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XII.  Caromb sous les Vesc.

Etienne de Vesc, avant son arrivée à Caromb (1484).
Etienne de Vesc, seigneur de Caromb (1484-1501).
Le château de Caromb.
La carrière d'Etienne.
L’enclavement (1481).
Etienne de Vesc, sous Charles VIII,  et la conquête de Naples.
Etienne de Vesc, sous Louis XII.
Son décès et son tombeau.
Anne de Courtois, son épouse.
Le triptyque.
Les affaires carombaises, sous Etienne de Vesc .
Charles de Vesc, seigneur de Caromb(1501-1517).
François 1er.
Actes royaux.
Le loto.
Jean de Vesc, seigneur de Caromb (1517-1548).
Le village de Caromb.
Fleury Louis de Vesc, seigneur de Caromb (1548-1553).
Taxes locales.
Le château du Barroux.

Etienne de Vesc, avant son arrivée à Caromb (1484).


        Qui est cet Etienne de Vesc qui devient seigneur de Caromb ? Comme nous allons le voir, c'est sûrement le plus remarquable des seigneurs carombais et la présence de son magnifique tombeau dans l'église paroissiale nous en apporte une preuve actuelle. Son passage à Caromb ne dure qu’une vingtaine d'années, mais il marque à jamais notre commune. Son prestige va rejaillir sur notre village.
        Lorsqu'il achète la seigneurie de Caromb, Etienne de Vesc ou Vaesc, est déjà un personnage important du royaume de France. M. Arthur de Boislisle nous a laissé une excellente biographie de ce grand seigneur, publiée dans l'Annuaire Bulletin de la Société de l'histoire de France entre 1878 et 1883 [75]. Nous emprunterons donc ses récits sur ce personnage dans les pages qui suivent.
        Louis Chazaly a publié un roman historique sur Etienne de Vesc [27] dont l’édition est augmentée d’une généalogie historique de la famille de Vesc par Patricia Carlier.
        La famille de Vesc est originaire de la Drôme provençale, depuis le XIe  siècle, et ses membres deviennent seigneurs de Comps, Dieulefit, Béconne, Montjoux et Espeluche. Certains membres de cette famille ont participé aux premières croisades [75].
        Les origines d’Etienne sont mal connues car aucun document ne précise sa filiation, mais son testament, découvert aux Archives ( *35 ) , semble confirmer qu’il est le fils de Pierre de Vesc, seigneur de Caderousse [27] et de Dame Isnarde de Saint-Pol, et petit-fils de Jean de Vesc, seigneur de Comps et Dieulefit. Il est né vers  1445 et a deux sœurs, Philippe (une femme) et Miracle.

   Généalogie des Vesc.

        Certains historiens se sont demandés s'il ne s'agit pas d'un fils bâtard du dauphin, futur Louis XI, faute de preuves sur sa parenté et considérant sa carrière exceptionnelle auprès de ce roi. C’est la thèse utilisée par L. Chazaly dans son roman historique. Cette bâtardise n’est pas confirmée par son blason qui ne comporte aucune brisure, signe indiquant l’enfant illégitime que l’usage, au XVe siècle, ne dissimulait pas [75].
        Pour être plus précis sur son blason, les armes des Vesc étaient : "palé d’argent et d’azur à six pièces, au chef d’or, ayant, pour supporter deux lions et comme devise « Pas une ne m’arrête »". Les lions tiennent chacun une bannière portant un château à trois tours ( armes des Vesc de Béconne). L'ajout du château à ces armes fut autorisé par le dauphin Guigues VIII en hommage à Pierre de Vesc, qui, le 9 septembre 1325, à la bataille de Varay contre les Savoyards, fut tué après avoir escaladé le premier les murs du  château [58].

           En tout cas, il passe son enfance dans la région de Dieulefit, alors dans la dépendance du dauphin.

        Les historiens pensent qu'Etienne de Vesc fut attaché très jeune au service du dauphin, au Plessis-les-Tours, peut-être présenté par un de ses parents de Vesc déjà introduit à la cour de France et qu'il devint valet de chambre vers 1462, à l'âge de 17 ans [75].

        Etienne de Vesc a déjà rendu de nombreux services lorsque, en 1470, Louis XI, se souvenant de ses relations tumultueuses avec son père et souhaitant, à son tour, tenir son propre fils Charles a l'écart de sa cour, l'appelle pour diriger la maison du dauphin, au château d'Amboise. Le roi souhaite entourer son fils de gens "affidés et sûrs" [75].

        Pourvu des charges d'échanson et de premier valet de chambre du jeune prince, à partir du 28 septembre 1470, appointé à 240 livres par an dès 1475 ( *36 ), Etienne s'occupe de la garde et de l'éducation du dauphin, lui fait lire de nombreux romans de chevalerie et lui raconte les exploits de ses parents de Vesc lors des croisades.
        Le roi lui confie aussi des missions de confiance, comme ambassadeur, pour transmettre des messages importants. Il l’envoie par exemple en Espagne.

        Il trouve femme dans une famille de la bourgeoisie. Il épouse Anne Courtois, par contrat du 19 août 1475 à Châteaurenard-sur-Loire. Elle est fille de maître Guillaume Courtois, avocat au parlement et bourgeois de Paris et de Denise de Marcel. Sa mère est remariée avec Jean de Marcel, d'une riche famille d'argentiers orfèvres[75].
        Les services d'Etienne sont récompensés, en 1480, après une longue maladie du jeune prince, par le don des revenus de la prévôté de Meaux, ancien bailliage de son beau-père : Louis XI, alarmé pour la vie de son fils, le remercie en ces termes « celui de nos serviteurs qui est continuellement, nuit et jour, occupé pour la sûreté du dauphin et en qui avons pour ce singulière fiance (confiance) »( *37 ) . En décembre 1481, le roi Louis le fait maître-enquêteur des eaux et forêts de l'Ile de France, Champagne et Brie, chambellan du roi et bailli de Meaux (une charge militaire). Il échange sa qualité d'écuyer contre celle de chevalier, et le titre de premier valet de chambre pour celui de chambellan. Le 14 juin 1483, Louis XI, reconnaissant ses "grands, louables, continuels et reconnus services" auprès du dauphin depuis son plus jeune âge, lui donne des biens à Uzès [75].
En juillet 1483, il assiste au mariage de son élève le dauphin.

