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Chapitre I.
L’EVOLUTION DES ETATS AU DEBUT DU XIIIe SIECLE .
La population
:
Pays d'Oc.
L’extension du
Dauphiné.
La Castellata.
Saluces et la
succession de Manfredo II
.
Extension de
la Savoie.
La Maison d’Anjou
en Provence.
Les Anjou passent
en Piémont.
Les cols alpins.
Thomas Ier,
de Saluces.
Le dauphin
en Briançonnais, en Queyras et Castellata.
Présence
de nos noms de famille (1260).
La population :
La population, à cette époque n’est pas très nombreuse,
l’Italie entière compte environ dix millions d’habitants. Par contre
les Alpes sont déjà très peuplées.
Pays d'Oc.
Du point de vue linguistique, dans les provinces du sud et jusqu’aux
plaines piémontaises, on utilise la langue d’oc. Dans les écrits,
le latin est détrôné par l’occitan : c’est la langue
utilisée, dès le XIIe ou XIIIe siècle pour les délibérations
et les comptes municipaux.
Notons qu’à cette époque, un grand Etat Occitan aurait
pu se créer, des Pyrénées aux contreforts alpins
piémontais, lors de la constitution de la grande coalition occitano-catalane
(13 janvier 1213) qui regroupait le comte de Toulouse (Raymond VI) avec
ses terres de Provence, le comte de Foix, le comte de Comminges, le vicomte
du Béarn et le roi d’Aragon. Opposés au roi de France et
bien supérieurs en nombre, ils subissent une imprévisible
défaite à la bataille de Muret, près de Toulouse,
le 13 septembre 1213 qui arrête leur domination sur le Sud de la France.
L’extension du Dauphiné.
Au moment ou la vallée de Bellino devient dauphinoise, poursuivons
l’histoire de la Maison des Dauphins. Les historiens distinguent trois
« souches» de dauphins :.
- La première,
déjà vue, s’est terminée vers l’an 1146,
- La deuxième,
commencée à cette date, sous Guigues Andréa, fils
de Ugo III duc de Bourgogne et de Béatrice, dauphine se poursuit
jusqu’à 1282, à la mort de Jean Ier.
- Nous verrons plus tard
la troisième souche, qui commence lorsque la sœur de Jean Ier, Anne,
donne en dot tout le Dauphiné à Humbert de la Tour du Pin.
Pendant le règne de la première «souche», l’extension
dauphinoise a commencé par l'installation en Grésivaudan
(l'ancien “ Pagus Gratianopolitanus” ou pays de Grenoble) au détriment
des évêques de Grenoble, notamment de saint Hugues,
titulaire du siège de 1080 à 1132. La rivalité
fut longue, le succès longtemps incertain et bien des étapes
en restent obscures. Toujours est-il que Guigues III “le comte” signa en
1116 avec saint Hugues, un accord qui stipulait un
partage d'autorité sur la ville de Grenoble, mais la souveraineté
du comte d'Albon était reconnue sur le Grésivaudan, «
qui doit s'entendre au sens large, c'est-à-dire non seulement l'Isère
moyenne, mais les passages qui tendent vers le Briançonnais et la
Durance, Oisans d'une part, Mateysine et Trièves de l'autre ».
Le mariage, moyen politique bien connu des monarchies, est utilisé
par les dauphins : Guigues VI épouse, en ce début du XIIIe
siècle (1202), la petite-fille du comte de Forcalquier qui lui apporte
en dot l 'Embrunais et le Gapençais, heureux
prolongements du Briançonnais.
Sous la deuxième souche, Guigues Andréa épouse Béatrice
de Monferrat et a deux fils, Guigues (qui lui succède) et Giovanni
(mort jeune) et une fille Anne qui épouse Amédée
IV, comte de Savoie. Il prend part à la Croisade des Albigeois,
s’allie avec Monferrat contre Milan et, en 1228, est un opposant à
Turin, Pinérol et Tortona. Il meurt le 14 mars 1237.
