevalier de l’Ordre du Collier de Savoie. Avec la
maison de Bourgogne, il fut conseiller et chambellan du duc après
avoir été écuyer et échanson ordinaire en 1404.
Il suivit ce duc en Flandre contre les Liégeois. Avec la maison de
France, il fut chevalier du Porc-Epic (1404), promu par le duc d’Orléans
[143], puis gouverneur de Paris et enfin maréchal de France en 1422.
Grâce à lui, cette famille acquit ses principaux titres de noblesse
: la terre de Montrevel fut érigée en son honneur en comté
par le duc de Savoie le 26 décembre 1427. Par son mariage en 1384
avec Jeanne de la Tour, il récupéra l’héritage de cette
grande famille [143]. Il mourut en 1435 [144].
Leur fils Pierre de la Baume reçut toute cette fortune et tous ces
titres. En 1418, il ajouta celui de chevalier de la Toison d’Or. La même
année il est écuyer tranchant du duc de Bourgogne à
1.000 francs de gages par an (*56
). Il épousa Alix de Luyrieu, fille de Guillaume
et de Jeanne de Sassenage. Il eurent une fille, Jeanne de la Baume.
Les de la Baume-Montrevel possèdent de nombreuses terres en Bresse
et quelques-unes en Bourgogne. C’est pour eux que Saint-Martin-en-Bresse
fut érigé en marquisat en 1584. Voilà pour expliquer
le titre de nos seigneurs de Caromb.
Nous avons vu que la seigneurie de Caromb est passée dans la famille
de la Baume-Montrevel par le mariage de Jeanne d’Agoult-de-Vesc avec Claude
François en 1602.
Leurs biens sont partagés entre leurs enfants : Ferdinand, l'aîné,
garde Savigny, Marie prend Grimaud, Charles devient seigneur de Caromb,
St-Hippolyte et Suzette. La part réservée aux autres sœurs,
Marguerite et Jeanne, n'est pas connue.
Charles de la Baume-Montrevel qui jouit déjà des biens de
sa mère et par conséquent de la seigneurie de Caromb, succède
à son père en 1640.
C’est lui qui a créé la confrérie
des Pénitents Blancs. Il accepte en 1662 l’établissement du
Mont-de-Piété pour venir en aide aux malheureux. L’installation
de cet établissement est dû à la générosité
d’un notaire de Carpentras, M. Charles Vendran de Cartoux, dès le
3 juillet 1660 [58]. Cet établissement s’installe dans deux grandes
maisons situées dans une petite impasse de la rue Coste-Vaisselle,
aux abords du château.
Nous savons aussi, par nos archives, qu’en avril 1664, une Madame de Châtel
a acheté la terre et la juridiction de notre ville et qu’elle réclame
la cense que la communauté doit tous les ans à la seigneurie
pour les moulins. Caromb est donc une co-seigneurie dès cette date.
La marquise de Saint-Martin, épouse du seigneur de Caromb, décède
en mai 1664 et la commune achète des cierges blancs pour ses funérailles.
Nous retrouvons trace de Charles de la Baume-Montrevel, marquis de Mont-Saint-Martin
et de Pesmes : il épouse Anne Françoise Thérèse
de Trazegnies en 1665. Cette même année, notre population chante
un Te Deum dans l'église pour la naissance du fils aîné
du marquis de Saint Martin, notre seigneur.
Il y a donc, à mon avis, un passage de la seigneurie entre un père
(devenu seigneur de Caromb en 1640) et son fils du même nom, nouveau
seigneur en 1664, au moins pour le château de notre ville, une part
de la co-seigneurie de Caromb. On aurait donc :
- Charles de la Baume-Montrevel
(1640-1664)
- Charles de la Baume-Montrevel
(1664-1694)
Cette hypothèse, présentée
dans mon livre est fausse : Charles s'est en fait remarié après
le décès de son épouse avec Anne de Trazegnies....
voir le Tome II qui reprend la généalogie des la Baume-Montrevel
.
Querelles municipales.
Notre communauté est unie dans les périodes difficiles, mais
dès que le calme revient, elle connaît des conseils municipaux
difficiles : on se dispute au conseil communal ! Les archives ne parlent
plus que de ces divergences ! Impossible d'arriver à une décision
au conseil municipal et la majorité des 2/3 n'est jamais obtenue.
Le trésorier payeur ne paie plus rien sans l'aval de l'instance juridique
supérieure. L'administration du comtat demande une enquête.
La cour apostolique doit intervenir, envoie un recteur calmer les esprits
et faire élire normalement les conseillers communaux. Ceux-ci appellent
un notaire, le 20 décembre 1647, qui dresse un procès-verbal
et le conseil doit payer une amende pour les efforts déployés
afin d'accorder tout le monde.
Les archives n'expliquent pas les raisons des divergences. Gageons qu'elles
ont disparu depuis belle lurette, que l'on a oublié les bases de
discordes depuis longtemps, mais que l'on continue les disputes passionnément,
que l'on aime le débat politique dans le village et que s'affronter
sur des idées fait partie intégrante de la vie sociale carombaise.
Cela anime la vie locale, correspond à un besoin, et sera une caractéristique
carombaise que les années n'effaceront pas ! Les années difficiles
rassembleront tout le monde, mais le calme revenu, on reprendra ces débats
politiques si viscéralement carombais.
Plus terre à terre, les soucis quotidiens demeurent : on impose une
amende pour les dégâts commis par le bétail “ovin, asin,
mulatin et cavalin” et à ceux qui coupent du feuillage pour leur
bétail (1644).
On paie les consuls pour leurs déplacements de plus de 4 lieues
afin de traiter les affaires de la commune, on vend le moulin «le
Cachet» et, avec la somme obtenue, on achète un autre emplacement
du village pour y ranger les ustensiles des autres moulins.
En mars 1643 on fait réparer les guérites des remparts et
on relève une partie écroulée de ceux-ci près
de la porte de la fontaine.
A la fin du règne de Louis XIII, la commune connaît quelques
difficultés pour trouver des candidats à la "mairie". Plus
personne ne souhaite se faire élire. Il est vrai qu'être consul
de Caromb n'est pas de tout repos ! Le vice-légat doit intervenir
à nouveau car seulement deux candidats se proposent pour quatre postes
à pourvoir.
Louis XIII meurt en 1643, Richelieu en 1642. Louis XIV va régner
longuement sur la France.
Au Barroux, en 1659, le dernier des Rouvigliasc laisse un testament qui
est contesté et, par décision de justice, le domaine est attribué
à un roturier Antoine Joannia, taffetassier lyonnais.