        Il est présent, au chevet du roi, pendant ses derniers jours (25 au 30 août 1483) et recueille une dernière mission du roi : rendre aux héritiers de La Trémouille des biens autrefois confisqués à tort. Après la mort du roi, il témoigne en cour de justice et s’acquitte de cette mission, se faisant par cela un ennemi à vie en la personne de Philippe de Commynes. Ce dernier, historien et chroniqueur du roi, lui en voudra longtemps, le désignant comme un homme ordinaire du Languedoc et de petite lignée.

        Agé de 35 ans environ, ayant suivi le dauphin depuis son plus jeune âge, ayant assuré sa garde et son éducation, lorsque celui-ci devient roi, sous le nom de Charles VIII, il est naturel qu'il fasse partie du conseil de régence et du Conseil étroit [75].
        La période est trouble car les princes se liguent pour s’emparer du pouvoir. Participer au conseil de régence est une tâche harassante.

        Dans le sud de la France une terrible peste ravage le pays. Pierre de Vesc et Isnarde de Saint-Pol , ses probables parents, en sont victimes.
        Etienne revient régler ses affaires à Comps et à Montjoux, abandonnant ses droits sur la seigneurie drômoise à ses sœurs.
        Le conseil de régence lui a donné comme mission de se rendre à Avignon où le cardinal légat Julien de Rovère, neveu du pape Sixte IV, conseiller d’Innocent VIII, et futur pape Jules II, cherche à consolider le pouvoir de l’Eglise dans le Comtat et utilise des armes plus temporelles que spirituelles pour parvenir à ses fins. Il s’agit de le ramener à la raison et de calmer ses ardeurs.
        Avec son épouse Anne, il voyage de Comps à Avignon, passant par Nyons, Vaison et Malaucène et acceptant l’hospitalité du seigneur de Peyre du Barroux. Faisant étape au château il apprend que la seigneurie de Caromb est à vendre, qu’elle possède de bonnes terres agricoles, mais que le vieux château du village est à restaurer.

Etienne de Vesc, seigneur de Caromb (1484-1501).



        Retrouvant ses racines provençales, le soleil et le climat, après ces longues années passées dans les terres du Nord,  ayant laissé sa part de la seigneurie drômoise à ses sœurs, on comprend aisément sa décision d’acheter notre seigneurie et de posséder une attache dans le Midi.
        Il ne fait pas de doute qu’Etienne de Vesc a connu Jean II de Châlons, prince d’Orange, seigneur de Caromb, dans l’entourage du roi Charles VIII. Etienne a participé aux négociations pour le mariage du roi avec Anne de Bretagne, cousine du prince d’Orange. Peut-être se sont-ils connu à cette occasion. La proximité de leurs lieux d’origine _ Orange pour l’un, les seigneuries du Bas Dauphiné pour l’autre_ a sûrement été une autre bonne raison de faire connaissance, dans l’environnement lointain des rois de France.
        Louis Chazali nous raconte, de façon romancée, la première rencontre d’Etienne et de son épouse Anne avec Caromb : l’extase de l’épouse devant nos merveilleux paysages. Vu du Barroux, notre village à leurs pieds, on admet aisément le coup de foudre et qu’ils aient été vite conquis par notre village.
        Connaissant le propriétaire du fief, déjà fortuné, l’affaire est vite conclue et l’acte de vente bientôt signé.
        Il traite avec Jean II de Châlons, conclut l’achat le 11 décembre 1484 moyennant la somme de 10.000 livres et devient donc seigneur de Caromb [75] et de Saint-Hippolyte ( *38 ) . L’acte est passé en l’étude de Jean Cujalon, notaire d’Orange ( *39 ) .
        D’autres auteurs penchent pour une vente dès 1481. Hilaire Bonnaventure précise "que la baronnie de Caromb tenait du bâtard d’Orange", d' Etienne, fils bâtard de Jean II, dont nous avons déjà parlé.
        Pour Saint-Hippolyte, selon un répertoire conservé à la bibliothèque d'Aix, le château inhabité de cette localité a été vendu plus tard à Etienne de Vesc, le 17 octobre 1488, par nobles Jacques Candolle et Paulette Vincent [75].

        Caromb est en terres d'Eglise, mais devant un personnage d’État aussi important, une bulle du pape Innocent VIII accorde les droits régaliens au nouveau seigneur, en mai 1489, dans sa seigneurie de Caromb, c'est à dire qu'il l'investit des droits réguliers et du pouvoir d'y faire juger toutes les affaires par ses propres officiers. Il reçoit l'investiture de la seigneurie de Caromb le 25 mai 1488 et fait rendre hommage à la chambre apostolique l'année suivante.
        Cette même année, Jean II de Châlons, prince d’Orange lui donne en fief la seigneurie de Suzette en retour de services rendus à la bataille de Saint-Aubin, et, en 1490, celle de Châteauneuf-Redortier (un hameau de Suzette) [75]. Pour ces fiefs, Etienne est vassal du prince d’Orange.

        Ainsi Etienne se constitue un domaine important autour de Caromb, en Comtat Venaissin et en principauté d’Orange.

Le château de Caromb.



