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PEREGRINATIONS ET ORIGINES DE NOS ANCETRES
Jean-Luc BERNARD (di PARONDIER)
Depuis des temps immémoriaux,
les jeunes hommes de la haute VAL VARAITA se livraient à la contrebande
du sel ou, l’automne venu, passaient le Col de l’AUTARET, descendaient dans
la vallée de MAURIN (Haute Ubaye) pour franchir le Col des MONZES
et gagner GUILLESTRE par le Vallon de CRISTILLAN.
Suivant la DURANCE, ils rejoignaient SISTERON, « Bello vilo, mario
garnisoun » où les attendait une meule à aiguiser , montée
sur roues et dénommée « Furloun » ;
Partageant une vie misérable, errant de ferme en ferme, ces rémouleurs
ambulants gagnaient la ville d’AVIGNON puis, le printemps venu, confiaient
leur précieux « furloun » à un paysan puis s’en
retournaient dans les montagnes bravant avalanches et autres périls.
Un langage secret, empruntant quelques mots de Piémontais, leur permettait
de communiquer secrètement entre eux (Entre Piémont et Provence,
Coumboscuro 1994 page 123).
Tous deux issus de familles originaires de la Vallée de BLINS (Escarton
de Château Dauphin, (devenu Casteldelfino , Prov di CUNEO) et définitivement
établies en Provence après la guerre de 1914-1918, mes parents,
désireux de s’intégrer à cette terre d’accueil, ne cachaient
pas leur fierté d’appartenir à une communauté de langue
d’Oc autrefois également francophone.
Cette particularité de l’Escarton de CHATEAU DAUPHIN (Casteldelfino)
leur permettait assurément de se distinguer des autres émigrés
Piémontais confrontés à l’hostilité grandissante
des habitants de cette FRANCE devenue, par l’avènement du fascisme
en Italie, adversaire politique.
L’été venu, de retour au pays pour les vacances dans la famille
en VAL VARAITA, il fallait franchir un col, affronter quelques contrôles
douaniers puis descendre dans le PIEMONT pour remonter enfin dans notre chère
vallée par une méchante route en terre battue.
Quel soulagement n’éprouvait-on pas, au passage du hameau de CONFINE,
poste de douane certes oublié mais marquant en amont du gros bourg
de SAN PEYRE la limite des noms de famille FRANCAIS.
Là, de 1370 à 1713, une frontière séparant le
DAUPHINE devenu Province du Royaume de FRANCE en 1349 et le Duché
de SAVOIE, a déchiré haute et basse vallée, traduisant
différemment les noms de famille au gré des langues officielles
en vigueur.
Ici, en vertu d’une clause du Traité d’UTRECH fixant en 1713 les nouveaux
confins sur la ligne de crête des montagnes, le Français a pu
demeurer langue officielle dans les hautes vallées jusqu’en 1860 (L’Alta
Valle Varaïta a meta settecento – Elena GARELLIS - Associazione Soulestrech
2001).
De son côté, le dialecte de la vallée, proche du Provençal
rhodanien encore pratiqué dans leur terre d’accueil, constituait pour
eux un élément supplémentaire facilitant sans doute
leur intégration au risque d’entretenir le mythe d’anciennes «
déportations » de populations vers ces rudes terres alpines.
Ne disait-on pas que les églises en ces hautes vallées regardaient
vers la FRANCE ?
Bien évidemment, ces scénarios romanesques ne pouvaient séduire
d’autres membres de la communauté « émigrés »
en terre italienne, d’une part désireux d’embrasser la
patrie de « Dante Alighieri », d’autre part soucieux de s’affranchir
de la dérision dont sont d’ordinaire accablés les paysans des
montagnes.
Le vin aidant, cette polémique pouvait même enflammer les repas
de famille ...
Bien des années sont passées, les chants patriotiques se sont
estompés et personne n’évoque plus ces sujets brûlants
mais combien importants pour une communauté en mal d’identité.
D’autres conceptions sont venues apporter de nouveaux éclairages.
« On peut se demander si le peuplement de ces cellules montagnardes
tenait à des mouvements d’immigration et s’il pouvait s’alléger
en jouant l’émigration définitive comme soupape de sécurité.
