La vigne.
L’étude des fossiles nous apprend que les vignes sauvages existent
en Europe dès l’ère tertiaire. L'espèce actuelle
s’est propagée, en Europe, au cours de la dernière période
interglaciaire. En se mêlant aux espèces sauvages qui existaient
déjà, elle a évolué vers les variétés
que nous connaissons actuellement. Grâce à certains bas-reliefs
antiques nous savons que la vigne était déjà cultivée
en Egypte 3.500 ans avant J.C, que la Grèce produit son le vin vers
2.700-3.000 ans avant J.-C.
Avec l'occupation romaine apparaît une culture intensive de la vigne
dans la Provincia, soit, en gros, en Provence et en Languedoc. Songez qu'en
111 avant notre ère, lors de l'invasion des Teutons, que les légions
de Marius arrêtent à Aix, les Barbares sont ivres et excités
par l'alcool avant le combat. Selon Plutarque, ils “avaient le corps appesanti
par l'excès de la bonne chère, mais le vin qu'ils avaient bu,
en leur donnant plus de gaieté, ne leur avait inspiré que plus
d'audace”.
Ce succès de la vigne entraîne un important commerce de vin.
“Le naturel cupide de beaucoup de marchands italiens, dit Diodore de Sicile,
exploite la passion du vin qu'ont les Gaulois : sur des bateaux qui suivent
les cours d'eau navigables ou sur les chariots qui roulent par les plaines,
ils transportent leur vin, dont ils tirent des bénéfices incroyables,
allant jusqu'à troquer une amphore contre un esclave, de sorte que
l'acheteur livre son serviteur pour payer sa boisson. (
*111
) ».
Les romains, après avoir généralisé sa culture,
l’ont cantonné sur les coteaux, en utilisant les plaines pour la culture
du blé et autres céréales.
Les premières traces écrites sur le vin de notre région
nous viennent des archives de la Révérende Chambre apostolique,
qui tient le cadastre, au XVe siècle. Il s’agit de Bédoin qui
compte, en 1414, près de 346.000 pieds de vigne et fait commerce de
son vin. Bédoin est la première cité du Vaucluse à
exporter son vin en bouteille, après, bien sûr le vignoble direct
des papes (Castel Papal, Châteauneuf-du-pape).
Il faut faire appel aux archives notariales pour retrouver les traces écrites
les plus lointaines de l’activité liée au vin dans notre commune
: ainsi trouve-t-on trace, dès 1452, d’une cuve à bouillir
le vin « tineam bulhitora » ou « tina bulhitoria
» (*112
), puis un inventaire complet de 1579, toujours dans
le même fonds d’archives, qui décrit « unum torculare
sive destech actum a destreque vin, avec ses ustencilibum (banc, rodes, visetes,
scolfe, mandres de fer et coppo de bois » (
*113
), soit un pressoir (destrech) et son matériel
associé.
Il faut savoir que le vin n’a pas enrichi ses producteurs pendant des siècles.
Malgré les gelées, telle celle de 1442 qui détruit tout
ou partie de la récolte de raisins dans toute la région, en
général, on est en surproduction car le vin ne se conserve pas
et se consomme sur place. Pendant des siècles, le vin épicé
s’appelle clairette et le mélange du vin avec de l’eau donne la piquette
[33]. Il faudra attendre l’arrivée du chemin de fer et l’ouverture
vers le Nord pour que cette activité agricole devienne lucrative
et pousse la production en volume.
Dès le début du XVIIe siècle (1610), les archives,
municipales cette fois, nous apprennent que le mesurage du vin est de la
responsabilité de la commune et qu’il existe alors un droit sur la
vente de vin, le Souquet. Ce droit est de 12 deniers par saumée.
Le mesurage rapporte 163 florins à la commune et le Souquet la somme
de 492 florins (en 1613).
L’activité liée aux vendanges et au vin est peu décrite
dans les archives car elle n’est pas gérée par la commune,
contrairement à la farine ou à l’huile : chacun possède
son propre matériel, sauf quelques pressoirs qui sont propriété
commune. On achète une roue à pressoir à vin à
un charron de Carpentras (1668), puis deux autres roues pour pressoir
(1680), trois « trènes » (1683) ; le consul se
rend à Bédoin pour mesurer la longueur des vis des pressoirs
de ce lieu afin de faire les nôtres de même ; notons encore l’achat
d’un grand pressoir en 1731, pour 24 écus roy.
Le terrible hiver de 1709 ouvre le nord de la France aux vins du Midi :
les vignes méridionales ont échappé, en partie, aux
gelées dévastatrices qui, cet hiver-là, a ruiné
les vignobles du Nord. La brusque cherté du vin provoque la montée
des tonneaux jusqu'à Paris.
La France du Midi, la plus douée pour la vigne, la première
à l'avoir cultivée, a été longtemps désavantagée
par rapport à la France du Centre qui lui barrait la route des bons
clients, y compris ceux de la capitale. Tout change avec le XVIIIe siècle.