        Mais revenons à la date d'arrivée de ce seigneur à Caromb. Déjà riche, il décide de construire un nouveau château à la place du précédent que l'on connaît depuis Bertrand des Baux par l'hommage qu'il fît en 1254 devant l'évêque de Carpentras.  Ce nouveau château, remarquable par la dureté et la beauté de ses pierres, composé de deux pavillons fortifiés de cinq tours, s'édifie "intra-muros".


 Voir le château à grande echelle : 

        Le château est attenant aux grandes murailles de l'enceinte du village et l’entrée se trouve sur une petite place, côté nord. On accède à la cour intérieure par un pont-levis.
        On remarque encore de nos jours les énormes gonds de la porte, l’échancrure dans la pierre de taille pour manœuvrer le pont-levis et l’emplacement des poutres de protection de la porte. Sur le côté gauche on note deux arceaux qui devaient servir d’entrée au corps de garde [58].

        Tous les habitants du village et des environs doivent travailler à sa construction tant il est grand pour l'époque. Tailler les pierres, les transporter depuis nos anciennes carrières jusqu'au village, édifier ces murs épais, monter les étages et couvrir le tout de toitures assurent du travail aux maçons, aux manœuvres, aux charretiers, pour quelques temps. Imaginons un instant ce chantier de l'époque où tout se fait avec un outillage simple, des cordes, du bois, des pierres et surtout de la main d’œuvre et du travail manuel. Les charrettes qui arrivent des carrières, les chevaux,...
        Le bourg de Caromb  change de physionomie. A côté de l'église, mais dans le village, ce grand château se voit de loin.
        Notre nouveau seigneur, Etienne, s'est vite éloigné du village, ses activités au conseil de régence l'appelant auprès du roi de France. Les Etats Généraux et la querelle des princes le demandent à Orléans où ses services sont à nouveau récompensés par le titre de baron de Grimaud, la royauté lui abandonnant ses prérogatives sur cette baronnie.

        La paix revenue, Etienne et son épouse Anne redescendent dans le Midi, passent visiter les Vesc drômois à Comps, remettant à Pierre de Vesc, son parent, le titre de châtelain et capitaine de la tour de Crest, un cadeau royal. Ils s’arrêtent dans leur fief de Caromb pour constater l’avancement des travaux du château et  poussent jusqu’à Grimaud pour découvrir leur nouveau domaine. Ils décident, là aussi, de construire un nouveau château.
Celui de Caromb est terminé en 1486. Il est imposant, solide et ne manque pas d’élégance. Son propriétaire doit en être très fier : c'est le plus beau du Comtat, après le palais des papes [98].

         Etienne de Vesc aide également son voisin et ami Jean de Venasque, de Modène, à construire le château de cette dernière commune, en lui prêtant pour cela la somme de huit cents livres (1490). Ce Jean de Venasque est en fait Jean de Raymond de Mormoiron époux de Marie de Venasque, qui possède les seigneuries de Modène, Durban et la Roque-Alric.

La carrière d'Etienne.



        Etienne, auprès du roi de France Charles VIII, accumule les charges et les revenus. Il devient Président lai ( *40 ) de la Chambre des comptes de Paris et concierge du Palais, le 29 mai 1489, puis cède le bailliage de Meaux pour prendre les fonctions de sénéchal de Carcassonne et de capitaine, châtelain et viguier d'Aigues-Mortes. Il quitte la sénéchaussée de Carcassonne deux ans plus tard, le 3 mars 1491, pour devenir Sénéchal de Beaucaire et de Nîmes, poste d'importance et de grand pouvoir.

        La sénéchaussée de Beaucaire est la plus grande de France : elle couvre Nîmes, les vigueries de Beaucaire, Sommières, Meyreuils, Le Vignan, Anduze, Alès, Roquemaure, Bagnols, Uzès, Saint-André, Pont-Saint-Esprit, Aigues-Mortes, Marjevols, Lunel et Montpellier, ainsi que des bailliages du Velay et du Vivarais.
        Premier magistrat du Languedoc, il fait dresser un cadastre fiscal consignant les libertés et franchises pour plus d’équité. A compter de cette date, les textes le désignent par "Monsieur le Sénéchal".

        Ses revenus sont importants : pension de 800 livres comme chambellan, gratification de 4.000 livres par an comme sénéchal et don de 8.000 livres de Charles VIII. Etienne est riche et puissant.
      Il se constitue un domaine important dans le Comtat : il est seigneur de Caderousse, de Caromb, de Saint-Hippolyte, de Suzette, de Châteauneuf-Redotier, possède des terres à Forcalqueiret, Châteaurenard, et Boulbon-Châteauneuf. De plus, il est baron de Grimaud. Il acquiert la seigneurie de Châteauneuf-de-Mazenc dans le fief des Vesc (1490). Par son épouse, il possède aussi une seigneurie en Ile de France, Savigny-sur-Orge, qu’il agrandit par l’achat des terres voisines  de Viry, Thorigny, Orangis, la Borde et d’autres en Artois [75].

        Sa puissance s'exprime par sa participation aux grands évènements de l'époque : il œuvre au rattachement des provinces du royaume et prend part activement au gouvernement de la France. Son nom se trouve au bas des actes d'Union de la Provence et de la Bretagne à la France, en1486, 1492 et 1493 [75].

L’enclavement (1481).



         Le 10 juillet 1480, René d'Anjou, de la descendance de Saint-Louis, denier comte de Provence et dernier roi de Naples, meurt sans héritier direct masculin. Charles du Maine, dernier comte souverain, lègue la Provence à Louis XI. Les états d’Aix votent l’Acte d’Union en 1486, confirmant les privilèges provençaux existants.
        La Provence est française et le restera.
        La France s’est étendue à l’est du Rhône, sur le Dauphiné depuis 130 ans et maintenant sur la Provence. Avignon et le Comtat forment dorénavant une enclave dans le royaume de France. Le Roi est un interlocuteur pressant dont il faut plus que jamais tenir compte. Dès 1493, on assiste à de violentes émeutes anti-françaises à Marseille.
        Annexant la Provence, le roi expulse les juifs (1483) qui se réfugient dans le Comtat où ils sont déjà très nombreux.

