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Chapitre XI. Marquisat et comtés sous le Saint
Empire romain-germanique (1125-1200).
L’Italie sous domination
germanique.
Depuis 961, l’Italie est un fief germanique: l’empereur germanique
occupe le Piémont, invoquant les droits de son épouse.
En 1128 , Conrad de Hohenstauffen est couronné roi d’Italie à
Milan. Jusqu’en 1254, c’est l’empire des Hohenstauffen, avec Conrad
( 1138 - 1152 ), puis Barberousse (1152 - 1189).
Guelfes et Gibelins.
En Italie, des guerres se succèdent : guerres
civiles entre Pise et Gênes, en 1133, luttes entre les Guelfes,
partisans du pape, et les Gibelins, partisans de l’empereur, Frédéric
Ier. Barberousse,
Celui-ci entreprend
six campagnes en Italie entre 1153 et 1168, pour contrer la puissance
croissante des villes italiennes, dont Milan, et pour obtenir le couronnement
impérial par le pape.
Les villes italiennes
du Nord (Gènes, Pise, Venise, Sienne, Florence,...). s’érigent
en Républiques, avec des consuls (qui remplacent les évêques).
Pour finir, Frédéric Barberousse, occupe Rome en 1166.
Le territoire
de Gênes s’avance alors jusqu’à la Turbie. Les archives
de Tende nous ont conservé le traité conclu entre les Gènois,
Vintimille et Tende. Les consuls de Tende se nomment alors Albert
Boéro et Paul Ralus. [52]
Le marquis de Savone, maître
de Saluces et des vallées.
Revenons au comté d’Auriate
où la comtesse Adélaïde après avoir fait réédifier
et restaurer l’église et le monastère de S. Costanzo, quitte
ce monde, le 19 décembre 1091, à Canischio, terre d’Ivrée.
Elle a été précédée, dans la tombe, par
tous les fils de son troisième mariage et par Agnès de Montbéliard,
sa petite fille.
A sa succession, se présentent :
• Conrad,
fils de l’empereur Henri IV et de Berthe de Savoie, marquis de Turin par
donation de son père en 1076,
• Humbert
II, fils d’Amédée II comte de Savoie, petit-fils de la défunte
• Pierre
de Montbéliard, fils d’Agnès (marquise de Suse) et de Frédéric,
(comte de Mousson), arrière petit-fils de la défunte.
chacun avec ses raisons et
ses prétextes.
De tant de prétentions, il résulte des tourmentes graves et
il y a de nombreuses batailles. Pierre de Montbéliard, plus fortuné
que la comtesse, prend possession d’une grande partie de l’état,
mais Conrad, aidé par son père l’empereur Henri IV, envahit
et dévaste les terres et se crée une forte position en Piémont.
Le marquis Boniface de Savone, resté jusqu’alors spectateur de ce
grave litige, intervint dans ce conflit. Il avait suivi les malheurs de l’empereur
Henri IV, son conflit avec la papauté et sa perte de prestige en
Italie et aussi la rébellion de son fils Conrad qui s’est fait élire
roi d’Italie en 1093. Boniface de Savone se rangea du côté
du fils Conrad et se présenta lui aussi comme prétendant à
la succession d’Adélaïde prétextant que la défunte
devait encore sa dot à sa petite fille Alix, qui était son
épouse. Pour réussir dans ses prétentions, il alla
jusqu’à s’humilier devant le roi Conrad et s’attaque, à la
pointe de l’épée, aux Astesi. En partie par la négociation
et en partie par les armes, il réussit à envahir les comtés
de Berdulo, d’Alba, d’Auriate et d’autres terres du Piémont.
Humbert II de Savoie, pour garder une partie de la dot de sa grand-mère
Adélaïde, fut obligé de démembrer son héritage
sous la pression de Boniface. Au début du XIe siècle, la Savoie
couvrait la plus grande partie de la Maurienne, la Tarentaise, la Haute
Savoie, le duché de Turin, le Val d’Aoste, et le marquisat de Suse.
La renommée et la puissance de Boniface s’accrût par l’agrandissement
de son état et plus particulièrement par l’unification du
marquisat de Savone, qui s’étendait alors jusqu’à la «
Riviéra di ponente » de Gênes, jusqu’à Saluces
et à ses vallées.
