Une population en forte
croissance.
Du XIe siècle à la fin du XIIIe siècle, notre région
connaît une longue période d’expansion et de prospérité
économique. Ce phénomène s’accompagne d’un essor important
de la population. Les indices de cette augmentation de la population sont
nombreux : défrichements, création de nouveaux lieux habités,
naissance et développement de villes, création de paroisses,
extension des enceintes fortifiées [72].
La croissance de la population, au début du XIVe siècle, se
poursuit à un rythme soutenu, parfois incroyable. On parle de 2%
par an ; on compte de 15 à 20 feux par km² dans les plaines ;
90% de la population vit à la campagne.
Au synode d’Avignon, en 1337, un document nous indique que la pratique du
charivari existe déjà dans notre région : vociférations
et dérision envers certains mariés ou remariés sont
dénoncées par l’église. Les époux doivent payer
un « rachat » pour être tranquilles. Encore une tradition
qui perdurera par le simulacre de barrage pour empêcher les mariés
de partir, la visite à leur chambre nuptiale ou le pot de chambre
qu’on leur présente [133].
Un début d’enclavement
: le Dauphiné français (1349).
En juillet 1349, devant une solennelle assemblée de Lyon, le dauphin
Humbert II cède purement et simplement son État du Dauphiné
au prince Charles (âgé de douze ans), fils du duc de Normandie,
et lui remet son sceptre du Dauphiné. Il cède en même
temps le droit de transmettre le titre de dauphin au premier fils du roi
de France.
Dans son acte de donation, Humbert II a ajouté une clause qui demande
que la France et le Dauphiné soient administrés comme deux
entités séparées et que le fils aîné du
roi porte le nom de dauphin et gouverne cet État. Cette clause est
scrupuleusement respectée comme le prouve la déclaration du
roi de France de 1408 devant une assemblée de clercs qui reconnaît
que les évêques du Dauphiné ne peuvent pas appartenir
à l’église «gallicane» car le Dauphiné
est un corps séparé de la France.
La France, longtemps arrêtée par le Rhône et limitée
à sa rive droite, franchit le fleuve et couvre le Dauphiné
jusqu’aux Alpes.
Le Comtat et la Provence restent hors de France.
L’enclavement commence.
La Grande Peste.
En 1348, Caromb, comme les autres villes et villages du Comtat subit la grande
peste.
La malnutrition d’une grande partie de la population, due à de mauvaises
récoltes et au poids des impôts, est sans doute responsable
de l’ampleur foudroyante de la Grande Peste de 1348-49. Partie de Marseille,
cette épidémie est la plus grave jamais recensée et
la mort emporte plus du tiers des habitants du royaume français et
certains villages sont complètement désertés. Le départ
des paysans signifie la ruine des seigneurs. Certains en sont réduits
à errer sur les routes ou à demander l'aide de parents d'autres
régions.
En trois mois, Avignon compte 7.000 demeures vides et 62.000 personnes meurent
; on se terre dans les campagnes ou au fond des maisons, évitant
tout contact avec les autres personnes. Ces chiffres confirment la formidable
croissance de la ville après quarante années de présence
papale.
Cette terrible peste s'étend sur les
régions voisines. Pour donner une idée de l’ampleur des dégâts,
elle fait mourir 75% de la population du Briançonnais, 40% de la
population de Nice, 50% de la population de Savoie.
Celle-ci reste latente jusqu’à la fin du XVe siècle, avec de
nouvelles apparitions tous les 10 ans environ ; le pays manque d’hommes et
subit le déclin.
Il faut des coupables : on les trouve chez les juifs, accusés à
nouveau d'avoir empoisonner rivières, puits et fontaines. En Provence,
comme en Dauphiné ou en Savoie et jusqu'aux limites du Comtat (Buis,
Nyons, Orange), ils sont massacrés, malgré le soutien du
pape Clément VI. Déjà expulsés de France en
1306 et en 1322, sous cette nouvelle pression du peuple, ils se réfugient
en Venaissin [100]. Carpentras compte alors 400 âmes juives et Avignon
près de 850 [102]. Peut être certains se convertissent-ils.