Etienne de Vesc, sous Charles VIII,  et la conquête de Naples.



        Au moment où commencent les guerres d’Italie, la France est un grand pays qui couvre le Dauphiné et la Provence et arrive jusqu’aux Alpes. A cheval sur les Alpes, la Savoie s’étend du lac Leman jusqu'à la mer Méditerranée. L’Italie est morcelée en une multitude de petits états souverains, objets de convoitises.

        Les prétentions françaises sur Naples puis Milan vont déclencher une série de guerres que l’on nomme Guerres d’Italie. Elles durent 65 ans, sous trois règnes des rois de France : d’abord sous Charles VIII, roi de 1494 à1498, puis sous Louis XII (1498-1515) et enfin sous François Ier  (1515 -1547).
        L’extinction de la Maison d’Anjou fait de Louis XI l’héritier des droits angevins sur Naples, droits qui ont été confisqués, en 1442, par la Maison d’Aragon.
        Le comte du Maine avait déjà demandé au pape l'investiture du royaume de Naples. Sixte IV intervient auprès de Louis XI pour que celui-ci le délivre du voisinage odieux de Ferdinand de Naples, un véritable tyran [75].

        Selon Commynes, notre seigneur Etienne de Vesc est un des plus ardents à soutenir une campagne de reconquête de Naples. Son influence sur Charles VIII enfant aurait été déterminante, par les lectures de romans de chevalerie, de croisades, puis ensuite, en lui présentant ses droits sur Naples, une possible succession de hauts faits d'armes, les perspectives de conquêtes glorieuses, qui pourraient se compléter, après Naples, par la prise de Constantinople et une victoire décisive sur les Turcs pour les repousser en Asie et débarrasser l'Europe de leur menace. Tout cela aurait été décisif dans la tête du roi. Commynes précise qu'Etienne de Vesc «était poussé par l'ambition, une soif de titre, de grandeur et de biens, qu'il s'est occupé d'abord de la Provence (lors de l'annexion) car il possédait quelques seigneuries dans la région, et que Naples l'intéressait pour obtenir quelques duchés » [75]. Ces propos doivent être nuancés, car l'animosité de Commynes envers Etienne de Vesc est connue depuis le témoignage de ce dernier en défaveur de l'historien, lors d'un procès de 1483.
        Au commencement du livre VII de ses mémoires Commynes raconte « Il advint que le roi Charles huitième entreprit son voyage d'Italie. L'entreprise sembloit à toutes gens sages et expérimentés très dangereuse, et n'y eut que le roi seul qui la trouva bonne, et un appelé Estyenne de Vers (de Vesc) natif du Languedoc... qui n'avoit jamais vu ni entendu nulle chose aux faits de guerre» [75].
Etienne de Vesc, dont la famille a participé aux croisades, originaire du Midi, était naturellement porté à s'occuper des affaires de Provence et, en conséquence, de celles de Naples.

        La situation dans une Italie morcelée où chaque état est en guerre avec son voisin, où l'intervention française est souhaitée, le soutien du pape, la connaissance qu'il avait des forces françaises inoccupées après la réunion de la Bretagne et la paix avec les pays limitrophes, un royaume de Naples tyrannisé dont la noblesse est restée angevine de cœur, et enfin les risques réels que les Turcs font peser sur l'Italie, sont autant de facteurs autrement convaincants pour expliquer sa position interventionniste en Italie. C'est un fait que notre seigneur pousse le roi de France à agir en Italie.
        En août 1485, un grand nombre de barons napolitains se soulèvent contre Ferdinand d'Aragon _ par ailleurs en guerre avec le pape_ et font appel à la France. En 1486, la répression est féroce à Naples, beaucoup de nobles se réfugient en France et trouvent, auprès d'Etienne de Vesc, une oreille attentive [75].
        En 1488, Charles VIII a 19 ans et prend son indépendance vis à vis de la régence. Il commence à mettre de l'ordre dans son entourage, parmi les princes du royaume, et signe des traités avec les principaux pays pour avoir les mains libres vis à vis de Naples.
        Notre seigneur Etienne et son ami Briçonnet, futur évêque de Saint-Malo, deviennent les interlocuteurs des puissances italiennes : il est en relation avec Jean Balue, cardinal d’Angers, qui protège les intérêts français auprès du Saint-Siège. Nous possédons des lettres ( *41 ) de ce dernier datées du 17 et du 21 octobre 1489, montrant que son intermédiaire auprès de la royauté française est Etienne de Vesc [139].

        Etienne est considéré, à Venise, à Milan, à Florence ou à Rome comme l'arbitre suprême de toutes les questions concernant l'Italie et comme le chef de toutes les pratiques dirigées contre Naples, tandis que Briçonnet s'occupe des finances du royaume. En août 1493, par exemple, Etienne est l'intermédiaire entre les envoyés des Sforza de Milan et le roi, pour négocier un traité de coopération militaire et une aide financière [75].