Il ne tarde pas à venir prendre possession de ses nouvelles conquêtes.
A. Della-Chiesa pense qu’il stabilisa alors sa résidence au château
de Saluces, édifié par les Goths ou les Lombards sur la cime
d’une colline qui domine la cité, habitation du seigneur du lieu.
Mais on ne trouve aucun document de lui daté de Saluces et l’on sait
que l’acte donnant ses dernières volontés a été
rédigé à Savone. Il paraît plus vraisemblable
que, de son vivant, son fils Manfred s’est établi, vers l’an 1221,
à Saluces et y a pris le titre de marquis.
Création du marquisat
de Saluces et des fiefs alémaniques.
Le marquis Boniface del Vasto de Montferrat, marquis de Savone, déjà
âgé, fait son testament au château de Lorretto, bourg
de Costiglole d’Asti, le 5 octobre 1125, nommant ses 7 fils comme légataires
universels, Manfred, Guillaume, Hugues, Anselme, Henri, Boniface et Oddon,
sans avoir spécifié à chacun la part qui lui revenait.
Boniface meurt en 1130. Les frères
continuent, indivis, à gérer les terres de leur père,
puis décident, par acte public rédigé au château
de Savone, le 22 décembre 1142, en la présence de Pietro,
évêque d’Asti et de Aldizio, évêque de Savone,
de partager leurs biens.
Le marquisat de Savone
est donc fractionné entre les 7 fils de Boniface, et ce partage
sépare la région de Saluces du marquisat de Turin : ainsi
furent créés le marquisat de Saluces et les six autres petits
fiefs alémaniques (Busca, Cravenzana, Ceva, Savone, Cortemiglia,
Loreto et Incisa).
Manfred Ier, de Saluces.
Manfred, le fils aîné, reçût la ville et le château
de Saluces et toutes les terres entre les Alpes, du Monviso au fleuve Stura
et au comté « bredolése » près de Mondovi.
La frontière du marquisat, à l’ouest, suivait les crêtes
alpines, du mont Vesolo à la vallée de la Stura ( «
cohœrent ex una mons Vesulus a jugo in iussum Sturea fiumen » ) ;
les vallées du Pô, Varaita et Macra et la rive gauche de la
Stura font partie de ce nouveau marquisat.
Avant le partage, Manfred
avait déjà son habitation principale à Saluces.
Pendant quatre siècles le marquisat
sera transmis, de père en fils ou bien de frère à
frère, sans interruption.
-> Généalogie
des marquis de Saluces
Manfred est âgé
de 43 à 45 ans, lorsqu’il prends le pouvoir. Il a épousé
un Eléonora, fille de Zudich, comte de La Tour Arborée,
en Sardaigne, et descendant du roi d’Aragon.
De nombreux seigneurs
ayant été nommés dans le pays depuis le partage
de Charlemagne, doivent reconnaître sa souveraineté pour
leurs propres terres et lui rendent hommage. Seuls les seigneurs de Venasca
et de Brossasco, dans la basse vallée Varaita, refusent l’hommage,
en 1150, occupent leurs terres et poussent leurs troupes jusqu’à
Villafalleto
(22).
Ils doivent se soumettre et reconnaître leur nouveau suzerain.
En ce temps là, la féodalité piémontaise
suit un certain nombre de règles : la loi Salique promulguée
par l’empereur d’Allemagne Conrad II mais adaptée pour tenir
compte des coutumes italiennes, est en vigueur à cette époque
où l’Allemagne domine l’Italie et considère ce pays comme
un droit inséparable de la couronne impériale. Cette loi
régit les principes de la féodalité pour les seigneurs,
barons, comtes et marquis de la noblesse piémontaise. L’empereur
conserve les droits sur les hommes et sur les terres et la juridiction suprême
pour certaines causes est de son ressort. De même, le droit de guerre
et de paix. Le droit régalien majeur lui permet de léguer
n’importe quelle terre de son Etat, de battre monnaie, de légitimer
les fils naturels, de réhabiliter les hommes, de remplacer la loi
écrite, de nommer de nouveaux nobles ou notaires, de créer
des universités, de nommer des magistrats à la cour suprême
de justice.
