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L'Histoire :
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 III  1713-1861
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Protestants, capucins et sadajres.
 
d'après Albera Dionigi, et Ottonelli Sergio.
Les ruses de la conversion : la sade du Haut-Varaita.
In: Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d'ethnologie, n°1-3/2000. Migrance, marges et métiers. pp. 33-58;

Présence protestante :

   Dès la fin du XVIe siècle et jusqu'à la Révocation de l'Edit de Nantes, la Castellata connaît une forte présence protestante. Cependant, cette implantation était déjà contrecarrée au lendemain de la publication de cet Édit (1598), parce qu'il interdisait l'exercice public du culte réformé dans les pays situés « delà des monts ». A la lumière d'une telle disposition il fut facile pour l'autorité catholique d'adopter une longue liste de mesures répressives et en particulier de procéder, en 1615, à la démolition du temple de Casteldelfino ainsi qu'à la destruction, en 1618, du chantier de Bellino pour la construction d'un autre temple. A Chianale, le culte est interdit par un décret du Parlement de Grenoble du 16 mars 1685, en avance par rapport au Haut-Chisone (7 mai) et à la vallée d'Oulx (14 mai). Le même décret ordonne la démolition du temple, l'expulsion du royaume de France du pasteur David Jourdan, la condamnation des anciens du Consistoire à des amendes.
   En dépit de cela un temple est présent presque tout au long du siècle dans le village de Chianale, le point de résistance le plus fort de l'Eglise réformée, jusqu'à la veille de la Révocation. Bien que des avantages économiques soient consentis à ceux qui abjurent, le curé de Chianale doit reconnaître en 1685 la présence de 30 familles de réformés sur l'ensemble de la Castellata, pour un nombre total d'environ 180 individus (estimation du même curé) en grande partie résidant dans sa paroisse.
   La révocation de l’Edit de Nantes n’empêche pas la persistance de la dissidence au XVIIIe siècle. A Casteldelfino on ressent une forte influence de la famille Richard, originaire de Chiazale (Bellino), dont le domicile, encore en 1723, semble héberger un véritable temple (25).
(25) Encore en 1705 (le 1er octobre), chez les Richard, est rédigé par le notaire Raymond Tholozan un testament qui, vu l'absence de ces formules de dévotion qui étaient courantes dans la pratique testamentaire, et le défaut d'une quelconque allusion aux institutions catholiques et de tout legs en leur faveur, semble bien d'inspiration protestante. Le testateur, qui laisse 20 livres tournois aux pauvres (des dons de ce type, avant la Révocation, étaient de règle dans les testaments des protestants de la vallée), est Antoine Roux de Chenal, « marchand negotiant à Pau », et il déclare être « sur le point de son départ pour ledit pay de Bearn » (Cuneo, Archivio di Stato, Notaires de la Province de Saluzzo, notaire Raymond Tholozan, vol. 765).
   Dans un document Antoine, rejeton des Richard, est qualifié par le curé de Casteldelfino de  « ministre secret de la religion protestante ». Ses sœurs (d'abord les deux aînées et puis la plus jeune) sont enfermées de force dans un couvent, peut-être à Pignerol, pour y recevoir une éducation catholique, aux frais de leur père Mathieu. Et le même Antoine est obligé de se rendre à Turin pour y effectuer les exercices spirituels prescrits. Mais surtout la hiérarchie catholique n'épargne aucun effort pour empêcher son mariage avec la fille d'un certain Bellon de Rames, paroisse de Chancelaz (Champcella) diocèse d'Embrun, personnage très influent dans le camp protestant. Un tel mariage - lit-on dans une lettre de 1720 du curé de Casteldelfino Jolity – risquerait de retarder, et de beaucoup, la fin du calvinisme dans la Castellata : « le calvinisme ne s'aboliroit peut etre pas dans ce pays après les cent ans, parce que le dit Richard est puissant en cette vallée, et Bellon en celle de Quairas ! »
(Sur les vicissitudes de la famille Richard, cf. S. OTTONELLI, op. cit.ci-après :
Declino ed estinzione della chiesa riformata nella Castella, Valados Usitanos n°30, 1988, p. 29-54)
   Contraints à l'abjuration, les derniers protestants reçoivent l'appellation de « nouveaux convertis », avec toutes les limitations qui en découlent, et sont obligés de prendre part aux offices catholiques. La seule alternative est l'émigration clandestine, qui comporte néanmoins la perte de la propriété. Le 21 septembre 1685 le notaire de Casteldelfino Estienne Tholozan est appelé à faire le procès-verbal de l'abjuration collective des hérétiques de cette localité en présence du curé, d'un capucin et de deux officiers du régiment de Roussillon. L'abjuration concerne sept familles, pour un total de 42 individus.
   Il est fort probable que les premières décennies du XVIlIe siècle aient connu dans la Castellata ces formes de culte clandestin que l'on a appelées « Eglise du désert ». La tradition orale indique, à Pontechianale, dans une bergerie située au pied du Mont-Viso (au lieu-dit Grange Soulières), l’endroit qui aurait abrité les réunions clandestines des « nouveaux convertis ». Il s'agit d'une salle d'architecture tout à fait insolite, qui n'est accessible que de l'intérieur de la bergerie, et qui existe encore aujourd'hui. En 1734, un document des missionnaires cite la réquisition à Chianale de deux catéchismes vaudois imprimés à Genève.