        Il  faut attendre la fin de l'année 1493 pour que le Conseil soit en faveur de l'intervention. En janvier 1494, Ferdinand d'Aragon meurt à Naples et est remplacé par son fils Alphonse. Charles VIII se décide à prendre le commandement de son armée pour la fin janvier 1494.
Finalement, le roi commence sa campagne. En février 1494, la Cour est à Moulins, le 7 mars à Lyon. En avril, notre seigneur négocie l'achat d'une flotte toute prête dans le port de Gênes, traite avec la Savoie pour le ravitaillement de l'armée de terre, expédie une avant-garde à Asti et dépêche de toute part des ambassadeurs.
        Charles VIII lui demande de traiter encore une affaire avec Julien de Rovère, d'aller à Avignon pour forcer les Avignonnais à accueillir cet évêque ennemi déclaré du pape, qui fuit l'Italie, et voudrait bien rejoindre son archevêché d'Avignon. Nul doute que notre seigneur fait un crochet par Caromb si près de sa route (cela n'est pas prouvé). Le 1er juin, il est de retour à Lyon, auprès du roi [75].
        Etienne, avant de quitter la France, se démet, le 27 mai 1494, de sa charge de Président lai  de la Cour des comptes. Le 20 juillet, le roi et son épouse le rejoignent à Vienne où il les a précédés, y restent un mois, puis résident une semaine à Grenoble avant de passer les Alpes par le Mont Genèvre. De Vesc part pour Asti pendant que le roi passe par Turin et arrive le 9 septembre à Asti. Les Français sont bien accueillis et ce ne sont que fêtes et réjouissances. Le roi tombe malade de la petite vérole et doit s'aliter. Etienne le soigne pendant que les armées, un peu démoralisées de perdre leur chef aussi bêtement, continuent leur route. Elles sont à Plaisance le 10 octobre et le roi, remis de sa maladie, reprend le commandement de ses troupes. Milan et Pierre de Médicis, dévoués jusque là au prince d'Aragon, ne voient pas d'autres solutions que de se soumettre au roi de France. L'armée est à Florence le 17 novembre et, le 22 novembre, le roi déclare qu'il est le champion de la religion et des peuples civilisés contre les Turcs [75].

        Il faut maintenant traverser les terres du pape Alexandre VI Borgia dont l'ardeur vis à vis des français s'est bien vite refroidie. C'est encore notre Sénéchal Etienne qui négocie, avec quelques autres, l'entrée des troupes à Rome : introduit nuitamment dans Rome, il comparait devant le Consistoire, le 26 décembre, et le Sacré Collège accorde l'entrée des troupes pour le 1er janvier 1495. Une majeure partie du Sacré Collège souhaite renverser ce pape couvert de crimes.  Etienne et son ami M. de Saint-Malo prennent sa défense pour ne pas compliquer la situation, puis obtiennent, par traité du 15 janvier, le libre passage des troupes sur les terres pontificales et quelques places fortes pour assurer leur retour [75].
         La Cour quitte Rome le 26 janvier, alors que les troupes l'ont précédée et ne rencontrent aucune résistance ; les populations fatiguées des cruautés aragonaises acclament les Français. A Naples, Alphonse d'Aragon abdique, apeuré, et laisse la couronne à son fils Ferdinand II, pendant que les troupes françaises avancent, acceptent la soumission des villes et des provinces, jusqu'à arriver à Naples, le 19 février, sous les cris de "Vive la France" des Napolitains. Le 22 février, Charles VIII fait son entrée à Naples [75].
        Commence alors la distribution des fiefs conquis : Etienne de Vesc, dont le rôle fut primordial pendant toute la campagne, reçoit le comté d'Avellino, autrefois possédé par les seigneurs des Baux, ses prédécesseurs à Caromb, le comté d'Atripalda, le duché d'Ascoli et le duché de Nola. Notre sénéchal occupe un des sept grands offices de la couronne, celui de grand chambellan, auquel sont attachées la surintendance des finances du royaume et la haute présidence de la Cour des comptes. De plus, il reçoit le commandement de la forteresse de Gaëte, une des plus importantes du royaume de Naples car elle contrôle un des premiers ports du royaume. Il occupe de droit l'une des premières places dans le Conseil qui est chargé d'organiser l'administration du royaume conquis [75].
        Si les premiers temps ne sont que fêtes et réjouissances, si très vite le roi et la Cour oublient turcs et croisade, la population napolitaine, elle, change d'attitude vis à vis des troupes conquérantes [75].

         Le roi décide, en avril 1495, de rentrer en France, n'ayant plus rien à faire dans ce royaume conquis, et de partir dès que l'administration sera en place et après les grandes joutes prévues entre Français et Napolitains. Au nombre des chevaliers qui participent à ces joutes, selon un témoin oculaire, se trouve notre seigneur Etienne de Vesc. Puis le roi organise, en grande pompe,  une nouvelle entrée solennelle dans Naples, le 12 mai ; y figure en bonne place notre sénéchal, richement vêtu, qui a l'honneur de porter l'épée du roi [75].

        Pendant ce temps, plus au nord, se forme une ligue redoutable, avec Milan en tête, les Vénitiens et le pape. Le roi informé décide de faire rentrer le gros des armées en France, laissant sur place un corps d'occupation important et une administration sous le contrôle d'un vice-roi. La cour quitte Naples le 20 mai alors que commence déjà une crise avec les Napolitains écrasés par la soldatesque insolente, pillarde, cruelle et indisciplinée, qui ne reçoit pas toujours sa solde. Etienne gère les finances, mais ne peut faire face aux besoins immenses ; Commynes écrit, sur Etienne « passoient tous les deniers du royaume par sa main ; et avoit icelui plus de faix qu'il ne pouvoit ne n'eût su porter ». Il lève des impôts, entraînant une révolte des habitants de Gaëte et de Naples, et il est obligé de faire intervenir la troupe pour mater durement cette rébellion. La répression est dure, les églises sont pillées, les femmes violées. Intervenant deux jours après la reconquête de la ville en tant que général des finances, il fait compter le butin et «expédier joyaux et présents en France», où, parait-il, ils furent fondus et forgés en coupes et autre vaisselle dans la ville de l'Isle (L’Isle-sur-la-Sorgue) [75].
        La pression du roi d'Aragon se fait plus forte et, alors que le roi de France est obligé de livrer la bataille de Fornoue contre la ligue sur son chemin de retour, Ferdinand d'Aragon débarque à Naples avec neuf galères et une trentaine de caravelles espagnoles, acclamé à son tour par le peuple versatile de Naples. De Vesc, toujours à Naples, le 6 juillet, a tout juste le temps de se réfugier au Château-Neuf alors que des soldats capturés sont mis à mort par la populace [75].