Le droit régalien mineur est associé au fisc et à
la récolte des impôts publics. Lorsque l’empereur
délègue un droit régalien à un noble, il
le nomme vicaire ou délégué de l’empereur. Dignité
temporaire ou à perpétuité qui se donnait sans
qu’il soit nécessaire de prêter hommage.
La féodalité
est hiérarchisée : les seigneurs « majeurs »
doivent des comptes à l’empereur ou au roi et sont pourvus,
en principe de la pleine autorité : ils sont investis de la
justice civile et criminelle, du droit de chasse et de pêche ;
ils sont maîtres des moulins et fours et récupèrent
la majorité des revenus de leurs terres.
Les « mineurs
» doivent des comptes aux ducs, marquis et comtes qui sont alors
« capitaine de l’empereur », mais sont libres de disposer
de leurs biens. La justice est partagée en « majeurs »
et « mineurs », mais le droit de grâce appartient aux
« majeurs ».
Ayant reçu l’investiture de leur supérieur,
ces seigneurs deviennent « hommes nobles » et ce titre
s’applique à toute la famille. Inaliénable, puis transmissible,
la noblesse est « antique » quand elle a la qualité
de « retto et proprio », ou « paternelle », quand
elle appartient à la famille depuis quatre générations.
Seigneur et vassaux
sont liés par un contrat : le seigneur doit protéger le
vassal et le vassal lui doit le « service ». Le service consiste
en
- devoir de fidélité
qui s’exprime par l’hommage de fidélité,
- devoir d’accompagner
le seigneur à la guerre, de combattre pour lui et en cas de gêne
pécuniaire de payer pour la cavalerie
Manfred Ier est seigneur majeur après son association
avec Frédéric Barberousse. Celui-ci, en 1155, est élevé
à la dignité impériale, à Rome, par le pape
Adrien IV.
Mais les temps changent
et l’empereur Frédéric connaît des moments plus difficiles
en Italie, et il se retrouve face aux armées coalisées et
est excommunié en 1160 par le pape Alexandre III. Manfred Ier, son
allié est aussi excommunié, ce qui donne l’occasion à
ses voisins de l’attaquer. Le plus redoutable de ses ennemis est Humbert
III, comte de Savoie, qui le contraint par la force à lui rendre
hommage pour son marquisat (en 1169 selon Pingon). Mais l’empereur, son
souverain légitime, intervient, prétend qu’il ne peut pas
faire hommage à un autre que lui sans son consentement, déclare
l’hommage nul et met le comte de Savoie au ban de l’Empire
Les villes du Piémont profitent
de cette période de pouvoirs faibles pour se fortifier et prennent
plus d’indépendance. Elles connaissent une croissance importante
et se peuplent grâce aux serfs affranchis d’Italie, de Provence, du
Dauphiné ou de Savoie qui fuient leur cabane au mépris de
la règle les contraignant à rester enchaînés
à leur sol et à leur seigneur. De plus, une bulle du pape affranchit
tous les serfs d’Italie [72]
Manfred achète les châteaux
de Ville et de Verzolo après 1160, fait bâtir le château
de Cardeto et accorde des privilèges aux abbayes de Staffarda et
de Casenova
Manfred est un homme très libéral. Il change
alors la loi féodale, impose la loi d’aînesse et de primogéniture
: il affirme que la liberté de chacun doit sortir de la terre, qui
doit fournir de quoi vivre à ses hommes. De son temps, la monnaie
utilisée à Saluces est la monnaie de Suse et la ville a un marché
sur la place. La Place est le lieu où se rédigent les actes
et les contrats, en public, suivant l’usage du moment.
Bellino dépend alors du marquis
de Saluces, au moins pour la rive droite de la Varaita. C Allais rapporte
des anecdotes importantes sur cette période : la dignité du
marquis était indiquée par la forme et la hauteur de ses fourches
; il en existait une à Casteldelfino, à côté
de S. Eusebio, zone qui porte encore le nom de “fourches”.
Manfred Ier meurt en 1175. Sa
sépulture se trouve dans le monastère de S. Maria de Staffarda
qu’il a crée.