L'église de Caromb possède une porte latérale, dite
porte Juive, par laquelle, dit-on, entraient les juifs convertis. La date
de cette dénomination est inconnue.
Le prestige et le faste de la papauté avignonnaise atteint son apogée
sous le brillant pontificat de Clément VI (1342-1352)
Il fait agrandir le Palais des Papes, transforme
la curie en une cour brillante, apporte des habitudes de luxe et de raffinement,
distribue les faveurs, essaie de régler les affaires du royaume
de Naples, achète la ville d’Avignon à Jeanne de Provence
en 1348 pour 80.000 florins d'or, en pleine peste. Ce n’est que 10 ans plus
tard que les sujets avignonnais prêtent serment de fidélité
à l’Eglise romaine.
La seconde partie du XIVe siècle est une période troublée.
Pendant les nombreuses trêves de la guerre de Cent Ans entre les
royaumes de France et d'Angleterre, des bandes de mercenaires désœuvrés
forment les Grandes Compagnies. Pour leur propre compte, ils pillent, massacrent
la population et sèment la terreur sur leur passage. Certains se
dirigent vers Avignon, attirés par la concentration des richesses
de l'Eglise. En 1357 et 1358, le Comtat est dévasté et Avignon
est menacé. Le pape Innocent VI (1352 – 1362) préfère
payer une rançon pour éloigner le danger. Une nouvelle fois
en 1360, le pape préfère payer, mais l'insécurité
persiste. Il fait reconstruire les murs de la ville et ordonne la construction
d’une nouvelle enceinte, plus grande, de 4.330 m de longueur avec 35 tours
et 55 tourelles, que l’on édifie en une quinzaine d’années.
Le pape ordonne de fortifier les villes et les châteaux du Comtat à
partir de 1357. Malaucène possède des remparts en 1363. Ceux
de Caromb doivent dater de cette époque.
Après la Compagnie d’Arnaud de Servole, de nouveaux mercenaires traversent
la région : en 1365, Bertrand du Guesclin, en route vers l'Espagne
à la tête d'une armée de routiers, s'arrête à
Villeneuve et exige, lui aussi, une énorme rançon du pape.
Urbain essaie bien de s'en débarrasser en créant une ligue
des évêques et des seigneurs de Provence, en écrivant
aux capitaines des compagnies pour les exhorter à aller mener le bon
combat en Terre Sainte et en affichant une bulle, à Avignon, interdisant
de fournir des vivres aux soudards. Obéissants, les paysans du Comtat
leur refusent le blé et le fourrage… et se font massacrer [118].
Finalement, Urbain V s'acquitte de cette rançon.
En plus des routiers, la peste est encore présente. Les épidémies
déciment régulièrement la population. On a vu la première,
en 1348-1349 qui est la plus terrible. En 1361, elle est de retour, accompagnée
de la famine. Cette deuxième peste vide à nouveau la ville
et fait autant de morts que la précédente.
L’été 1368, les routiers sont encore là, installés
à Bédoin où ils terrorisent les villageois [136]. Urbain
décide de ramener la papauté à Rome, fait ses bagages
et est accueilli par les acclamations des Romains et de ses vassaux, parmi
lesquels la reine Jeanne. Son séjour à Rome ne dure pas : deux
ans plus tard (1370) il est de retour à Avignon car la situation en
Italie est instable.
Près d’Avignon, les "Compagnies" menacent à nouveau, arrivent
jusqu’à Tarascon, Pont St Esprit et Carpentras et le riche pape, encore
une fois, préfère les payer pour éviter tout pillage.
Un document de 1372 nous montre des habitants de Carpentras allant porter
secours à Mazan attaqué(*29
) .
