Les premiers signes
de la Révolution.
Nous entrons dans une période sombre de l'histoire de Caromb. Charles
Soulier dit que la commune de Caromb, «fournit la plus forte gerbe
à cette moisson d'hommes». Quatre de nos compatriotes sont exécutés
en Avignon et trente sept ont la tête tranchée à Orange.
Trente sept autres doivent émigrer. Cent dix huit personnes sont
enfermées dans les diverses prisons de Carpentras. Les révolutionnaires
ont sept des leurs exécutés à la Malagronne, un à
Carpentras, trois au quartier de l'Espine. Nous ne connaissons pas le nombre
des victimes dans les armées des deux camps [58].
Nous avons la chance de posséder des documents de l’époque
qui permettent de retracer, dans le détail, les évènements
de notre pays pendant la Révolution. L’abbé François-Xavier
Gardiolle vicaire de Caromb nous a laissé un manuscrit autographe,
« Caromb sous la Révolution », qui décrit les évènements
jour par jour. Vu de l’intérieur du village, il est un témoin
local d’importance. H Bonnaventure, dans son Livre II, rapporte les renseignements
donnés par les ouvrages des abbés André, Bonnel, Guillon
et dans ceux de MM. Baumefort, Soulier, Allègre, etc…, lesquels puisent
à la même source. Pierre Fayot, par son étude des archives
de Caromb, donne un complément de l’histoire locale et les références
nécessaires dans les archives.
François-Xavier Gardiolle est chanoine en 1786. Pendant la Révolution,
il sera vicaire constitutionnel avec le chanoine Fauque et devra abdiquer
avec lui sa dignité sacerdotale. Pendant la Terreur, il rachètera
cet acte et fera preuve de courage en continuant, au péril de sa
vie à administrer les sacrements et à célébrer
la messe. Poursuivi par les ennemis de la religion, il sera même emprisonné
au séminaire de Carpentras. Il reprendra normalement ses fonctions
de vicaire après le rétablissement du culte et vivra encore
une vingtaine d'années [120]. Il nous a laissé dans ses notes
une histoire vivante dont l'intérêt historique dépasse
largement notre commune.
L’histoire locale à elle seule ne permet pas d’expliquer tous les
évènements. Caromb est en Comtat Venaissin, enclavé
dans une France qui bouge. Analysons d’abord l’environnement français,
puis celui du Comtat.
En France, les idées changent, la Révolution se prépare
: le roi, Louis XVI, bravant le parlement, enregistre d’autorité des
édits de Justice. La révolte parlementaire gagne la province.
La gazette régionale de l’époque nous raconte deux épisodes
marquants : à Grenoble, le 7 juin 1788, la journée des Tuiles,
suivie, à Vizille, par la réunion des premiers états
provinciaux, le 21 juillet 1788, avec les trois ordres.
La situation générale dans le Comtat Venaissin est assez mauvaise,
surtout en raison de la crise économique intense causée par
le blocus français. L’administration pontificale a été
incapable de réformer ce qui devait l’être faute de moyens.
Le fonctionnement de la justice n’est pas fameux : il est trop lent. L’absence
d’impôts d’Etat favorise le régime en place [3].
L’année
1789.
Déjà, en 1788, des émeutes éclatent dans le
Comtat Venaissin, provoquées par la grande misère du peuple
et le chômage des ouvriers. L'Eglise fait beaucoup pour soulager ces
maux et le pape Pie VI, lui-même, se soucie de cette ébauche
de soulèvement général. Bien que l'on ne paie que de
légers impôts, en Comtat, et que l'argent récolté
serve uniquement au gouvernement local de la papauté [106], les temps
sont durs pour tout le monde.
L’hiver 1789 est terrible : les glaces interdisent la navigation sur le
Rhône et Avignon n’est plus ravitaillée. Les légumes
gèlent, et les paysans affamés et sans réserve rejoignent
les villes.
La remise en cause des privilèges en cette période agitée,
entraîne une forte récession économique en France. Avignon
et le Comtat Venaissin sont secoués économiquement. Il se
produit une émigration importante des nobles, ecclésiastiques
et officiers de l’armée vers "l’étranger”, vers Nice principalement.
Le clergé, la noblesse et le Tiers Etat font leurs cahiers de doléances.
Toute la France, Midi compris, est tournée vers Paris. On notera,
fait remarquable, que les moindres nouvelles de la capitale arrivent très
vite jusqu’au plus petit village du Midi [52].
En France, le 5 mai 1789, les états généraux, espoir
de tout un peuple, sont solennellement ouverts par le roi. Le clergé,
la noblesse et le tiers état se réunissent.
Papistes et patriotes
en Comtat Venaissin.
A la veille de la Révolution, l’opinion publique du Comtat est divisée
en trois courants [33] :
- - les papistes, dans le
Haut Comtat et à Carpentras, sont traditionalistes. Ils sont moins
touchés par la crise et quelque peu à l’écart des grands
courants de pensée.
- - les Royalistes, partisans
du rattachement à la couronne de France : on les trouve surtout dans
la noblesse et la bourgeoisie d’Avignon, dans la vallée de la Durance
et à Cavaillon.
- - quelques partisans des
idées nouvelles, futurs républicains, à Avignon, recrutés
dans la noblesse libérale, la bourgeoisie et le bas clergé.
Situation carombaise
au début de la Révolution.
La plupart des oliviers et des figuiers de Caromb ne résistent pas
aux fortes gelées. La récolte de blé est déficitaire
[52].
