Etienne de Vesc, avant son arrivée à Caromb (1484).
Etienne
de Vesc, seigneur de Caromb (1484-1501).
Le château
de Caromb.
La carrière
d'Etienne.
L’enclavement
(1481).
Etienne
de Vesc, sous Charles VIII, et la conquête de Naples.
Etienne
de Vesc, sous Louis XII.
Son décès
et son tombeau.
Anne de Courtois, son épouse.
Le triptyque.
Les affaires carombaises, sous Etienne de Vesc .
Charles de Vesc, seigneur de Caromb(1501-1517).
François 1er.
Actes royaux.
Le loto.
Jean de Vesc, seigneur de Caromb (1517-1548).
Le village de Caromb.
Fleury Louis de Vesc, seigneur de Caromb (1548-1553).
Taxes locales.
Le château du Barroux.
Etienne de Vesc,
avant son arrivée à Caromb (1484).
Qui est cet Etienne de Vesc qui devient seigneur de Caromb ? Comme nous
allons le voir, c'est sûrement le plus remarquable des seigneurs
carombais et la présence de son magnifique tombeau dans l'église
paroissiale nous en apporte une preuve actuelle. Son passage à
Caromb ne dure qu’une vingtaine d'années, mais il marque à
jamais notre commune. Son prestige va rejaillir sur notre village.
Lorsqu'il achète la seigneurie de Caromb, Etienne de Vesc ou
Vaesc, est déjà un personnage important du royaume de France.
M. Arthur de Boislisle nous a laissé une excellente biographie de
ce grand seigneur, publiée dans l'Annuaire Bulletin de la Société
de l'histoire de France entre 1878 et 1883 [75]. Nous emprunterons donc
ses récits sur ce personnage dans les pages qui suivent.
Louis Chazaly a publié un roman historique sur Etienne de Vesc
[27] dont l’édition est augmentée d’une généalogie
historique de la famille de Vesc par Patricia Carlier.
La famille de Vesc est originaire de la Drôme provençale,
depuis le XIe siècle, et ses membres deviennent seigneurs
de Comps, Dieulefit, Béconne, Montjoux et Espeluche. Certains membres
de cette famille ont participé aux premières croisades
[75].
Les origines d’Etienne sont mal connues car aucun document ne précise
sa filiation, mais son testament, découvert aux Archives (
*35
) , semble confirmer qu’il est le fils de Pierre de
Vesc, seigneur de Caderousse [27] et de Dame Isnarde de Saint-Pol, et
petit-fils de Jean de Vesc, seigneur de Comps et Dieulefit. Il est né
vers 1445 et a deux sœurs, Philippe (une femme) et Miracle.
Généalogie
des Vesc.
Certains historiens se sont demandés s'il ne s'agit pas d'un
fils bâtard du dauphin, futur Louis XI, faute de preuves sur sa
parenté et considérant sa carrière exceptionnelle
auprès de ce roi. C’est la thèse utilisée par L. Chazaly
dans son roman historique. Cette bâtardise n’est pas confirmée
par son blason qui ne comporte aucune brisure, signe indiquant l’enfant
illégitime que l’usage, au XVe siècle, ne dissimulait pas
[75].
Pour être plus précis sur son blason, les armes des Vesc
étaient : "palé d’argent et d’azur à six pièces,
au chef d’or, ayant, pour supporter deux lions et comme devise «
Pas une ne m’arrête »". Les lions tiennent chacun une bannière
portant un château à trois tours ( armes des Vesc de
Béconne). L'ajout du château à ces armes fut autorisé
par le dauphin Guigues VIII en hommage à Pierre de Vesc, qui,
le 9 septembre 1325, à la bataille de Varay contre les Savoyards,
fut tué après avoir escaladé le premier les murs
du château [58].
En tout cas, il passe son enfance dans la région
de Dieulefit, alors dans la dépendance du dauphin.
Les historiens pensent qu'Etienne de Vesc fut attaché très
jeune au service du dauphin, au Plessis-les-Tours, peut-être présenté
par un de ses parents de Vesc déjà introduit à
la cour de France et qu'il devint valet de chambre vers 1462, à
l'âge de 17 ans [75].
Etienne de Vesc a déjà rendu de nombreux services lorsque,
en 1470, Louis XI, se souvenant de ses relations tumultueuses avec son
père et souhaitant, à son tour, tenir son propre fils Charles
a l'écart de sa cour, l'appelle pour diriger la maison du dauphin,
au château d'Amboise. Le roi souhaite entourer son fils de gens
"affidés et sûrs" [75].
Pourvu des charges d'échanson et de premier valet de chambre
du jeune prince, à partir du 28 septembre 1470, appointé
à 240 livres par an dès 1475 (
*36
), Etienne s'occupe de la garde et de l'éducation
du dauphin, lui fait lire de nombreux romans de chevalerie et lui
raconte les exploits de ses parents de Vesc lors des croisades.
Le roi lui confie aussi des missions de confiance, comme ambassadeur,
pour transmettre des messages importants. Il l’envoie par exemple en
Espagne.
Il trouve femme dans une famille de la bourgeoisie. Il épouse
Anne Courtois, par contrat du 19 août 1475 à Châteaurenard-sur-Loire.
Elle est fille de maître Guillaume Courtois, avocat au parlement
et bourgeois de Paris et de Denise de Marcel. Sa mère est remariée
avec Jean de Marcel, d'une riche famille d'argentiers orfèvres[75].
Les services d'Etienne sont récompensés, en 1480, après
une longue maladie du jeune prince, par le don des revenus de la prévôté
de Meaux, ancien bailliage de son beau-père : Louis XI, alarmé
pour la vie de son fils, le remercie en ces termes « celui
de nos serviteurs qui est continuellement, nuit et jour, occupé
pour la sûreté du dauphin et en qui avons pour ce singulière
fiance (confiance) »(
*37
) . En décembre 1481, le roi Louis le fait maître-enquêteur
des eaux et forêts de l'Ile de France, Champagne et Brie, chambellan
du roi et bailli de Meaux (une charge militaire). Il échange sa
qualité d'écuyer contre celle de chevalier, et le titre
de premier valet de chambre pour celui de chambellan. Le 14 juin 1483, Louis
XI, reconnaissant ses "grands, louables, continuels et reconnus services"
auprès du dauphin depuis son plus jeune âge, lui donne des
biens à Uzès [75].