La fin de son pontificat est marquée par un nouveau retour à
Rome (1377). Pressé par les Romains, motivé par les désordres
et les révoltes dans ses États pontificaux, il rentre à
Rome (17 janvier 1377), après trois mois et demi d'un épuisant
voyage. Il y meurt l'année suivante ( 27 mars 1378).
La reine Jeanne 1ère
.
Il nous faut parler de la reine Jeanne de Provence, car ses malheurs ont
des conséquences carombaises.
Le règne de Jeanne 1ère représente pour la monarchie
angevine, et pour la Provence en particulier, un temps de troubles et de
malheurs. Elevée à Naples, et ne pouvant plus compter sur
l’autorité de son grand-père décédé,
son royaume est menacé [65].
Le remariage de la reine avec l'un de ses cousins de la branche de Tarente
déçoit les espérances des Duras. Leur rancœur se manifeste
par la révolte de Robert de Duras, qui a pour cadre la Provence
(1355). Cet épisode marque l'ouverture d'une période de troubles
dans un pays déjà ravagé par la Grande Peste (1348)
et par les grandes compagnies (1357-1370) [52].
Le pape Innocent VI lève une taxe sur tous ses sujets du pays Venaissin
en 1359.
A cette
époque incertaine, les co-seigneurs de Caromb, Amiel et Raimond des
Baux, pensant sûrement tirer profit de la situation, s'associent à
Arnaud de Cervole (Armand de Servoles [110] ), dit l'Archiprêtre, qui,
à la tête d’une troupe de brigands ravage et pille la Provence
et le Comtat.
Après Arnaud de Cervole, d'autres bandes passent en Provence en 1360-1361
et 1366. Les soudards se répandent en pillages et violences et battent
le sénéchal d'Agoult chef des troupes provençales.
L'administration de la Provence achève de se dégrader et les
Agoult ne représentent plus qu'une partie de la noblesse.
La famille des Baux se déchire : les Baux, comte d'Avellino, qui descendent
de Raymond 1er , Raymond II et son frère Antoine, dit le prévôt,
s'associent aux brigands de l'archiprêtre, prennent Aix et se disposent
à marcher sur Marseille [110].
En 1374, une guerre éclate entre le Comtat et Bertrand des Baux, prince
d'Orange. Le commandant des troupes du Venaissin, Bertrand de la Salle,
s'empare de Jonquières, puis de Gigondas. Nos villages doivent fournir
vivres et munitions[33].
Bertrand, le frère d'Amiel et de Raimond, est lui aussi co-seigneur
de Caromb. Il a épousé Catherine des Baux, dame de Courthézon.
Le prince d'Orange attaque Catherine des Baux, sa parente, la met en prison
et "commet sur ses terres les plus grandes violences". La reine Jeanne
essaie d'obtenir la délivrance de cette prisonnière, mais
n'y parvient pas.
Les milices entrent sur les États du prince d'Orange, confisquent
les biens de ses partisans et s'emparent de la ville d'Orange, le 12 juin
1367 [110].
Le 22 juin 1368, Raymond des Baux et son frère Bertrand sont condamnés
pour rébellion, violences et sévices contre Catherine des
Baux, dame de Courthézon et de Caromb ; leurs biens confisqués
sont saisis et la principauté d’Orange est adjugée à
la reine Jeanne par la haute juridiction de Provence et par Raymond d’Agoult,
gouverneur et sénéchal de Provence [85].
Quelques temps après, le 9 septembre 1370, en Sicile, sur intervention
de Jeanne de Genève, femme du prince d’Orange, auprès de la
reine Jeanne, cette dernière rétablit Raymond II des Baux
dans sa principauté [85].
Caromb passe aussi d'une branche des Baux à une autre, celle des comtes
d'Avellino, en la personne de Raymond II.
Il faut la mort de ce nouveau seigneur, en 1371, pour que nos terres retrouvent
un peu de calme, et que Clément VII, à Avignon, publie une
bulle d'absolution pour ceux qu'il avait dû excommunier pendant ces
guerres.