Droit de « cuissage
»
Dans la pratique du féodalisme se trouvait la primeur de la
couche nuptiale ou “jus Primae noedis”, « prizia
dei talami nuziali », autrement dit, droit de cuissage, droit
réservé aux seigneurs locaux. Cette pratique entraîna
souvent conflit, bagarres et morts. Une tradition orale, aussi rapportée
par C Allais, et transmise de siècle en siècle, raconte qu’un
de ces seigneurs, informé du jour où devait avoir lieu un
mariage à Pontechianale, monta de la vallée pour prendre
part au festin nuptial, et le soir, dans les champs, montra sa répugnante
prétention d’usufruit, comme seigneur du lieu. Sur le chemin du
retour, avant d’arriver à Casteldelfino, il se heurta à forte
partie et dût faire la promesse solennelle de renoncer à cette
pratique pour sauver sa vie.
Les habitants des vallées Stura et Gesso en particulier, irrités
et affligés par ce droit se soulèvent et se débarrassent
de cette tyrannie. C Allais ajoute, qu’ils se regroupent et se fortifient
dans une cité : c’est la première cité de Cunéo,
ville fondée en 1120 sur un coin de terres entre les fleuves
Stura et Gesso, par des habitants de la région qui voulaient
se mettre à l’abri, derrière de solides fortifications,
des persécutions des feudataires.
Cette coutume du
« droit de cuissage » se retrouve à Beuil-sur-Roya
où la fête « a Stacada » représente
encore de nos jours l’histoire d’une jeune mariée qui aurait
dû passer entre les bras du seigneur local (« le bayle »)
avant ceux de son époux légitime et la révolte
paysanne survenue au XIIe siècle, à cette occasion. Cette
fête est considérée comme l’une des plus anciennes
traditions du comté de Nice
(23)
.
A Beuil, entre
Var et Tinée, le seigneur Guillaume Rostang est massacré
par ses sujets au début du XIVe siècle à cause
de la fâcheuse habitude qu’il a d’user de ce même droit
pour obtenir les faveurs des nouvelles mariées par priorité
sur le légitime époux [86].
Les cols alpins.
La circulation au col de Mont Genèvre et au col de Larche décline
au profit du Mont-Cenis. On cite bien le passage au Mont Genèvre
d'Innocent II en 1131, fuyant en France l'anti-pape Anaclet, et quelques
années plus tard (1177) celui du fameux Barberousse allant se
faire couronner à Arles, mais c'est plutôt au XIVe siècle
que le Mont Genèvre reprend de l'activité, à cause
de la présence des papes en Avignon, et des très importantes
foires de Briançon qui attirent à la fois les gens du Dauphiné,
de Lombardie et du Piémont. Un hospice s'élève sur
le col vers 1342. La traversée est lente : pas plus de 30 à
40 km par jour pour les convois de marchandises, encore plus lents l'hiver
et dans les terrains accidentés. Quant aux gens, on connaît
l'exemple d'un marchand qui, en 1350, mit 23 jours pour se rendre de
Montauban à Rome. Les étapes journalières, au mieux,
ne dépassent pas 60 km, c'est-à-dire un peu moins de la
moitié de celles de Jules César, accomplies en temps de
crise, treize siècles auparavant! Il est vrai que les problèmes
de portage du matériel et des chars ne devaient pas gêner
ce seigneur de la guerre car ses hommes étaient nombreux.
Dans les Alpes, le Queyras, soucieux d'exporter ses produits, surveille
depuis toujours les routes nécessaires à ses expéditions
de produits laitiers ; “son beurre... passait pour le meilleur des Alpes
dauphinoises et provençales ; aussi il n’est pas vendu uniquement
aux marchés de Gap et d'Embrun, mais s'écoule encore
pour une large part en Provence”.
Début du conflit
entre la Savoie et le Dauphiné.
Amédée III de Savoie, puissant souverain, toujours dans
l’orbite du Saint Empire romain-germanique, repousse le roi de France
(1103-1148), réussit à occuper Turin en 1138 et Rivoli,
et entre en lutte contre le Dauphin Guigues V : c’est le début
d’un conflit séculaire entre la Savoie et le Dauphiné. Rappelons
que Savoie et Dauphiné ont chacun des droits féodaux sur
des terres enclavées dans le domaine de l’autre, ce qui est la
base de nombreux conflits. Amédée III de Savoie a une politique
brillante et de nombreux vassaux doivent lui rendre hommage. Il meurt à
Chypre lors de la deuxième croisade (1147 – 1148).