En mars 1789, éclate à
Caromb, une émeute de plus de 600 personnes, par suite du manque
de grains et les émeutiers munis de bâtons attaquent un riche
habitant, détruisent les murs de son jardin sous les yeux du viguier
et des maîtres de police qui ne peuvent les arrêter. Une vente
de blé à bas prix les calme momentanément, mais l’émeute
reprend la nuit et le jour suivant pour obliger ceux qui ont des grains à
les vendre à bas prix.
Le conseil décide l’achat de grains à l’extérieur,
mais, en avril, constate qu’il n’y a plus de grains en vente, ni à
Carpentras, ni à Avignon. Les consuls vont en chercher jusqu’à
Valence, en vain. Là ils apprennent qu’il y a des émeutes
partout, à Lyon comme en Dauphiné, pour empêcher les
grains de sortir.
En mars 89, le vice-légat a autorisé l’achat de grains à
n’importe quel prix et à les vendre en dessous du prix, sous la pression
du peuple. Grâce à ces mesures, nos carombais trouvent un peu
de blé à Avignon et à Carpentras. De plus, on débloque
de l’argent pour employer les pauvres à des travaux d’intérêt
public [33].
La population reste, en majorité, attachée aux Etats pontificaux
et au Saint Père. Mais le mouvement patriotique, qui grossit chaque
jour, a des adeptes. Quelques partisans actifs et dévoués,
sous la conduite de M. Clément, présentent les idées
nouvelles, faisant miroiter aux habitants les avantages et libertés
qu’ouvriers et paysans français ont obtenus [39] et souhaitent déjà
le rattachement à la France [52].
Il va sans dire que les papistes carombais protestent énergiquement.
Le village est calme, mais les esprits s’échauffent et les discussions
vont bon train [52].
Les Etats généraux français se transforment en Assemblée
nationale, puis en Constituante (1789-1791). Celle-ci rejette le système
de l’ancien régime, abolit les privilèges et oblige les prêtres
à prêter serment à la constitution.
Le 14 juillet 1789, à Paris, la Bastille, symbole de l’absolutisme
royal, est prise par le peuple. Deux jours plus tard, on commence sa démolition
"pour en faire disparaître jusqu'aux traces”.
L’été 1789 est marqué par la Grande Peur, une période
anti-seigneuriale, suite aux nouvelles alarmantes de Paris, et par peur de
représailles des “privilégiés”.
Le 26 août 1789, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare
les droits de l'homme et du citoyen : Article 1er , "les hommes naissent
et demeurent libres et égaux en droits, …"
Par une lettre du vice-légat et par les consuls de Carpentras et
de Malaucène, on donne avis qu’une troupe de 12.000 brigands ravage
le Dauphiné et brûle le gerbes de blé, ce qui s'avèrera
inexact. Le chevalier du Barroux, chevalier de la croix de Saint-Louis, s’offre
avec patriotisme pour organiser une milice bourgeoise. Un vote par «
ballotes secrètes » l’y autorise. Le médecin Bertrand
force, malgré les valets, les portes du conseil pour apporter une
motion de protestation contre ce qu’il appelle un conciliabule privé
et déclare nulle la délibération. On répare d’urgence
les quatre portes de la ville. Sur les conseils du vice-légat et afin
d’éviter les émeutes, on décide d’acheter des grains
au fermier du prieur décimateur et au seigneur de Caromb [AMC, 49].
En octobre 1789, les oliviers sont gelés et une délégation
d’habitants se présente au conseil et demande la suppression de tout
bétail laineux qui mange les rejetons des souches. Le conseil accepte
[49].
A Carpentras, le 25 novembre 1789, les Papalins ou papistes s’opposent aux
patriotes. Le “parti français” ne manque pas de
partisans. Attirés par les réformes
en cours en France, ces patriotes demandent l'annexion pure et
simple au royaume. Mais la proposition déposée au nom du droit
historique de la France sur Avignon et le Comtat, se voit contrée.
L'assemblée du Comtat réagit énergiquement à
ses propos.[18].
Artisans et paysans de la région de Carpentras demandent la convocation
des Etats Généraux de la Province, qui doit se tenir le 14
septembre 1789. Il est demandé une assemblée des trois Ordres.
Ils font admettre le baron de Ste Croix (Guillaume-Emmanuel-Joseph de Guilhelm)
à cette réunion, bien qu’il ne soit député d’aucune
communauté [33].
Cette assemblée générale demande au pape la convocation
des Etats Généraux, avec cahiers de doléances.
L’année
1790.
Le pape adresse une lettre circulaire à toutes les communautés
du Comtat afin de demander leur avis sur une réunion de l’assemblée
générale de la Province. Caromb accepte la réunion de
ces Etats Généraux de la Province où les doléances
de chaque communauté seront présentées au pape.
Dès le 22 février 1790, en Avignon, les consuls doivent renoncer
à leurs fonctions : « II aura donc suffi de quelques cris pour
mettre à bas le pouvoir séculaire du pape en Avignon. Celui-ci
pouvait-il continuer à refuser à ses sujets ce que le roi
de France accordait aux siens ? Déjà la dîme et les
droits féodaux n'avaient plus cours dans la ville. Seules la récente
garde nationale et l'assemblée spontanée des corporations
apparaissaient comme représentatives. Pris entre l'obéissance
à Rome et la pression populaire, le conseil a consenti à approuver
un projet de réforme de l'organisation municipale. Mais le temps
n'était déjà plus aux réformes. Désapprouvés
par les corporations et hués par quelques patriotes, les consuls ont
été contraints de renoncer à leurs fonctions. »[18].