En juillet 1483, il assiste au mariage
de son élève le dauphin.
Il est présent, au chevet du roi, pendant ses derniers jours
(25 au 30 août 1483) et recueille une dernière mission du
roi : rendre aux héritiers de La Trémouille des biens autrefois
confisqués à tort. Après la mort du roi, il témoigne
en cour de justice et s’acquitte de cette mission, se faisant par cela
un ennemi à vie en la personne de Philippe de Commynes. Ce dernier,
historien et chroniqueur du roi, lui en voudra longtemps, le désignant
comme un homme ordinaire du Languedoc et de petite lignée.
Agé de 35 ans environ, ayant suivi le dauphin depuis son plus
jeune âge, ayant assuré sa garde et son éducation,
lorsque celui-ci devient roi, sous le nom de Charles VIII, il est naturel
qu'il fasse partie du conseil de régence et du Conseil étroit
[75].
La période est trouble car les princes se liguent pour s’emparer
du pouvoir. Participer au conseil de régence est une tâche
harassante.
Dans le sud de la France une terrible peste ravage le pays. Pierre de
Vesc et Isnarde de Saint-Pol , ses probables parents, en sont victimes.
Etienne revient régler ses affaires à Comps et à
Montjoux, abandonnant ses droits sur la seigneurie drômoise à
ses sœurs.
Le conseil de régence lui a donné comme mission de se
rendre à Avignon où le cardinal légat Julien de
Rovère, neveu du pape Sixte IV, conseiller d’Innocent VIII, et
futur pape Jules II, cherche à consolider le pouvoir de l’Eglise
dans le Comtat et utilise des armes plus temporelles que spirituelles pour
parvenir à ses fins. Il s’agit de le ramener à la raison et
de calmer ses ardeurs.
Avec son épouse Anne, il voyage de Comps à Avignon, passant
par Nyons, Vaison et Malaucène et acceptant l’hospitalité
du seigneur de Peyre du Barroux. Faisant étape au château
il apprend que la seigneurie de Caromb est à vendre, qu’elle possède
de bonnes terres agricoles, mais que le vieux château du village
est à restaurer.
Etienne de Vesc,
seigneur de Caromb (1484-1501).
Retrouvant ses racines provençales, le soleil et le climat, après
ces longues années passées dans les terres du Nord,
ayant laissé sa part de la seigneurie drômoise à
ses sœurs, on comprend aisément sa décision d’acheter notre
seigneurie et de posséder une attache dans le Midi.
Il ne fait pas de doute qu’Etienne de Vesc a connu Jean II de Châlons,
prince d’Orange, seigneur de Caromb, dans l’entourage du roi Charles
VIII. Etienne a participé aux négociations pour le mariage
du roi avec Anne de Bretagne, cousine du prince d’Orange. Peut-être
se sont-ils connu à cette occasion. La proximité de leurs
lieux d’origine _ Orange pour l’un, les seigneuries du Bas Dauphiné
pour l’autre_ a sûrement été une autre bonne raison
de faire connaissance, dans l’environnement lointain des rois de France.
Louis Chazali nous raconte, de façon romancée, la première
rencontre d’Etienne et de son épouse Anne avec Caromb : l’extase
de l’épouse devant nos merveilleux paysages. Vu du Barroux, notre
village à leurs pieds, on admet aisément le coup de foudre
et qu’ils aient été vite conquis par notre village.
Connaissant le propriétaire du fief, déjà fortuné,
l’affaire est vite conclue et l’acte de vente bientôt signé.
Il traite avec Jean II de Châlons, conclut l’achat le 11 décembre
1484 moyennant la somme de 10.000 livres et devient donc seigneur
de Caromb [75] et de Saint-Hippolyte (
*38
) . L’acte est passé en l’étude de Jean
Cujalon, notaire d’Orange (
*39
) .
D’autres auteurs penchent pour une vente dès 1481. Hilaire Bonnaventure
précise "que la baronnie de Caromb tenait du bâtard d’Orange",
d' Etienne, fils bâtard de Jean II, dont nous avons déjà
parlé.
Pour Saint-Hippolyte, selon un répertoire conservé à
la bibliothèque d'Aix, le château inhabité de cette
localité a été vendu plus tard à Etienne
de Vesc, le 17 octobre 1488, par nobles Jacques Candolle et Paulette Vincent
[75].
Caromb est en terres d'Eglise, mais devant un personnage d’État
aussi important, une bulle du pape Innocent VIII accorde les droits régaliens
au nouveau seigneur, en mai 1489, dans sa seigneurie de Caromb, c'est
à dire qu'il l'investit des droits réguliers et du pouvoir
d'y faire juger toutes les affaires par ses propres officiers. Il reçoit
l'investiture de la seigneurie de Caromb le 25 mai 1488 et fait rendre
hommage à la chambre apostolique l'année suivante.
Cette même année, Jean II de Châlons, prince d’Orange
lui donne en fief la seigneurie de Suzette en retour de services rendus
à la bataille de Saint-Aubin, et, en 1490, celle de Châteauneuf-Redortier
(un hameau de Suzette) [75]. Pour ces fiefs, Etienne est vassal du
prince d’Orange.
Ainsi Etienne se constitue un domaine important autour de Caromb, en
Comtat Venaissin et en principauté d’Orange.
Le château
de Caromb.
Mais revenons à la date d'arrivée de ce seigneur à
Caromb. Déjà riche, il décide de construire un nouveau
château à la place du précédent que l'on
connaît depuis Bertrand des Baux par l'hommage qu'il fît
en 1254 devant l'évêque de Carpentras. Ce nouveau
château, remarquable par la dureté et la beauté de
ses pierres, composé de deux pavillons fortifiés de cinq
tours, s'édifie "intra-muros".