Raymond II des Baux, comte d'Avellino, devenu notre seigneur, meurt
en 1371. Il a institué pour héritier, par son testament daté
de 1367, l'enfant que son épouse Jeanne de Beaufort porte dans son
sein, et à défaut son frère Antoine.
L'enfant, Alix des Baux, est une fille, née en 1367.
Elle
prend le titre de comtesse d’Avellino, titre que possédait son père,
et lui succède pour la part des terres qu’elle possède à
Caromb. Vu son âge, elle est placée sous tutelle.
Nos anciens seigneurs, Amiel et Bertrand meurent en 1374 et Raymond,
dit de Malaucène, vers 1381.
Nous reviendrons
à Alice des Baux après avoir vu ce qu'il advient de l'autre
partie des terres de Caromb, propriété des Budos.
Raimond II Guilhem de
Budos (1314-1334).
Il est damoiseau (*30
) , seigneur de Loriol, de Caromb, de Beaumes. Il joint,
aux armes de Budos, d’azur à trois bandes d’or, les armes de sa mère,
en franc quartier qui sont de gueules à étoile des Baux.
Raimond épouse Catherine de Narbonne qui ne lui donne qu’une fille.
Il meurt dans la fleur de l’âge, à vingt ans et par testament
rédigé à Issy, près de Paris, le 7 août
1334, dans la maison de son oncle archevêque de Paris, il lègue
4.000 florins d’or à sa fille et institue comme héritier
universel, son frère, le baron de Montclus.
Le testament est ouvert solennellement à Caromb le 4 mai 1335, en
présence de Durand Bonelli, juge à Caromb.
M. de Gaudemaris,
à Beaumes de Venise, possédait de ce seigneur, deux sceaux
bien conservés : le premier porte, sur une face, un cavalier armé
d'une lance et le nom de Budos gravé en lettres gothiques et sur
l'autre face, un écu à ses armes. L'autre porte le même
écu [120].
Bertrand Guilhem de Budos
(1334-1360).
Frère et héritier du précédent, il est chevalier,
seigneur de Beaumes, Caromb et Loriol. Il prend une part active aux guerres
de Flandres, de 1339 à 1347, puis s’installe sur ses terres de Caromb.
Il fonde dans l’église paroissiale du pays, la chapelle Saint Georges.
M. l’abbé
Allègre, curé de Beaumes-de-Venise, signale, dans son intéressante
monographie de cette commune (1888), qu’il se trouvait, dans la maison curiale
de Caromb, un tableau peint sur bois, représentant Saint Georges terrassant
le dragon. On se reportera utilement au chapitre sur le triptyque de notre
église.
Bertrand
s’allie aux Baux en épousant Catherine, fille de Guillaume des Baux,
seigneur de Camaret, Travaillan, etc…, et de Giraude d’Ancezune qui lui
apporte en dot trois mille quatre cent quarante trois florins d’or.
Le 2 juillet 1360, Bertrand fait son testament en présence d’Hugues
de Laval, licencié ès-lois et de Giraud Atanulphi,
damoiseau de Beaumes. Il fait de nombreux legs aux églises et monastères
de Carpentras, Avignon et autres villages.
Il fait des dons à plusieurs localités des Flandres qu’il avait
ravagées pendant les guerres et demande d’être enseveli dans
la chapelle Saint Georges qu’il a fait édifier dans l’église.
Il nomme Guillaume d’Artigues, un notaire, comme tuteur de sa fille unique,
Marguerite, et à défaut sa femme Catherine et le père
de celle-ci, Guillaume des Baux, seigneur de Caromb.
Marguerite de Budos (1360-1368)
et Astorg de Peyre.
Celle-ci est encore mineure lorsque son père meurt. Elle hérite
de tout ou partie des seigneuries de Beaumes, Caromb et Loriol.
C’est en son nom que son tuteur fait hommage,
le 4 janvier 1361 entre les mains de Roffillac, évêque de
Fréjus et recteur du Comtat. A cela s'ajoute l’hommage pour Bédoin
qu’elle hérite de son oncle, Amaneu de Budos, chevalier.
