III.
Caromb sous les Romains.
La conquête du Midi.
Le Comtat
romain.
Organisation
des campagnes.
Maurice, commandant de légion romaine.
Evangélisation de la région.
La conquête du Midi.
En 154 av. J.-C. , les Romains traversent
les Alpes et livrent leurs premières batailles contre les Ligures
(Salyiens), à Æegitna (Biot, Alpes-Maritimes). Appelés
par les Marseillais en 125 av. J.-C., ils détruisent l'oppidum[
*5
] d'Entremont,
capitale des Salyens, et s’installent.
Les auteurs anciens, Stabon[
*6
] ou Tite-Live
racontent une bataille rangée aux abords de la cité de Vindalium
(Bédarrides ou Vedène), où les éléphants
romains font fuir la cavalerie ennemie et qui fait 20.000 morts et 3.000
prisonniers celto-ligures [*
12]
.
Si la côte méditerranéenne,
Marseille, Nice, Antibes restent grecs, les Romains étendent leur
domination à l’est de la Provence jusqu’aux Alpes, puis avancent vers
la Drôme. Ils battent les Allobroges à Venasque. Quintus Fabius
Maximus détruit les forces allobroges et arvernes coalisées
au confluent de l'Isère et du Rhône
[55]
.
L’Arc de Triomphe de Carpentras, si près
de chez nous, est élevé en mémoire de ces victoires.
Cet Arc de triomphe est probablement contemporain de ceux d'Orange ( 10
après J.C.), de Cavaillon et de Saint-Rémy. Il représente
des trophées militaires et des captifs enchaînés
[12]
.
Les romains sont chez nous, vers 120 avant J.C. et Caromb,
comme tous les autres villages, devient bourg romain et le restera pendant
près de cinq siècles.
Le Comtat romain.
César crée des colonies
comme celles d’Arles et d’Orange et les offre à ses anciens compagnons
d’armes ou à des citoyens romains. Colonies de droit romain, elles
sont administrées principalement par des romains et aussi par quelques
notables indigènes devenus citoyens. Les campagnes sont administrées
par un magistrat et un conseil.
Carpentoracte est l’ancienne capitale
des Memini. «La richesse de son territoire lui assure une place
de choix dans la nouvelle province. La forteresse, bâtie sur le gué
de l'Auzon, conserve sa valeur militaire ». Au milieu du Ier siècle
avant J-C. , Tiberius C. Nero, en charge de la Narbonnaise, romanise
la ville et l'organise en forum, c'est-à-dire en marché officiel.
Déjà le marché se tient devant l’arc de triomphe, sur
une esplanade en ovale de 200 m de large et d'un km de longueur. Elle
est nommée Forum Neronis et rassemble dans ses foires toutes les richesses
agricoles du pays, des plaines du Comtat aux contreforts du Ventoux.
Karpantum : un char de combat tiré par deux chevaux.
Ce type de char était construit à Carpentras
Mais c’est Orange qui semble avoir eu le plus
d’influence sur nos villages : Auguste fonde Orange, la Colonia Julia
Firma Secundanorum Arausio, pour les vétérans de sa IIe légion
gallique. Le terme de firma souligne son rôle de place forte ou fortifiée.
Quant au nom d'Arausio, c'est celui du dieu de la source. Le centre de
l'Orange romaine est sur la colline Saint-Eutrope qui, comme une acropole,
commande l'entrée des terres fertiles du Comtat, entre les deux
oppida de Laudun à l'ouest et de Beaumes-de-Venise à l'est.
Il semble que la fondation d'Aubignan, Albuniani, soit due à l'arrivée
des colons romains de la colonied'Orange et à la migration de quelques
celtes d'Aubune [120]
.
La colonie d’Orange s’étend vers
l’est sur les terres du Comtat, au moins jusqu’à Beaumes-de-Venise,
où l’on retrouve des vestiges de l’occupation gallo-romaine, et
sûrement jusqu’au pied du Ventoux comme l’indique son cadastre. La
cité se couvre aussi de monuments : outre le superbe Arc de Triomphe
à trois arches construit dès l’arrivée des romains
entre 10 et 25 après J.C., un immense théâtre accolé
à la colline Saint-Eutrope permet les jeux du cirque, les combats
de gladiateurs et de bêtes féroces.