Les Avignonnais se soulèvent, imposent l'élection d'une nouvelle
municipalité (le 14 mars 1790).
Le pape refuse, le 22 février 1790, la convocation des Etats Généraux
et envoie son agent, Jean Célestini, dans le Comtat. Le vice-légat
accepte, au nom du pape, la réunion d’une assemblée générale.
Un pacte fédératif crée une milice qui prête serment
au pape.
Alors que le 26 février 1790, la France est découpée
en 83 départements et la Provence en 3 départements ( Basses
Alpes, Var, Bouches du Rhône), nos carombais préparent leurs
cahiers de doléances.
Voici celles qui sont exposées par le conseil carombais [49] :
- - au lieu des 30 personnes composant
l’Assemblée générale des Etats et des 4 siégeant
en conseil restreint, les 80 communautés doivent être représentées
et le comité élargi à 8 personnes
- - on demande la répartition
du tabac oubliée depuis 15 ans.
- - pour mettre fin à la
longueur et au coût des procès, on demande que l’on établisse
une cour à Carpentras qui soit souveraine, et une à Avignon
pour le dernier ressort.
- - on demande que la dîme
de Caromb et de Saint-Hippolyte soit réduite au 50éme et affectée
à une subsistance honnête des curés et vicaires «
qui portent le poids du jour et de la chaleur ». On demande un vicaire,
en plus du curé et des deux vicaires.
- - on demande la franchise des
terres et la propriété de tous les droits seigneuriaux pour
mettre fin à l’exploitation des grands envers les pauvres. «
La liberté personnelle et celle des biens étant le plus précieux
avantage que l’Etre Suprême ait fait à l’homme en le créant,
l’extrait de la présente délibération sera adressée
à son Excellence le Vice-Légat et un extrait à Messieurs
de la Province »
L’abbé François-Xavier Gardiolle, papiste convaincu, n’est
pas tendre pour cette assemblée générale, qu’il dit vouloir
imiter ce qui se passe en France, bien que « le peuple ne paie aucune
imposition envers son souverain, mais croit faire fortune et s’enrichir pour
toujours » [33].
Le 24 mai 1790, les 92 membres des Etats Généraux se réunissent
à Carpentras, avec des représentants de la noblesse (15) et
du clergé (15). Ayant aboli les Ordres, l'assemblée se déclare
"Assemblée représentative du Comtat Venaissin" [33].
L’assemblée est reconnue par la plus grande partie du Comtat, sauf
par Avignon ; elle supprime l’administration en place, adopte les Droits
de l’Homme et le système municipal français, mais reste soumise
au Saint-Siège [33].
A Caromb, le propriétaire qui a dû vendre son blé à
bas prix lors du terrible hiver 1789, de la famine et des émeutes,
demande réparation au conseil qui vote pour un arrangement à
l’amiable. Une foule surexcitée assiège le conseil et réclame,
à corps et à cris des grains à crédit. Le conseil
est obligé de céder[49].
Une nouvelle émeute a lieu au cours de la mise aux enchères,
sur la place des moulins à farine (du Rieu) : la foule envahit le
greffe et réclame que le droit de mouture soit diminué d’ ½
cosse. On réunit le Conseil extraordinaire (60 personnes) pour décider
de réduire le droit de mouture à ½ cosse par émine.
Au cours de la même délibération, dans un élan
patriotique, les consuls renoncent à leurs chaperons et les conseillers
à leur salaire. On crée un comité restreint qui recevra
les doléances des habitants[49].
La convocation de l’Assemblée générale du Comtat nécessite
l’élection d’une assemblée primaire. La première élection
carombaise doit être annulée pour fraude et irrégularité
; on expulse le président, le docteur Bertrand. Les consuls se plaignent
des émeutes continuelles du peuple et rappellent l’ordonnance du vice-légat
qui autorise la force pour rétablir l’ordre. On décide la levée
d’une milice bourgeoise [49].
On procède à de nouvelles élections de l’assemblée
primaire et le président élu est le curé Jean-Baptiste
Augustin Dubarroux. Mais l’évêque, président de l’assemblée
des trois ordres, déclare ce nouvel élu irrecevable et le conseil
décide de ne pas envoyer de représentant à l’assemblée.
En plus de la milice bourgeoise, on désigne des groupes de dix citoyens,
à tour de rôle, pour faire des patrouilles et interdire les
attroupements. On achète 100 fusils à Carpentras . On procède
à l’élection de l’assemblée primaire, et c’est à
nouveau le curé Dubarroux qui est élu. Une assemblée
de tous les citoyens actifs est tenue dans l’église, sous la présidence
du curé Dubarroux afin d’élire le premier maire de Caromb
et 5 officiers municipaux. C’est Pierre-Marie Gardiolle qui est élu
au poste de maire. Conformément à un décret de l’assemblée
représentative du Comtat, on élit un juge, son lieutenant
et un greffier pour Caromb.
On achète à nouveau 200
fusils pour armer la garde citoyenne.