Le mariage de son
fils, Guigues VII avec Béatrice de Savoie, fille du comte et d’Agnés
de Faucigny (descendante de St Louis), en 1241, apporte au Dauphiné
le Faucigny, les vallées de l'Arve et du Giffre. Ceci sera la source
de conflit brutaux avec les comtes de Savoie.
Un troisième mariage agrandira encore le Dauphiné
: celui d’Anne avec Humbert Ier, de La-Tour-du-Pin. Ce sera le début
de la troisième «souche».
La Castellata.
Lorsque le dauphin de Vienne apparaît dans la Castellata, vers 1210,
celle ci est divisée en deux parties :
- Le dauphin du Viennois,
occupe les montagnes centrales limitées par les deux Varaita.
La limite, va du col de Maurin jusqu’à Château-Dauphin. Le
territoire est constitué des deux versants de ces montagnes : celui
qui descend vers la Varaita de Pont et celui du descend vers la Varaita
de Bellino. On y trouve les bourgs de San Eusébio, et dans la vallée
de Bellino, ceux de Celle, Prafauchier et Gardetta. Les granges de Vautour,
le col de Bondormir sont alors au centre de ce domaine.
- Le marquis de Saluces
garde le reste de la Castellata, avec les bourgs Chaudanes et Bertines
sur la commune de Château-Dauphin, S. Giacomo de Bellino (Ribiera),
et le bourg de Castello de Pont.
Il existe d’autres bourgs dans les vallées, mais ceux-ci sont
les plus cités dans les documents historiques.
Le marquis, comme le dauphin,
se sont donnés le libre-passage sur leurs terres car, avec un tel
découpage, chacun doit transiter sur les terres de l’autre : de Celle
di Bellino à San Eusébio, le chemin traverse la Varaita, par
un pont.
Pour le Dauphin, cette
acquisition partielle de la Castellata n’est pas d’une grande valeur,
mais sur le plan politique, le site, de l’autre côté des Alpes,
va lui permettre de surveiller ce qui se passe entre les divers petits
Etats divisés du Piémont, d’être à l’écoute
des litiges et d’être prêt à intervenir si l’occasion
se présente, pour accroître son domaine.
Il est certain que
le dauphin Guigues Andréa, en 1228, améliore ses défenses
dans la vallée par la construction du fortin Ponte Bellini, à
Bellino, sur les premiers gradins des contreforts de Piétralunga,
face au bourg de Ribiera, pour défendre le pont qui enjambe
la Varaita et relie les deux Etats. C’est un petit château, avec
une cour intérieure entourée de murs, qu’il fait construire
avec sûrement quelques idées d’expansion derrière
la tête. Un document officiel de la Maison du Dauphiné «
Castrium Delphinatus Pontis Bellini »,
c’est à dire «château du dauphin au Pont de Bellino
» décrit cette construction. Certains historiens
confondent Pontis Bellini avec Pont
de Pontéchianale , en particulier Casalis dans son «d
ictionnaire géographique et historique » indique que
Pontes-Bellini est le château de Pont.
On attribue la construction du
château de Saint-Eusèbe, sur le rocher qui domine les deux
vallées Varaita, au dauphin Guigues André VI qui gouverna
de 1228 à 1237. Le fort s’appelait Château-Dauphin et la ville
de Saint-Eusèbe prendra bientôt ce nom.
Saluces et la succession
de Manfred II.
Après la cession d’une partie de la Castellata au dauphin, par Alasie
son épouse, Manfred II, revenu à Saluces, réunit des
troupes pour s’opposer aux provençaux qui, en 1210, assiègent
Cunéo. Après diverses batailles, il est contraint d’évacuer
le lieu, n’ayant pas obtenu l’aide escomptée du marquis de Montferrat.
Celui-ci est occupé à guerroyer contre les « Astigiani
». La ville de Cunéo passe à Raimond de Provence, est
détruite et ses habitants dispersés. Elle sera reconstruite
en 1231.
Mélancolique d’avoir
perdu une place si importante, Manfred meurt quelques années après,
en février 1215. Ce fut un homme de grande valeur, de grande religion
et de piété.