Quelques-uns de nos carombais de l’époque
ont peut-être assisté à ces spectacles.
Au nord, Vaison, Vasio n'est pas une colonie,
mais la capitale indigène des Voconces. Leur cité est confédérée
et alliée des Romains. Elle est, dit une inscription, «respublica
Julliensium. ». La traversée de l’Ouvèze se fait par
un superbe pont bien haut au-dessus de la rivière, preuve que les
romains avaient déjà évalué les risques d’inondation
liés à l'immense bassin de l’Ouvèze en amont de la
cité. «Les Voconces, ayant accepté de collaborer avec
les Romains après la défaite des hordes teutones, sont traités
avec bienveillance par César qui offre à Vaison le titre honorifique
de civitas foederata. Vasio, au contraire des cités commerçantes
ou militaires, devient très vite une ville bourgeoise, luxueuse, paisible,
avec de grandes maisons. » [12]
. La cité couvre 75 hectares aux Ier et IIe siècles et
compte près de 10 000 habitants. Deux aqueducs amènent l’eau
dans les "villae"et les quatre thermes, dont l’un conduit les eaux de la
source du Groseau, près de Malaucène.
Cette cité de Vaison contrôle
les terres des alentours et est active jusqu’au bas des collines du Barroux.
Entre ces cités importantes,
la campagne se peuple très rapidement.
De nombreuses villae[
*7
] ou groupes de villae se développent dans la campagne prospère
des environs de Carpentras.
La plupart, sinon tous les villages
actuels, sont créés à cette époque. Mazan, par
exemple, est déjà un grand village dont la population est
aussi nombreuse que de nos jours. De nombreux vestiges ont été
trouvés dans les grands domaines : St Andéol, Jusalem, les
Molances, la Condamine. Une nécropole du 1er au 4e siècle existe
au vicus de St Andéol avec autels, céramiques et monnaie romaine.
Il suffit de visiter le musée lapidaire et la bibliothèque
Inguimbertine pour voir tous les objets romains retrouvés : poteries,
amphores, mosaïques ou monnaies. Une importante présence romaine
est signalée aux hameaux de St Estève et des Bruns ( 1ers siècles
avant et après J.C.). Crillon est occupé par les Gallo-Romains,
comme Modène, au Font-des-Clapiers et à la Combe.
Dès cette époque,
les routes sont tracées, empierrées et permettent de se déplacer
avec chars et chariots. Les principales relient les cités : de Vaison,
on descend vers Carpentras par deux voies romaines : l'une, par Malaucène,
passe sous le Barroux et traverse les terres de Caromb ; l'autre contourne
les Dentelles de Montmirail, par Gigondas et Vacqueyras.
Organisation des campagnes.
Les Romains laissent leur
empreinte sur la campagne : le découpage des terres ou « centuriation
» romaine organise le pays en lots carrés appelés «
centuries ». Certaines délimitations actuelles, chemins d’accès
aux parcelles, murets de pierre sèches, fossés de drainage
ou d’irrigation, sont des marques du cadastre centuriè.
Un bel exemple de cadastre
est celui de l’ancienne colonie romaine d’Orange étudié de
1949 à 1954 lors de fouilles archéologiques
: 10.000 fragments de marbre retrouvés représentent l’inventaire
cadastral d’une vaste région autour d’Orange-Carpentras et
montrent une répartition des terres en plusieurs catégories
: les meilleures étaient distribuées aux vétérans
fondateurs de la colonie d’Orange ( l’ager privatus ex quiritium) ; d’autres
étaient adjugées par la colonie à bail perpétuel
( l’ager privatus adsignatus) ; d’autres encore restaient propriété
de Rome ou des cités ( l’ager privatus ex jure peregrino). Enfin,
l’ager publicus était la terre du peuple devant payer des redevances.
L’initiative de ce cadastre
semble être due à l’empereur Vespasien (69 à 79 après
J-C). Il fixait la localisation des terres, leur contenance, leur propriétaire
et leur valeur d’imposition.
Ce cadastre est en effet un
document fiscal, fixant les redevances pour chaque parcelle. Il était
exposé publiquement et consultable par tous.
Le cadastre B (il en
existe en fait trois) couvre la région de Carpentras jusqu’au Mont
Ventoux. Quelques dalles de ce cadastre sont visibles au musée lapidaire
d’Orange.