En octobre, M. Dubarroux, nommé colonel de la garde citoyenne, demande
que le corps de garde soit établi à la maison consulaire, qu’on
achète un quintal de poudre et deux de plomb, qu’on répartisse
quatre falots en ville pour éclairer les rues et pour la sûreté
des habitants. Ils sont éclairés à l’huile et allumés
tous les soirs par le valet de ville lorsqu’il ferme les portes. En novembre,
tous les fonctionnaires publics de Caromb sont invités, par décret
de l’assemblée représentative, à prêter serment
civique : « Je jure d’être fidèle à la Constitution,
à la Loi, au Saint-Siège. » [49].
Si, à Caromb, on s’arme, en Avignon, le 11 juin, c’est déjà
l’émeute. La potence est dressée sur la place du Palais des
Papes et on y pend M. de Rochegude, l’abbé Offray et l’ouvrier Aubert.
Le bourreau est Pierre Eyme, qui ensuite vient se fixer à Caromb où
il se glorifie de son « travail », entouré de l’admiration
de ses partisans locaux et du mépris des autres. Il sera tué
exactement un an plus tard par l’explosion d’une « boëtte »
devant notre église [52].
Le lendemain, après les troubles de la veille, les patriotes avignonnais
convoquent en assemblée les habitants n'ayant pas fui la ville, afin
qu'ils tirent eux-mêmes les conséquences des récents
événements.
La motion, votée à l'unanimité, constate avec cynisme
l'incapacité du pouvoir pontifical à assurer la sécurité
des citoyens et présente la réunion d'Avignon à la France
comme conforme à l'intérêt public [18].
Les Avignonnais expulsent le vice-légat, Philippe Cassini (le 12
juin 1790) qui se réfugie à Carpentras, et demandent
la réunion de leur ville à la France.
L’abbé Gardiolle, dans son sermon du 25 juillet donne l’état
d’esprit du village. Il précise «Les honnêtes gens de
la ville de Caromb y ont conservé le bon ordre, voulant vivre et mourir
sous la domination du Saint Père Pie VI… Pour vous, chère
Milice Bourgeoise de Caromb, je vous félicite de ce que l’amour du
prochain et celui de la paix, vous a fait entreprendre tant de travaux militaires,
soyez toujours sur vos gardes…»
Mais chaque clan du village est prêt à se battre,…
Le 27 août 1790, Avignon en appelle à la France et la démarche
des envoyés avignonnais embarrasse bien le gouvernement qui ne souhaite
pas indisposer le pape. De plus, la volonté de réunion est
suspecte : est-il possible de réunir Avignon sans le Comtat,
qui y est hostile ? [18].
L'Assemblée Nationale refuse par deux fois d'entériner l'annexion
(le 27 août et le 20 novembre 1790).
En novembre 1790, à Avignon, se crée une «société
des amis de la Constitution ou Club patriotique» en réaction
à l’Assemblée trop papiste et demande des réformes plus
profondes.
Vice-légat, recteur et envoyé du pape sont obligés
de se réfugier à Carpentras, puis à Aubignan. Avignon
a pris les armes du palais des papes et s’irrite de voir que le Comtat ne
suit pas le même mouvement.
Saint-Hippolyte.
Saint Hippolyte se sépare de Caromb et devient une commune indépendante
: en 1790, 26 habitants de Saint-Hippolyte demandent l’érection en
commune de Saint-Hippolyte, se référant à une nouvelle
loi qui permet la création d’une commune si 20 citoyens actifs _c’est
à dire des familles possédantes _ s’y trouvent présents.
Une enquête est ouverte par les autorités, sur le bien-fondé
de cette demande, et les officiers municipaux d’Aubignan en sont chargés.
Ils dénombrent 22 chefs de famille avec un total de 118 personnes
(*80
).
Malgré l’opposition de Caromb, un décret de l’Assemblée
Représentative, daté du 12 octobre 1790, autorise la création
de la commune de Saint Hippolyte. Sa superficie est de 494 hectares. Les
premières élections donnent comme maire Vincent Falque, qui
le reste jusqu’au 23 octobre 1792. Le conseil municipal se réunit
soit devant l’église primitive, soit à la Tuilière…
Hippolyte Falque donne à la commune de St-Hippolyte l’emplacement
du cimetière actuel, et le fait entourer de murs.
L’année
1791.
L’Assemblée représentative du Comtat Venaissin siège
à Carpentras. La ville de Caromb juge que cette assemblée
est incapable de produire aucun bien et refuse longtemps d'y envoyer son
député. On l'y force ! M. Pierre-François Faure, homme
très méritant est député, mais voyant par lui-même
les «mals versations» (sic) de cette bande d'hommes, il laisse
cette assemblée et se retire chez lui, plus d'un mois avant la fin
des débats [52].
A Caromb, on ne sait plus très bien où l’on en est. Mais la
municipalité résiste à l’invitation pressante d’Avignon
de se joindre à la fédération. On est attaché
au pape, mais certains se portent en foule à la maison commune pour
réclamer la réunion de tous les citoyens actifs afin de supplier
l’assemblée nationale et le roi de devenir français. La réunion
a lieu dans l’église : “Le parlement de tous les chefs de famille
réunis dans l‘église émet le vœu de rattachement à
la France, en se séparant du pape. On fait remettre les armes de France
sur la principale porte de la ville” [49]. L’assemblée générale
des citoyens actifs décide l’adhésion de la commune à
la fédération d’Avignon et vote la nomination d’électeurs
délégués à Avignon pour organiser la province
en départements, districts et cantons. “Ceux qui sont pour les délégués
resteront sur place, ceux qui sont contre passeront dans la chapelle de Madame”.