Les vallées que le moine bourguignon Raoul GLABER, au début
du XI° siècle, décrivait « habitées de peuplades
stupides » auraient pu accueillir quelques imposteurs en fuite, habiles
par leurs « supercheries diaboliques » à tromper la foule
paysanne » (Les Hommes et la Montagne en Dauphiné au XIII°
siècle – Henri FALQUE VERT – Presses Universitaires de Grenoble 1997
page 31).
Peut-on apporter crédit à ce mythe parfois répandu de
Cathares, templiers ou autres Hérétiques réfugiés
en nos vallées en ces temps anciens ?
Minorité persécutée, descendants de marginaux déportés
ou paysans débiles, personne ne souhaite porter ces héritages
infamants ou sulfureux.
L’insuffisance de documentation, l’extrême pauvreté, de multiples
guerres, destructions et épidémies ont laissé la place
à bien des spéculations, mais une lecture plus objective des
faits, des observations sur le terrain, des recoupements avec « la
grande histoire » permettent d’oser une reconstitution vraisemblable.
Reprenons nos manuels d’histoire :
Tous s’accordent à constater qu’à l’orée du Moyen Age,
aux VIII°, IX° et X° siècles, les grandes invasions et
razzias sarrasines avaient désertifié de très longues
années durant l’Europe toute entière.
Rien de surprenant de constater l’absence de vestiges de la véritable
langue celtique ou ligure de nos lointains ancêtres, forcément
ignorants du latin pratiqué par les légions romaines et dont
sont issus les parlers gallo romans (langue d’Oc et langue d’Oil) pratiqués
aujourd’hui.
Chez nous, seuls quelques toponymes (PELVOU, VAR, DOIRE, etc) attestent çà
et là de ce mystérieux parler indo européen, puis, peut
être gaulois, apparemment disparu en ces régions au V° siècle
après JC (Les Alpes et leurs noms de lieux, 6000 ans d’Histoire –Jean-Paul
ROUSSET, Meylan 1987 et L’Aventure des Langues en Occident –Henriette WALTER
pages 112 et 114).
Partout, durant les sombres années dites médiévales,
devant la carence du pouvoir politique les grandes familles seigneuriales
s’étaient emparées de vastes territoires à peu près
désertiques pour en tirer des revenus, y pratiquer la chasse ou percevoir
octrois et droits de passage.
Plus près de nous, au XI° siècle, « Une grande partie
de la France restait inculte. D’immenses forêts s’étendaient
qui appartenaient aux seigneurs justiciers. La paix revenant, les seigneurs
estimèrent que le meilleur moyen de tirer partie de leurs forêts
était de les mettre en culture. De tous côtés, ils créèrent
de nouveaux domaines dont le territoire était souvent découpé
en pleine forêt. Pour y attirer des hôtes, il fallait leur garantir
divers avantages : les Chartes de peuplement » (Histoire du Droit –
Librairie de l’Université – Auguste DAUMAS) (Voir également
: Uomini e campagne dell Italia Medioevale – Roma – Bari Editori Laterza,
2002).
En Europe, nombre de localités portent encore le nom de ces ESSARTS,
COURTIL, CURTIS (CORTE en italien) constituées pour la circonstance
(VILLE FRANCHE, VILLENEUVE, BATIE, ABBEVILLE, FRIBOURG etc) ou même
SAUVETERRE ou SALVETAT s’il s’agissait de territoire garantissant un droit
d’asile. 5 Voir également les « Bastides » du Sud Ouest
de la France , villes nouvelles ,médiévales encore quasiment
intactes (http://www.dordogne-perigord.com/frdecouvertes/cites/bastides/bastides.asp)
A cet égard, G. SERGI (L’idea di Medio Evo – Donzelli Editore Roma
2005) fait observer en substance page 68 : « A la différence
des paysans des domaines exploités directement par le seigneur, les
cultivateurs des terres détenues en concession bénéficiaient
en grande majorité du statut d’hommes libres (franc bourgeois) ».
Chez nous, la Grande Charte de 1343 conclue deux siècles plus tard
entre le Dauphin et les représentants des Escartons du Briançonnais
illustre parfaitement ce mode d’organisation.
Elle accordait , pour l’époque, de si importantes libertés
et privilèges aux habitants de nos vallées qu’elle donna naissance
à l’abusivement nommée République de BRIANCON.
En Dauphiné, nombre de toponymes attestent encore de la multiplicité
de ces concessions dénommées « Manses » (du latin
mansio = ferme), « Chabannerie » (CHAZAL, CHABANON, CHABOTTE,
etc), « BORDERIE », etc...