        Guillaume de Villeneuve nous raconte ces dernières heures à Naples : « le Sénéchal de Beaucaire estoit au chasteau de Capoannes, … oyant l'allarme et horrible bruit qui estoit dedans la ville, à toute diligence mit peine de gagner le chasteauneuf, moyennant l'aide de ses bons amis » [91].
Le roi n'abandonne pas ses compagnons de Naples et prend des mesures pour envoyer des renforts : par terre, une tentative échoue ; par mer, il fait armer une flotte à Nice et à Villefranche ; il négocie avec Florence l'envoi de 250 hommes d'armes et le prêt de 70.000 ducats pour lever des troupes. La flotte s'égare, perd ses équipages à Livourne et n'arrive pas à destination [75].
        Le 27 octobre, notre seigneur Etienne de Vesc, le vice-roi et ce qui reste comme français à Naples, quittent la ville, s'embarquent «sur onze vaisseaux et deux galères tout chargés d'objets précieux, d'artillerie et de butin », et vont débarquer à Salerne [75]. «L'armée des mers des François se leva et emmena Mr. De Montpensier, le Prince de Salerne, le sénéchal de Beaucaire, et plusieurs autres gens de bien avec eux, s'en allérent descendre au port de Salerne, et à la ville, et se realièrent avec les autres François»  [91].
        Au début de l'année 1496, si Naples est perdue, les débris de l'armée, soit 10.000 hommes environ, tiennent encore une bonne partie de la province, appuyés sur plusieurs forteresses, dont celle de Gaëte où se trouve Etienne.
        La ligue vient prêter main forte à Ferdinand vers la fin mars 1496 et notre sénéchal est envoyé en France par le vice-roi M. de Montpensier, pour hâter l'envoi des secours. Il a «le soin de charger un bâtiment du butin sacré ou profane qu'il avait amassé dans Gaëte». Il vogue vers Savone avec son bâtiment, mais craignant la marine génoise, il débarque à Savone, gagne Asti, tandis que son navire réussit à rejoindre les côtes de Provence. Ainsi son trésor arrive dans le Comtat Venaissin [75].
        En mai 1496, il est de retour auprès du roi et participe aux préparatifs d'une nouvelle expédition. Mais le roi retourne en Touraine et Etienne, maudissant ce contretemps, passe la seconde moitié de l'année 1496 entre Lyon et la Méditerranée, peut-être chez nous, à Caromb, pour quelque temps. Il est à Grimaud en août, va à Toulon et à Marseille pour faire partir deux énormes galions chargés de vivres et d'hommes à destination de Gaëte. Il se fait rembourser plus de 8.000 livres pour les dépenses qu'il a faites à Gaëte, va dans sa sénéchaussée pour recouvrer un emprunt souscrit par ses administrés [75].

        Pendant ce temps, les restes de l'armée française capitulent dans le royaume de Naples et les forteresses tombent les unes après les autres. Gaëte, qui a reçu quelques renforts par mer en juillet et août ( envoyés par Etienne), tient quelques mois de plus [75].
        « Le 26 du mois de juillet vindrent les nouvelles à Naples, que la nave nommée Marmande et trois gallées estoient arrivés dedant le port de Gayette, portant gens et vivres pour le secours de ladite ville » [91].
        « Le 18 du mois d'août entra un gallion de France dedans le port de Gayette, pour le secours des François, en dépit de toute l'armée qui devant estoit » [91].
        Puis Gaëte signe sa capitulation, le 19 novembre 1497, et ses défenseurs peuvent se retirer par mer, le 29 novembre, en s'embarquant pour la Provence sur deux navires gênois et sur "la grosse galéasse" [75].

        Charles VIII est furieux lorsqu'il apprend cette capitulation, s'en prend à notre seigneur et à son ami le cardinal de Saint-Malo, et proclame qu'il pense toujours à la reconquête. Mais le conseil du roi est plutôt orienté vers la paix. Etienne, lui, est toujours pour la guerre et veut même entraîner son maître (le roi) dans le Midi, sous prétexte de voir la Provence ou de faire une visite à son château de Caromb, mais en réalité pour «essayer de l'effet que pourrait produire sur un esprit si ardent le voisinage de la Méditerranée et d'une flotte de trente navires toute prête à transporter 10.000 hommes ». Mais la cour reste à Lyon, occupée aux plaisirs de toute nature. Si le roi et notre sénéchal pensent encore à la guerre, plus personne dans le conseil n'approuve, faute de moyens financiers, car le peuple a déjà payé plus de deux millions et demi de francs de taille pour subvenir aux besoins des armées.

        Finalement, en février 1498, une trêve est signée avec l'Espagne.  Le pape va même jusqu'à redonner l'investiture du royaume de Naples aux Aragonais [75].

        Le 7 avril 1498, Charles VIII meurt subitement, après s'être cogné la tête au passage d'une porte («s'y heurta du front contre l'huis» ), en fait d'apoplexie. Il a tout juste 27 ans et n'a pas d'enfant [75]. Etienne de Vesc est alors dans sa sénéchaussée, à Nîmes, où il a passé les trois premiers mois de 1498 en compagnie de son épouse. Ce décès d'un roi qu'il a toujours suivi depuis sa plus tendre enfance, jusqu'aux confins de l'Italie, le touche profondément et il s'empresse de rejoindre la cour. On le retrouve aux obsèques du roi, portant les bords du drap d'or, puis suivant à pied le cortège funèbre lorsqu'il rentre dans Paris, le 29 avril 1498 [75].

Etienne de Vesc, sous Louis XII.