A l’unanimité les citoyens passent dans la chapelle et donc, on ne
procède à aucune élection [49].
La municipalité conclut avec Carpentras un pacte de secours mutuel.
En cas d’attaque, le signal sera le tir de 3 boëttes à Carpentras,
auquel Caromb répondra par 3 boëttes ainsi que les autres villages
et les secours envoyés se réuniront aux Capucins [49].
Le bruit se répand qu’une troupe de brigands ravage le Comtat et
on renforce la garde nationale. Une nouvelle émeute a lieu sur la
place ; le maire doit demander à madame de Ligneville de diminuer
sa cense sur l’huile [49].
Les patriotes avignonnais ne sont pas inactifs et, le 10 janvier 1791, ils
s’emparent de Cavaillon, pillent la ville, saccagent les maisons des contre-révolutionnaires,
massacrent un prêtre, repartent avec une cinquantaine de prisonniers,
et marchent sur Carpentras qui se prépare à la résistance
[33].
Le 14 janvier, la division règne dans l'assemblée de Carpentras
et les deux factions en viennent aux armes. La troupe de Caromb ne pouvant
se décider à se rendre à Carpentras, part très
tard de notre village (déjà !). A peine cette troupe est-elle
arrivée au cimetière des juifs de cette ville, qu'elle entend
le bruit d'une fusillade et le tocsin et elle rebrousse chemin ; chacun s'en
revient chez soi ! [52].
Le 20 janvier, l'armée avignonnaise, dite des «Braves Brigands»,
forte de 4.000 hommes, arrive «toute son artillerie mèches fumantes»
pour s'emparer de Carpentras. Elle n'y parvient pas, tire huit coups de canon,
mais la pluie et la grêle arrête son ardeur et elle se retire
à Monteux [33].
Un déserteur enrôlé de force, M. Thibaud, vient se réfugier
à Caromb chez sa tante Mlle Lombard, pour raconter l'évènement.
L'abbé Gardiolle chante de tout son cœur une oraison d'action de grâce
pour cette victoire ! Il reconnaît cependant que les luttes meurtrières
ont lieu à Cavaillon, l'Isle et le Thor et que l'insécurité
et le meurtre s'étendent à tout le Comtat [52].
On arrive à s'entendre, malgré la guerre, pour proposer la
création d'un département du Vaucluse (février 1791)
[33].
Sous l’étendard du baron de St Christol, les villes de Cavaillon,
l’Isle-sur-Sorgues et Carpentras et les villages, forment alors une union
de défense, l’ « Union de Sainte-Cécile », papiste.
En mars, la ville de Caromb adhère, avec beaucoup de communautés
du Haut-Comtat restées fidèles au pape, à cette assemblée.
Elle y envoie deux députés : M. Dubarroux, fils du capitaine
de la Garde citoyenne et M. Ladet Esprit François, notaire et
procureur de la commune [149]. Cette assemblée crée une force
dite «Armée de Brantes», et de nombreux volontaires carombais
vont renforcer cette troupe. Cependant, quelques autres Carombais gagnés
aux idées nouvelles s'enrôlent sous la conduite de M. Félix-Augustin
Durandi, notaire, dans l'armée «patriote» d'Avignon devenant
ainsi des «coupe-jarrets» et des «braves brigands»
[52].
"On promettait aux volontaires un écu par jour, bombance continuelle
et pillage partout". Ces belles propositions, lisons-nous dans le manuscrit
de l'abbé Gardiolle, font sortir des coupe-jarrets de partout [149].
L’Union papiste forme une armée de 5 à 6.000 hommes et reprend
Vaison [33].
Une réunion de 400 citoyens actifs a lieu dans le cimetière
; ils sont consultés sur le fermage des trois moulins à blés.
On décide que, désormais, ces moulins seront exploités
par des maîtres valets choisis par le Conseil général,
les habitants obligés de faire moudre aux moulins de la commune à
raison d'1/2 cosse par émine et de laisser la mouture dans les greniers
de la commune [49].
Malgré
l’adhésion à la fédération de Sainte-Cécile,
on confirme celle promise à la fédération d’Avignon
[49]. Ne sachant pas comment cela va tourner, autant se prémunir
de chaque côté.
Une assemblée de citoyens actifs se réunit dans l’église
des Cordeliers où le président est élu par acclamation
: François Bertrand. Mais il y a ballottage pour le vote d’électeurs
à envoyer à Avignon. Nouvelle assemblée des citoyens
actifs dans l’église des Cordeliers, qui arrive à élire
les 5 électeurs. Le procès-verbal est consigné dans
un registre à part [49].
La guerre entre
Carpentras et Avignon.
Le 16 avril, à 10 heures du soir, des feux s'allument dans toutes
les communes du Comtat. C'est le signal ! Les Avignonnais attaquent... Le
lendemain, on descend à Carpentras et l'on distribue à tous
ceux qui veulent combattre «cette infâme canaille» des
munitions de guerre et de bouche. L'armée du Comtat engage le combat
dans la plaine de Sarrians. Elle croit à la victoire, mais sur une
erreur tactique une terreur panique s'empare d'elle et la retraite est sonnée.
C'est la déroute pour l'Union du Haut Comtat, le 19 avril, et la
fin de l'armée de l'Union. On rentre à Caromb, accablé
de fatigue... cependant que Sarrians est pillée, brûlée,
que les femmes sont violées et que de très nombreux assassinats
y sont commis durant plusieurs jours [52].
