Chapitre IV.
La guerre de sucession d’Autriche (1742-48).
La mort de l’empereur d’Autriche, en 1740, déclenche une nouvelle
guerre de succession. Les rois de France, de Prusse, d’Espagne, de Naples,
de Pologne et de Sardaigne réclament en totalité ou partiellement
l’héritage de l’empereur. Les alliances se créent : Charles
Emmanuel III fait cause commune avec les Anglais pour soutenir la fille de
l’empereur, Marie-Thérèse, et ils s’opposent au roi de France,
cette fois allié avec les Espagnols [72]
Les "Gallispans", troupes franco-espagnoles, s’opposent aux Anglo-Sardes.
En conséquence du traité de Worms, Louis XV, roi de France,
déclare la guerre à Charles Emmanuel III, avec l’intention
de reprendre ce qu’il avait dû céder au Piémont en vertu
de l’article 4 du traité d’Utrecht.
Pour ne pas faillir à la tradition, nouvelle volte-face de la Savoie
(maintenant devenue sarde) qui s’allie avec l’Autriche en 1742. Echec franco-espagnol
de la tentative de pénétrer dans le Piémont par la
vallée de Barcelonnette, mais ils envahissent la Savoie, le comté
de Nice et passent en Italie. Les Français voient une occasion de
récupérer les vallées perdues au traité d’Utrecht.
On se reportera au chapitre "
Bataille de la Battagliola
"
pour l'histoire de ces formidables batailles du Val Varaita.
Résumé pour l'année
1743.
Pendant l’été 43, les franco-espagnols sont dans le Queyras
et l’Ubaye, alors que les sardes renforcent leurs défenses dans la
Castellata.
Le roi de Sardaigne en personne visite les postes de Pont et de Bellino et
ordonne que les 3000 mules disponibles viennent apporter tout le fourrage
possible, afin que l’ennemi se retrouve sans approvisionnement.
Le col Agnel est franchi le 3 octobre 1743 par 14 bataillons espagnols et
12 bataillons français venus de Guillestre et de Ceillac par le
col de Saint Véran. 25.000 hommes campent à La Chenal (Chianale),
face à Charles Emmanuel installé à Pont, qui a eu
le temps de renforcer ses défenses. La population doit fournir le
foin, la paille et le bois : 50.000 pieds d’arbres seront nécessaires,
un désastre forestier ! Après 3 jours d’arrêt les armés
gallispanes descendent vers le château de Pont. Un détachement
cherche à pénétrer dans la vallée de Bellino,
mais est repoussé par les Piémontais. La bataille tourne
en faveur des Piémontais, faisant 8.000 tués côté
franco-espagnol et seulement 200 pour les piémontais. Les franco-espagnols
retournent par le Col Agnel, harcelés par l’ennemi et repassent
dans le Queyras. A Molines, ils doivent brûler tout ce qu’ils trouvent
: planches et portes de maison pour se protéger du froid. La plus
grosse partie de l’artillerie sera perdue dans le col.
Mais à Chianale, dans les 3 mois qui suivirent, une épidémie
tua 70 personnes sur 500 habitants.
Laissons le Général Guillaume, du Queyras, nous raconter
cette histoire :
« En 1743, dans le Queyras :
Le général espagnol Las Minas dispose de 14 bataillons espagnols
auxquels se joignent, sous les ordres du prince de Conti, 12 bataillons français
venus par Guillestre et Ceillac. Il dispose en outre de 20 canons. Le col
Agnel n'est franchi qu'au début octobre, époque tardive pour
une telle entreprise à si haute altitude. La passe du Crapon ayant
été minée, l'artillerie passe par le vieux col Agnel.
Le 6 octobre, toute l'armée à l'effectif de 25 000 hommes
campe vers La Chenal. Au-delà, elle se heurte aux Piémontais
de Charles-Emmanuel retranchés dans d'excellentes positions. Elle
est rejetée avec de lourdes pertes. Et voici que, brusquement, une
violente tempête de neige s'élève. La retraite est ordonnée.
Harcelée par les Piémontais et leur artillerie, elle ne tarde
pas à se transformer en une déroute complète. L'artillerie
est abandonnée avant d'avoir pu atteindre le col Agnel. Conduite
à Turin, attelée à des mulets pris aux Espagnols, elle
y sera exposée triomphalement ».
Les “Transitons”, cités
par Jean Tivollier, donnent de cette désastreuse campagne la version
suivante : « L'an 1743, au mois d'octobre, dom
Philip, fils du roy d'Espagne, avec son armée étant de cinquante
mille hommes, ont commencé à passer au présent lieu
de Molines, pour s'en aller en Italie, ayant fait un camp au lieu du Serre
appelé la Chirouse et un autre à Costeroux, à la Gravière
des plans, à Revelet, au clot dal Cougnas, au clot de Coste Laurière
; de même, il y en avoit aussi au pont des Marous, au pra dal Bois,
à la Chalp-Ronde, sans compter ceux que nous avions dans les maisons,
plusieurs capitaines et soldats avec leurs ordres et plusieurs artilleries
et brigades dont nous avons été obligés et même
forcez à fournir quantité de foin et de paille et outre le
bois qu'ils ont coupé dans la commune, étant au nombre de
cinquante mille pieds d'arbres, il nous a fallu fournir quantité
de bois, tant pour la cuite du pain de munitions que pour le corps de garde
».