Amédée III régne de 1103 à 1149. Il est
le premier souverain de Savoie à soutenir la guerre contre le
dauphin à propos de la frontière de leur domaine, bien qu’il
ait épousé Mahaut d’Albon, sœur du dauphin Guigues IV.
Dans un combat
sanglant qui a lieu près de Montméllian, le premier
dauphin Guigues IV est blessé et meurt des suites de ses blessures.
Mort de Guigues IV
La Provence déchirée.
A partir du XIe siècle, le comté de Provence devient
un véritable état où les comtes empêchent
l’émergence de puissants vassaux et s’imposent comme les maîtres
incontestés. L’autorité de l’empereur est très lointaine
et ne se manifeste vraiment qu’aux changements de dynastie.
Dès 1119
commence une guerre de succession, entre les Maisons de Toulouse et
de Barcelone, qui aboutissent en 1125 au partage de la Provence: le marquisat
de Provence passe à Alphonse Jourdain (Toulouse) qui reçoit
la partie située entre l’Isère et la Durance et la ville
de Beaucaire, et le comté de Provence passe à Raymond
Béranger Ier (Barcelone) qui occupe les terres du sud de la Durance
jusqu’au Rhône à l’ouest et à Nice à
l’est, et le comté de Forcalquier.
La Savoie en détresse.
Revenons du côté italien, avec la formation de la Ligue
Lombarde contre Barberousse en 1167 et la reprise des combats. Battu
en 1176 par les Lombards/Guelfes à Legnano, Barberousse se réfugie
dans le marquisat de Monferrat et négocie avec Humbert III de Savoie
pour rentrer en Allemagne par la Savoie. L’empereur Frédéric
Barberousse, traverse de nouveau les Alpes (1177) et profite de sa présence
en Provence pour se faire remettre la prestigieuse couronne de roi d’Arles
(1178) [52].
Humbert en profite
pour négocier des concessions. Cela déplaît à
l’empereur qui réplique en brûlant Suse (1174), en donnant
leur autonomie à l’évêque de Belley et à
l’ archevêque de Tarentaise (1186), en reprenant ses droits sur
l’évêché de Sion et sur le comté de Turin
, et en le mettant au ban de l’empire.
Humbert III meurt en 1185. Son fils Thomas Ier, d’abord par l’intermédiaire
de son tuteur le marquis de Montferrat, puis de lui même, rétablit
de meilleurs rapports avec l’empereur et redresse la situation [67].
L’armée de Barberousse, en passant par Tende pour retourner
vers Pavie, réduit le pays à la plus profonde misère,
à tel point que les gens de Saorge se jettent sur les bagages
des Impériaux et les pillent. L’empereur se venge en faisant mettre
le feu à la bourgade. [52]
La Savoie de Humbert III, mise au ban de l’empire, perd tous ses fiefs
en Piémont (1185). L’Italie développe, au XIIe et XIIIe
siècles, un système politique original : la péninsule
fait partie du St Empire, mais le pouvoir de l’empereur ne se fait sentir
qu’à l’occasion de brèves campagnes militaires. Les cités
s’affirment comme entités autonomes des 1170-1220.
Une troisième
croisade s’organise entre 1188 et 1192.
Manfred II, marquis
de Saluces.
Reprenons la chronique de C Allais : à la mort de Manfred Ier, en 1175,
son fils lui succède à la tête du marquisat, sous le
nom de Manfred II (1145-1215). Marié en 1173 avec sa cousine Alasie
de Montferrat (1160-1252), fille de Guillaume le vieux, marquis de Montferrat,
et de Judith d’Autriche, ils ont un fils, en 1183, qu’ils appellent Boniface.
Manfred II continue les pratiques et la politique de son père : il
confirme les privilèges accordés et les donations faites aux
monastères de Staffarda et Casanova et à d’autres églises,
parmi lesquelles celles de Dogliani et Costigliole. L’empereur Frédéric
Barberousse lui confirme ses fiefs du marquisat, Cuneo, Mondovi, Savigliano,
le 5 mai 1206.