Lui succède son petit-fils
Manfred III, Manfredino, à peine âgé de plus de 10 ans,
car son fils Boniface est mort depuis trois ans. Le marquisat est alors
gouverné par sa mère Alasie et Guido di Piossasco, seigneur
et vassal principal du marquisat.
La régente, avisée
et sage, mène une politique d’alliances, unit ses anciens confédérés
et après une dure bataille, conclue la paix, côté savoyard,
puis se tourne vers Cunéo. Elle fait réduire cette place en
1216, et Cunéo revient à son petit-fils. Cette noble dame
souhaite revenir à la tranquillité sur son domaine, sert l’Eglise
en compensant, par exemple, les dommages causés au monastère
de Staffarda par les guerres récentes, et pense agrandir le domaine
du marquis par l’acquisition de nouvelles terres.
Elle reçoit l’hommage de Baldretto, seigneur de Venasque et de ses
frères Manfred et Guillaume pour toutes les terres qu’ils possèdent
dans le Val Varaita, c’est à dire pour les terres situées
entre la ville de Venasque et le bas de la vallée. Acceptant cet
hommage, elle leur accorde aussitôt l’investiture sur ces domaines.
Sur le plan religieux, Manfredino,
qui était pupille en 1220, donna Rifreddo à Agnés pour
qu’elle fonde un monastère de religieuses de l’ordre de S. Benedetto,
sous le titre de Santa Maria di Rifreddo. C’est le premier monastère
de religieuses connu dans le marquisat de Saluces.
Le 5 mai de l’année suivante, Alasie reçoit de l’empereur
Frédéric II, l’investiture pour le marquisat de Saluces, avec
ses droits, raisons et pertinences, le droit de tutelle, de défense
et de protection de l’Eglise, de duel, de combattre et de tournoi, et la faculté
de battre monnaie. Ce diplôme impérial montre que le marquisat
de Saluces est entouré des comtés de Provence, du Dauphiné,
du comté de Savoie par ses terres du Piémont, et du marquisat
de Montferrat.
Poursuivant son objectif de
paix, la régente ne supporte pas les dissensions entre le marquisat
et le comte Thomas de Savoie. Elle négocie un nouvel accord, et par
le traité du 4 mars 1223, on convient que, à brève
échéance, le marquis épousera Béatrice, petite
fille du comte et qu’il prêtera hommage pour ses terres et ses nouvelles
acquisitions. Par cet acte, le comte de Savoie se fait reconnaître
comme seigneur supérieur pour une partie du marquisat, à savoir
Bargies, Revel, Busca, Scarnafix et Bernesse.
Mais Alasie n’est pas au bout
de ses peines : à peine cinq ou six années après ce
traité conclu avec la Savoie, des divergences apparaissent avec Guigues
André, le dauphin, au sujet de possessions en haute vallée
Varaita : le dauphin, pour étendre son Dauphiné cisalpin et
avoir plus libre accès à ses terres par le col Agnel, a acheté
à un certain Amédéo Fantino, les terres qu’il possède
sur la commune de Pontechianale, a augmenté, de façon exorbitante,
les droits de passage, et pousse les limites de son domaine. Le marquis réagit,
déclare qu’il possède le lieu de Pont et présente,
entre autres, les actes de donation d’Urtica de Verzuolo à la comtesse
Alasie et les concessions des seigneurs de Venasque.
Pour trancher dans ce conflit,
les deux parties en appellent, amicalement, à la décision
de Boniface, marquis de Montferrat, lequel examine attentivement la question,
étudie les documents fournis par chacun et rend sa sentence à
Pignerol, en août 1230 : Manfred conserve ses biens tels qu’indiqués
par Daniel de Verzuolo et Girardo de Venasque, et le dauphin conserve ce
qu’il a acheté à Amédéo Fantino. Ayant réglé
le problème, les partis nomment des observateurs (30) qui sont
:
•
Guido de Piossasco, Guglielmo de Moretta, les frères Manfredo et
Guglielmo de Venasque, pour le marquis de Saluces,
•
Guizo Alamanno, Oberto Manzio, Isert de Bremont et Bonifacio de Valle pour
le dauphin.
La comtesse Alasia meurt en 1232. Elle aura marqué son époque
par sa compétence politique et sa gentillesse.
