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Chapitre X.
La Féodalité .
Le pouvoir central se pulvérise en de multiples pouvoirs régionaux,
locaux, seigneuriaux.
La “seigneurie” apparaît sous plusieurs
formes :
- “Foncière”, elle
se fonde sur la répartition du sol et les paysans doivent des corvées
(labours, récoltes, transport) et une redevance fixe annuelle (le
cens).
- “Banale”, elle résulte
de l’accaparement des prérogatives judiciaires du roi, à la
faveur de l’éclipse de son pouvoir, et entraîne des impôts,
la taille et des droits de péage. Ces deux types de seigneurie
peuvent s’ajouter ou bien se répartir sur plusieurs seigneurs,
resserrant ou desserrant l’étau féodal sur les “manants”.
“L’oppression féodale puis seigneuriale dans les Alpes est moindre
qu'en plaine. Elles n'ont pas échappé à cette organisation
contraignante mais, sans doute grâce a une combinaison de facteurs
naturels (le relief protecteur), humains (l'esprit d'indépendance
des “Ligures” était connu par les romains), économiques
(moindre pression des puissants sur des terres difficiles et pauvres), elles
en ont subi des effets atténués.” On verra la république
des Escartons briançonnais, qui est une bonne illustration de cette
résistance à la féodalité. “La propriété
directe des seigneurs était moins étendue : d'après
la Révision des Feux, B. Bonnin l'évalue à moins
du quart dans le Dauphiné montagnard, contre le tiers et jusqu'à
la moitié dans la partie nord du bas Dauphiné, proche de
Lyon. En Savoie, le cadastre souligne aussi l'étendue de la propriété
roturière. En montagne enfin, les communautés avaient
su défendre, contre les empiétements seigneuriaux, d'immenses
communaux, forêts, alpages, landes. Le poids des privilèges
était donc un peu moins lourd, ce qui n’empêchait nullement
de profondes inégalités à l'intérieur du Tiers-Etat
entre paysans riches, aisés, pauvres et misérables.”
[20]
Le pouvoir se partage entre noblesse et clergé ; les abbayes exploitent
encore plus les serfs que les seigneurs
Au XIe siècle, la hiérarchie féodale s’impose : au
sommet, l’empereur ; au deuxième niveau, le comte souverain qui
rend hommage à l’empereur ; au troisième niveau, le Margraff
ou marquis, commandant les troupes et défendant les frontières
de l’empire ; au quatrième niveau, le comte-juge placé dans
un chef lieu pour rendre la justice au nom de l’empereur. ; vient ensuite
l’archevêque, prince spirituel et temporel d’un diocèse, rendant
l’hommage à l’empereur, puis l’évêque dépendant
de l’archevêque ; au septième niveau, le haut-baron, du mot
« bart » qui signifie fort, vaillant, chef de guerre et d’une
baronnie supérieure, rendant hommage au comte ou à l’empereur
et vivant de ses fiefs ; au huitième niveau, l’abbé, chef
d’une abbaye ou d’un ordre religieux.
La hiérarchie inférieure
est formée de petite noblesse, de petits barons, dite Ordre Equestre.
Puis les Capitaines, futurs chevaliers ; enfin, des hommes libres, hommes
d’honneur ou compagnon de guerre, des vilains ou villageois, affranchis
et propriétaires.
En dernier, les serfs, nombreux, voués aux travaux des champs
et qui doivent tout à leur seigneur. [72].
Naissance des états.
L’essor de la féodalité dans notre région provoque
des fortunes diverses : certains seigneurs plus habiles ou mieux placés
s'imposent aux autres et prennent la tête de territoires de plus
en plus vastes.
Du côté
français des Alpes, le pays se structure autour de trois véritables
Etats : du nord au sud, la Savoie, le Viennois qui deviendra plus tard le
Dauphiné, et la Provence. Nous verrons que la Castellata ferra partie
du Dauphiné et de la Savoie.
Le Dauphiné.
Le petit village de Vion (Ardèche), sur la rive droite du Rhône,
près de Tournon, est le berceau des futurs dauphins. Cette famille,
par l’usage de la force et par d’habiles alliances matrimoniales, accroît
sensiblement ses biens. Les seigneurs de Vion sont suffisamment en vue
pour retenir l'attention de l'archevêque de Vienne lors des circonstances
bien particulières que voici : la reine Hermangarde, femme
du dernier roi de Bourgogne Rodolphe III, âgée et sans héritier,
cède en 1029 à l'Eglise de Vienne gouvernée par l'archevêque
Brochard, le comté de Viennois qu'elle tenait de son époux.