Pour accroître son domaine,
il achète des terres :
•
le domaine de Caramagnole acheté au marquis de Romagne,
•
Dronero, la vallée Macra, et une portion des terres de Saluces et
d’autres terres de son cousin le marquis de Busca,
•
Raconis
•
le château de Polonghera et les terres de Cavallermaggiore, du seigneur
de Rossana.
•
par concession faite à son fils Boniface, il contrôle aussi
le Val Stura.
•
par l’investiture obtenue de l’empereur d’Allemagne, par droit de succession
et par l’acquisition de plusieurs propriétaires et seigneurs, il devient
propriétaire de nombreux autres domaines parmi lesquels il faut citer
Brossasco, en Val Varaita.
Il fonde, l’an 1192 l’église de Saint Laurent et sa fille fonde en
1220 le monastère de Rifredo, de l’ordre de Citeaux, où elle
prit l’habit de religieuse.
En l’an 1179, par acte public daté
du 1er mars, le marquis reçoit de Daniel Urtica et de Guillaume de
Verzuolo, son petit-fils, leur domaine familial du Val Varaita qui va de Pietra
Eschilianda au col Agnel, soit toutes les montagnes qui se dressent de Chianale
jusqu’aux limites du Piémont et de la France, dernières terres
de la vallée.
La localisation de Pietra Eschilianda
n’est cependant pas connue. Gioffredo Della Chiesa la situe entre Piasco et
Venasca, mais il est peu probable qu’une seule personne privée ait
possédé une bande de terre aussi longue. En fait, il semble
plus près de la vérité de situer ce lieu sur la commune
de Casteldelfino, près d’un rocher, à l’ouest du bourg Rabioux,
sur la rive gauche du ruisseau dit « Cobalas », que le langage
local appelle encore aujourd’hui Peiro Schiant, Pietra Eschilianda.
En 1202, Boniface de Saluces, fils du marquis, épouse
Marie, fille d’un juge de La Tout Arborée en Sardaigne (« comita
giudice »). Le jeune couple a deux enfants, Manfred et Agnès.
En 1204, le marquis Manfred II, voyant
que ses voisins d’Asti (les Astesi), deviennent chaque jour plus puissants,
et que les habitants de Cunéo et de Mondovi se sont associés
avec eux, et prévoyant une attaque de leur part, prépare sa
défense en s’unissant avec plusieurs autres seigneurs : le marquis
de Montferrat, del Carretto, celui de Busca, Guillaume de Ceva, le seigneur
de Bra et d’autres.
Il fait le projet de s’emparer de
Cunéo, envoie des fidèles préparer le terrain et trouver
des partisans. Il s’active jusqu’en 1206, attendant une opportunité.
Les habitants de Cunéo, réduit à un faible nombre par
la peste de 1199, acceptent de nouveaux habitants dans leur cité pour
augmenter leur défense contre cette attaque. Mais ceux-ci, refusant
de se battre contre leur seigneur, ils sont contraints de se rendre et Manfred
occupe Cunéo, sans coup férir. Il construit alors un château-fort
pour défendre la ville.
Les habitants de Cunéo
n’acceptent pas cette domination et se tournent alors vers ceux de San Dalmazzo
qui s’opposent au marquis, et concluent un pacte avec Raymond de Provence.
Ils le reconnaissent comme seigneur légitime, pour qu’il envoie des
troupes en Piémont et les rétablisse dans leurs biens et dans
leurs droits. L’accord est tenu secret. En 1210, Raymond, pour divers prétextes,
commence à masser des troupes dans les terres qu’il possède
déjà dans la vallée Gresso.
Ce Raymond est cité par C. Allais. Mais, de quel Raymond de Provence
s’agit-il ?
-
Raymond VI de Toulouse, dont les terres du marquisat
de Provence arrivent jusqu’aux Alpes? Probablement pas car ce dernier est
très occupé avec l’affaire des Albigeois et son excommunication
pour soutien aux Cathares. Il est accusé d'avoir fait assassiner, en
1208, Pierre de Castelnau, légat du pape.