En 1363, Marguerite épouse Astorg de Peyre de Thoiras, d'une famille
de très ancienne noblesse puisque le premier “Peyre” connu, Astorg
Ier etait déjà seigneur au XIe siècle.
L’abbé Allègre nous renseigne sur cette famille : c’est
une des plus nobles et des plus anciennes du Gévaudan. Elle possède
de nombreuses seigneuries, plus de cinquante paroisses et est alliée
aux plus puissantes familles de France : les vicomtes de Murat, les Apcher,
les Mercoeur, les Alègre, les Cardaillac, les Joyeuse et les Polignac.
Par tradition, l’aîné des enfants porte obligatoirement
le prénom de Astorg. Aussi, une lignée d’Astorg marque
la généalogie de cette famille. De nombreuses confusions sur
ces prénoms ont pour origine cette homonymie. De plus, le cadet porte
le prénom d’Aldebert, mais prend le nom d'Astorg lorsqu'il remplace
son frère. Pour avoir le droit de porter les titres de leurs ascendants,
les fils doivent parler l'auvergnat et faire des dons à l'église
de Mende.
de Peyre
Cet Astorg de Peyre que Marguerite épouse est le douzième portant
ce nom et ce titre. Cette même année, elle renouvelle ses hommages
entre les mains du nouveau recteur, de Cabassole, patriarche de Jérusalem.
Sous leur seigneurie, en 1364, une invasion de sauterelles détruit
la récolte, entraînant une affreuse disette.
En 1368, elle teste en faveur de son mari, Astorg de Peyre, comme héritier
universel, sans substitution. Elle meurt sans laisser d’enfants.
Prenons un peu de recul par rapport à la lignée des Peyre que
l'on retrouvera bientôt. Les temps sont encore aux disputes entre les
grands. En 1368, Louis d'Anjou, frère du roi Charles V, a l'idée
d'employer des soldats de fortune, placés sous le commandement de
Bertrand Du Guesclin, qui sont libres de leurs occupations guerrières,
pour tenter d'arracher la Provence à la reine Jeanne. Tarascon est
prise après un long siège et Aix est menacée [65].
Mais la résistance des Provençaux et l'appui prêté
à la reine par le pape Urbain V font échouer son entreprise
: l'affaire est close en 1371 par une paix négociée entre
Jeanne et le roi de France [40]. Elle doit céder, cependant, le titre
de reine d’Arles (titre sur l'ancien royaume d'Arles), à Louis d’Anjou.
Par les mariages successifs et les partages successoraux, le fief de Caromb
est devenu une co-seigneurie partagée entre :
- - d'une part, Cécile des
Baux, par son mariage avec Raimond Guilhem de Budos a fait passer une
partie de la seigneurie de Caromb dans la famille des Budos, puis à
Marguerite de Budos leur petite-fille, qui l'a transmise aux de Peyre.
- - d'autre part, la jeune Alix
des Baux, de la lignée des comtes d'Avellino, dont nous allons raconter
les débuts difficiles.
Alix, Alice ou Alasia
des Baux et Odon de Villars (1360-1425).
Alix est trop jeune à la mort de son père (1360). On lui donne
pour tuteur Guillaume Roger de Beaumefort, vicomte de Turenne, seigneur
du limousin, frère du pape Grégoire XI, qui est recteur du
Comtat de 1376 à 1379. Il est l’aïeul maternel de la jeune comtesse
d’Avellino. Puis son fils, Raymond de Turenne, le remplace comme tuteur.
Ne pouvant s’occuper d’elle et de ses intérêts, il lui fait épouser
Eudes ou Odon de Villars, noble chevalier du diocèse de Lyon. Ce
mariage déplait à la jeune fille et se fait contre sa volonté
(1381). Elle apporte en dot à son mari tous ses biens.
Ainsi, une partie de Caromb passe aux mains de la maison de Villars.