Voir le château à
grande echelle :
Le château est attenant aux grandes murailles de l'enceinte du
village et l’entrée se trouve sur une petite place, côté
nord. On accède à la cour intérieure par un pont-levis.
On remarque encore de nos jours les énormes gonds de la porte,
l’échancrure dans la pierre de taille pour manœuvrer le pont-levis
et l’emplacement des poutres de protection de la porte. Sur le côté
gauche on note deux arceaux qui devaient servir d’entrée au corps
de garde [58].
Tous les habitants du village et des environs doivent travailler à
sa construction tant il est grand pour l'époque. Tailler les
pierres, les transporter depuis nos anciennes carrières jusqu'au
village, édifier ces murs épais, monter les étages
et couvrir le tout de toitures assurent du travail aux maçons, aux
manœuvres, aux charretiers, pour quelques temps. Imaginons un instant ce
chantier de l'époque où tout se fait avec un outillage simple,
des cordes, du bois, des pierres et surtout de la main d’œuvre et du travail
manuel. Les charrettes qui arrivent des carrières, les chevaux,...
Le bourg de Caromb change de physionomie. A côté
de l'église, mais dans le village, ce grand château se voit
de loin.
Notre nouveau seigneur, Etienne, s'est vite éloigné du
village, ses activités au conseil de régence l'appelant
auprès du roi de France. Les Etats Généraux et la
querelle des princes le demandent à Orléans où ses
services sont à nouveau récompensés par le titre
de baron de Grimaud, la royauté lui abandonnant ses prérogatives
sur cette baronnie.
La paix revenue, Etienne et son épouse Anne redescendent dans
le Midi, passent visiter les Vesc drômois à Comps, remettant
à Pierre de Vesc, son parent, le titre de châtelain et capitaine
de la tour de Crest, un cadeau royal. Ils s’arrêtent dans leur fief
de Caromb pour constater l’avancement des travaux du château et
poussent jusqu’à Grimaud pour découvrir leur nouveau domaine.
Ils décident, là aussi, de construire un nouveau château.
Celui de Caromb est terminé en
1486. Il est imposant, solide et ne manque pas d’élégance.
Son propriétaire doit en être très fier : c'est
le plus beau du Comtat, après le palais des papes [98].
Etienne de Vesc aide également son voisin et ami Jean de
Venasque, de Modène, à construire le château de
cette dernière commune, en lui prêtant pour cela la somme
de huit cents livres (1490). Ce Jean de Venasque est en fait Jean de
Raymond de Mormoiron époux de Marie de Venasque, qui possède
les seigneuries de Modène, Durban et la Roque-Alric.
La carrière
d'Etienne.
Etienne, auprès du roi de France Charles VIII, accumule les charges
et les revenus. Il devient Président lai (
*40
) de la Chambre des comptes de Paris et concierge du
Palais, le 29 mai 1489, puis cède le bailliage de Meaux pour prendre
les fonctions de sénéchal de Carcassonne et de capitaine,
châtelain et viguier d'Aigues-Mortes. Il quitte la sénéchaussée
de Carcassonne deux ans plus tard, le 3 mars 1491, pour devenir Sénéchal
de Beaucaire et de Nîmes, poste d'importance et de grand pouvoir.
La sénéchaussée de Beaucaire est la plus grande
de France : elle couvre Nîmes, les vigueries de Beaucaire, Sommières,
Meyreuils, Le Vignan, Anduze, Alès, Roquemaure, Bagnols, Uzès,
Saint-André, Pont-Saint-Esprit, Aigues-Mortes, Marjevols, Lunel
et Montpellier, ainsi que des bailliages du Velay et du Vivarais.
Premier magistrat du Languedoc, il fait dresser un cadastre fiscal consignant
les libertés et franchises pour plus d’équité.
A compter de cette date, les textes le désignent par "Monsieur
le Sénéchal".
Ses revenus sont importants : pension de 800 livres comme chambellan,
gratification de 4.000 livres par an comme sénéchal et
don de 8.000 livres de Charles VIII. Etienne est riche et puissant.
Il se
constitue un domaine important dans le Comtat : il est seigneur de Caderousse,
de Caromb, de Saint-Hippolyte, de Suzette, de Châteauneuf-Redotier,
possède des terres à Forcalqueiret, Châteaurenard,
et Boulbon-Châteauneuf. De plus, il est baron de Grimaud. Il acquiert
la seigneurie de Châteauneuf-de-Mazenc dans le fief des Vesc (1490).
Par son épouse, il possède aussi une seigneurie en Ile
de France, Savigny-sur-Orge, qu’il agrandit par l’achat des terres voisines
de Viry, Thorigny, Orangis, la Borde et d’autres en Artois [75].
Sa puissance s'exprime par sa participation aux grands évènements
de l'époque : il œuvre au rattachement des provinces du royaume
et prend part activement au gouvernement de la France. Son nom se trouve
au bas des actes d'Union de la Provence et de la Bretagne à la
France, en1486, 1492 et 1493 [75].
L’enclavement (1481).
Le 10 juillet 1480, René d'Anjou, de la descendance de Saint-Louis,
denier comte de Provence et dernier roi de Naples, meurt sans héritier
direct masculin. Charles du Maine, dernier comte souverain, lègue
la Provence à Louis XI. Les états d’Aix votent l’Acte
d’Union en 1486, confirmant les privilèges provençaux
existants.
La Provence est française et le restera.
La France s’est étendue à l’est du Rhône, sur le
Dauphiné depuis 130 ans et maintenant sur la Provence. Avignon
et le Comtat forment dorénavant une enclave dans le royaume de
France. Le Roi est un interlocuteur pressant dont il faut plus que jamais
tenir compte. Dès 1493, on assiste à de violentes émeutes
anti-françaises à Marseille.