Les capucins :

   Une mission de capucins est à l'œuvre à Casteldelfino à partir de 1603, et une autre commence son activité à Chianale en 1659.
   Une relation des capucins de la mission installée à Chianale dénonce au début des années 1740 la présence de 3 ou 4  familles, en apparence converties, mais encore intimement liées au calvinisme.
  La rivalité de don Tholozan avec les capucins, devenue de plus en plus tendue, se transforma en conflit ouvert. Dans une relation concernant les années 1742-43, adressée à leurs supérieurs par les capucins de la mission de Chianale, on lit nombre d'accusations et d'insinuations à propos de Don Tholozan. En particulier les missionnaires dénoncent l'impossibilité d'une éradication totale du protestantisme à Chianale à cause des relations de parenté qui lient les éléments reformés aux notables locaux et même au curé. Ils proposent donc la nomination d'un curé étranger à la communauté.
   Deux exemples relatés par don Tholozan suffiront pour donner une idée de la situation. En 1744 un différend oppose les capucins aux habitants de Chianale. Les missionnaires « crurent avoir reçu des injures du conseil, et quelques paroles piquantes de la part de quelques particuliers ». Ils portent plainte, en s'appuyant sur les témoignages « des soldats de milice étrangère, gens qui pour un verre de vin déposoient selon la volonté des pères ». Ayant obtenu deux ans plus tard la condamnation des habitants, ils exigent une réparation d'honneur.
Toujours en 1746 les habitants refusent d'offrir comme d'habitude aux capucins le bois pour le chauffage, ce qui provoque encore une fois une réaction musclée. Les missionnaires « ont présentée une requette, à ce qu'on dit, au Roi et par la quelle ils sont parvenus à contraindre la communauté à leur fournir deux milles bouches de bois, et la ramille nécessaire, par une lettre que l'intendant écrivit aux consuls : on fit encore la sourde oreille mais les moines pressoient d'autant plus leur contrainte, jusqu'à la fin l'intendant envoya deux soldats de brigade aux depens de la dite commuanuté, avec ordre de ne point déloger que huit cent bûches ne fussent fournies aux dits peres. Pour obvier aux dépenses on jugea à propos d'obéir à l'ordre, et trois bûches par particulier tant de ceux de Pont que de ce quartier furent portées avec toute la diligence possible. » 

La sade.

