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Chapitre II.
Les peuples.
Les premiers sentiers.
Empruntant
les voies naturelles, telles que les cols, les baisses, ils ont d'abord
été tracés par les déplacements des chasseurs
puis se sont plus fortement marqués par les passages fréquents
des hommes et des troupeaux, jusqu'à devenir des passages plus larges,
des chemins. Le long de ces chemins se sont fixès les premières
communautés.
Les Ligures.
Vers l'an -900, croit-on, la métallurgie du fer commença
de se répandre sur la région L'ensemble des populations
porte commodément le nom de Ligures, Ils paraissent représenter
« le plus ancien peuple de l'Italie, dont la tradition ait conservé
le souvenir ». Ces hommes compensent leur manque de blé par
les produits de la chasse. Ils escaladent les montagnes comme des chèvres.
Ceux qui habitent les montagnes vivent de viande et de plantes, car il
n'y pousse pas de blé.
Il est difficile d’attribuer
une signification ou une date exacte à la hache de l’époque
du Bronze retrouvée, isolée, à l’embouchure du Val
Varaita, à Costigliole di Saluzzo, au
siècle dernier, par B Gastaldi. [4].
Depuis le Xe siècle, l’Italie du Nord voit se développer
plusieurs civilisations : Golasesca en Lombardie et Villanova
entre Pô et Appenins.
Ces Ligures occupaient alors
la Ligurie actuelle, une grande partie du Piémont actuel, et jusqu’à
la mer. Ils dominaient la partie méridionale et occidentale de la
zone cisalpine. Le témoignage de leur présence se fait à
travers la toponymie des noms locaux, comme Alba, Libarna, Dertona, Vercelli,
par les noms des fleuves comme Stura, Pô, Doria (Doire) et Sesia.
De même les noms des tribus, Statielli, Laevi, Bagienni et Salassi
et encore les suffixes en -asco, -inco, -ello, sont ligures. Le suffixe -asco
est particulièrement caractéristique, car il est associé,
la plupart du temps, au territoire des antiques Ligures : on le trouve effectivement
dans tout le Piémont : à l’ouest avec Airasca, Cercenasco,
Carvignasco, au sud avec Cherasco, Bagnasco, à l’est, avec Brusasco
et au nord avec Mercenasco, Tavagnasco et Grignasco.[17]
Dans le Queyras, les traces
préhistoriques ne remontent pas plus loin qu’au IXe siècle
avant J.-C.., attestant le passage, sinon le séjour, de l'homme
dans cette région. Les principales trouvailles archéologiques
sont faites au Meyliés (vases, ossements, morceaux de cuivre), à
La Chalp (urnes, objets en bronze), à l’Echalp, à Saint Véran
où on trouve une tombe avec ossements humains, torques et bracelets,
aux Escoyéres (vase, ossements), et enfin à Ville Vieille
(Pierre-fiche celtique). [14]
Dans le Val Varaita, les traces
de l’Age de Fer ont été découvertes il y a quelques
dizaines d’années (1937) : elles sont concentrées dans la
petite nécropole de Castello di Pontechianale (environ 1600
m d’altitude), comptant 20 tombes. L’unique tombe sauvée nous montre
un cercueil de pierre qui semble daté du début du second Age
de Fer. Ceci semble la preuve que les rapports économiques entre les
deux versants des Alpes Cozie étaient constants.
Environ cinq siècles
avant J.-C., les Ligures s’installent dans la région de Saluces
et dans les vallées du Pô, de la Varaita, de Macra et
de Grana, fondant, dans la plaine piémontaise, à proximité
de l’actuelle Bene Vagienna, une cité qui se nomme Augusta Vagiennorum.
Ces Bagienni ou Vagienni se déversent ensuite dans le Queyras.
Pline, dans son «
Histoire Naturelle », indique que les
Vagienni trouvent leur origine chez les Caturigues, tribu ligure des environs
de Chorges (Hautes-Alpes) : ils occupent le Queyras et, de là, par
une seconde émigration, se déversent sur la plaine de Saluces,
peuplant au passage les vallées Varaita, Pô, Macra et Grana.
Ceux qui occupent la plaine se nomment «
Liguri Vagienni » et ceux qui restent dans les montagnes, les «
Liguri Montani »
(3)
. Pline indique leur origine commune par ces paroles : « Ex
Caturigibus orti Vagienni Liguri et qui Montani vocantur ».
Dans ses écrits,
Cicéron décrit ces populations comme des personnes
rudes, saines, robustes, de bonnes coutumes, dévouées à
l’agriculture, mais contraintes de travailler très dur pour gagner
leur pain
(4, 5)
. Les Liguri Montani mènent une vie très patriarcale
: ils se contentent d’une habitation simple pour se protéger du
froid et des intempéries et se consacrent à la culture de
la terre et à l’élevage. Ils utilisent la houe, la bêche,
et la charrue. Ils défrichent les terres autour de leurs habitations,
les rendant de plus en plus fertiles par leur travail. La femme s’occupe
des travaux domestiques (déjà !) mais, en période de
gros travaux, laisse sa cuisine pour prendre la bêche ou le râteau.