Certes, à défaut de sources avant 1260, il convient de rester
prudent et rien ne permet d’affirmer l’arrivée de colons venus, avec
chariots et bagages, défricher nos forêts aux XI° et XII°
siècles.
Peut-être des populations plus anciennes occupaient-elles déjà
nos vallées ?
Suivant la théorie de Joseph HENRIET (Nos ancêtres les Sarrasins
des Alpes – Ed Capedita 2002) certains types d’individus bruns témoigneraient
encore de nos jours de la descendance de ligures peuplant autrefois les montagnes
et s’exprimant en « Arpetara » (langue originelle des Alpes).
La tradition populaire comme les chroniqueurs du Moyen Age les auraient,
semble t-il , amalgamés aux guerriers musulmans expulsés en
l’an mille par AUDOIN LE GLABRE, Comte de VINTIMILLE, Marquis de TURIN.
En revanche, toujours selon la légende et d’après Jean BRUNET
« nos vallées étaient au X° siècle totalement
dépeuplées lors de la retraite des sarrasins. Elles n’étaient
fréquentées que par des bergers de Provence venus faire paître
leurs moutons » (Général GUILLAUME – Le Queyras – Gap
1968).
Apportant peut-être crédit à la thèse d’un peuplement
au moins partiellement « immigré » une recherche anthropologique
conduite par l’Université de TURIN concluait à une origine
ethnique plurielle des habitants de la haute VAL VARAITA (Popolamento et
Spopolamento di una valle alpina (Firenze 1977 page 244).
Peut-être cette immigration, saisonnière ou permanente, ne provenait-elle
en définitive que de plaines relativement voisines (Piémont
et Dauphiné) ?
Quoique hardies, ces constructions ne manquent pas de séduction.
Le patois « provençal alpin », les noms de lieux, la présence
en nos hameaux de fenêtres géminées, n’attesteraient-ils
pas de l’arrivée de ces colons venus d’ailleurs, en lutte permanente
avec une nature hostile et surtout avec ces autochtones bruns (les fameux
Arpetara), injustement amalgamés aux envahisseurs sarrasins et si
souvent mis en scène dans nos légendes et fêtes carnavalesques
(BEHO de BLINS ou de SAN PEYRE) ? (Charles JOISTEN, Provence Historique,
Novembre 1999 – Fascicule 198, Andrée CARENINI et Carnaval de la Montagne,
Priuli VERLUCA Page 37, Aoste 2003).
Mais pourquoi le dialecte des hautes vallées piémontaises appartient-il
à la grande famille des parlers néo latins de langue d’oc (Occitan)
?
Au Moyen Age (XI°, XII° et XIII° siècles) les communications
étaient difficiles et hasardeuses et les fleuves constituaient des
barrières autrement infranchissables que les montagnes facilement
praticables
durant la saison estivale.
Ainsi s’expliqueraient l’expansion du Dauphiné jusqu’à SALUZZO
au XIV° siècle ainsi que les dialectes de langue d’Oc sur toute
la rive gauche du Pô (le Piémontais aurait par la suite conquis
peu à peu les basses vallées).
Certes, nul ne connaît précisément l’origine de la langue
d’Oc, parfois désignée sous le nom de « Provençal
au sens large » ou « Occitan », mais chaque atlas linguistique
confirme bien son origine latine et en conséquence postérieure
à l’invasion romaine, comme son expansion limitée par le cours
des grands fleuves (Loire notamment) – (cf La Langue Occitane de Pierre BEC
– Ed Que sais-je Presses Universitaires de France 1963 et 1965)
Dans ce canevas général, l’histoire du peuplement des hautes
vallées reste évidemment à écrire, toutefois
une recherche fondée conduite par Henri FALQUE VERT (Les Hommes et
la Montagne en Dauphiné au XIII° siècle – Editions La Pierre
et l’Ecrit – Presses Universitaires de Grenoble 1997) décrit, sur
le fondement d’archives et avec une relative précision, la vie misérable
de nos vallées deux siècles plus tard.
Ces textes plus concrets, issus de comptes rendus d’émissaires delphinaux
en charge de recouvrer taxes et impôts, émanent d’une période
de déclin des « Curtis » et de paupérisation liée
à la conjonction d’un essor démographique important et d’un
espace cultivable devenu exigu.