Manfred III, maître d’un Etat en paix, épouse,
l’année suivante, Béatrice, fille d’Amédée comte
de Savoie et lui apporte en dot diverses terres du marquisat.
Devenu majeur, Manfred confirmera
l’accord en 1230 et recevra du comte de Savoie, le 11 novembre 1235, son investiture
pour ces places.
Cet accord soulèvera plus
tard de graves discordes pour le renouvellement de l’acte d’hommage et de
terribles guerres entre le marquisat et la Savoie.
Il acquiert les lieux de Cervignasco, Polonghere, Pancalier, Monastérole
et Ruffia.
En 1244, Manfred III, sentant sa
mort prochaine prend des dispositions : il désigne son fils Thomas
pour lui succéder, demande qu’on lui fasse le serment d’hommage et
de fidélité, et par acte notarié, donne la tutelle
à Boniface, marquis de Montferrat et à son épouse Béatrice
de Savoie. Dans son testament, il lègue de nombreux biens au monastère
de Staffarda, où il a choisit d’être inhumé. Il meurt
cette même année.
Extension de
la Savoie.
La Savoie, elle aussi,
continue à s’agrandir : au début du XIIIe siècle, Thomas
Ier acquiert la ville de Chambéry, accorde son soutien à l’empereur
Frédéric II et en tire des avantages : il devient vicaire
impérial en Lombardie. Côté français, il agrandit
ses terres vers la Bresse ainsi qu’au nord du Lac Léman. Après
une longue guerre contre Turin et les marquis de Saluces et de Montferrat,
les limites de son domaine se situent aux environs de Turin, ainsi qu’à
Pignerol.
La Maison d’Anjou
en Provence.
Raimond Bérenger V (1205 - 1245), reprend les pouvoirs en Provence
: le comte réduit la puissance des villes : s’inclinent tour à
tour, Brignolles (1220), Grasse (1227) et Nice, arraché à
l’orbite de Gênes (1229).
Des colons catalans, à
la demande de Raimond Bérenger, s’installent dans la vallée
de l’Ubaye afin de faciliter les échanges entre les bergers du haut
Var, ceux d’Embrun et ceux du marquisat de Saluces. Ils créent la
ville de Barcelonnette. Très vite, en 1231, Barcelonnette devient
un comté. [52]
C’est aussi la période
des luttes contre les hérétiques : venant d’Italie ou chassés
du Languedoc par les barons du nord lors de la guerre des Albigeois, les
Vaudois et les Cathares s’installent dans les Alpes-Maritimes et particulièrement,
à La Gaude, près de Nice. Les bandes errantes des Albigeois,
qui courent le pays de Provence après la défaite de Muret,
sont forcées de fuir. Ils se réfugient alors dans les Alpes,
dans les lieux les plus escarpés, dans les vallées du Dauphiné,
des Basses et des Hautes Alpes, dans les montagnes du Piémont.
Ils y resteront jusqu’à la réforme. [52]
Notons encore qu’à cette époque, Pierre Guillaume de Vintimille
-Tende rançonne les voyageurs au col de Tende.
En 1245, la fille de Raimond
Bérenger hérite de la Provence. Elle épouse Charles
Ier d’Anjou, frère de St Louis qui devient comte de Provence (1262).
Les Anjou passent
en Piémont.
Charles d’Anjou, ayant assis son autorité sur la Provence (1251-1265),
mène une politique d’agrandissement, surtout vers l’est, en Ligurie
occidentale et dans le sud du Piémont :
- en 1254, il achète
la souveraineté des Marches de Vintimille, [52]
- en 1258, il acquiert
Sospel, Saorge, Tende et la Brigue.
- en 1259, il étend sa
domination sur plusieurs villes et villages du Piémont, au premier
rang desquels, Cunéo, qu’il reprend donc à cette date.
Devenu roi de Naples et
de Sicile, Charles d’Anjou pousse son avantage en Piémont. Son
nom est si grand, que les villes du Piémont, se soustrayant au
protectorat de Manfredo et des princes allemands, se donnent au comte
de Provence. Les habitants de Mondovi, de Limon, de Chierasco, lui
prêtent le serment de fidélité et reconnaissent ses lois.
