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Chapitre XIII.
L’Empire (1804-1814).
L'Empire.
La retraite.
« L’université
des chèvres ».
La fin de l’Empire.
L'Empire :
Le Sénat français décide la transformation du Consulat
en Empire, le 18 mai 1804. L’empereur ne pouvant être en même
temps président d’une république italienne, la solution
est la création d’un royaume d’Italie. Il est proclamé le
17 mars 1805, à Paris. Le couronnement de Napoléon, pour ce
royaume a lieu le 26 mai, à Milan et le prince Eugéne de
Beauharnais est nommé vice roi d’Italie en août 1805[54].
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Napoléon marque son époque par de nombreuses transformations,
en France, dans les départements cisalpins comme dans le royaume
d’Italie. Dans ce dernier, il impose sa constitution, réforme la justice,
le code civil, et crée le Trésor Public. Il prescrit l’unification
monétaire sur la base d’une parité entre le franc et la lire.
Dans nos vallées, on utilise alors le franc, alors qu’à Milan,
Bologne ou Venise, c’est la lire qui est en vigueur. Comme en France, le
cadastre est établi dans le royaume d’Italie. Napoléon fait
améliorer les routes et, en particulier, continue les travaux des
traversées alpines, comme la création de la route du Simplon
avec ses 24 ponts, 6 tunnels et 1700 m de dénivelé [54].
Après les désordres de la Révolution, l'empire apparaît
comme une période de paix.
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Bellino fait partie des départements
piémontais,
Les pays annexés, n’ont plus de frontières, plus de douaniers,
plus de taxes avec la France. Les produits s’échangent facilement
; les transactions commerciales se multiplient ; les produits français,
blé et vins, deviennent disponibles à moindre coût
; à l’inverse, les produits de la montagne, fromages ou vêtements,
trouvent preneur côté français.
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La commune de Bellino fait partie des departements du Piemont
et plus particulièrement
de celui de la Stura (Sture, en français),
et de l'arrondissement
de Saluces
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Ce tampon est présent sur
tous les actes des notaires de Bellino à cette époque
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Les nouveaux « Français » découvrent une liberté
inconnue avec le régime du roi de Sardaigne : on peut s’instruire
ou trouver des emplois, acheter des biens plus facilement qu’avant, pour
peu que l’on soit travailleur.
Mais la guerre, qui s’éloigne de la région, réduit
le nombre d’hommes disponibles dans les montagnes alpines comme ailleurs.
Ce sont les victoires d’Austerlitz en République Tchéque (1805),
Iéna en Allemagne (1806), Eylau en Russie (1807), Wagram en Autriche
(1809), et la Moskowa, aux portes de Moscou. En 1811, l’empire français
couvre toute notre région, jusqu’à Milan, Bologne et Rome.
La période d’extension maximale de l’empire est en octobre 1812.
Les départements français
en 1812
Notons, au titre des catastrophes naturelles, les grandes inondations
des années 1810 et 1811 dans le Val Varaita. Tous les ponts sont
emportés et seul un pont de pierres assure les communications entre
Saluces et Cunéo.
La retraite.
Les ennemis de Napoléon incendient Moscou, pratiquant la politique
de la terre brûlée, et Napoléon doit se replier. C’est
la retraite de Russie, fatale à un grand nombre de ses soldats.
Il perd la bataille de la Bérésina en Russie (1812) et bat
en retraite.
Combien de conscrits sont recrutés par la Grande Armée entre
1804 et 1814? Tous les français âgés de 20 à
25 ans devaient un service militaire. Chaque département fournissait
un nombre de conscrits défini par le ministère de la guerre.
Certains soldats restèrent dans l’armée de 1798 à 1814,
sans interruption. De 1804 à 1815, 1.500.000 français sont
soldats : la circonscription demandait que l’on lève, en 1805, quatre
conscrits pour 1000 habitants en France (et donc à Bellino), puis
trois en 1809, puis 10 entre 1810 et 1814.
Aux même périodes Napoléon impose des chiffres beaucoup
plus importants au royaume d’ Italie ( 16, 18 puis 22), soit de deux à
quatre fois plus. Cela rencontre une vive opposition, multiplie les réfractaires,
insoumis et déserteurs.[54]
Notons de grandes différences, du point de vue économique,
entre les diverses régions : sous l’empire, période de prospérité
économique et croissance du tourisme à Nice et aussi, de
1811 à 1817, période de disette générale dans
le Queyras.
L’épopée napoléonienne, la création du royaume
d’Italie, les réformes ont, comme en France, profondément
changé la physionomie de la péninsule italienne. Napoléon
exploita cependant le royaume d’Italie comme une colonie. La péninsule
resta un pays essentiellement agricole et l’industrie, pour le moins, ne
progressa pas. Elle participa largement aux dernières campagnes :
36.000 soldats italiens sont tués en Russie, sur un total de 66.000
soldats tués (et aussi, 20.000 soldats tués des départements
français d’Italie). Pendant la campagne d’Allemagne de 1813, seulement
3.000 soldats italiens revinrent sur 28.000 [54].
Nous avons sûrement perdu quelques ancêtres dans ces périodes
agitées. La France s’étendant largement sur l’Italie, nos
familles du Val Varaita étaient soumises au même conditions
napoléoniennes de recrutement que dans les autres départements
français.