« Quelque temps après,
ayant décampé pour suivre leur chemin, ils sont passés
à La Chenal tranquilles, mais étant arrivés au chasteau
de Pont, le roy de Sardaigne y estant fortement retranchez avec son armée
et ayant fait de grands retranchements, le combat, étant donné
la façon que les canons et coups de fusil de l'armée du roy
de Sardaigne ayant ronflé sur l'armée dudit dom Philip, de
sorte qu'il est resté à la bataille 8.000 hommes, sans que
l'armée dudit dom Philip en aye peu tuer que 200. Il est vrai que
les mignons (ou mignots) en ont tué quelques-uns dans les montagnes.
Dont il y avoit une grande extrémité ; le pain de munition
se vendait 3 livres chaque pain. Et les espions ont rapporté que la
reine Dongrie (de Hongrie) avoit en chemin onze mille hommes, avec douze
pièces de canon pour ayder au roy de Sardaigne et en cela le dit dom
Philip a esté obligé, avec son armée restante, de s’en
retourner sur ses pas et ils ont encore aussy passé au présent
lieu de Mollines dont le passage nous a fayt plus de mal en venant qu'en
allant et ils ont brûlé les planches des couverts, les portes
des maisons, laditte armée estant réduite à l'extrémité
tant pour le pain que pour la gellée de froid qui faisoit en ce temps-là,
qu'il en resta sur la montagne environ 150 hommes et 1’artillerie estant
presque la dernière, ne pouvant pas avancer, les Vaudois lui ayant
donné dessus, et ils ont pris la plus grosse partie de façon
qu il y a des capitaines qui ne leur est resté que l'habit qu'ils avoient
sur le corps et ce sont aussy emparés des canons quy étoit au
nombre de douze grosses pièces, sans y comprendre les petites de campagne.
Ils ont été traduits à Turin, ledit dom Philip a quitté
dicy avec son armée nous ayant réduits en grand dommage ; nous
a laissé aussy plusieurs maladies savoir tant dirrées (diarrhées)
que fièvre maline quy a causé la mort à plusieurs personnes
».
Résumé
de l'année 1744, bataille de la Battagliola.
L’année suivante, le Prince de Conti (français), lance ses
troupes contre les forces de Charles-Emmanuel rassemblées entre la
Stura et la Varaita, dans une offensive qui va de la Tinée au Sud,
jusqu’au Queyras, au Nord.
60.000 hommes et 10 000 chevaux attaquent le Piémont. La colonne du
nord, avec 10 bataillons sous le bailli de Givry, venant de Guillestre franchit
le col du Longuet et arrive au sommet du Val Varaita. Passe-t-elle derrière
la “Salsa”? descend-elle derrière Ferra ou sur la haute vallée
de Ruy, à Bellino?, rejoint-elle le chemin du col de l’Autaret au
Plan de Ciol, d’où arrive sûrement d’autres troupes? et arrive-t-elle
à St Anne, au fond de la vallée, pour remonter immédiatement
vers la crête, vers le col de Bondormir? Le 19 juillet 1744, grâce
au brouillard (à la nebbia), elle surprend les Piémontais,
enlève d’assaut la redoute qui barre la crête étroite
de Pietralunga (Pointe de Battagliola). Même la redoute (terme
militaire) de Montecavallo, forte de 7 bataillons et de nombreux canons,
dut céder après une furieuse et sanguinaire bataille. Bataille
sur les sommets du Val Varaita, descente jusqu’à Sampeyre évacuée
par le roi de Sardaigne.
Après cette bataille de juillet 1744, le bailli de Givry autorise
un sac de trois heures, tant à Château-Dauphin qu’à Bellines.
Le 12 octobre, les Français rentrent chez eux.
Il parait que, pendant plusieurs jours, le torrent Varaita coulait rouge,...
Le Col de l’Autaret vient de subir
la période la plus triste de son histoire. A ces pieds, c’est la désolation
: Bellino est saccagé et nos ancêtres souffrent. Neuf générations
avant nous, ils ont vécu cette période mouvementée.
Nous possédons bien d’autres documents sur cette bataille : les délibérations
des conseils municipaux de Sampeyre et de Château-Dauphin, les rapports
militaires, les noms des responsables du sac de nos vallées. Tous
ces documents sont donnés en annexe.