La seule intervention communale est la décision de la date de début
des vendanges, la publication du ban. C’est un souvenir de la féodalité,
lorsque les seigneurs se gardaient le droit de vendanger avant les autres,
pour trouver une main d’œuvre bon marché. La pratique de la publication
du banc a perduré jusqu’au XIXe siècle, ignorant les révolutions
françaises.
Nos archives regorgent de date de début des vendanges :
16 septembre 1736,
28 septembre 1746,
23 septembre 1747, …
Ne nous laissons pas aller à penser que, dans notre bon village de
Caromb, tout se passe toujours bien. D’abord il y a les intempéries
: ainsi la grêle d’août 1728 qui cause des dommages aux vignes
mais qui nous montre la solidarité du village : les propriétaires
qui ont été touchés par la grêle sont autorisés
à vendanger avant les autres. Ensuite il y a ceux qui ne respectent
pas la date : ainsi en 1751, on décide de constituer une garde bourgeoise,
composée de trois hommes à chaque porte de la ville, pour empêcher
l’entrée des raisins dans le village avant l’ouverture du ban.
Le vocabulaire de jadis éveille quelques souvenirs d’enfance, parle
à notre mémoire, sûrement entendu de la bouche de vieux
viticulteurs ou vignerons du village. Avec quelques plaisirs, passons-les
en revue, sans avoir la prétention de les comprendre tous parfaitement.
Le « pau » ou « pal » (pieu) est utilisé
pour la plantation de la vigne. Le « plantadouiro » a la même
fonction, mais plutôt pour le jardin.
La « caussayre» (charrue à versoirs symétriques)
permet de chausser la vigne avant les froids, alors que la « descausayre
» est utilisée au printemps pour l’opération inverse.
Nos vignerons taillent avec des serpes (« pododoyre » ou «
podadouire », mots qui viennent du verbe latin « putare »,
tailler la vigne). Notre bon sécateur est une invention récente
: pensez donc, il n'apparaît qu'en 1875.
Jusqu’au XVIIIe siècle, le greffage se pratique avec des couteaux
de petite taille, greffoir ou serpette, à lame courbe. On n’en est
pas encore au greffé-soudé du XIXe siècle et sa mécanisation.
Le soufrage est pratiqué jusqu’au XIXe siècle avec la houppe,
un récipient métallique percé de trous que l’on agitait
au-dessus des vignes. Puis vient la soufreuse à dos, lourde de ses
25 Kg une fois remplie, plus efficace et donnant plus d’autonomie. La soufreuse
à traction animale apparaîtra au XXe siècle.
Pour les vendanges, seaux et «
guindelles » permettent de transporter le raisin jusqu’aux charrettes
et, de là, vers les cuves particulières dans le village ( la
tina bulhitoria de 1452) ;
Quand le raisin est dans la cuve, nos vignerons le foulent dans la «
coucadouire ». Le jus est tiré dans la « tirdoira »
;
Nous utilisons des pressoirs à vis (« torculare »), composés
de trois parties :
- la « maie »,
bassin ou table, partie inférieure qui supporte l’ensemble,
- les caisses ou «
claies », en planches écartées pour laisser s’écouler
le jus.
- le mécanisme
de pression à vis.
En 1758, l’entretien des 4 pressoirs à vin de la communauté
est confié à un menuisier pour 4 ans, les particuliers payant
3 sols par « combagnes ». La traine a 4 cannes ½ de long
(près de 9 m.), ½ pan de large (10 cm.) et est faite de la
même paille que les couffins. On compte 5 « banastous »
(vaisseau de bois à 2 anses pour les vendanges) de grappes par combagne.
Pour la conservation du vin, de manière générale en
Vaucluse, les tonneaux sont fait de bois de mûrier blanc (« morus
alba ») jusqu’à ce que le bois de mûrier commence à
manquer (1843). Chacun se souvient aussi de nos dames-jeannes, énormes
bouteilles en verre blanc très fin, couvertes de nattes et placées
dans des paniers, qui vieillissaient au fond de nos caves.
Le vin ne se garde pas longtemps : il est bu dans le pays ou bien est distillé
pour fabriquer de l’eau-de-vie. Deux distilleries « n’ayant qu’une
chaudière », « de l’ancienne forme », assurent la
production carombaise en 1808. Sous Napoléon, les vignes n’enrichissent
toujours pas leurs propriétaires et la trop grande abondance de vin
est considérée comme une calamité, faute d’exportation
(*114
).
Vers 1760, le vignoble augmente et le rendement passe à 6 hectolitres
à l'hectare [54].
La période 1840-1860 est marquée par d'autres bouleversements
de l’agriculture du Comtat : le travail de la terre a changé car l'araire
et le coutrier ont disparu devant la charrue. Pour amender la terre, sont
apparus, vers 1840, les tourteaux de graines oléagineuses (provenant
de la fabrication des huiles de Marseille), un très bon engrais.
Les jachères reculent. La vigne progresse au détriment de
l'olivier. Autre évolution, c'est vers le milieu du XIXe siècle
que l'on plante de nombreuses haies de cyprès et de thuyas pour lutter
contre le mistral qui dessèche et fait geler les jeunes plantations
[118].