La période napoléonienne n’arrête pas les flux migratoires
de nos vallées : le préfet des Hautes-Alpes note qu’entre
1807 et 1808, sur 4.319 migrants d’hiver du Briançonnais et du Gapençais,
il y a
- 705 instituteurs
- 128 colporteurs
- 501 peigneurs
de chanvre
- 254 bergers
- 469 charretiers
de ferme ou terrassiers
- 56 marchands
de fromage
- 28 mégissiers
- 83 charcutiers
- 404 aiguiseurs
- 25 voituriers
- 6 porteurs de
marmottes
« L’université
des chèvres ».
Les instituteurs sont en nombre, et comme le décrit ce préfet,
cela s’explique, à priori, par les hivers que l’on passe à
« lire, écrire et compter », chacun payant suivant ses
revenus, et explique que l’on trouve facilement des juges de paix et des
maires dans les villages montagnards. Il fait remarquer que certains instituteurs
sont âgés de quinze à dix-huit ans et qu’ils récoltent
pendant l’hiver, entre cinquante et cent francs, alors que les plus expérimentés
rentrent chez eux avec quatre cents francs, et au-delà,…
Le sous-préfet de Suse adresse un mémoire au général
Jourdan, en l’an X et explique que le collège d’Oulx est une pépinière
d’instituteurs que les hautes vallées fournissent au midi de la
France : de même le préfet du Briançonnais, en l’an
IX, signale que « chacun sent le besoin d’être instruit ».
Nous avons vu que le besoin d’instruction vient de loin. Les enquêtes
sur l’alphabétisation historique de 1972 ont montrées, à
partir du pourcentage d’actes réellement signés, qu’il y
a une corrélation significative entre alphabétisation, niveau
scolaire et altitude.
Entre 1686 et 1690, c’est en Hautes-Alpes que l’on trouve le plus d’actes
signés. Sous Louis XIV, 64% des hommes signent leur acte de mariage,
74% sous Louis XVI et entre 76% et 92% autour de l’année 1830.
L’existence, depuis des temps reculés d’écoles communales
dans les hautes vallées a joué un rôle important. Le
phénomène religieux, vaudois en particulier semble y être
aussi pour quelque chose, les enquêtes montrant des différences
entre les milieux protestants et catholiques, en particulier dans les vallées
piémontaises. Mais la grande différence est entre la
montagne et la plaine.
Une autre explication est avancée : elle est lié aux pratiques
migratoires hivernales et au besoin d’un savoir, d’une pratique que facilite
la communication sociale à distance, permet de maintenir vivantes
les attaches familiales pendant les longues séparations, et facilite
la vie dans un milieu différent. Le savoir devient un gagne-pain
et non une position sociale privilégiée.
Le savoir n’est pas le seul critère de différentiation entre
les habitants des montagnes et ceux des plaines. La mortalité enfantine,
par exemple est moindre dans les hautes vallées : pureté
des eaux, bon air et moindre densité de population sont autant d’éléments
qui expliquent la faible mortalité.
Nos « bons montagnards » que l’on décrit souvent comme
« fermés » vivent dans une économie plus ouverte
qu’il n’y paraît, pas seulement agro-pastorale. Le commerce et l’artisanat
font partie de leurs métiers, au moins en hiver et ils sont ouverts
au monde extérieur. Déjà cultivés, le monde
leur appartient.
La fin
de l’Empire.
L’épopée napoléonienne est terminée, les Alliés
marchent sur Paris et l’empereur doit abdiquer en avril 1814.
Victor Emmanuel
Ier
5ème roi
de Sardaigne
(1802-1821)
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Le 27 avril 1814, le prince Borghese, gouverneur du Piémont, apprenant
l'abdication de Napoléon le 6, accepte de céder la place
à un conseil de Régence, chargé de préparer
le retour des Savoie. Depuis le 16, déjà, Nice avait acclamé
Victor-Emmanuel ler. Le 19 mai, le roi, qui a quitté la Sardaigne,
fait son entrée à Turin. Dès le 30, il obtient, au
premier traité de Paris, la restitution du Piémont, de Nice
et de la Savoie. Le même jour, les dernières troupes françaises
quittent Nice.
Bellino repasse
dans le Royaume de Piémont-Sardaigne, retrouve la lire et l’italien
comme langue officielle.
Les autrichiens se rendent maître de la Savoie. Ils défilent
sur le Mont Genèvre et le repassent assez vite en sens inverse, non
sans avoir entre temps assiégé Briançon, toujours
protégée par ses murailles de Vauban, et Montdauphin sous
le commandement du capitaine Cabriès..
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Le roi de Sardaigne eut l’idée
de fermer le col du Mont Genèvre par une grande muraille. La France,
disait un rapport à l'Institut, « est ainsi séparée
du Piémont par une espèce de muraille de Chine, également
préjudiciable aux deux pays, comme tous les obstacles artificiels
qu'ont élevé entre les peuples les préjugés
belliqueux ou l'esprit mercantile. Des peuplades entières de voisins
sont condamnées à vivre plus isolées les unes des autres
que si elles étaient séparées par la largeur de l'océan.
On ne peut se rien acheter ou vendre. Et comme si ce n'était point
assez des précipices, des roches et des neiges pour diviser des hommes
que leurs besoins auraient réunis, les habitants de ces pays frontières
vivent en quelque sorte dans l'état de siège, sous l'autorité
permanente de la douane, dont les préposés occupent toutes les
avenues du pays. »"
Napoléon est à
l’île d’Elbe. Le Traité de Vienne est signé en 1815.
La Sardaigne ajoute Gênes à ses territoires et devient “Maison
de Savoie”.
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