L'archevêque, “se sentant lui-même proche de la mort” ne conserve
sous son autorité directe que la ville de Vienne, et partage aussitôt
le comté entre deux seigneurs à qui le lie une parenté
assez proche et dont la force lui inspire confiance. A son beau-frère
Humbert aux blanches-mains, il inféode la partie nord, en direction
de Genève ; à Guigues le Vieux, sire de Vion, la partie sud,
sur la rive gauche du Rhône. Ainsi naissent deux états féodaux
qui vont devenir des frères ennemis : la Savoie et le Dauphiné
[55].
Origine du nom “dauphin”.
Guigues III, comte d'Albon, époux de la reine Mathilde a
pour fils Guigues IV Dauphin, en 1106. Tous ses successeurs
portent ce titre et le “Comté” (Comitatus) devint “Dauphiné”
(Delphinatus). L’origine du nom Dauphin est incertaine : le terme de
“Dalphinus” utilisé comme prénom aussi bien en France qu'en
Italie (le féminin Delphine est toujours en usage), serait devenu
un surnom mettant en valeur la signification symbolique de “fier, puissant
par la grâce de Dieu”. Les parents du jeune Guigues Dauphin auraient
voulu par ce titre cacher I'infériorité de leur qualité
comtale au regard de celle de marquis porté en Italie par le comte
de Savoie.
C'est donc volontairement que le surnom “dauphin” serait devenu
un titre et aurait engendré le Dauphiné. De plus, le titre
“dauphin de Viennois” fait référence au Viennois, plus important
que le comté d’Albon.[55]
Guigues le Vieux
s'implante solidement dans ses nouveaux domaines et les
étend. C'est lui sans doute qui prend le titre de comte d'Albon.
Très vite, un concours de circonstances favorables lui indique les
objectifs à poursuivre. L'empereur germanique Henri III (dans
la mouvance duquel se trouvent, rappelons-le, les domaines de Guigues) lui
donne en 1033 l'investiture du Briançonnais, à cheval sur les
Alpes.
Il s'agit donc de relier les territoires rhodaniens au fief alpestre en
maîtrisant les régions intermédiaires, et de favoriser
la circulation par le Mont Genèvre. Comme Humbert, le savoyard, a
reçu de la même main la Maurienne et le Mont-Cenis, le parallélisme
des deux états se poursuit, comme s'aiguise leur concurrence de portier
des Alpes.[55]
La Savoie.
La Maison de Savoie débute, en 1040, favorisée par des princes
de valeur, comme Humbert Ier (Humbert Blanche-Main). Au XIeme siècle,
les possessions originelles de la Savoie sont limites au sud de Chambéry.
La faiblesse du royaume
de Bourgogne explique les débuts de la Maison de Savoie : la première
référence à « Humbert, comte » apparaît
en 1003 dans une concession faite par l’évêque de Belley. Bien
en cour depuis 1009 au moins, le comte devient conseiller de la reine et
prend possession de terres, entre 1014 et 1016, dans le futur comté
de Savoie : Aix, Miolans semblent faire partie de ces acquisitions. Un peu
plutard, en 1025, Humbert Ier prête serment pour les comtés
de Viennois, Bugey et Sermorens.
Des rapports de vassalité
s’établissent peu à peu entre l’empereur germanique et le
petit royaume de Bourgogne-transjurane, jusqu’à ce que l’empereur
Conrad II reçoive la couronne de Bourgogne. La Savoie entre alors dans
l’orbite du Saint Empire romain-germanique : à la mort de Rodolphe
III (933-1032), en Bourgogne, une véritable guerre de succession oppose
Conrad II et un autre Rodolphe, dit Eudes de Blois. Le comte Humbert est du
côté du vainqueur, Conrad, et il tire parti de la reconnaissance
du nouveau roi.
Humbert, dont le fils, on l’a vu, épouse une marquise de Suse,
s’ouvre la voie de l’Italie.
En 1032, il devient comte du Chablais et en 1043, de la Maurienne. Il
semble aussi qu’il possède déjà quelques terres en
Tarentaise.
Ainsi, dans la première moitié du XIe siècle, et
grâce à un ferme soutien à l’empereur, Humbert Ier
parvient à réunir une large bande de terres qui va du Rhône
aux versants italiens des Alpes.
En 1063, la Savoie perd
Exilles et Fenestrelle au Mont Genèvre, au profit du Dauphiné.