   La pratique de la sade, une forme de mendicité organisée dont les origines sont intimement liées aux vicissitudes religieuses du Haut-Varaita, était implantée dans la commune de Pontechianale, et surtout dans le village de Chianale, véritable bastion de la résistance protestante. C'est surtout grâce à un écrit de don Tholozan, pour quelques années adversaire implacable de cette pratique, que nous avons quelques renseignements sur ce phénomène.
   L'introduction de la sade remonte  à la seconde moitié du XVIIe siècle : ce furent les capucins qui, selon don Tholozan, en auraient encouragé la pratique, dans les dernières décennies du siècle, en délivrant des certificats de conversion qui recommandaient les nouveaux convertis à la charité des fidèles.
   Ceux qui avaient reçu de telles attestations descendaient dans le Piémont pendant l'hiver et, en les montrant, arrivaient à soutirer de fortes sommes d'argent. Certains paroissiens, munis de fausses attestations, trouvaient le moyen de s'introduire en Espagne : « et comme ce pays est fort pecunieux, ils en revenoient aussi beaucoup plus chargés d'argent ; l'eloignement, les dangers du voyage, et mille autres inconvénients n'étoient point capables de les arrêter ; ils allaient à ces peuples crédules leur faire croire ce qu'ils vouloient. . . »
   En ce qui concerne Chianale, nous savons qu'ils constituent une partie importante de la population masculine : vers 1740 ils étaient au moins 34, dans ce seul village, la plupart mariés avec des enfants, sur une centaine de foyers.
Les documents de l'avocat Bruno révèlent les noms de trois sadajres détenus dans les prisons de Pignerol. Deux d'entre eux sont originaires de Pont : Pietro Martra et Lorenzo Gaudissard. L'un et l'autre proviennent de la bourgade de Castello, mais seul le premier est à coup sûr identifiable : il s'agit de Pierre Martra feu Pierre inscrit au « Rôlle de taille » de 1746 pour une propriété de très peu de valeur. Le troisième est Guglielmo Falco, de Chianale. Il est quasi certain qu'il s'agit de Guillaume Falques feu Jean di Chianale, inscrit au « Rôlle de taille » de 1746, titulaire d'une propriété immobilière de taille moyenne.

De la répression à la grâce accordée

   Revenons au mémoire rédigé en 1746 par le curé don Tholozan, où il raconte son installation à Chianale et la bataille engagée contre les sadajres. Fortement déterminé à éradiquer le phénomène - « je ruminois jour et nuit pour trouver un moyen de les arrêter » — le curé se rend compte que la seule prédication n'est pas suffisante, et décide de recourir au bras séculier. Son activisme déclenche dans l'espace de quelques années seulement une répression sévère de la sade. Mais en 1740, quand le succès couronne son activité de répression — quelques sadajres sont en prison, une trentaine d'autres ont été condamnés par contumace à des fortes amendes et à dix ans de galère -, don Tholozan change d'attitude et intercède en faveur de ses victimes : « Ce nombre ci-dessus condamné aux galleres étoit dans une grande consternation et presque dans le désespoir ; quoi qu'il sussent que je fus la principale cause de leur affliction ils jugèrent qu'il n'y avait personne plus capable de leur obtenir leur grâce. Ayant formé un corps et faits les fondes d'une vacation ils vinrent me prier instamment de vouloir entreprendre le voyage de Turin pour tâcher de impétrer la grâce auprès du Roi. J'avais de la peine à me déterminer a cela faire, je ne voulois pas les perdre mais bien les sauver, ils avoient presque tous des enfants, j'avois un grand regret de voir leurs familles ruinées : cependant sur les protestations et les serments qu'ils m'ont faits de ne jamais plus revenir à un métier si detestable, je partis. . . ». Il présente un demande de grâce au Roi, et rencontre alors le premier ministre, le marquis d'Ormea, qui manifeste toute sa surprise face au changement d'attitude du curé. Le marquis, quant à lui, avait un penchant pour la manière forte et était de l'avis « qu'il falloit en pendre sept ou huit ». La démarche de Don Tholozan obtient cependant les effets espérés : la grâce est enfin signée par le Roi. Mais il n'est pas encore au bout de ses peines : « Pour jouir de cette grâce il fallut la faire intériner [entériner] au Sénat et il me fallut encore entreprendre un autre voyage dans lequel j'eus beaucoup de chagrin et de peine pour venir à bout de mon dessein, j'y parvins cependant et je remis un peu l'esprit de nos Sadistes, qui de la haine qu'ils me portaient vinrent à une parfaite amitié, mais à peu de reconnoissance ».
   Un document daté du 17 décembre 1741 indique que les Sadajres « ont été graciés de la peine dont ils étaient passibles pour le délit communément appelé Sada ».


Dionigi ALBERTA et  Sergio OTTONELLI
 

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