Suivant ces sources à interpréter avec discernement, au XIII°
siècle, à défaut de déplacements de grande ampleur,
surpeuplement, migrations hivernales, transhumance estivale, transferts associés
au statut juridique caractérisent des populations paysannes mobiles
flottantes insaisissables souvent.
« Les enquêteurs de GUIGUES VII passent en Mars 1265 pour dresser
l’inventaire tenure par tenure des redevances dues au Dauphin. Or, en cette
fin d’hiver des manses sont vides : les tenanciers ne sont pas encore rentrés
de leurs pérégrinations hivernales.
Certaines chabanneries furent sans occupant l’hiver précédent
et une borderie n’a conservé qu’un seul habitant.
Ainsi, au XIII° siècle, s’agit-il d’une émigration qui
touche jusqu’aux deux tiers de la population et provoque durant la saison
froide la désertion de certains centres d’habitat, montrant de ce
fait qu’elle n’affecte pas seulement des bergers accompagnant leurs troupeaux
vers des régions plus clémentes, mais des familles entières,
surtout pauvres.
Beaucoup emmenèrent la plus grande partie de leurs troupeaux, ne laissant
dans leurs masures que quelques bêtes pour consommer le peu de foin
récolté et parfois une personne pour garder maison et animaux.
Hommes et femmes gagnaient ainsi le Briançonnais, l’Embrunais, la
Provence ou le Piémont et là cherchaient du travail ou mendiaient
avec leurs enfants le long des routes.
A peine rentrés de leur errance hivernale, les hommes gagnaient les
alpages avec leurs troupeaux pour y passer l’été. la fin du
mois de septembre les ramenait dans leurs villages pour quelque temps seulement,
dans l’attente pour beaucoup d’entre eux du nouveau départ vers la
Provence ou le Piémont.
Cette mobilité pouvait s’accroître encore à l’échelle
restreinte de la communauté villageoise cette fois. Elle tient alors
à la possibilité qu’ont les hommes de changer de seigneur en
changeant de domicile - (Changement de fidélité des paysans
à cause d’un changement de domicile : c’est le titre de l’enquête
sur BELLINS en 1265).
Quelle pouvait être l’existence de ces pauvres hères ?
L’effondrement démographique qui marque la fin du Moyen Age permit
aux survivants d’améliorer leur niveau de vie et peut-être de
construire en pierre leurs masures jusque là faites de bois ou de
torchis. Le dessin (tiré d’une carte relative à la haute VAL
VARAITA) suggère en tous cas des bâtisses contiguës d’un
seul niveau comportant des ouvertures dans leurs murs de pierre.
« La documentation écrite du XIII° au XV° siècle
invite à penser que la maison n’est qu’une cabane (ALBERGUM) construite
surtout en bois (CHAZAL), ordonnée autour d’une poutre maîtresse
avec un foyer intérieur, l’ensemble restant d’une grande fragilité
puisque ses occupants peuvent le transférer d’une seigneurie à
une autre et qu’en temps de pluies torrentielles il n’osent y dormir la nuit
» (Page 48 ouvrage Henri FALQUE VERT).
Qui étaient ces montagnards et quelle était leur nourriture
avant l’avènement de la pomme de terre (Introduite en Europe seulement
au XVIII° Siècle) ?
Comment étaient-ils vêtus ?
Suivant l’ouvrage de Henri FALQUE VERT, l’habitat de hameaux existait dès
le milieu du XIII° siècle (page 43).
Sans doute, aux villages groupés caractéristiques de l’insécurité
médiévale, ont succédé comme partout les hameaux
allongés avides de lumière, puis l’habitat dispersé
plus proche des lieux d’exploitation.
Comment les rudimentaires cabanes décrites par les émissaires
du Dauphin évolueront-elles au cours des siècles suivants (XIV°
et XV° siècles) pour nous léguer ces remarquables bâtisses
des XVII° et XVIII° siècles orgueil de nos vallées.
Seuls quelques vestiges ou clochers témoignent encore de ces temps
anciens.
Les costumes dits « traditionnels », ornés de soieries
et rubans, caractéristiques de chaque vallée ou commune ne
virent le jour qu’à la faveur des XVIII° et XIX° siècles
au gré des marchandises proposées par les colporteurs.
Mais quels vêtements portaient nos ancêtres des XIV° et XV°
siècles ?