Les revenus des agriculteurs augmentent, mais le travail de la terre se
fait encore principalement « à bras ».
"Greffés soudés".
Une maladie de la vigne, le phylloxéra, anéantit (1863) la
viticulture et le vignoble doit être renouveler. Les ravages du phylloxéra,
développent, dans la région de Carpentras, une zone de production
de plants de vigne et Caromb commence le greffage sur pieds américains
résistants au phylloxéra. Tous les cépages français
doivent être régénérés par hybridation
avec des cépages extérieurs (en particulier américains)
ou doivent être greffés. Ces manipulations, combinant les découvertes
scientifiques et le savoir-faire millénaire de nos viticulteurs,
vont créer les meilleurs cépages du monde.
A la fin du XIXe siècle, Caromb compte déjà des cultivateurs
spécialisés dans les plants de vigne parmi lesquels quelques
gros propriétaires comme M. Gerin, M. Barre, M. Camaret et M. Blouvac.
Le greffage de la vigne prend une extension considérable dans la
commune et tout propriétaire monte son propre atelier. C'est bien
vite par millions qu'il faut compter la production de plants greffés
et la demande est importante pour les nouvelles plantations comme pour le
renouvellement. Caromb devient le premier producteur de "greffés
soudés" du monde.
La production carombaise de plants de vigne greffés (pesée
au poids public, en 1900) est de 500.000 kg.
Nos agriculteurs organisent leur atelier de greffage, leur chaufferie, louent
des terres de plus en plus loin de la commune et embauchent une main d’œuvre
étrangère, italienne puis espagnole.
Les plombiers du village fabriquent des « zincs » pour les caisses
de greffés. Les camions sillonnent nos routes en transportant vignes-mères
ou caisses de greffés.
La commune compte quelques grandes propriétés, maison bourgeoise
entourée de parc. L'annuaire du Vaucluse, en 1911, cite
- Saint Clou, à
M. Fauque
- Crochant à M.
Rovet
- Saint Marc à
Me veuve Peyre
- Le Lauron à
Mlle de Camaret [98].
Dans les années 50, la production de plants greffés de Caromb
atteint le chiffre de 30 millions de plants et entre 12 et 15 millions de
plants récoltés, soit 10 % de la production française
totale, pour notre seul village. Cette production est un élément
majeur de l'économie carombaise et utilise une main d'œuvre locale,
ou étrangère, très importante. La production fruitière
s'est réduite devant le "greffé soudé" [98].
Le greffoir est remplacé par les machines à greffer.
27 millions de plants sont plantés en 1971, soit un quart de la production
nationale ; le Vaucluse assure à lui seul 40% de cette production
française. La section carombaise du « syndicat départemental
des producteurs de bois et plants de vigne » compte, cette année-là,
120 adhérents.
La cave coopérative.
Le début de l'année 1928 est marquée par la création
de la coopérative par quelques viticulteurs, la "Cave coopérative
de Caromb" comme l'indique les statuts. La première assemblée
générale de cette association nomme son bureau :
- Président
: Marius Bonnet
- Vice-présidents
: Victor Boudouin et E. Bordel.
- Secrétaire
: André Favetier
- Trésorier
: Abel Durand
Maître Falque, notaire à Caromb reçoit les pouvoirs
pour "poursuivre ou engager tous pourparlers relatifs à la construction
de la cave, soit avec le Génie Rural, soit avec les architectes,
entrepreneurs, fournisseurs, caisses et établissements de crédit
quelconques " (*115
).
De 1928 à 1999, la cave coopérative prospère
et 14 présidents se succèdent à la tête du conseil
d'administration : citons les (*116
) :
- Marius
Bonnet (1928-1932)
- Jules
Allègre (1932-1942)
- Victor
Boudouin (1942-1947)
- Gustave
Farjon (1948-1956)
- Gabriel
Signouret (1956-1960)
- Fernand
Haut (1960-1967)
- Raoul
Girard (1968)
- Louis
Thiers (1968-1974)
- Hubert
Falque (1974-1975)
- Henri
Mayan (1981-1984)
- André
Hugues (1984-1988)
- Henri
Reynaud (1988-1996)
- Alain
Tramier (1996-1998)
- Luc
Bourguignon (depuis 3/1998)
Plusieurs fois agrandie ( en 1969 par exemple), la cave a une contenance
de 68.000 hl en 1972 et compte 400 adhérents environ. La production
est de 41.500 hl dont 18.000 hl de Côtes du Ventoux et 23.500 hl de
vin de consommation courante.
La vigne occupe, en 1971, une superficie de 1.007 hectares. Cette année_là,
Caromb compte 183 tracteurs pour 213 exploitations. Les exploitations de
moins de 5 ha sont au nombre de 100 ; celles occupant une superficie comprise
ente 5 et 20 ha sont au nombre de 120 ; celles ayant plus de 20 ha sont seulement
au nombre de 3. Les exploitants sont, en majorité, propriétaires,
avec 30 % de métayers ou fermiers.
La production de raisins de table est stable, mais de croît plus à
partir de cette date.