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La Révolution
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Longuement développé
dans le tome I de cette Histoire de Caromb, principalement à
partir du récit de l’abbé François-Xavier Gardiolle,
on trouve encore quelques informations supplémentaires dans un texte
intitulé « Exposé fidèle des malheurs qui
ont affligé la ville de Caromb, dans les mois de mai, juin, juillet
et août 1791 » [170].
On y apprend quelques faits et quelques
noms supplémentaires:
« Lorsque, dans les premiers
jours de février 1791, la municipalité d’Avignon eut proposé
aux diverses communes du Comté Venaissin de se lier avec elle par
pacte fédératif, la commune de Caromb fut une de celles qui,
entraînées par la terreur, n’osèrent se refuser un tel
pacte ; ces Avignonnais, guidés par leurs passions particulières,
voudraient peut-être employer la force contre ceux du Venaissin qui
n’adopteraient pas leurs idées ; et, d’après cette observation,
elle se réserva expressément que, dans aucun cas, les citoyens
de Caromb ne pourraient être tenus de prendre les armes contre des gens
qu’ils étaient accoutumés à regarder comme des frères.
A cette époque, les sieurs
Durandy, notaire, Bertrand, médecin, et Thomas Blanc, étaient
absents de Caromb, depuis environ une année : c’étaient trois
factieux qui, après avoir tenté pendant longtemps toutes sortes
de moyens pour succiter des troubles dans la patrie, avaient été
obligés de s’éloigner, pour échapper à la juste
vengeance des lois ; ces trois personnages pouvant être regardés
avec raison comme les auteurs de tous les maux dont la commune de Caromb
a à se plaindre, il est à propos de les faire connaître
d’une manière plus particulière.
Le sieur Durandy, remarquable par
son audace, sa méchanceté et son esprit d’intrigue, était
peu favorisé des biens et de la Fortune ; mais il se promettait de
tirer avantage d’une révolution ; et il l’avait manifesté en
annonçant des projets d’embellissement pour sa maison de campagne,
il voulait y placer des portes de fer..
Le médecin Bernard, d’un
caractère violent et emporté, et, en même temps envieux
et vindicatif ; conséquemment, il s’est toujours montré l’ennemi
de tous ceux qu’il croyait plus heureux que lui, et de tous ceux aussi qui
l’avaient contrarié dans ses idées, ou entravé dans
ses opérations.
Quant au sieur Blanc, c’est un esprit
borné ; mais il est méchant par caractère ; incapable
de faire le moindre bien et toujours prêt à recevoir les impressions
que veut lui donner le médecin Bertrand, son guide ordinaire.
Pour les malheurs de Caromb, ces
trois hommes s’étaient liés ensemble… et avaient trouvés
des partisans dans la lie du peuple, leur promettant une décharge
d’impôt, une part au partage général des biens et à
un pillage qui infailliblement aurait lieu…
Une assemblée de famille
avait privé ces sieurs de leurs droits de citoyens.
La Garde nationale s’étant
formée contre eux et plusieurs factieux les abandonnèrent,
ce qui eut comme conséquence qu’ils quittèrent Caromb.
Avignon envoya des troupes contre
Carpentras, plaçant une garnison dans chacune des communes autour
de cette ville, le gros des troupes étant à Monteux.
Un détachement de la
Garde avignonnaise avec 130 personnes commandé par le sieur Lastour,
d’Entraigues arriva à Caromb. Le 1er mai, à 7 H du matin,
il trouva les portes de la ville ouvertes, entra sans obstacles, les Carombais
se souvenant du pacte fédératif qui les unissaient encore
avec les Avignonnais crurent qu’ils agiraient en fidèle alliés.
L’espoir fut déçu
: Durandy vint à la tête du détachement et le sabre
à la main.
La première opération
fut d’emprisonner le sieur Richard, colonel de la Garde de Caromb ; il est
vrai qu’il ne passa qu’une nuit en prison.
Durandy longea ses soldats, de dix
en dix, chez les citoyens.
L’absence de particuliers comme
le sieur Dubarroux, le sieur Durand de la Place et du curé de Caromb,
ne mit pas les citoyens à l’abri des vexations.
Le 4 avril, convocation des citoyens
catifs pour nommer les électeurs à envoyer à l’assemblée
d’Avignon, assemblée qui fut troublée par les factieux.
Le 1er mai, convocation d’une nouvelle
assemblée dans l’église des Cordeliers. Portes gardées,
entourés de baïonnettes, sur la proposition du sieur Pastour,
Durandy fut nommé Président de l’assemblée ; furent
élus les trois factieux, Charles Clément et Joseph Chave.
Le 3 mai, Durandy et les autres
demandent de porter au château, où Pastour avait son logement,
les habits-uniformes des Gardes nationaux. Cette demande fut suivie par
la prise de force de ces habits.
Puis, élection de Blanc comme
colonel d’une nouvelle Garde.
Ils s’emparent de diverses maisons
de campagne, telles celles des sœurs Valoris, Eydoux, Sobirats, Cohorn, celle
connue sous le nom de Bachus appartenant à la dame de Modène
et la maison curiale de Serres.
Falque de St Hippolyte, un des plus
riches particuliers du canton, fut accusé d’avoir donné asile
à deux de ses parents de Caromb. Il fut saisi et mis en prison à
Caromb (il n’y resta que peu de temps). Au mois de Juin, il sera saisi une
deuxième fois, conduit à Monteux avec un de ses frères,
et la chose s’arrangera par transaction avec le général Jourdan.