- Ou bien Raimond-Bérenger
V, dit le Grand, de la Maison de Barcelone ? C’est celui que cite C. Allais.
Mais, comte de Provence depuis 1209, il n’a que 4 ans et est sous la coupe
de son oncle Pierre II qui l’amène en Aragon. Il ne s’occupera des
vallées alpines que plus tard, octroyant vers 1232 une charte de privilèges
et de peuplement pour un établissement de la vallée de l’Ubaye,
véritable fondation de Barcelonnette, la petite Barcelone. Il aura
alors une véritable politique de contrôle des zones alpines dans
les années 1230-1240.
Pour l’heure, en 1210, il n'y a donc pas grand monde en
Provence, qui s’occupe de ce qui se passait de l’autre côté des
Alpes.
Quoi qu’il en soit, Manfred II, ignorant
ce possible accord et pensant que la paix est revenue sur son domaine, quitte
sa résidence pour aller saluer et accompagner l’empereur Otton IV alors
en Lombardie. On le trouve, fin mars à Ferrare, fin avril à
Milan, en juin à Tortone et à Turin, où il signe, comme
témoin, divers documents impériaux. En signe de reconnaissance
de sa grande fidélité et de son dévouement à la
couronne impériale, il est nommé procureur impérial de
la haute Lombardie et du Piémont.
Pendant son absence, parvient à
Saluces la nouvelle de la présence d'une extraordinaire armée
du comte de Provence et de ses intentions. La comtesse Alasie, sans atermoiements,
se tourne vers Guigues, le dauphin de Vienne, son cousin, pour contrer le
péril imminent d’une invasion et lui demande son secours en échange
de l’hommage du marquisat. Vers 1210, la marquise Adélaïde/Alasie
se fait reconnaître feudataire du dauphin du Viennois, une maison déjà
en conflit avec celle de Savoie.
Il est probable que
dans cet accord de défense, et alors que Bérenger a dévasté
les terres et incendié le pays au delà de la Stura, le
dauphin a proposé à la comtesse de prendre tout le marquisat
sous sa domination, mais Alasia, femme intelligente, au lieu de faire
hommage pour toute marquisat, lui a proposé de céder seulement
une partie des terres, au sommet de la montagne et adjacentes à
son domaine, abandonnant, en compensation, les revenus perçus annuellement,
en faveur de la Maison du dauphin de Briançon.
Les historiens se disputent encore sur les raisons de cet
hommage du marquisat au dauphin. Les historiens français, comme Du-Chesne
(24) ou un autre auteur anonyme (25) , pensent que le fait est véridique
et produisent un document (en latin) rédigé à Embrun,
le 3 Août 1210. Ce document est donné intégralement par
C Allais dans la Castellata.
A ces deux historiens s’associe le
sieur Le Quien de la Neufville (26) qui suggère que la princesse du
Piémont, Adélaïde,ou Alasie, reprit possession du marquisat,
en 1215, au nom de son époux Manfred. Gioffredo de la Chiesa suppose
ce document authentique mais pense que Manfred II a épousé deux
femmes du nom d’Alasie : Alasie, fille d Guillaume le vieux de Montferrat,
en première noce, puis Alasie, fille d’Olderico, frère de Guigues
le dauphin de Vienne. Cette opinion est partagée par d’autres auteurs
(27) .
Mais, des documents postérieurs
à l’acte d’hommage du marquisat, montrent qu’Alasie de Montferrat était
toujours en vie, et Guichenon (28) ou Muletti (29) auteurs plus éclairés
et plus documentés, prêtent peu de crédit à ce
document et en relèvent les inexactitudes :
•
le document indique que l’acte a été rédigé sous
l’empereur Frédéric, alors que cette année là,
l’empereur était Otton IV.
•
l’abbesse de Staffarta n’était pas Simone de Piossaco, mais un certain
Bernardon, de 1206 à 1216.
•
Adélaïde ou Alasie ne portait pas le titre de comtesse du Piémont,
mais celui de « Salutiis o Salutiarum ».
•
qualifié de fille d’Olrico, elle était en fait fille de Guillaume
(Guiglielmo), marquis de Montferrat. La fameuse comtesse Adélaïde,
fille d’Olrico, était morte depuis plus d’un siècle.