Plus bas, au Piémont, la résistance sarde se fait autour
de Cunéo et d’Alexandrie, mais ils perdent Asti. La cité
de Cunéo, attaquée par le Prince de Condé et le marquis
Las Minas, fut défendue par Frédérico Leutrum, qui
entra dans la légende comme valeureux défenseur de la ville.
Après 39 jours de siège (13/9 à 21/10/1744), et malgré
la victoire franco-espagnole de la Madone d’Olmo (30 sept 1744), les troupes
durent se retirer de l’autre côté des Alpes, dans la neige
et le gel, en remontant le Val Stura. [41]
Puis, les Sardes envahissent la Provence, en décembre 1746. Battue
et refoulée jusqu’à Fréjus, la France est sauvée
par la révolte de Gênes et les Sardes se replient sur Tende
en janvier 1747. Les Français reprennent Nice et avancent jusqu’en
Ligurie. Batailles dans la vallée de la Roya, à la Turbie et
à Menton. Nice, rançonnée, doit s’endetter pour longtemps
Le général Guillaume nous raconte la suite de la guerre : «
En 1747, une campagne se déroule encore dans la région.
Confiée au chevalier de Belle-Isle qui dispose de 20 bataillons et
de 40 pièces d'artillerie, elle vise à nous emparer des hauteurs
de l'Assiette qui séparent les vallées de la Doire Ripaire
et du Cluson et sur lesquelles les Piémontais occupaient de fortes
positions interdisant de notre part toute progression sur Suse ou sur Pignerol.
Une attaque, pourtant menée vigoureusement, échoue. Les blessés
affluent à Salbertrand. Le repli sur Montgenèvre est ordonné.
Ce nouvel échec subi par nos troupes face aux Piémontais,
représente la dernière tentative de rétablir, au-delà
de la crête des Alpes, le glacis protecteur des vallées vaudoises
qui couvrait jadis le Briançonnais et le Queyras.»
Le désaccord entre le Piémont et la France s’éteint
avec le traité d’Aquigrana du 18 octobre 1748 et s’en était
fini des guerres dans la Castellata, jusqu’à la Révolution.
Le traité d'Aix-la-Chapelle met, en 1748 un point final aux guerres.
Le grand vainqueur en est la maison de Savoie qui, après avoir subi
tant de défaites sur les champs de bataille et avoir vu en 1690-91
ses provinces originaires sur le versant français entièrement
occupées par les troupes françaises, les a progressivement
chassés du Piémont en évinçant les français
du marquisat de Saluces et de Casal sur la route de Milan, en les expulsant
ensuite de Pignerol et d'Exilles, en annexant enfin trois des cinq escartouns
de la république briançonnaise, français de langue,
d'intérêt et de cœur. La France est refoulée, cette fois
définitivement, sur la crête des Alpes et privés de débouchés
sur la plaine piémontaise. Ces succès, remportés
par la maison de Savoie avec des moyens plus que modestes, sont le fruit
d'une longue patience et, surtout, d'une diplomatie strictement réaliste.
On a dit que « M. de Savoie
ne terminait jamais la guerre dans le même camp, à moins qu'il
n'en ait changé deux fois ».
En fait, s'il avait changé de partenaire aussi souvent qu'il pouvait
en tirer quelque avantage, il ne perdait jamais de vue les objectifs que
lui dictait son ambition sans se laisser abattre par les plus cuisants échecs.
Ainsi en fut-il pour Pignerol, son cauchemar, pistolet français braqué
sur sa capitale.
Au Traité d’Aix la Chapelle donc, les Français évacuent
Nice et la Savoie s’agrandit jusqu’à Turin. Marie-Thérèse
d’Autriche garde son empire, sans la Lombardie. La paix s’installe, pour
longtemps.
A partir de 1748, le roi de Sardaigne et son peuple relèvent le pays.
Les places fortes sont reconstruites : Cunéo, Turin, Alexandrie
en bénéficient grâce à un emprunt de 40 millions
de livres ; on reconstruit des routes ; l’itinéraire du Mont Cenis
qui fut imposé et aménagé par les princes de Savoie
au XIIIe siècle, devient le "Chemin des Ducs" et prélude au
tracé des chaussées modernes. Par le "val de Moriana" il double
les lacs par le Nord, traverse le vrai Mont-Cenis (2100 m) et descend vers
la vallée à Lanslevillard par un versant facile, couvert d'une
épaisse fourrure forestière. L’administration réforme,
supprime des servitudes comme celle des mainmortables, soumet au cadastre
des vallées comme celle d’Aoste et lance des travaux d’intérêt
public. La Royale Constitution publiée en 1770 est un premier essai
d’organisation de l’état sarde, mais ne présente pas de changements
révolutionnaires. [72]
Les Accords de Turin en 1760, modifient légèrement la
frontière dans les Alpes Maritimes. Dans cette région côtière,
c’est le début du tourisme : en 1764, le duc anglais d’York
s’installe à Nice, marquant le début du tourisme anglais.