La discrétion a laissé ignorée quelle somme fut exigée.
…
Suite à des demandes de rançon,
certains s’enfuient…
Les citoyens Constantin, Cazal,
Peyre… payèrent des sommes considérables.
Certains se plaignent et sont saisis
: Mathieu Cornut et son épouse, les deux fils d’Antoine Milan, les
rentiers de la dame Dandrée, une partie de la famille Crest.
Durandy, de retour d’une assemblée,
exige 6.000 livres comme quote-part pour Caromb.
Les sieurs Richard et Gilles sont
conduits au camp de Monteux, sans savoir pourquoi, pendant plus d’un mois,
et entendant seulement la menace « il faut te pendre ».
Idem pour le notaire Faure, emprisonné
pendant 38 jours pour calomnies.
Le détachement resta à
Caromb jusqu’au 11 juin. Avant de partir les factieux exigèrent 200
livres des pères Cordeliers, 110 livres des religieuses de Ste Ursule,
un quart des revenus de la dame de Ligneville baronne de Caromb, par l’intermédiaire
de ses gens et la trésorerie restante de la commune.
En quittant le village ils voulurent emmener certaines personnes qui préférèrent
s’enfuir. Les fils de Jean François Morard essuyèrent des coups
de feu et Pierre Robin et Louis Jaume durent comparaître devant Durandy
pour calomnie.
A peine arrivé à Monteux,
Durandy envoya une lettre à Caromb, menaçant de revenir bientôt.
Le 2 juillet à 4 H du matin,
huit hommes des Avignonnais arrivèrent à Caromb après
que leur armée ait été dissoute. On connaît la
suite : foule sur la place, fureur populaire, arrestation des factieux et
conduite à la maison commune puis dans la prison du château,
Marignane qui essaie de calmer la population est insulté, les prisonniers
sont saisis et emmenés dans un champ où après demande
d’absolution de leurs fautes, sont tués.
Plus tard, les officiers municipaux
furent convoqués par des Médiateurs de la France à Avignon
et furent emprisonnés pendant un mois.
Un Médiateur de la France
vint à Caromb avec une escorte considérable composée
de soldats du 40e régiment d’infanterie, de dragons du 8e régiment
de hussards du 5e.
Il y a désarmement général
et les armes saisis sont entreposées à la maison commune. Lors
d’une deuxième procédure, le médecin Bertrand fut nommé
Accusateur public, le médiateur faisant office de juge. Ce tribunal
ordonna des emprisonnements.
Voici ce qu’écrivait Jean Debry, le représentant du peuple
dans les départements de la Drôme, de l’Ardèche et du
Vaucluse, à la Convention nationale, juste après les évènements
tragiques de Caromb :
Carpentras, le 5 pluviose, l’an III
de la république française, une et indivisible.
« Citoyens, collègues, j’ai vu trois des quatre districts
du département du Vaucluse, Avignon, Orange et Carpentras….Il entre
dans mon plan d’aller porter moi-même des secours et des consolations
dans les communes les plus maltraitées du département de Vaucluse….
L’on tremble encore ici, et il est difficile de ne pas rencontrer à
chaque pas des gens qui pleurent ; les souvenirs récents des forfaits
dont le pays a été couvert ne permettent qu’à peine
de croire au retour de la justice ; on semble craindre d’être remarqué
par les scélérats si l’on montre de la vertu et de l’énergie.
On vous en impose si l’on vous dit que les satellites des triumvirs n’ont
porté dans le Vaucluse leurs coups que sur les aristocrates. Quels
aristocrates ! Soixante femmes de Caromb, à peine vêtues, pauvres
et portant les empreintes d’un travail journalier et pénible, sont
venues me demander des secours ; leurs maris avaient été exécutés
par le tribunal d’Orange. Dans cette classe de citoyens, on ne peut qu’être
égaré, et alors, pourquoi ceux-ci ne sont-ils pas nés
dans la Vendée ? On leur aurait pardonné.
« J’ai vu les habitants de Bédoin. Je n’ajouterai rien
à ce que vous savez de cette malheureuse commune… Partout où
j’ai passé, il n’y a eu qu’une seule voix, celle de l’exécration
pour les assassins d’Orange, et de la plus profonde douleur sur l’incendie
de Bédouin…
Ce département a été tellement agité par la
réaction de toutes les haines qu’il est très facile d’y être
trompé, malgré les meilleures intentions ; les gardes nationales,
les sociétés populaires, les municipalités et même
la force publique soldée, ont, pour la plupart, des préventions
et des ressentiments…
« Salut et respect
J. Debry.
P.S. J’ai établi provisoirement une municipalité et une
justice de paix à Bédouin ; j’attendrai un décret de
la Convention pour statuer définitivement à cet égard.
Je vois que, parmi les consolations à donner au reste de sa population,
les habitants compteront l’acte législatif qui leur rendra l’existence
civile qu’ils n’ont point encore.
Signé J. Debry »
La lecture de cette lettre à
la Convention déclencha indignation et applaudissements, et la demande
d’un décret immédiat pour Bédoin. Un des orateurs demanda
l’impression de cette lettre afin qu’on sache que les buveurs de sang ne
s’agitent pas qu’à Paris et qu’il est temps qu’ils perdent leur espoir.
La Convention doit se rappeler qu’on a dit que le lion dormait ; il
faut que ne le laisse réveiller que pour l’étouffer.
A travers cette lettre on imagine
mieux quelle était l’ambiance le l’époque d’après-crise
et la méfiance qui restait dans les esprits.
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