•
de plus, pour faire une cession si importante, il aurait fallu l’autorisation
du mari, et le document ne parle pas de cette autorisation, ni de comment
elle a été obtenue.
C Allais pense qu’il est probable que ce document a été manipulé
dans des temps postérieurs pour servir lors d’une procédure
judiciaire, au parlement de Paris, entre 1375 et 1380, contre les ducs de
Savoie, Amédée VI et Amédée VII, afin de prouver
que le marquisat de Saluces dépendait du domaine du dauphin. Il précise
aussi que le style utilisé par le document diffère de celui
que l’on utilisait à l’époque. De tout cela il faut conclure
que la comtesse Alasie s’est portée, personnellement ou par l’intermédiaire
de son procurateur à Embrun où elle a traité l’affaire
avec Guigues, le dauphin. Pour défendre les frontières du marquisat
de l’invasion imminente du comte de Provence, la comtesse avait besoin d’une
aide importante qui ne pouvait venir que du dauphin totalement étranger
à toutes les querelles et divergences entre les cités et les
Etats italiens.
Il est probable que dans cet accord de défense,
et alors que le comte de Provence a dévasté les terres et incendié
le pays au delà de la Stura, le dauphin a proposé à la
comtesse de prendre tout le marquisat sous sa domination, mais Alasie, femme
intelligente, au lieu de faire hommage pour toute marquisat, lui a proposé
de céder seulement une partie des terres, au sommet de la montagne
et adjacentes à son domaine, abandonnant, en compensation, les revenus
perçus annuellement, en faveur de la Maison du dauphin de Briançon.
Les terres cédées
seraient délimitées par les deux Varaita, triangle montagneux
partant de la frontière française jusqu’à la rive droite
du Varaita de Pontechianale et à la rive gauche du Varaita de Bellino,
formant un angle aigu dont la pointe se trouve près de l’antique ville
de San Eusébio, sur le territoire de Casteldelfino. Ces terres comprenait
la ville de San Eusébio et divers bourgs de la vallée de Bellino.
N’ayant aucun document précis de cette cession et n’ayant aucune preuve
que le dauphin ait posé le pied en Piémont avant cette époque,
et par le fait que Guigues Andréa, dauphin V de Vienne jusqu’en 1237,
a ordonné la construction d’un fort au bourg de Ribiera de Bellino,
en 1228, pour défendre le pont qui reliait les deux Etats, C Allais
croît pouvoir dire que cet accord d’Embrun marque le début du
Dauphiné cisalpin.
Les premiers Vaudois
(1170-1215)
L’affaire des Vaudois commence à la fin du XIIe siècle
lorsqu’un nommé Vaudes, riche marchand de Lyon, décide
d’abandonner sa fortune, sa vie familiale et mondaine, fait vœux de pauvreté
et crée le mouvement des Pauvres de Lyon fondé sur l’Evangile,
la pauvreté et la prédication. Dans les premières
années (1170-1175), il fait des disciples laïques, hommes
ou femmes, qui prêchent dans la région. En ces temps où
l’hérésie cathare est le fléau majeur, l’Eglise
catholique les laisse prêcher ouvertement, d’autant plus qu’ils sont
anti-cathares. Le vœu de pauvreté marque les foules et le mouvement
s’étend rapidement, à cette époque où les
évêques oppressent le peuple, où le clergé est
riche de biens matériels {77].
Entre 1175 et 1184,
les Pauvres de Lyon, ou Vaudois, s’en vont prêcher dans le Sud-Ouest
contre les cathares. L’Eglise catholique s’en accommode, ferme les
yeux sur leurs hérésies. Laïques et refusant de s’intégrer
dans un ordre religieux, leur prêche pose cependant un problème
aux catholiques qui y voient une perte de leur monopole, de leur influence
par le poids de la parole sur les foules d’illettrés du monde
rural. Le concile de Latran de 1215 condamne le mouvement, obligeant les
prêcheurs à rentrer dans la clandestinité [77].
Telle est l’histoire
des premiers Vaudois, histoire que nous allons suivre pendant plusieurs
siècles.
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