Grâce à l’influence du tuteur de la jeune
femme, Odon de Villars est nommé recteur du Comtat par un bref du
pape en date du 21 mai 1390 et il prend possession de son poste le 7 juillet,
remplaçant Henri de Severi. Cela lui rapporte la somme de huit cents
florins.
Alix fixe sa résidence à Carpentras
durant les quatre années que durent les fonctions de son époux.
Notons, en 1384, des pluies diluviennes dans toute la
région [54].
Raymond de Turenne, le tuteur d'Alix est une figure historique
et il va marquer la Provence : il déclanche une guerre, en 1380, qui
va durer vingt années et mettre à feu et à sang toute
notre région.
Une des raisons qui motive le conflit est la plainte portée par le
vicomte de Turenne contre la chambre apostolique au sujet de sommes considérables
prêtées par son père et qui ne lui ont pas été
remboursées ou qui devaient lui revenir à la succession de
ses oncles, les papes Clément VII et Grégoire XI. D'autre
part, il réclame le prix des services rendus au pape, lorsque, à
la tête de ses vassaux, il avait repoussé les brigands qui
voulaient s'emparer d'Avignon. De plus, il est en conflit avec Odon de Villars
pour s'être emparé d'une partie des biens d'Alix, son épouse.
Les armées s’affrontent dès 1390. Raymond de Turenne profite
des troubles liés à la succession de la reine Jeanne de Provence
et est chargé, par Duras, de reconquérir la Provence. A la
tête de brigands, il saccage les villes, prend places fortes et châteaux,
emporte des butins, sème la panique. Cette nouvelle période
de troubles est, de plus, marquée par le retour de la peste
(1394) [52].
Turenne est un personnage cruel, et sanguinaire, et de 1388 à
1399, il mérite le surnom qu'on lui attribue : le Fléau de
la Provence.
Le pape Clément, à Avignon, pour éviter de subir
la guerre avec Raymond de Turenne, doit le payer et retrouve la paix. Mais
Turenne ne s’en contente pas, continue à désoler le pays, rançonne
les voyageurs et pèlerins, ravage le Comtat (1391), prend d'assaut
la ville d'Orange, s’empare de Vaison, Beaumes et Oppèdes en terres
papales. Il négocie à nouveau avec le pape et reçoit
6.000 florins pour arrêter ses méfaits. Il agit de la même
façon en terres françaises et le roi de France doit lui verser
20.000 florins pour retrouver la paix. Personne ne l'arrête, pendant
ces vingt années, ni pape, ni roi. L'insécurité est
constante. Puis, fatigués de payer, Comtadins, Provençaux
et Dauphinois se mobilisent pour l’obliger à renvoyer ses routiers
vers l’Italie : l'Assemblée d'Aix lève une milice, et Odon
de Villars prend le commandement d'une armée du pape, réussit
à bloquer Turenne dans Tarascon où, voulant s'enfuir en barque,
il se noie dans le Rhône (1400). Vingt années, c'est long et
les Provençaux attendaient cela depuis longtemps pour retrouver
un peu de calme. Ils ont conservé l'expression "Aco es long comme
la mort de Tureno" [110].
Les 25 dernières années d'Alix (1400-1425) sont des années
de paix, et après tout ce tumulte, on revient aux vieux problèmes
laissés en suspend.
La ville de Carpentras profite de la présence d'Alix pour régler
son problème d'eau potable venant de Caromb. Les difficultés
déjà signalées, au sujet des canalisations d’eau,
sont réglées par un accord entre les diverses parties. Ce
pacte est signé en 1400 et il est important car il intéresse
tous les propriétaires des champs traversés par la conduite
d’eau : il est défendu aux propriétaires de planter des arbres
à moins d’une distance de dix pieds de la conduite. En cas de contravention,
il est permis aux habitants d’arracher les arbres avant de faire appel
aux juges. Il suffit, pour arriver à cette contrainte, de faire procéder
à un exploit d’huissier, à Caromb même.
Cet acte est toujours demeuré en vigueur, avec, plus tard, une distance
limite de 3,24 m par rapport à la conduite.