Annexant la Provence, le roi expulse les juifs (1483) qui se réfugient
dans le Comtat où ils sont déjà très nombreux.
Etienne de Vesc,
sous Charles VIII, et la conquête de Naples.
Au moment où commencent les guerres d’Italie, la France est un
grand pays qui couvre le Dauphiné et la Provence et arrive jusqu’aux
Alpes. A cheval sur les Alpes, la Savoie s’étend du lac Leman
jusqu'à la mer Méditerranée. L’Italie est morcelée
en une multitude de petits états souverains, objets de convoitises.
Les prétentions françaises sur Naples puis Milan vont
déclencher une série de guerres que l’on nomme Guerres
d’Italie. Elles durent 65 ans, sous trois règnes des rois de France
: d’abord sous Charles VIII, roi de 1494 à1498, puis sous Louis
XII (1498-1515) et enfin sous François Ier (1515 -1547).
L’extinction de la Maison d’Anjou fait de Louis XI l’héritier
des droits angevins sur Naples, droits qui ont été confisqués,
en 1442, par la Maison d’Aragon.
Le comte du Maine avait déjà demandé au pape l'investiture
du royaume de Naples. Sixte IV intervient auprès de Louis XI
pour que celui-ci le délivre du voisinage odieux de Ferdinand
de Naples, un véritable tyran [75].
Selon Commynes, notre seigneur Etienne de Vesc est un des plus ardents
à soutenir une campagne de reconquête de Naples. Son influence
sur Charles VIII enfant aurait été déterminante,
par les lectures de romans de chevalerie, de croisades, puis ensuite, en
lui présentant ses droits sur Naples, une possible succession de
hauts faits d'armes, les perspectives de conquêtes glorieuses, qui
pourraient se compléter, après Naples, par la prise de
Constantinople et une victoire décisive sur les Turcs pour les
repousser en Asie et débarrasser l'Europe de leur menace. Tout cela
aurait été décisif dans la tête du roi. Commynes
précise qu'Etienne de Vesc «était poussé par
l'ambition, une soif de titre, de grandeur et de biens, qu'il s'est occupé
d'abord de la Provence (lors de l'annexion) car il possédait quelques
seigneuries dans la région, et que Naples l'intéressait pour
obtenir quelques duchés » [75]. Ces propos doivent être
nuancés, car l'animosité de Commynes envers Etienne de Vesc
est connue depuis le témoignage de ce dernier en défaveur de
l'historien, lors d'un procès de 1483.
Au commencement du livre VII de ses mémoires Commynes raconte
« Il advint que le roi Charles huitième entreprit son voyage
d'Italie. L'entreprise sembloit à toutes gens sages et expérimentés
très dangereuse, et n'y eut que le roi seul qui la trouva bonne,
et un appelé Estyenne de Vers (de Vesc) natif du Languedoc...
qui n'avoit jamais vu ni entendu nulle chose aux faits de guerre»
[75].
Etienne de Vesc, dont la famille a participé
aux croisades, originaire du Midi, était naturellement porté
à s'occuper des affaires de Provence et, en conséquence,
de celles de Naples.
La situation dans une Italie morcelée où chaque état
est en guerre avec son voisin, où l'intervention française
est souhaitée, le soutien du pape, la connaissance qu'il avait
des forces françaises inoccupées après la réunion
de la Bretagne et la paix avec les pays limitrophes, un royaume de
Naples tyrannisé dont la noblesse est restée angevine
de cœur, et enfin les risques réels que les Turcs font peser sur
l'Italie, sont autant de facteurs autrement convaincants pour expliquer
sa position interventionniste en Italie. C'est un fait que notre seigneur
pousse le roi de France à agir en Italie.
En août 1485, un grand nombre de barons napolitains se soulèvent
contre Ferdinand d'Aragon _ par ailleurs en guerre avec le pape_ et
font appel à la France. En 1486, la répression est féroce
à Naples, beaucoup de nobles se réfugient en France et
trouvent, auprès d'Etienne de Vesc, une oreille attentive [75].
En 1488, Charles VIII a 19 ans et prend son indépendance vis
à vis de la régence. Il commence à mettre de l'ordre
dans son entourage, parmi les princes du royaume, et signe des traités
avec les principaux pays pour avoir les mains libres vis à vis
de Naples.
Notre seigneur Etienne et son ami Briçonnet, futur évêque
de Saint-Malo, deviennent les interlocuteurs des puissances italiennes
: il est en relation avec Jean Balue, cardinal d’Angers, qui protège
les intérêts français auprès du Saint-Siège.
Nous possédons des lettres (
*41
) de ce dernier datées du 17 et du 21 octobre
1489, montrant que son intermédiaire auprès de la royauté
française est Etienne de Vesc [139].
Etienne est considéré, à Venise, à Milan,
à Florence ou à Rome comme l'arbitre suprême de toutes
les questions concernant l'Italie et comme le chef de toutes les pratiques
dirigées contre Naples, tandis que Briçonnet s'occupe
des finances du royaume. En août 1493, par exemple, Etienne est
l'intermédiaire entre les envoyés des Sforza de Milan
et le roi, pour négocier un traité de coopération
militaire et une aide financière [75].
Il faut attendre la fin de l'année 1493 pour que le Conseil
soit en faveur de l'intervention. En janvier 1494, Ferdinand d'Aragon
meurt à Naples et est remplacé par son fils Alphonse. Charles
VIII se décide à prendre le commandement de son armée
pour la fin janvier 1494.
Finalement, le roi commence sa campagne.
En février 1494, la Cour est à Moulins, le 7 mars à
Lyon. En avril, notre seigneur négocie l'achat d'une flotte toute
prête dans le port de Gênes, traite avec la Savoie pour
le ravitaillement de l'armée de terre, expédie une avant-garde
à Asti et dépêche de toute part des ambassadeurs.