[72]
Charles passe le col de
Tende et les villes d’Asti, de Turin, de Sevillan, d’Ivrée, d’Alba,
et d’Alexandrie lui ouvrent leurs portes, sollicitent sa protection car
il est du côté du pape. Il se déclare le défenseur
des Guelfes. [72]
Depuis Amédée III, les comtes de Savoie sont, on le sait,
des partisans avoués de l’empereur, donc Gibelins. A Turin, pourtant
les Guelfes triomphent en s’insurgeant contre la Savoie et, non contents
de secouer le joug, ils emprisonnent le comte Thomas. Notons que la libération
du comte est la conséquence des pressions du roi de France, Saint
Louis, qui fait arrêter tous les banquiers d’Asti installés
en France et saisir 27 millions d’argent jusqu’à sa sortie de prison.
Mais le comte Thomas mourut peu après sa libération.
Boniface de Savoie, neveu
de Thomas lui succède. Agé de 18 ans, il se prépare
la guerre pour châtier les rebelles et venger son oncle. Il passe
les monts, suivi de ses barons et de leurs vassaux ; arrivé à
Rivoli, il combat les Angevins, les met en fuite et va mettre le siège
devant Turin. Durant les premiers jours, le jeune comte a l’avantage ; il
va emporter Turin d’assaut, quand les Montferrains et les Astésans
arrivent au secours des assiégés ; l’armée savoyarde
est prise entre deux feux ; Boniface combat avec rage ; ses barons tombent
autour de lui ; tombé de cheval et blessé, il est fait prisonnier
et meurt à Turin, peut-être de la lèpre qui sévit
à cette époque. [72]
Du Buttet, historien,
nous indique que le marquis de Saluces, allié de Boniface, est
aussi fait prisonnier dans ces combats. [72]
Jusqu’en 1382, Cunéo fait
partie du domaine angevin piémontais, érigé vers 1300
en comté. Avec quelques retours au marquis de Saluces (1281-1305),
puis plus tard à la Savoie ou encore à Saluces. Par mariage
de sa fille avec Manfred, marquis de Suse, Charles 1er d’Anjou reçoit
l’hommage de ce seigneur, pour ses fiefs de Cintal, du Val Stura, Fossan
et Cunéo, et prend le titre de comte du Piémont. [52]
Cela entraîne des
conflits armés avec la République Ligure (1260-1262 et
1273-1276), qui, finalement conserve l’est du comté de Vintimille
et la bande côtière de Menton à Monaco. En Piémont,
après dix années de luttes, la domination angevine se termine
par un échec. [40]
Les cols alpins.
Rapportons encore quelques
anecdotes sur les traversées des Alpes : “Au Mont-Cenis, en
1259, comme à Larche ou au Genèvre, l'hiver n'arrête
pas les gens ! A ces rudes époques où les nécessités
ne sont pas moins instantes, la seule façon de franchir la montagne,
c'est, n'importe la saison, de la surmonter corps et biens, avec l'aide
de Dieu, de la Vierge, des Saints, puis des officieux marronniers qui,
du côté aostin, attendent le client à la Thuile. En
Tarentaise, c'est à Saint-Germain où, depuis la mémorable
apparition de la "plus belle que rose" comtesse Cécile de Savoie,
traversée sans dommage en plein mois de février 1259, les
hommes dudit village se trouvent exempts pour toujours (sic !) de toute exaction,
taille et autre coutume... " et eux, en correspectif de cette franchise,
sont tenus de servir de guides par le Mont-Jou à Nous et à
nos envoyés ; de secourir les voyageurs qui se trouvent en danger
sur la montagne ; de porter ceux qui y mourront jusqu'au lieu où il
sera possible de les ensevelir ; de marquer les chemins publics du Mont avec
des perches ou jalons, pour que les passants ne s'y égarent point.
"
Thomas Ier, de
Saluces.