L’élevage fournit le lait et la viande pour se nourrir, la peau
pour se couvrir les pieds et les jambes, et la laine pour se vêtir.
Ils ne connaissent pas encore le lin ou le chanvre. La laine de leurs moutons
est très appréciée pour sa splendide blancheur et est
recherchée. En ce temps là, il se faisait une grande consommation
de laine ; Varone, dans son livre « le roi rustique », raconte
que les Tarentini envoyaient leurs moutons aux pâturages couverts
de peaux, pour garder à la laine sa couleur naturelle : «
oves propter lanœ bonitatem pellibus integuntur ne lassa inquinetur
».
On dit aussi que les «
Galli Salluvii » abandonnent
leurs lieux d’origine, en Provence, pour se procurer d’autres pâturages
et d’autres lieux de vie. Franchissant les sommets des Alpes Maritimes,
ils montent jusqu’au Monviso et s’introduisent dans le Val Varaita où
ils se mélangent à la population ligure existante.
Les Liguri Montani de la
partie supérieure de la vallée mènent alors une vie
simple et isolée du monde et conserveront longtemps leur liberté
et leur indépendance .
Gravures rupestres de Chianale
De nouveaux envahisseurs, les Celtes, à partir de - 650 environ,
installent de nombreux groupes dans le Bas-Dauphiné et la vallée
du Rhône, et quelques-uns vont dans les Alpes. Ces peuples celtes,
nos ancêtres les Gaulois, ont profondément marqué la
toponymie. On retrouve facilement aujourd'hui leurs noms de villes (Senomagus
donne Saint-Pierre de Senos ; Caturigomagus donne Chorges) ou le nom des
groupes de peuples qu'ils avaient formés : les Vertamocori (Vercors),
les Quariates (Queyras), Brigianii (Briançon)...
“Dans les Alpes, à la fin du Ve siècle et le début
du IVe, des couches de cendre et des restes d'incendie indiquent l'arrêt
du trafic du Lautaret, et sont la preuve des violences que l'on attribue
à l'arrivée des Gaulois (époque de la Tène).
Dans
quelle mesure les Celtes se sont-ils ajoutés à l'ancien
peuplement alpin ? II semble qu'on doive leur attribuer un apport assez
substantiel. D'autre part, les Gaulois qui se sont installés dans
la plaine du Pô vers 400 avant J.-C, avaient traversé les
Alpes et ont dû y laisser au moins des arrière-gardes.
” [20]
Se créent alors les celto-ligures,
croisement des deux peuples. Le Queyras est peuplé, plusieurs siècles
avant J.-C., par une de ces tribus celto-ligures, les Quariates, à
tendance fortement ligure.
Côté italien,
depuis le IVe siècle av J.-C., les Celtes ont pénétré
le haut Piémont. Nous ne savons pas si le contact avec les populations
locales a été conflictuel ou bien s’ils se sont fondus avec
les Ligures. Il en résulte une véritable mosaïque d’ethnies,
sans que l’on puisse distinguer entre les Celtes et les Ligures, soit par
manque de documentation, soit parce que les historiens antiques (Livio,
Polibio, Strabone) n'ont pas laissé de traces de cette arrivée
gauloise [17].
Avec l’apparition de la
culture dite Golasecca 2, et avec l’invasion des Gaulois, les Ligures
se replient au-delà de la Doire Baltée et au sud du Pô,
sans que l’on puisse exclure une absorption graduelle et pacifique de ce
peuple, soit avant, soit après l’arrivée des romains. Le fleuve
Pô semble avoir été une frontière entre les deux
ethnies, Celte et Ligure, pendant un certain temps.
Il est cependant prouvé, qu’au nord du Pô, il reste des
enclaves ligures et, de même, au sud, il y a des infiltrations celtiques,
comme à Chieri [17].
La population celto-ligure
se regroupe en tribus, parmi lesquels on peut distinguer :
- les Taurini, sur
l’actuelle province de Turin,
- les Bagienni dans
la zone de Mondovi, Cuneo, Saluzzo et Bra,
- les Caburrenses
(ou Caburriati), avec un centre à Caburrum, occupaient le pays
entre le Pellice et le Pô,
- les Ocelenses et
les Lancenses, dans les trois Stura,
- les Laevi, entre
Chivasso et Trino, aux pieds des collines de Monferrat,
- d’autres tribus
sont éparpillées ça et là, occupant des zones
plus limitées. La vallée de Susa (Suse) accueille une tribu,
qui quoique d’origine ligure, subit de profondes transformations par les
fréquents contacts avec la population d’origine celtique.