Charles VIII lui demande de traiter encore une affaire avec Julien de
Rovère, d'aller à Avignon pour forcer les Avignonnais à
accueillir cet évêque ennemi déclaré du pape,
qui fuit l'Italie, et voudrait bien rejoindre son archevêché
d'Avignon. Nul doute que notre seigneur fait un crochet par Caromb si
près de sa route (cela n'est pas prouvé). Le 1er juin, il
est de retour à Lyon, auprès du roi [75].
Etienne, avant de quitter la France, se démet, le 27 mai 1494,
de sa charge de Président lai de la Cour des comptes. Le
20 juillet, le roi et son épouse le rejoignent à Vienne
où il les a précédés, y restent un mois, puis
résident une semaine à Grenoble avant de passer les Alpes
par le Mont Genèvre. De Vesc part pour Asti pendant que le roi
passe par Turin et arrive le 9 septembre à Asti. Les Français
sont bien accueillis et ce ne sont que fêtes et réjouissances.
Le roi tombe malade de la petite vérole et doit s'aliter. Etienne
le soigne pendant que les armées, un peu démoralisées
de perdre leur chef aussi bêtement, continuent leur route. Elles sont
à Plaisance le 10 octobre et le roi, remis de sa maladie, reprend
le commandement de ses troupes. Milan et Pierre de Médicis, dévoués
jusque là au prince d'Aragon, ne voient pas d'autres solutions que
de se soumettre au roi de France. L'armée est à Florence le
17 novembre et, le 22 novembre, le roi déclare qu'il est le champion
de la religion et des peuples civilisés contre les Turcs [75].
Il faut maintenant traverser les terres du pape Alexandre VI Borgia
dont l'ardeur vis à vis des français s'est bien vite refroidie.
C'est encore notre Sénéchal Etienne qui négocie,
avec quelques autres, l'entrée des troupes à Rome : introduit
nuitamment dans Rome, il comparait devant le Consistoire, le 26 décembre,
et le Sacré Collège accorde l'entrée des troupes pour
le 1er janvier 1495. Une majeure partie du Sacré Collège
souhaite renverser ce pape couvert de crimes. Etienne et son ami
M. de Saint-Malo prennent sa défense pour ne pas compliquer la situation,
puis obtiennent, par traité du 15 janvier, le libre passage des
troupes sur les terres pontificales et quelques places fortes pour assurer
leur retour [75].
La Cour quitte Rome le 26 janvier, alors que les troupes l'ont précédée
et ne rencontrent aucune résistance ; les populations fatiguées
des cruautés aragonaises acclament les Français. A Naples,
Alphonse d'Aragon abdique, apeuré, et laisse la couronne à
son fils Ferdinand II, pendant que les troupes françaises avancent,
acceptent la soumission des villes et des provinces, jusqu'à
arriver à Naples, le 19 février, sous les cris de "Vive
la France" des Napolitains. Le 22 février, Charles VIII fait son
entrée à Naples [75].
Commence alors la distribution des fiefs conquis : Etienne de Vesc,
dont le rôle fut primordial pendant toute la campagne, reçoit
le comté d'Avellino, autrefois possédé par les seigneurs
des Baux, ses prédécesseurs à Caromb, le comté
d'Atripalda, le duché d'Ascoli et le duché de Nola. Notre
sénéchal occupe un des sept grands offices de la couronne,
celui de grand chambellan, auquel sont attachées la surintendance
des finances du royaume et la haute présidence de la Cour des comptes.
De plus, il reçoit le commandement de la forteresse de Gaëte,
une des plus importantes du royaume de Naples car elle contrôle
un des premiers ports du royaume. Il occupe de droit l'une des premières
places dans le Conseil qui est chargé d'organiser l'administration
du royaume conquis [75].
Si les premiers temps ne sont que fêtes et réjouissances,
si très vite le roi et la Cour oublient turcs et croisade, la
population napolitaine, elle, change d'attitude vis à vis des
troupes conquérantes [75].
Le roi décide, en avril 1495, de rentrer en France, n'ayant
plus rien à faire dans ce royaume conquis, et de partir dès
que l'administration sera en place et après les grandes joutes
prévues entre Français et Napolitains. Au nombre des chevaliers
qui participent à ces joutes, selon un témoin oculaire,
se trouve notre seigneur Etienne de Vesc. Puis le roi organise, en grande
pompe, une nouvelle entrée solennelle dans Naples, le 12
mai ; y figure en bonne place notre sénéchal, richement
vêtu, qui a l'honneur de porter l'épée du roi [75].
Pendant ce temps, plus au nord, se forme une ligue redoutable, avec
Milan en tête, les Vénitiens et le pape. Le roi informé
décide de faire rentrer le gros des armées en France, laissant
sur place un corps d'occupation important et une administration sous
le contrôle d'un vice-roi. La cour quitte Naples le 20 mai alors
que commence déjà une crise avec les Napolitains écrasés
par la soldatesque insolente, pillarde, cruelle et indisciplinée,
qui ne reçoit pas toujours sa solde. Etienne gère les finances,
mais ne peut faire face aux besoins immenses ; Commynes écrit,
sur Etienne « passoient tous les deniers du royaume par sa main
; et avoit icelui plus de faix qu'il ne pouvoit ne n'eût su porter
». Il lève des impôts, entraînant une révolte
des habitants de Gaëte et de Naples, et il est obligé de faire
intervenir la troupe pour mater durement cette rébellion. La répression
est dure, les églises sont pillées, les femmes violées.
Intervenant deux jours après la reconquête de la ville en
tant que général des finances, il fait compter le butin et
«expédier joyaux et présents en France», où,
parait-il, ils furent fondus et forgés en coupes et autre vaisselle
dans la ville de l'Isle (L’Isle-sur-la-Sorgue) [75].
La pression du roi d'Aragon se fait plus forte et, alors que le roi
de France est obligé de livrer la bataille de Fornoue contre la
ligue sur son chemin de retour, Ferdinand d'Aragon débarque à
Naples avec neuf galères et une trentaine de caravelles espagnoles,
acclamé à son tour par le peuple versatile de Naples. De
Vesc, toujours à Naples, le 6 juillet, a tout juste le temps de
se réfugier au Château-Neuf alors que des soldats capturés
sont mis à mort par la populace [75].