Veuve d'Odon de Villars, Alix se remarie en 1402 avec
Conrad, comte de Fribourg et de Neufchâtel, mais n'a pas d'enfant.
Elle reprend tous ses titres qui étaient usurpés
par le vicomte Raymond de Turenne.
La Dame
de Caromb possède également la seigneurie de Caumont et c’est
à elle et à son mari que cette commune doit la construction
de son église.
L'hiver 1410 laisse le souvenir d'un froid intense [54].
Alix meurt le 7 octobre 1425, sans enfant, dans son château des Baux.
Ses biens passent à son plus proche parent, Guillaume des Baux,
duc d’Andrie. Le capitaine Siffroy de Gigondas lui remet la forteresse des
Baux. Mais la chambre apostolique, a quelques comptes à régler
et, pour se dédommager des problèmes causés par Turenne,
saisit tous ses biens et les conserve pendant quatre années, puis
les restitue à son légitime propriétaire.
Règlement carombais.
Le 15 septembre 1387, la jeune Alix des Baux (elle a alors vingt ans) permet
la création de syndics perpétuels qui sont d’abord
Pierre de Fouqueri et Isnard de Camaret. Ce règlement est rédigé
en 92 articles. Les syndics existaient déjà, à titre
temporaire, depuis 1298, créés par Bertrand des Baux.
Ils sont les administrateurs et les représentants de la communauté
bourgeoise, ont reçu le droit de faire des ordonnances de police
et de rédiger des statuts pour le bon fonctionnement du village. En
1371, une commission spéciale a déjà rédigé
des statuts (*31
) qui sont dit "rénovés et réformés"
dans leur propre texte.
Caromb n'est pas le seul village à rédiger ses statuts et son
règlement de l'exploitation rurale : Mazan a les siens en janvier
1380, avec pas moins de 218 articles ! Saint-Pierre-de-Vassols, le Barroux
et Aubignan les rédigent en même temps que Caromb. Ceux du Barroux
sont renouvelables et renouvelés tous les cinq/six ans (1400, 1406,
1413,…) [33].
Schisme et guerre civile
en Provence.
De 1378 à 1417, c’est le Grand Schisme : le 6 avril 1378, le conclave
se réunit à Rome où le pape décédé
résidait depuis quelques mois. Le peuple romain, craignant un nouveau
pape français et un retour de la papauté à Avignon,
force les cardinaux à élire Urbain VI. Mais, sortis de l’émeute,
les cardinaux se réunissent à nouveau et élisent Clément
VII. Il en résulte deux papes et de grandes conséquences
pour la chrétienté, pour le royaume de Naples et pour la Provence.
Dans les états chrétiens il faut se prononcer pour l’un ou
l’autre de ces papes : la France, la Savoie, l’Autriche choisissent Clément
VII, alors que l’Angleterre, l’empereur et la Hongrie restent fidèles
à Urbain VI. Situation bien compliquée, en France comme en
Italie où les petits états se prononcent en faveur de celui
qui leur est le plus favorable sur le plan politique. Marseille et Avignon
sont fidèles aux papes avignonnais de 1378 à 1417. L'Union
d'Aix préfère ceux de Rome.
Après s’être réfugié à Naples, Clément
VII rentre à Avignon.
La reine Jeanne se range du côté d’Urbain VI alors que Charles
Duras choisit l’autre camp, lance l’offensive contre Naples, envahit le
royaume, et fait emprisonner la reine.
Les nobles choisissent leur camp : certains, de la famille des Baux sont
pour Rome, alors que les comtes de Sault, qui deviendront plus tard seigneur
de Caromb, sont pour le pape d’Avignon.
A Caromb, la population n'hésite pas et le choix est vite fait, en
faveur de celui d'Avignon. Il n'en est pas de même en Provence où
en plus de deux papes, la reine Jeanne est prisonnière et chaque
ville choisit son camp, entre Louis d’Anjou et Charles Duras. Clément
VII aide Louis d’Anjou puis le reconnaît en mai 1382 comme son vassal
pour la Provence et Naples, en présence du duc de Berry et du comte
de Savoie, à Carpentras.