Berthe de Savoie, se marie avec l’empereur allemand, poussant ce pays,
à nouveau vers l’Italie. La Savoie s’étend du Bugey au Grand
St Bernard et jusqu’à la Doire.
Nous voilà bien loin de nos vallées alpines et du col de
l’Autaret ! Pourtant, nous allons suivre l’ascension de cette Maison de
Savoie pendant sept à huit siècles, jusqu’à ce qu’elle
devienne maître de nos vallées [67].
La Provence.
La Provence, elle aussi suit le destin du royaume de Bourgogne et entre
dans l’orbite du Saint Empire germanique.
Dans les Alpes,
Les Alpes subissent des alternances de sous-peuplement (calamités
de toutes sortes) et de surpeuplement, les défrichements de terrains
médiocres (essarts) révélant alors un besoin en terres.
Les serfs sont exploités
par abbés et barons. Alors que du côté italien et dans
la plaine piémontaise, ils connaissent une pression un peu moins
forte et goûtent leurs premières libertés, du côté
savoyard, leur vie est plus rude. Serfs et vilains des terres abbatiales
de Savoie désertent, traversent les monts et sont bien reçus
par leurs frères affranchis du Piémont.
La circulation, dans les
cols alpins devient plus importante. En décembre 1077, l'empereur
des Allemagnes, Henri IV, révolté contre le pape et excommunié,
se hâte avec sa cour vers Canossa où l'attend l'agréable
corvée de faire, pieds nus, amende honorable. En 1174, une autre
barbe d'empereur, cette fois rousse, celle de Frédéric 1er,
Friedrich Rotbart, apparaît aux horizons.
L’origine des noms de lieux
de nos vallées alpines.
C Allais nous indique, dans son ouvrage, les premières références
apparaissant dans les documents du XIe siècle.
Une carte antique porte l’inscription de « Vracta »
et de « Valle Varaitana » et un diplôme de l’empereur
Frédéric Barberousse, du 26 janvier 1159, nomme le Val Varaita
« Vallis Vallactana », donc vallée du lait.
La haute vallée Varaita, divisée en trois cantons, Casteldelfino,
Pontechianale et Bellino, sous le gouvernement du marquis de Saluces,
prendra le nom de « Castellania », lors de son incorporation
au Dauphiné, et par légère déformation, deviendra
« Castellata».
Pour le moment, nous n’en sommes pas encore là : le Val Varaita
n’appartient ni au Dauphiné, ni à la Savoie, encore moins
à la Provence. Le Val Varaita et Bellino font partie du marquisat
de Turin. C Allais, lui, indique une appartenance au comté d’Auriate.
Casteldelfino : d’abord
appelé « Vellaut » ou « Villalt
» ville haute, vers le IVe ou Ve siècle, la ville devient
Villa S. Eusebio vers le Xe siècle. En
1336, Umbert II, dauphin de Vienne y fait construire un château et
l’appelle « Castrum Delphini »,
qui est à l’origine de Casteldelfino .
Pontechianale : un document
de 1247 cite Torre di Pont : c’était un village très
peuplé et très antique.
Chianale doit son nom
à son canal large et profond qui coupe le village en deux, laissant
s’écouler les eaux de la Varaita. Il faut attendre 1459 pour que
Ludovic de Romagne, évêque de Turin, regroupe les deux communes
de Pont et de Chianale pour former une
paroisse. La partie ancienne de l’église fut construite en 1461.
Bellino : le nom peut
être considéré comme un diminutif de « bello
», mais sa position topographique par rapport à Casteldelfino
ou Pontechianale ne répond pas de façon adéquate
à une telle interprétation. Il paraît plus probable
que l’origine vient du latin « Belluinus », terre de
bons patûrages pour les moutons. Ceux-ci, passant l’été
sur les hauts patûrages, étaient très renommés
pour leur viande et leur laine. De « Belluinus » se
serait dérivé « Bellinus
», puis Bellino. D'autres origines de ce nom sont possibles
: Belenus, dieu celte du soleil ; Bellins, nom gaulois ;
Bel, endroit élevé (Pré indo-européen).
A cette époque (en 1039), le comte d’Albon reçoit ou achète
donc le Briançonnais, alors fief de l’empire, avec Oulx, Exilles,
et l’annexe au Viennois [52].
Du Col de l’Autaret, nous voyons le Dauphiné
s’étendre et se rapprocher de la vallée Varaita.
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