Thomas a 4 ans à la mort de son père, en
1244. A l’âge de 7 ans, il est abandonné par sa mère
qui se remarie avec Manfred, roi de Sicile, fils naturel de l’empereur Frédéric
; à 14 ans, il perd subitement son tuteur Boniface. La tutelle passe
alors à Thomas de Savoie.
Vers 1260, nous l’avons vu, Charles
Ier d’Anjou occupe le sud Piémont, Cuneo et Busca en particulier.
Thomas 1er se range un temps du côté de Charles 1er d’Anjou,
espérant recouvrer ses biens, contre Manfred, roi de Sicile, quoique
celui-ci soit son beau-père. Mais, n’ayant pas obtenu ce qu’il espérait
et ayant même perdu Revel et Fossan, il rejoint la Ligue contre Charles
d’Anjou et recouvre le Val Stura, Centallo et Busca et reçoit l’hommage
spontané de nombreux seigneurs.
C’est à cette époque
qu’il est fait prisonnier, lors d’une bataille sous les murs de Turin, et
est enfermé dans une tour de la porte de Suse. Tout le monde s’unit
pour le sortir de cette situation.
Thomas Ier
confirme toutes les donations faites par ses prédécesseurs
et agrandit son domaine, soit par la conquête, soit par l’achat de
terres. Il fait édifier un nouveau château à Saluces,
sur les hauteurs de la ville. En 1278, il reçoit l’hommage des seigneurs
de Venasque pour les biens qu’ils possèdent à Sampeyre et à
Bellino dans le Val Varaita et pour une partie de la ville et le château
de Villanova.
A 17 ans,
en 1257, il a épousé Alix de Ceva, fille de Giorgio, marquis
de Ceva, une des plus belles fortunes de cette époque, dont la beauté
et la vertu ont été célébrées par plusieurs
poètes de Provence, comme le rapporte Nostradamus. Cette union est
féconde : elle donne huit enfants au moins.
En 1279,
le premier fils du marquis, Manfred, a 20 ans et n’a pas encore l’âge
de la majorité fixée alors à 25 ans. Mais son père
décide de l’émanciper, par acte notarié rédigé
dans son château de Revello, le 12 septembre. En l’an 1286, Thomas
marie ce fils aîné avec Béatrice, fille du second lit
du roi Manfred de Sicile, et par acte public du 3 juillet, à Cunéo,
avec le consentement de son épouse Alix, il lui lègue le marquisat,
avec pour traitement les revenus de Centallo, Busca, Acceglio, d’autres
lieux du Val Macra, Sampeyre et Pont du Val Varaita et l’hommage de nombreux
vassaux. L’épouse, Béatrice, alors veuve, reçoit, pour
augmenter sa dot, le château et la ville de Scarnafigi et les lieux
d Piasco, Melle et Casal de Pont, c’est à dire, Castello de Pont,
et d’autres bourgades de Pontéchianale.
Le marquis Thomas Ier, qui meurt
le 3 décembre 1296, a demandé, par testament, que son cœur
soit placé dans la tombe de son épouse décédée
trois années auparavant, dans l’église du monastère
de S. Maria Nuovo di Revello, et que son corps repose au monastère
de Staffarda .
Le dauphin en
Briançonnais, en Queyras et Castellata.
Guigues VI achète
les droits de divers particuliers sur des terres de Pont, de Castello de
Pont au col Agnel. L’acte original porte la date du 4 novembre 1247 et
se trouve aux Archives départementales de l’Isère, à
Grenoble.
Revenons quelques années
en arrière, pour nous intéresser au Dauphiné : suite
à un arbitrage du Dauphin lors d’un différend entre notables
de Briançon, un premier acte est rédigé, en 1262,
réglant les rapports entre les briançonnais et le Dauphin.
Conservant leurs droits traditionnels, les briançonnais prêtent
serment de fidélité au Dauphin et s’engagent à le servir.
Pour établir les impôts, on établit des listes
de «feux» ou liste de familles, sorte de recensement des populations.
Le Queyras fait partie du Briançonnais et nous connaissons les premières
listes de «feux».
voir
Médièvalpes 044 - Les révoltes du XIIIe siècle
Présence
de nos noms de famille (1260).