Charles Duras fait étouffer la reine
sous un matelas de plumes [65].
Les conséquences pour la Provence sont dramatiques : le Comté
est coupé en deux : Marseille et Avignon sont pour le pape d’Avignon,
alors qu’Aix est du côté de Rome. Les foudres d’Avignon et
de Rome se croisent : les évêques ne savent plus à qui
obéir : certains vendent leur siège.
Jusqu’à la mort d’Urbain VI, l’influence
de Clément VII grandit dans tous les états. Le jeune Charles
VI, accompagné de sa mère, la régente Marie de Blois,
vient à Avignon en 1389 pour lui rendre hommage et se faire couronner
roi de France : leur splendide cortège traverse le Pont St Bénézet,
frontière entre la France et le Comtat papal.
Les cardinaux italiens élisent un nouveau pape à Rome, Boniface
IX, qui prend partie pour les Duras de Naples. Ainsi les chrétiens
ont toujours deux papes et Naples et la Provence, deux souverains.
Le pape Benoit XIII (1394 – 1422), élu à la mort de Clément
VII, souhaite arrêter le schisme, mais lorsque la cour de France
lui demande de se retirer, il refuse.
Il essaie de rallier l’Italie à ses vues, propose un concile à
Perpignan sur des terres qui lui sont favorables. En réaction, un
autre concile, à Pise, condamne les deux papes et les remplace par
Alexandre V, puis par Jean XXIII. Le monde chrétien se retrouve avec
trois papes !
La France reconnaît ce troisième
pape alors qu’Avignon reste fidèle à Benoit.
Le roi convoque alors un nouveau concile et prend des mesures de rétorsion
en coupant les revenus de la papauté et en forçant les partisans
du pape à se retirer d’Avignon. Les cardinaux se réfugient
à Villeneuve sous protection royale et les troupes françaises
arrivent.
Le pape avignonnais perd progressivement ses
partisans, jusqu'à se retrouver assiégé dans le palais
des Papes par les troupes et les Avignonnais. Il y reste prisonnier pendant
cinq ans. Ce siège du palais par les Français aidés
des Dauphinois, des Provençaux et de quelques contingents carpentrassiens
rencontre la résistance des assiégés.
Le pape s'évade dans la nuit du 11 au 12 mars 1403, sous un déguisement
de moine. Réfugié à Châteaurenard, il parvient
à reconquérir son prestige par sa résistance à
toutes ces pressions et le Comtat se soumet à nouveau à son
autorité. Avignon se retourne aussi et les notables lui remettent
les clefs de la ville. Dans le Comtat pacifié, les cardinaux rebelles
s’étant soumis, le pape fait une entrée solennelle dans Carpentras
en fête. Il lève une taxe spéciale sur ses sujets du
Venaissin en 1401, 1402 et 1403. Caromb contribue.
Il rétablit Antoine de Luna comme recteur du comtat et c'est en son
nom qu'est déposée la première pierre de l'église
de Saint-Siffrein, à Carpentras, en 1405.
Les Comtadins l’aident alors, en 1405 et 1406, par des dons gratuits [102].
La mort de Boniface IX, en 1404, entraîne l’élection d’Innocent
VII et le schisme se poursuit. Deux ans plus tard, il meurt à son
tour et les chrétiens reprennent espoir de trouver une solution,
mais il est remplacé par Grégoire XII.
Le pape Benoît XIII meurt en 1409 chez son dernier partisan, le roi
d'Aragon. Son neveu, Rodrigue de Luna, gouverneur du Comtat, se défend
dans le palais encore pendant 17 mois. Il fait démolir toutes les
maisons devant le palais pour éviter que ses adversaires ne se faufilent
jusque devant les murs, formant la grande esplanade que l'on connaît
aujourd'hui, une des plus belles du monde.