Le territoire est alors découpé
en carrés de 706 m de côté. De nombreux indices de ces
limites sont encore visibles : chemins ou murs de pierre.
Tous ces indices ont été
recensés par nos chercheurs.
Les terres de Caromb sont ainsi découpées en carrés
et allouées aux Romains ou aux indigènes. Quelques o
bjets trouvés sont les témoins de cette présence
romaine. Utilisant les études publiées (G. Chouquer), je me
suis essayé à reconstituer les anciennes limites des parcelles
de la commune de Caromb et à replacer les indices cités sur
la carte de la commune :
Il semble que :
- la route de Malaucène, à la
sortie de Caromb, suive une telle limite, par Montfort, jusqu’au chemin
de l’écluse du Paty
- le chemin de la Payanne, vers Foulignan
serait lui aussi sur une telle limite de parcelle
- la route de Mazan, après avoir quitté
celle de Modène, le long de la Malagronne, jusqu’au pont sur la Mède,
longe des parcelles romaines. Plus loin, après la rivière
Mède, cette même route jusqu’à la limite de la commune,
suit encore une ligne de partage des terres romaines.
Quelques murets, quelques fondations peuvent
dater de cette époque gallo-romaine.
H. Bonnaventure nous révèle
les trouvailles faites sur le territoire de Caromb, datées de différentes
époques :
- au quartier de Fabrègues, près de la Malagronne,
on a retrouvé plusieurs tombeaux,
- au quartier dit de Notre-Dame, dans les champs, près
de l’ancienne chapelle dédiée à Notre-Dame des Innocents,
on a découvert des tombeaux, des ossements et divers objets,
- à l’extrémité de l’actuelle écluse
du Paty, quelques médailles militaires impériales romaines,
découvertes au début du XVIIIe siècle, ont été
offertes à Mgr d’Inguimberti, évêque de Carpentras,
et déposées au musée de la ville.
La
campagne change, car les agriculteurs romains défrichent, construisent
de grands domaines agricoles et cultivent intensivement la vigne, l’olivier
et le figuier.
Les
anciens dieux ligures sont intégrés par les divinités
romaines : chaque cité, chaque village a ses propres dieux. Jupiter
(la foudre et le tonnerre) et Apollon sont parmi les plus honorés
dans toute la Provence.
A
Caromb, près de l’ancienne chapelle dédiée à
St Etienne, s'élevait un temple du IIe ou IIIe siècle dédié
à Apollon. On y a découvert des mosaïques, des chenets,
des lampes, des médailles romaines et une très belle statue
d’Apollon. La présence de cette statue semble confirmée
par le compte-rendu d'un voyageur français, bien avant qu'Hilaire
Bonnaventure ne rapporte ce fait, texte écrit une quarantaine d'années
après la découverte. Ce texte est donné en annexe et
est disponible à la Bibliothèque Nationale de France.
Hilaire rapporte aussi, avec des précautions ("dit-on") qui laissaient
bien des interrogations, que cette statue était au musée
du Louvre.
Les conservateurs de ce musée, interrogés, répondent
par la négative, me dit-on.
Pourquoi avoir choisi Apollon, ce dieu grec, d'une beauté rayonnante,
de grande stature? Est-ce parce qu'il était le dieu protecteur
du bétail et que notre campagne était principalement
un lieu d’élevage ?
Apollon est aussi honoré à Beaumes où l'on a trouvé
un autel votif portant une inscription à son nom
[120]
.
Mais on préfère Mars ou Mars Nabelcus sur les pentes du
Ventoux et dans les Monts-de-Vaucluse (St Didier, Bonnieux). C’est le
dieu protecteur de la tribu, du clan, du village, preuve que l’on a déjà
le sens d’appartenance à une communauté. Mais, c'est aussi
le dieu de la guerre.
Devant la chapelle du Groseau, on a retrouvé un cippe avec inscription
du dieu gaulois Groselos et à St Hippolyte des autels dédiés
aux Nymphes (quartier des Côtes), à Silvain (quartier de
la Bariane), et à Mars Albarinus.
En raison de la domination romaine, tout le monde méditerranéen
utilise le latin populaire qui est importé dans nos régions
par les colons et les soldats romains.
Cette langue va
se diversifier par l’influence des parlers. Entre les Pyrénées
et les Alpes se développera la langue d’oc.