D’ailleurs, le 19 avril, tous les habitants de Caromb sont aux Aires pour
voir brûler le village de Sarrians. On distingue les coups de canon
et de fusil. Joseph Bonet, fermier, qui possède un bon cheval, est
envoyé aux nouvelles. De retour, à son récit, tout
le monde fond en larmes. On sonne le tocsin pour avertir de fuir, de sauver
les effets et les meubles. Le jour suivant Caromb est désert [52].
Trois jours plus tard (23 avril), les «coupe-jarrets» d'Avignon
font le tour des villages et viennent recruter à Caromb. Ils sont
bien reçus par leurs collègues qui deviennent de plus en plus
nombreux. Le manuscrit de l'Abbé Gardiolle nous en donne les noms,
que nous retrouverons dans les pages suivantes [52].
Le 23 avril, la troupe avignonnaise attaque Carpentras qui a eu le temps
de s'équiper de quelques canons. Cinq heures durant, la ville est
bombardée de 292 coups de canon de 8, 12 et 24, visant principalement
l'hôpital, hors des murs de la ville. Lorsque celui-ci est attaqué,
les Carpentrassiens dévoilent leurs batteries et les Avignonnais doivent
reculer [33].
Siège de la ville de Carpentras
par l'armée avignonnaise.
Dessin anonyme, 1791, bibliothèque
municipale, Avignon.
Le 25 avril, ils reviennent par Sarrians, mais c'est encore un échec
[33].
Le 27 avril, ils attaquent par le nord, du côté de l'aqueduc,
coupant l'eau de la ville, tirent 234 coups de canons, puis se retirent sur
Monteux, en bloquant la ville [33].
Carpentras sera assiégée pendant 50 jours.
Le 30 avril, à 2 heures du matin, M. Lombard, notaire à
Caromb, est réveillé par le domestique de son ami M. Meffre
notaire à Aubignan. Celui-ci vient d'apprendre que plusieurs personnalités
de Caromb doivent être assassinées par les hommes du nommé
Durandi. Madame Lombard, en pleine nuit, sous une pluie battante, va prévenir
ces personnes qui lui doivent leur salut [52].
Parmi les personnes menacées qui doivent prendre la fuite, citons
:
- - Maurice et Casimir Dubarroux,
- - leur frère Augustin,
curé de la paroisse,
- - les quatres notaires
: Faure, Lombard fils, Maurice Durand et François Marie Curnier,
- -MM. Marignane, médecin
et Marignane François, prêtre (
*81
),
- - les six bourgeois : Thiers
Denis, Constantin Félix, Gondois l'aîné, Gaudibert Roch,
Maffren Fons-Marie, Richard père. Morard cadet et Fournier se sont
joints à Madame Lombard pour alerter le pays.
Le 1er mai, dimanche de Quasimodo, à 7h30 du matin, par le portail
du Rieu, M. Félix Augustin Durandi, notaire dudit Caromb, fait son
entrée triomphante dans Caromb. A cheval, sabre nu, fusil à
l'épaule, pistolets dans les poches, il est escorté de 130
coupe-jarrets avignonnais. Tambours battants, il remonte la Grande Rue[39].
A son collègue Bertrand, qui vient le recevoir, il dit :«Je viens
faire danser une contredanse nouvelle aux habitants de Caromb». La
sœur de R… lui répond : « tu as raison, notre bon ami, les violons
sont prêts et bien d'accord ».
Arrivé au château, il fait dresser son «respecte-moi»,
c'est à dire une pièce de canon dont la mèche restera
jour et nuit fumante. Cette arrivée jette la consternation et la
désolation dans tout Caromb [52].
"Cette opération faite, il commande à ses satellites de se
porter de suite dans les différentes maisons proscrites. Heureusement,
aucun proscrit ne se trouve chez lui, tous ayant sauvé leur vie par
la fuite".
On distribue aux coupe-jarrets leurs billets de logement ainsi conçus
: "Nous, commandant des coupe-jarrets avignonais ; de notre part, M. … nourrira
à discrétion le nombre de … A Caromb, dans le château,
le 1er mai 1791".
Ainsi,
M. Jérôme-Maurice
Durand, notaire, loge 10 coupe-jarrets,
M. noble Augustin-Jean-Baptiste
Dubarroux, curé de Caromb, en reçoit vingt-cinq,
M. Félix Constantin, bourgeois,
en reçoit dix,
M. Ladet, bourgeois, cinq,
M. Bertrand Pons, bourgeois, cinq,
M. Faure, notaire, cinq,
MM. Jacques, bourgeois, cinq,
M. Richard, ménager, cinq,
M. Morard cadet, ménager,
cinq,
M. Lombard, notaire, cinq,
M. Pons, chirurgien, cinq,
M. François-Marie Curnier,
notaire, cinq,
M. Cazal, bourgeois, cinq,
M. Denis Tiers, bourgeois, cinq,
M. Malignane, médecin, cinq,
M. Pierre-Marie Gardiolle, apothycaire
(sic), cinq. Il est quitte après un seul dîner parce qu'il
est fort lié avec Durandy et Pastour.
Les habitants sont soumis aux réquisitions de vivres et de vêtements
tant que dure leur séjour à Caromb.
L’état-major est nourri aux frais de la Maison de Ville. Les «
coupe-jarrets » font "bombance sempiternelle" et invitent sans
cérémonie ceux du pays. Ils se livrent ensemble à des
agapes sans raison, à toute sorte de vexations [39].