Guillaume de Villeneuve nous raconte ces dernières heures à
Naples : « le Sénéchal de Beaucaire estoit au chasteau
de Capoannes, … oyant l'allarme et horrible bruit qui estoit dedans
la ville, à toute diligence mit peine de gagner le chasteauneuf,
moyennant l'aide de ses bons amis » [91].
Le roi n'abandonne pas ses compagnons
de Naples et prend des mesures pour envoyer des renforts : par terre,
une tentative échoue ; par mer, il fait armer une flotte à
Nice et à Villefranche ; il négocie avec Florence l'envoi
de 250 hommes d'armes et le prêt de 70.000 ducats pour lever des
troupes. La flotte s'égare, perd ses équipages à
Livourne et n'arrive pas à destination [75].
Le 27 octobre, notre seigneur Etienne de Vesc, le vice-roi et ce qui
reste comme français à Naples, quittent la ville, s'embarquent
«sur onze vaisseaux et deux galères tout chargés
d'objets précieux, d'artillerie et de butin », et vont débarquer
à Salerne [75]. «L'armée des mers des François
se leva et emmena Mr. De Montpensier, le Prince de Salerne, le sénéchal
de Beaucaire, et plusieurs autres gens de bien avec eux, s'en allérent
descendre au port de Salerne, et à la ville, et se realièrent
avec les autres François» [91].
Au début de l'année 1496, si Naples est perdue, les débris
de l'armée, soit 10.000 hommes environ, tiennent encore une
bonne partie de la province, appuyés sur plusieurs forteresses,
dont celle de Gaëte où se trouve Etienne.
La ligue vient prêter main forte à Ferdinand vers la fin
mars 1496 et notre sénéchal est envoyé en France
par le vice-roi M. de Montpensier, pour hâter l'envoi des secours.
Il a «le soin de charger un bâtiment du butin sacré ou
profane qu'il avait amassé dans Gaëte». Il vogue vers Savone
avec son bâtiment, mais craignant la marine génoise, il débarque
à Savone, gagne Asti, tandis que son navire réussit à
rejoindre les côtes de Provence. Ainsi son trésor arrive
dans le Comtat Venaissin [75].
En mai 1496, il est de retour auprès du roi et participe aux
préparatifs d'une nouvelle expédition. Mais le roi retourne
en Touraine et Etienne, maudissant ce contretemps, passe la seconde moitié
de l'année 1496 entre Lyon et la Méditerranée, peut-être
chez nous, à Caromb, pour quelque temps. Il est à Grimaud
en août, va à Toulon et à Marseille pour faire partir
deux énormes galions chargés de vivres et d'hommes à
destination de Gaëte. Il se fait rembourser plus de 8.000 livres
pour les dépenses qu'il a faites à Gaëte, va dans
sa sénéchaussée pour recouvrer un emprunt souscrit
par ses administrés [75].
Pendant ce temps, les restes de l'armée française capitulent
dans le royaume de Naples et les forteresses tombent les unes après
les autres. Gaëte, qui a reçu quelques renforts par mer
en juillet et août ( envoyés par Etienne), tient quelques
mois de plus [75].
« Le 26 du mois de juillet vindrent les nouvelles à Naples,
que la nave nommée Marmande et trois gallées estoient arrivés
dedant le port de Gayette, portant gens et vivres pour le secours de
ladite ville » [91].
« Le 18 du mois d'août entra un gallion de France dedans
le port de Gayette, pour le secours des François, en dépit
de toute l'armée qui devant estoit » [91].
Puis Gaëte signe sa capitulation, le 19 novembre 1497, et ses défenseurs
peuvent se retirer par mer, le 29 novembre, en s'embarquant pour la
Provence sur deux navires gênois et sur "la grosse galéasse"
[75].
Charles VIII est furieux lorsqu'il apprend cette capitulation, s'en
prend à notre seigneur et à son ami le cardinal de Saint-Malo,
et proclame qu'il pense toujours à la reconquête. Mais le
conseil du roi est plutôt orienté vers la paix. Etienne,
lui, est toujours pour la guerre et veut même entraîner son
maître (le roi) dans le Midi, sous prétexte de voir la Provence
ou de faire une visite à son château de Caromb, mais en réalité
pour «essayer de l'effet que pourrait produire sur un esprit si
ardent le voisinage de la Méditerranée et d'une flotte
de trente navires toute prête à transporter 10.000 hommes
». Mais la cour reste à Lyon, occupée aux plaisirs
de toute nature. Si le roi et notre sénéchal pensent encore
à la guerre, plus personne dans le conseil n'approuve, faute de
moyens financiers, car le peuple a déjà payé plus
de deux millions et demi de francs de taille pour subvenir aux besoins
des armées.
Finalement, en février 1498, une trêve est signée
avec l'Espagne. Le pape va même jusqu'à redonner l'investiture
du royaume de Naples aux Aragonais [75].
Le 7 avril 1498, Charles VIII meurt subitement, après s'être
cogné la tête au passage d'une porte («s'y heurta
du front contre l'huis» ), en fait d'apoplexie. Il a tout juste
27 ans et n'a pas d'enfant [75]. Etienne de Vesc est alors dans sa sénéchaussée,
à Nîmes, où il a passé les trois premiers
mois de 1498 en compagnie de son épouse. Ce décès
d'un roi qu'il a toujours suivi depuis sa plus tendre enfance, jusqu'aux
confins de l'Italie, le touche profondément et il s'empresse
de rejoindre la cour. On le retrouve aux obsèques du roi, portant
les bords du drap d'or, puis suivant à pied le cortège funèbre
lorsqu'il rentre dans Paris, le 29 avril 1498 [75].
Etienne de Vesc,
sous Louis XII.