        C'est le duc d'Orléans qui succède à Charles VIII, sous le nom de Louis XII (1498-1515). Il réorganise son conseil, écarte de nombreux serviteurs ou favoris de l'ancien roi. Etienne est maintenu dans sa charge de concierge du Palais et dans celle de Sénéchal de Beaucaire. Il assiste à l'entrée solennelle du roi dans Paris, le 11 juillet 1498, puis retourne dans sa sénéchaussée pour y recevoir l'hommage des vassaux du roi. En décembre de la même année, il assiste à l'ouverture des Etats du Languedoc, puis en août 1499, il est présent, à Orange, lors de l'installation de Jean II de Châlons rétabli dans sa souveraineté [75]. Vassal du prince pour Suzette et Chateauneuf-Redortier, il se devait d’être présent  comme tous les autres vassaux, Pierre de la Baume (seigneur de Suze), Guillaume d’Ancezune (seigneur de Coudoulet), Jacques de Mondragon (seigneur de Derbous), Antoine Geoffroy (seigneur de Malijay), et Honorat de Bourjuif (seigneur de Crochans)
        Gageons qu'à cette occasion Etienne visite son château et le village de Caromb.
        Le nouveau roi s'établit d'emblée roi de Naples et duc de Milan (sa grand-mère étant une Visconti), et Etienne est chargé des négociations avec Venise (septembre 1498). En décembre il est de retour à Nîmes, alors qu'une nouvelle conquête du Milanais et de Naples est déjà décidée. Etienne, comme son ami de Saint-Malo participent aux préparatifs en faisant armer chacun une galéasse à leurs frais. Le roi gère directement le financement de son entreprise jusqu'à l'été 1799 [75].
        Le 11 juillet, c'est le nouveau départ, de Lyon. En 15 jours, l'armée est à Asti et le roi accepte la reddition de Pavie et du duché de Milan. Il entre dans cette ville le 6 octobre, encore une fois sous les "Vive la France" de la population [75].

        Mais ce roi n'est pas le précédent. Il ne rêve pas de conquêtes triomphales et des honneurs chimériques : il rentre en France après s'être assuré du soutien des principales puissances italiennes.
        Etienne, retenu par ses affaires de la sénéchaussée et par l'armement des bateaux sur les côtes de Provence, n'a pas suivi le roi jusqu'à Milan. L'envie ne lui manque pas de participer à nouveau à cette aventure. Son épouse Anne Courtois installée à Caromb est heureuse de voir son époux passer par notre village.

        Des 1500, il est chargé de mission par le roi et se rend à Venise avec son cousin Guillaume d’Ancezune. Arrivé le 29 avril, il présente ses lettres de créances, le 1er mai, négocie avec le Collège des Sages, puis avec le Grand Conseil, et obtient des résultats remarquables qu'il rapporte à Milan. Il continue à s'occuper, de loin, de sa flotte, avec la ferme intention de s'en servir contre Naples et les Turcs [75].
        Il revient à Lyon et participe aux négociations des traités avec le roi des Romains (16 août 1500), avec le pape, avec l'Espagne (novembre 1500). Il est envoyé au devant d'une délégation de Naples, alors qu'il retourne vers sa sénéchaussée, le roi ne désirant pas la recevoir. Les derniers mois de l'année 1500 et les premiers de 1501 sont consacrés à sa flotte et il est désigné pour présider aux armements de Provence [75].

        Avant de s'embarquer pour cette expédition, il met de l'ordre dans les affaires de sa famille.
      D’abord, il marie son fils.  Des deux fils issus d'Anne Courtois, l'un, Claude, est mort vers la fin du règne de Charles VIII, en 1495. L'aîné, Charles, est sans doute filleul de ce roi ; la fortune et l'élévation de son père lui permettent de trouver une alliance des plus brillantes dans la famille même du Premier ministre de Louis XII et le contrat est signé peu avant le départ du sénéchal pour l'Italie, le 12 juin 1501. La mariée, Antoinette de Clermont-Lodève, est fille de feu Pierre de Castelnau, baron de Clermont-Lodève et de Catherine d'Amboise sœur du cardinal d'Amboise, le Premier ministre. Un grand mariage, où l'époux a pour assistants quatre de ses parents paternels : Rostaing d'Ancezune, archevêque d'Embrun, Jean de Vesc-Montjoux, évêque d'Agde, Guillaume d'Ancezune et Jean Nicolay. L'épouse est assistée de ses deux oncles, dont le Premier ministre, l'évêque d'Albi, l'archevêque de Tours, le grand prieur de France [75].

        Etienne  rédige son testament le 13 janvier 1501, à Caromb, devant notaire et désigne son fils Charles comme légataire universel, puis son épouse, ses deux sœurs et ensuite ses cousins et neveux drômois.
        Il visite une dernière fois ses fiefs de Châteauneuf-de-Mazenc et de Grimaud et fait le point sur ses différents chantiers de construction de châteaux.
        Il confie la gestion de sa sénéchaussée à Thomas de Béziers.
        Ayant réglé ses affaires, Etienne de Vesc passe les Alpes pour Milan.

      Le 1er juin, l'armée repart de Parme pour Rome. Capoue capitule, le 24 juillet, et trois jours après Frédéric d'Aragon livre son royaume. Le 2 août 1501, les troupes entrent à Naples, alors que le 10 août la flotte provençale apparaît à son tour dans le port [75].
        Instruit de cette victoire, le roi envoie des ordres pour organiser l'occupation et donner «tout pouvoir à notre seigneur sénéchal de Beaucaire et au bailli d'Amiens pour  entendre avec ses lieutenants aux affaires du royaume»  [75].
        Etienne est alors à Milan avec le Premier ministre et débat de toutes les affaires de Naples.
      A Lyon, le roi Louis XII fait annoncer le 8 août «à toutes les bonnes villes de son royaume que Naples était conquis et que chacun eût à faire les actions de grâces et réjouissances ordinaires», et fait partir le sénéchal de Milan vers Naples [75].
     Vers le 20 août, Etienne arrive à Naples et retrouve son poste de grand chambellan, responsable de la réorganisation administrative et judiciaire, tâche qui l'absorbe et le retient dans la ville, alors qu'une épidémie y fait rage, que plusieurs chevaliers y meurent et que l'armée se protège en s'éloignant bien vite [75].