"Après chaque repas, tous ces goujats délibèrent
sur ce qu'ils doivent manger dans le repas suivant. Ils donnent une carte
(*82
) aux domestiques qui les servent, où
est contenu tout ce qu'il leur faut pour le repas suivant. Malgré leur
diligence, les domestiques sont souvent menacés et insultés
par ces goujats qui leur disent : nos sabres sont bien effilés
".
"Les domestiques de MM. Durand et Dubarroux sont ceux qui souffrent le
plus. Madeleine Franque a plus de cent fois le sabre levé sur elle,
prêt à lui couper la gorge. Marion Blay est morte des suites
des mauvais traitements qu'elle a essuyés".
" Ajoutez à cela un pillage continuel en linges, étoffes, meubles
et argent".
Le lendemain, le nommé Bertrand Reynaud, médecin à
Caromb, qui s'était fait chef de tous les patriotes de ce village
et avait promis monts et merveilles, est nommé président de
l'Assemblée municipale par cette «bande» toute dévouée.
Durandi est nommé scrutateur. La Garde citoyenne est désarmée
[52].
Le 6 mai, une nouvelle attaque de Carpentras est contrée par les
canons et les sorties des carpentrassiens.
C'est la terreur dans les campagnes environnantes : 200 fermes sont incendiées,
des localités sont rançonnées [33].
Ce même 6 mai, les patriotes amènent un trophée de Carpentras
à Caromb : la tête coupée de M. Vitalis est exposée
sur les remparts de Caromb ! On affiche aux portes de l'église et
aux tours du château l'interdiction, sous peine d'être pendu,
de porter des vivres dans Carpentras assiégé. L'abbé
Gardiolle déchire ces affiches. Durant tout ce mois de mai, les bourgeois
continuent d'héberger et de nourrir ces troupes insolentes et grossières.
L'exaspération des Carombais est portée à son comble,
lorsque aux fêtes de Pentecôte, les Avignonnais menacent d'amener
au camp de Monteux, tous les hommes valides. Ceux-ci s'enfuient et passent
deux jours et deux nuits hors de leur maison. “ Les patriotes se livrent
durant ce temps à des viols, des actes d'horreur et d'immoralité
que nous ne pouvons décrire... mais qui feront partie du règlement
de compte” [52].
Beaucoup de femmes, de filles et de domestiques, sont violées par
ces soldats et les religieuses du couvent des ursulines restées sur
place subissent le même sort [39].
Pendant ce temps, La France intervient dans la guerre civile entre Avignon,
la révolutionnaire, et le Comtat Venaissin, fidèle au pape.
L'Assemblée Nationale envoie des médiateurs (mai 1791) qui
réunissent, à Bédarrides, des délégués
des communes du Comtat et d'Avignon et demandent, le 9 juin, l'arrêt
des hostilités.
Le 10 juin, le nombre des « coupe-jarrets » grossit toujours
: ils sont maintenant 250 à Caromb [39] et le lendemain on apprend
avec très grand plaisir que les Avignonnais ont été
chassés de Vaison, que le poste du Barroux a été surpris
et dispersé par l'armée de Brantes. Onze «patriotes»,
ont été tués et trente sont prisonniers. Une terreur
panique s'empare alors des soldats oppresseurs qui s'enfuient vers le camp
de Monteux en emportant les fusils de la commune et des «boîtes»
montées sur des affûts. Sur la place de notre église,
une boîte, dédiée à Saint Maurice patron de notre
paroisse, éclate, tuant trois soldats de l'infâme armée
dont Eyme et ne faisant aucun mal aux femmes et aux enfants massés
sur l'esplanade.
H Bonnaventure pense qu’il s’agit d’une légende, car dit-il, «
il a vu les six boîtes telles qu’elles existaient à cette époque
et que, si l’une d’elles n’est plus utilisée, cela est dû à
ce que la mairie, les ayant prêtées à la commune de
La-Roque-Alaric, l’une d’elles se fendit et ne fut, par prudence, plus jamais
employée. » [39].
Le 13 juin, toute notre région est débarrassée des
Avignonnais : le Barroux, Mazan, Aubignan et Malaucène respirent.
Le lendemain, chose exceptionnelle, il neige dans la région ! [54].
L'occupation, en plus de ses misères, a coûté 60.000
livres à la ville de Caromb [52].
Le 14 juin, les préliminaires de paix entre Avignon et le Comtat
sont signés à Orange, en présence des médiateurs
français envoyés par Louis XVI. Les parties belligérantes
prennent l'engagement de suspendre toute hostilité et de licencier
les troupes [39].
Le 19 juin, les médiateurs sont à Avignon, le 22, à
Carpentras. Pendant quelques semaines, c'est l'anarchie, jusqu'à la
fin juin où l'armée d'Avignon est "disbandée"[33].
Le 2 juillet, huit «patriotes» libérés de leur
emploi militaire reviennent de Monteux à Caromb. Ils avaient été
les principaux auteurs des désordres commis dans la commune. A Carpentras,
l'un d'eux est assassiné (
*83
).
Pour préserver les autres, un détachement commandé
par Gabriel Meynard les escorte jusqu’au pays et les confie, dès
leur arrivée à l'hôtel de ville, à une compagnie
de canonniers (12 juillet). Mais le lendemain matin, tout Caromb, armé
de fusils, de fourches, de faux, vient demander à grands cris qu'on
lui livre les assassins des frères, des enfants, et veut faire prompte
justice. Une populace furieuse pousse des cris de mort.