C'est le duc d'Orléans qui succède à Charles VIII,
sous le nom de Louis XII (1498-1515). Il réorganise son conseil,
écarte de nombreux serviteurs ou favoris de l'ancien roi. Etienne
est maintenu dans sa charge de concierge du Palais et dans celle de Sénéchal
de Beaucaire. Il assiste à l'entrée solennelle du roi
dans Paris, le 11 juillet 1498, puis retourne dans sa sénéchaussée
pour y recevoir l'hommage des vassaux du roi. En décembre de
la même année, il assiste à l'ouverture des Etats
du Languedoc, puis en août 1499, il est présent, à
Orange, lors de l'installation de Jean II de Châlons rétabli
dans sa souveraineté [75]. Vassal du prince pour Suzette et Chateauneuf-Redortier,
il se devait d’être présent comme tous les autres
vassaux, Pierre de la Baume (seigneur de Suze), Guillaume d’Ancezune (seigneur
de Coudoulet), Jacques de Mondragon (seigneur de Derbous), Antoine Geoffroy
(seigneur de Malijay), et Honorat de Bourjuif (seigneur de Crochans)
Gageons qu'à cette occasion Etienne visite son château
et le village de Caromb.
Le nouveau roi s'établit d'emblée roi de Naples et duc
de Milan (sa grand-mère étant une Visconti), et Etienne
est chargé des négociations avec Venise (septembre 1498).
En décembre il est de retour à Nîmes, alors qu'une nouvelle
conquête du Milanais et de Naples est déjà décidée.
Etienne, comme son ami de Saint-Malo participent aux préparatifs
en faisant armer chacun une galéasse à leurs frais. Le roi
gère directement le financement de son entreprise jusqu'à
l'été 1799 [75].
Le 11 juillet, c'est le nouveau départ, de Lyon. En 15 jours,
l'armée est à Asti et le roi accepte la reddition de Pavie
et du duché de Milan. Il entre dans cette ville le 6 octobre,
encore une fois sous les "Vive la France" de la population [75].
Mais ce roi n'est pas le précédent. Il ne rêve pas
de conquêtes triomphales et des honneurs chimériques :
il rentre en France après s'être assuré du soutien
des principales puissances italiennes.
Etienne, retenu par ses affaires de la sénéchaussée
et par l'armement des bateaux sur les côtes de Provence, n'a pas
suivi le roi jusqu'à Milan. L'envie ne lui manque pas de participer
à nouveau à cette aventure. Son épouse Anne Courtois
installée à Caromb est heureuse de voir son époux
passer par notre village.
Des 1500, il est chargé de mission par le roi et se rend à
Venise avec son cousin Guillaume d’Ancezune. Arrivé le 29 avril,
il présente ses lettres de créances, le 1er mai, négocie
avec le Collège des Sages, puis avec le Grand Conseil, et obtient
des résultats remarquables qu'il rapporte à Milan. Il continue
à s'occuper, de loin, de sa flotte, avec la ferme intention de
s'en servir contre Naples et les Turcs [75].
Il revient à Lyon et participe aux négociations des traités
avec le roi des Romains (16 août 1500), avec le pape, avec l'Espagne
(novembre 1500). Il est envoyé au devant d'une délégation
de Naples, alors qu'il retourne vers sa sénéchaussée,
le roi ne désirant pas la recevoir. Les derniers mois de l'année
1500 et les premiers de 1501 sont consacrés à sa flotte
et il est désigné pour présider aux armements de
Provence [75].
Avant de s'embarquer pour cette expédition, il met de l'ordre
dans les affaires de sa famille.
D’abord,
il marie son fils. Des deux fils issus d'Anne Courtois, l'un,
Claude, est mort vers la fin du règne de Charles VIII, en 1495.
L'aîné, Charles, est sans doute filleul de ce roi ; la fortune
et l'élévation de son père lui permettent de trouver
une alliance des plus brillantes dans la famille même du Premier
ministre de Louis XII et le contrat est signé peu avant le départ
du sénéchal pour l'Italie, le 12 juin 1501. La mariée,
Antoinette de Clermont-Lodève, est fille de feu Pierre de Castelnau,
baron de Clermont-Lodève et de Catherine d'Amboise sœur du cardinal
d'Amboise, le Premier ministre. Un grand mariage, où l'époux
a pour assistants quatre de ses parents paternels : Rostaing d'Ancezune,
archevêque d'Embrun, Jean de Vesc-Montjoux, évêque d'Agde,
Guillaume d'Ancezune et Jean Nicolay. L'épouse est assistée
de ses deux oncles, dont le Premier ministre, l'évêque d'Albi,
l'archevêque de Tours, le grand prieur de France [75].
Etienne rédige son testament le 13 janvier 1501, à
Caromb, devant notaire et désigne son fils Charles comme légataire
universel, puis son épouse, ses deux sœurs et ensuite ses cousins
et neveux drômois.
Il visite une dernière fois ses fiefs de Châteauneuf-de-Mazenc
et de Grimaud et fait le point sur ses différents chantiers
de construction de châteaux.
Il confie la gestion de sa sénéchaussée à
Thomas de Béziers.
Ayant réglé ses affaires, Etienne de Vesc passe les Alpes
pour Milan.
Le 1er juin, l'armée repart de Parme pour Rome. Capoue capitule,
le 24 juillet, et trois jours après Frédéric d'Aragon
livre son royaume. Le 2 août 1501, les troupes entrent à
Naples, alors que le 10 août la flotte provençale apparaît
à son tour dans le port [75].
Instruit de cette victoire, le roi envoie des ordres pour organiser
l'occupation et donner «tout pouvoir à notre seigneur sénéchal
de Beaucaire et au bailli d'Amiens pour entendre avec ses lieutenants
aux affaires du royaume» [75].
Etienne est alors à Milan avec le Premier ministre et débat
de toutes les affaires de Naples.
A Lyon,
le roi Louis XII fait annoncer le 8 août «à toutes
les bonnes villes de son royaume que Naples était conquis et que
chacun eût à faire les actions de grâces et réjouissances
ordinaires», et fait partir le sénéchal de Milan
vers Naples [75].