Dès 1260/1265, nous constatons que les noms de famille de nos
ancêtres de Bellino, sont présents dans les archives
du Queyras : on retrouve, parmi les noms des délégués
de paroisse ou de communautés pour les déclarations des redevances
du Queyras, des Arnaud (Jean, Daniel, Jo) à Ristolas ou Château
Queyras, un Brun à Château Queyras, un Roux (
Pierre) et un Martin à Molines, un Guillaume Richard à St
Véran ou encore un Jean Martin à St Véran.
En 1265, le dauphin Guigues VI étend son domaine cisalpin : on
en trouve trace aussi dans les Archives : la déposition de plusieurs
gentilshommes mentionnés dans un acte, indique que le dauphin, depuis
quelques années, a accru de beaucoup son domaine primitif et qu’outre
d’être maître du territoire de Pont, il étend ses possessions
au-delà de la bourgade de Chaudannes de Casteldelfino et probablement
jusqu’à la limite qui sépare Casteldelfino de Sampeyre. Il
est maître de toutes les terres de Bellino et de presque toutes celles
de San Eusébio.
On note, dans un acte
de 1277, une vente d’une pièce de terre à San Eusébio,
(Château Dauphin) où Guillaume de Solier, châtelain
du Pont, agit au nom du Dauphin. Cet acte sera produit, plus tard, par le
Dauphin, comme pièce justificative dans un conflit avec Saluces pour
prouver son appartenance au territoire de Château Dauphin, en Briançonnais.
Jean Ier, successeur de
Guigues VI, meurt à 20 ans d’une chute de cheval et ne laisse
pas d’enfant de son mariage avec Bone de Savoie. C’est sa sœur Anne qui
hérite du Dauphiné : elle épouse Humbert Ier de la
Tour du Pin.
La Maison de Bourgogne
était restée maître du Dauphiné de 1184 à
1282.
Le mari d’Anne devient
donc dauphin en joignant à ses nouveaux états sa baronnie
qui englobe, outre La Tour, les régions de Bourgoin, Crémieu
et même Coligny dans le Jura. Diverses manœuvres ou d'avantageux
héritages apportent en outre au Dauphiné le pays d'Allevard,
le territoire des Baronnies (région de Nyons et de Buis), la seigneurie
de Sassenage, celle du Royans, la ville de Romans. Cette dernière
annexion, en 1342, précède de peu le rattachement du Dauphiné
à la France. Le Dauphiné s’étend alors sur le Grésivaudan,
le Viennois, le Valentinois, le Diois, le Gapençais, l’Embrunais
et le Briançonnais.
Ayant acquis des vastes domaines, les dauphins n'y règnent
pas en maîtres pour autant. Si la suzeraineté
impériale ne leur pèse guère, ils doivent l'hommage
du vassal aux comtes de Savoie et aux comtes de Provence pour le Faucigny
et le Gapençais. L'action et la puissance territoriale des évêques
contraint les comtes d'Albon à composer et à partager l'autorité
sur les villes épiscopales de Grenoble, Gap et Embrun. La cité
de Vienne leur échappe totalement.
Le conflit delphino-savoyard, lui, reste virulent et ne prendra fin qu'après
le rattachement du Dauphiné à la France. Parmi ses
racines multiples, on peut d'abord évoquer les enclaves grandes
ou petites que chacun des deux adversaires
possède chez l'autre : au dauphin le Faucigny, mais au comte
de Savoie un croissant de territoires allant de Saint-Jean-de-Bournay
à Sermorens (Voiron) sans parler de l'imbrication
de plus menues parcelles. La détention par chaque seigneurie d'un
grand passage des Alpes - et le débouché commun de ces deux
cols au pas de Suse - aiguise encore leur rivalité. En deux siècles,
cinq guerres opposent violemment le Dauphiné et la Savoie, avec des
fortunes diverses. Deux Dauphins tombent en combattant : Guigues V
périt au siège de Montmélian en 1142 et Guigues VIII
est tué d'une flèche devant le château de La Perrière
en 1333. Mais au moment du «transport» à la France, Humbert
II possède toujours solidement le Faucigny et son autorité
dépasse le Rhône vers le Bugey. [55]
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