Du côté du Val Varaita, ce sont les
Liguri Montani qui peuplent la vallée, bien que très
peu de références soient faites à ce nom. Les
Bagienni semblent être les plus proches voisins, en bas de la
vallée, à moins qu’ils occupent eux même la haute vallée
[17].
L’apport de l’archéologie du Piémont atteste, sur un fond
de culture ligure, la présence des celtes, comme celle de Gravellona
Toca d’Ossola et de Belmonte en Canavese. La documentation numismatique
(monnaie gauloise, pièces de Marsiglia (Marseille) du IIIe siècle
av J.-C.), montre des traces d’importations et d’échanges nord-sud
assez convainquants pour imaginer les chemins des trafics marchands terrestres
ou par les ports de la Méditerranée. Les Etrusques ont laissé
des traces sporadiques, mais significatives de leur présence depuis
le Ve siècle av J.-C., au sud du Pô : inscriptions étrusques
de Mombasiglio, Movozzo et Busca..[17]
Ces trouvailles archéologiques semblent suggérer, pour le
second âge du Fer, une différence due au facteur environnant
(plaine - montagne). Il semble que la communauté qui occupe la zone
alpine et préalpine a un contrôle complet des potentialités
de son environnement, par l’exercice des pâtures, de la transhumance,
qui s’accompagne de l’exploitation des ressources minérales. Ces
activités favorisent les contacts avec l’autre versant des Alpes
et cela contribue à créer, une fois pour toute, sur la zone
montagneuse franco-italienne, un écosystème unitaire [17].
Les centres celto-ligures montrent de modestes installations de caractère
défensif (castella, oppida).
Les Alpes subissent l’influence des
nouveaux venus sur leur peuplement, sans que ce “vernis” prenne de l’épaisseur.
Il en sera de même lorsque les Romains s’installeront. Les hommes
des Alpes restent bruns, de petite taille, caractéristiques que l’on
conservera, dans nos vallées, jusqu’à nos jours.
L’épopée
d’Hannibal.
La première grande histoire concernant la traversée des
Alpes est celle d’Hannibal. Au cours des guerres entre Rome et Carthage,
Hannibal, part d’Espagne avec 38.000 hommes, 8.000 cavaliers et 37 éléphants.
Son itinéraire n’a pas été reconstitué exactement,
mais son passage au nord d’Orange semble certain. Il traverse le Rhône,
la Provence, puis les Alpes (218 av JC), par un col difficile à
identifier :
En 1860, M. Ch. Chappuis, professeur de philosophie
à la faculté des lettres de Besançon, a adressé
un rapport (impr. et libr. Paul Dupont, in-8°) très intéressant,
très complet sur la mission dont le ministre l’avait chargé.
C’était précisément la recherche du dernier mot de la
question posée par M. de Montardif. Ce rapport est malheureusement
fort rare, ayant été tiré à très petit
nombre ; il est de 48 pages. La conclusion de l’auteur, étayée
sur les textes anciens et sur la configuration des lieux, étudiée
avec un soin extrême et avec des concordances extrêmement frappantes,
est formelle : Selon M. Chappuis, Hannibal traversa la Durance à
l’entrée de la vallée de Barcelonnette, où il pénétra
par le col de Pontis. Il combat les Gaulois à Saint-Vincent, au Lauzet,
remonte la vallée jusqu’au Chatelard de Périne, passe le col
de Rouve et est arrêté au passage de la Barricade, sur la Varaita,
à une heure et demie de Bellino.
Là,
son armée se trouve prise : "Stant clausi, dit Silius Italicus" ; ils
ne peuvent ni avancer, ni reculer. C’est alors qu’Hannibal fait attaquer le
rocher (schiste) par le feu, par l’acide et par le fer et les troupes franchissant
l’étroit défilé ouvert en trois jours, débouchent
par la vallée de la Varaita dans les plaines italiennes, après
avoir perdu près de 20.000 hommes du Rhône au Pô.
Dans
un travail sur la vallée de Barcelonnette, publié en 1862 (Durand,
Paris), Chappuis développe encore son argumentation, qui paraît
décisive.
On
sait que beaucoup de cols alpins revendiquent le passage d’Hannibal et que
certains n’ont pas hésité à sceller une plaque commémorative
sur les rochers de leur col pour donner plus de poids à leurs arguments.
Soit,
ajoutons le col de l’Autaret à cette longue liste.
Mais revenons
à Hannibal : la descente du col fut difficile à cause de la
neige, du froid, des avalanches et des attaques des tribus locales. Seulement
20.000 fantassins, 6.000 cavaliers et 7 éléphants survécurent
à cette traversée. Sur le versant oriental des Alpes, il trouva
une autre peuplade celto-ligure, les Taurini, qu’il dût combattre.
Hannibal descendit toute
la botte italienne et rentra à Carthage par la mer.
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