Vers le 20
août, Etienne arrive à Naples et retrouve son poste de grand
chambellan, responsable de la réorganisation administrative et
judiciaire, tâche qui l'absorbe et le retient dans la ville, alors
qu'une épidémie y fait rage, que plusieurs chevaliers
y meurent et que l'armée se protège en s'éloignant
bien vite [75].
Son décès
et son tombeau.
Etienne de Vesc est atteint par le fléau épidémique
en plein travail et est emporté par les fièvres à
l’âge de cinquante-six ans. Il meurt le 6 octobre 1501 dans le
palais du chambellan et ses obsèques ont lieu, en grande pompe,
le 8 octobre vers la quinzième heure, à Naples, en l'église
Santa-Maria-della-Nova [27]. M d'Aubigny y assiste à cheval, avec
une foule de français et toutes les confréries religieuses
tenant des torches à la main.
Le corps du grand chambellan est découvert, revêtu d'une
jupe de brocart, d'une robe d'écarlate fourrée d'hermine,
et d'un bonnet de même, ceint de la couronne ducale. Devant le
cercueil, un religieux porte le cœur du défunt dans un vase en cristal.
Etienne était au comble des honneurs, de la fortune et de la
puissance [75].
En annonçant à Louis XII la disparition d'Etienne de Vesc,
le cardinal d'Amboise, Premier ministre, souligne la grande perte que
vient d'éprouver la France.
Fin octobre, le Premier ministre écrit à sa veuve pour
lui présenter ses condoléances et « luy a fait
savoir que en toutes choses qu'il me sera possible luy faire plaisir, que
je le feray d'aussi bon cueur qui si elle estoit ma soeur » et
recommande au chancelier de s'occuper des affaires d'Etienne de Vesc et de
sa famille [75].
Suivant ses
volontés, le corps du sénéchal, notre seigneur,
est rapporté en France, à Caromb, qu'il a particulièrement
aimé et embelli. Douze ou quinze ans auparavant sa femme y a
fondé une collégiale de six chanoines dans notre église
de Saint-Maurice et fait construire une chapelle seigneuriale consacrée
à Saint-Georges, où elle venait prier chaque jour [27].
Cette chapelle est alors communément appelée "chapelle de
Madame". Située à gauche, en lieu et place du croisillon
de transept, elle résulte de la réunion des deux précédentes
chapelles pour n'en faire qu'une grande, prolongée vers l'ouest
par une construction plus massive, dont la voûte d'arêtes à
grosses nervures prismatiques vient s'appuyer sur un énorme pilier
central ( *43
). Son style gothique renaissant s'apparente à
celui de l'église de Cuny qui renferme le tombeau de Louis XI
[75]. Les ogives pénétrant directement dans les
piliers et sa voûte en palmier sont une curiosité du gothique
méridional [58].
C'est dans cette chapelle que l'on fait édifier le superbe mausolée
de marbre pour accueillir la dépouille mortelle de notre seigneur-sénéchal.
Adossé au mur, sous une arcade en manière d'enfeu, ce
monument mesure deux mètres et demi de longueur et deux de hauteur.
Etienne de Vesc est représenté gisant, de grandeur naturelle,
sur la tablette supérieure. Il porte le costume de guerre et ses
pieds s'appuient sur un lévrier. Deux élégants contreforts
à pinacles, encastrés dans le mur, soutiennent l'arcature
à droite et à gauche. La face inférieure du monument
est divisée en six niches, de 70 cm environ, occupées chacune
par un personnage en relief, représentant les six chanoines de
la collégiale carombaise [75].
Voir le tombeau à grande echelle
:
De style Renaissance, ce tombeau est proche de celui des tombeaux des
ducs de Bourgogne à Dijon [58] et de celui du tombeau de Louis
XI. Pourtant, H. Bonnaventure nous indique que ce tombeau est ramené
sculpté de Naples.
Les funérailles ont lieu dans notre église de Caromb,
en grande pompe, après celles de Naples, mais cette fois en présence
de la famille du défunt. Jean Briton, secrétaire perpétuel
de la paroisse, officie. Il est apparenté aux Balbis ou Balbes
de la famille des Crillon. Les populations de Caromb, du Barroux,
de St-Hippolyte et de Suzette viennent rendre hommage à leur seigneur.
Fallait-il qu'Etienne de Vesc soit attaché à notre village
pour décider d'y être enterré ! Il est vrai que,
venant des limites du Dauphiné, sa seigneurie de Caromb devait
lui tenir à cœur et que malgré ses titres, ses occupations
guerrières, son éloignement, ses nombreux châteaux
et sa puissance, c'est chez nous, dans notre village et dans son magnifique
château, qu'il se sentait chez lui.
Ce seigneur, enseveli à tout jamais dans notre église,
combien de temps a-t-il pu passer dans notre village ? L'analyse de son
emploi du temps montre qu'avant 1496, il était constamment auprès
du roi et qu'il en est de même durant les deux dernières
années de sa vie. Quelques visites au moment de la construction
du château ou lors de ses nombreux déplacements, peut-être
quelques séjours lorsqu'il s'occupait de sa sénéchaussée
voisine et un bref séjour avant son dernier départ pour
Naples sont prouvés.
Le seul témoignage de ses visites, dans nos archives, apparaît
dans les comptes municipaux lorsque Jean Roque, procureur de la commune,
est acquitté de ses impôts locaux pour avoir parlé
à Etienne de Vesc au sujet d'un moulin que la commune voulait
construire entre les deux tours de son château.
En tout cas, notre village a vécu ces Guerres d'Italie en écoutant
les récits des aventures guerrières de son seigneur.
Nul doute que les gens du château étaient tenus au courant
des principaux évènements de sa vie.
A travers lui, les Carombais ont participé à l'Histoire
de France et de ses rois. N'oublions pas que l'on est toujours en terres
papales, que le Comtat n'est pas la France et que la royauté française
était sûrement très loin de leurs préoccupations
avant Etienne de Vesc.