Son décès et son tombeau.



        Etienne de Vesc est atteint par le fléau épidémique en plein travail et est emporté par les fièvres à l’âge de cinquante-six ans. Il meurt le 6 octobre 1501 dans le palais du chambellan et ses obsèques ont lieu, en grande pompe, le 8 octobre vers la quinzième heure, à Naples, en l'église Santa-Maria-della-Nova [27]. M d'Aubigny y assiste à cheval, avec une foule de français et toutes les confréries religieuses tenant des torches à la main.

        Le corps du grand chambellan est découvert, revêtu d'une jupe de brocart, d'une robe d'écarlate fourrée d'hermine, et d'un bonnet de même, ceint de la couronne ducale. Devant le cercueil, un religieux porte le cœur du défunt dans un vase en cristal. Etienne était au comble des honneurs, de la fortune et de la puissance [75].
        En annonçant à Louis XII la disparition d'Etienne de Vesc, le cardinal d'Amboise, Premier ministre, souligne la grande perte que vient d'éprouver la France.

        Fin octobre, le Premier ministre écrit à sa veuve pour lui présenter ses condoléances et « luy a fait savoir que en toutes choses qu'il me sera possible luy faire plaisir, que je le feray d'aussi bon cueur qui si elle estoit ma soeur » et recommande au chancelier de s'occuper des affaires d'Etienne de Vesc et de sa famille [75].
     Suivant ses volontés, le corps du sénéchal, notre seigneur, est rapporté en France, à Caromb, qu'il a particulièrement aimé et embelli. Douze ou quinze ans auparavant sa femme y a fondé une collégiale de six chanoines dans notre église de Saint-Maurice et fait construire une chapelle seigneuriale consacrée à Saint-Georges, où elle venait prier chaque jour [27]. Cette chapelle est alors communément appelée "chapelle de Madame".  Située à gauche, en lieu et place du croisillon de transept, elle résulte de la réunion des deux précédentes chapelles pour n'en faire qu'une grande, prolongée vers l'ouest par une construction plus massive, dont la voûte d'arêtes à grosses nervures prismatiques vient s'appuyer sur un énorme pilier central ( *43 ). Son style gothique renaissant s'apparente à celui de l'église de Cuny qui renferme le tombeau de Louis XI [75].  Les ogives pénétrant directement dans les piliers et sa voûte en palmier sont une curiosité du gothique méridional [58].
        C'est dans cette chapelle que l'on fait édifier le superbe mausolée de marbre pour accueillir la dépouille mortelle de notre seigneur-sénéchal. Adossé au mur, sous une arcade en manière d'enfeu, ce monument mesure deux mètres et demi de longueur et deux de hauteur. Etienne de Vesc est représenté gisant, de grandeur naturelle, sur la tablette supérieure. Il porte le costume de guerre et ses pieds s'appuient sur un lévrier. Deux élégants contreforts à pinacles, encastrés dans le mur, soutiennent l'arcature à droite et à gauche. La face inférieure du monument est divisée en six niches, de 70 cm environ, occupées chacune par un personnage en relief, représentant les six chanoines de la collégiale carombaise [75].


Voir le tombeau à grande echelle : 

        De style Renaissance, ce tombeau est proche de celui des tombeaux des ducs de Bourgogne à Dijon [58] et de celui du tombeau de Louis XI. Pourtant, H. Bonnaventure nous indique que ce tombeau est ramené sculpté de Naples.

        Les funérailles ont lieu dans notre église de Caromb, en grande pompe, après celles de Naples, mais cette fois en présence de la famille du défunt. Jean Briton, secrétaire perpétuel de la paroisse, officie. Il est apparenté aux Balbis ou Balbes de la famille des Crillon.  Les populations de Caromb, du Barroux, de St-Hippolyte et de Suzette viennent rendre hommage à leur seigneur.

        Fallait-il qu'Etienne de Vesc soit attaché à notre village pour décider d'y être enterré ! Il est vrai que, venant des limites du Dauphiné, sa seigneurie de Caromb devait lui tenir à cœur et que malgré ses titres, ses occupations guerrières, son éloignement, ses nombreux châteaux et sa puissance, c'est chez nous, dans notre village et dans son magnifique château, qu'il se sentait chez lui.
        Ce seigneur, enseveli à tout jamais dans notre église, combien de temps a-t-il pu passer dans notre village ? L'analyse de son emploi du temps montre qu'avant 1496, il était constamment auprès du roi et qu'il en est de même durant les deux dernières années de sa vie. Quelques visites au moment de la construction du château ou lors de ses nombreux déplacements, peut-être quelques séjours lorsqu'il s'occupait de sa sénéchaussée voisine et un bref séjour avant son dernier départ pour Naples sont prouvés.
        Le seul témoignage de ses visites, dans nos archives, apparaît dans les comptes municipaux lorsque Jean Roque, procureur de la commune, est acquitté de ses impôts locaux pour avoir parlé à Etienne de Vesc au sujet d'un moulin que la commune voulait construire entre les deux tours de son château.

        En tout cas, notre village a vécu ces Guerres d'Italie en écoutant les récits des aventures guerrières de son seigneur. Nul doute que les gens du château étaient tenus au courant des principaux évènements de sa vie.
        A travers lui, les Carombais ont participé à l'Histoire de France et de ses rois. N'oublions pas que l'on est toujours en terres papales, que le Comtat n'est pas la France et que la royauté française était sûrement très loin de leurs préoccupations avant Etienne de Vesc.

  

Suite : la chronologie historique (chapitre XII-2).

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