M Marignane, ancien consul, veut la calmer. Il harangue la foule : «Justice
sera fait, s'écrit-il, nous avons des lois, mais tuer des coupables
sans jugement, c'est un horrible assassinat ». Menacé à
son tour, il doit se retirer.
La foule, armée de fusils, de faux et autres outils enfonce la porte
de l'hôtel de ville, bouscule la garde, se jette sur les prisonniers
et les attache deux à deux. Elle les entraîne en hurlant hors
de la ville, vers la Malagronne. L'abbé Rigot, sur les lieux, parvient
à faire accepter à ces malheureux le secours de son ministère.
On force les patriotes à creuser leur propre fosse de leurs propres
mains ; on les fait mettre à genoux au bord du gouffre béant
et on les fusille sous les applaudissements de tous les «citoyens»
(*84
) . On jette les cadavres palpitants dans la fosse
[52]. Cela se passe dans la terre de M. Peyroux [149].
Nos papistes, et leurs femmes violées, sont vengés.
D'après les registres de l'état civil, les victimes sont :
- - Félix-Augustin
Durandi, 33 ans, qui a commandé la troupe avignonnaise lors de sa
rentrée triomphale à Caromb ;
- - Arnoux Paris, 30
ans ;
- - Joseph Libérat
Eydoux, 36 ans ;
- - François-Xavier
Reynaud dit l'Espagnol, 30 ans ;
- - les trois frères
Rabasse : Siffrein Dominique, 43 ans ; Jean-françois, 33 ans ; François-Xavier,
30 ans.
Une patrouille parcourant ensuite la campagne rencontre dans sa ronde et
fusille au quartier de l'Espine :
- Joseph Tramier, 50 ans ;
- Joseph Libérat Fériaud, 37 ans [39].
Les corps sont jetés dans la rivière.
“Ces assassinats trouvent des explications, mais ne peuvent être
justifiés. Ils sont en partie à l'origine des drames qui surviendront
en 1794” [52].
Ces actes sont communiqués à l’administration départementale
qui envoie deux médiateurs : Verninac-Saint-Maur et Le Scène-des-Maisons
et, le 1er août, ils arrivent à Caromb avec une escorte de cinquante
hussards, de dragons et de Soissonais, pour enquêter sur le meurtre
de la Malagronne [39].
La municipalité, coupable d'inertie, est mise en prison [33].
Le 9 août, on oblige les hommes qu'on suppose avoir pris part à
la vengeance populaire, à exhumer les cadavres, à leur demander
pardon, à les embrasser en signe de réconciliation. On les
porte ensuite en Terre-Sainte et on chante une messe pour chacun d'eux. Une
trentaine des principaux coupables du meurtre de la Malagronne sont arrêtés
et conduits dans les prisons de l'Isle. Mais, un des médiateurs,
l'abbé Mulot, les fait élargir après le départ
de ses collègues pour Paris [52].
Les médiateurs font venir des gardes nationaux des départements
voisins, à Caromb et à Malaucène [33].
Nous possédons le compte rendu des deux commissaires médiateurs
à l'Assemblée nationale : le 10 septembre 1791, MM. Le Scène
des Maisons et Verminac-Saint-Maur sont introduits à la barre de l'Assemblée.
M. Le Scène des Maisons fait un exposé sur la situation dans
le Comtat et explique les évènements carombais.
« Mais les haines étaient encore trop fraîches, les
ressentiments trop actifs pour obtenir une tranquillité absolue. Caron
avait été une des villes malheureuses qui, flottant dans ses
opinions, avait fourni des détachements aux deux armées ennemies.
Nous avions prévu cet inconvénient, et pour éviter l'effet
de ces haines, nous avions écrit au commandant des Soissonnais de
protéger sa rentrée par un détachement des troupes de
ligne.
En arrivant de Carpentras, ceux de Caron furent attaqués par le peuple
; un d'eux fut massacré malgré les efforts de nos troupes
; M. Desperon sauva le reste.
Il les fit conduire à
Caron par 60 hommes de ligne, et remettre sous la protection d'une compagnie
d'artillerie. Le peuple, excité par un nommé Clément,
commandant de Brantes, et ancien déserteur français, dit-on,
fut bientôt en insurrection. On arrache 11 de ces malheureux du château
où on les avait déposés, et sous les yeux du
détachement français ; les officiers municipaux se cachent
ou ne paraissent pas. Semblables aux cannibales, on les traîne hors
des murs, on leur donne un confesseur, et là, on les assassine tous
à coups de fusil : entre eux était un électeur.
On dit, et on aura peine à le croire, mais, à la honte de l'humanité,
le fait est certain, je l'ai vérifié : cet atroce Clément
forçait les pères et mères de ces malheureuses victimes
à aller assister à cet affreux assassinat. (Mouvement de l'Assemblé).
Dès que la nouvelle nous parvint, nous courûmes en arrêter
les suites ; mais, à l'instant, il fallut se multiplier : le complot
paraissait formé d'assassiner ainsi tous les détachements
de l'armée avignonnaise à leur rentrée paisible dans
leur foyer ; cela arrivait dans les communes où il y avait eu le
plus de division. L'humanité nous donna des ailes : nous nous trouvâmes
à Piolène, à Lisle et dans d'autres communes à
l'instant où les sacrifices humains allaient commencer ; et à
force de soin, de prières, de raisons et de menaces, nous parvînmes
à rétablir le calme. »(
*85
)