Les inventaires des notaires demeurant malheureusement avares en descriptions
et l’on a pu seulement constater qu’à l’occasion de l’application
du Traité d’UTRECH en 1713, la dénomination des vêtements
se modifiait : la ROBO devenait la GOUNELLO, etc...
Au cours des XII° au XVI° siècles, la diffusion du valdisme
puis du protestantisme furent l’occasion d’autres périples.
Au cours des XIV° et XV° siècles, des familles répondant
à l’offre de seigneurs locaux sont venus repeupler les villages désertifiés
du LUBERON : « la demande semble avoir été très
forte des gavots sans terre qui avaient connu la région en venant
chercher à s’y louer » (Histoire du Luberon : http://www.histoireduluberon.fr
– le XVI° siècle.)
Durant la même période, vraisemblablement persécutés
pour leur foi devenue suspecte, des communautés ont été
contraintes de s’établir en CALABRE, en un lieu dénommé
depuis LA GUARDIA PIEMONTESE (cf site internet : http://comune.guardiapiemonteses.cs.it).
En 1686, le pasteur Henri ARNAUD né à EMBRUN le 16 Juillet
1643 mais de famille venue de l’Escarton de CHATEAU DAUPHIN, fuit les vallées
avec plus de trois mille vaudois qui, ne voulant pas abjurer le protestantisme,
vont chercher refuge en SUISSE.
« Grâce à des financements anglais et hollandais, le 27
Août 1689, à la tête d’un millier de vaudois, il prend
le chemin du retour en empruntant des chemins escarpés pour ne pas
donner l’éveil, écrivant ainsi une épopée connue
sous le nom de « glorieuse rentrée ». La petite troupe
est interceptée à plusieurs reprises par les forces franco-piémontaises
mais elle réussit chaque fois à s’échapper. Parvenue
dans les vallées, elle doit encore subir l’assaut des troupes du maréchal
Catinat ; le 14 Mai 1690, près de Torre Pellice, elle est surprise
par l’artillerie et les survivants ne doivent leur salut qu’à la neige
qui leur permet de se disperser sur les hauteurs environnantes » (cf
site internet :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri Arnaud).
Hormis ces périples spectaculaires propres aux communautés
vaudoises, les montagnards poursuivent leur vie relativement errante, glanant
ci et là culture et savoir faire.
Un siècle plus tard en 1736, NEZOT un ingénieur du Roi rapporte
: « La plupart des hommes partent après la récolte pour
la France et les pays étrangers pour n’être point à charge
chez eux et épargner le bien de leur pays, de sorte qu'en hiver les
villages sont dépourvus d’hommes, n’y restant que les vieillards,
les femmes, les petits garçons et les petites filles. Ils reviennent
au printemps et restent tout l’été pour cultiver les terres
et pour les affaires de la maison ».
Finalement, au début du XX° siècle les rémouleurs
ambulants de la haute VAL VARAITA perpétraient cette tradition, regagnant
chaque hiver la région d’AVIGNON, empruntant le long de la DURANCE
un itinéraire bien connu auquel fait allusion l’article 32 de la Grande
Charte des Escartons du Briançonnais conclue en 1346 : « Les
habitants du bailliage pourront avec bêtes et marchandises aller et
venir jusqu’à Avignon par la route de leur choix, sans aucune interdiction
excepté le vicomté de Tallard »
Suivant Henri FALQUE, « l’installation des papes en AVIGNON (1309-1394)
avait permis une relance le long de la vallée de la Durance et dans
son arrière pays alpin, favorisant ainsi l’élite villageoise
des vallées alpestres et avec les foires de Briançon, la petite
bourgeoisie de la ville »
Cet itinéraire expliquerait-il le long périple des rémouleurs
de la VAL VARAITA franchissant chaque automne le Col de l’AUTARET pour se
rendre précisément en Comtat Venaissin (AVIGNON).
Sauf à attribuer aux nécessités de la vie errante (pratique
du commerce impliquant la maîtrise de l’écriture, du calcul
et des langues), de la contrebande, à la présence protestante
(nécessité de lire la Bible) un rôle peut-être
excessif, personne ne peut expliquer comment les paysans rustres décrits
par Raoul LE GLABRE ont pu édifier de tels villages et maîtriser
au fil des années écriture et latin, au point d’en étonner
Victor HUGO lui-même.
« Comme un petit pays de quinze feux ne peut pas toujours nourrir un
magister, ils ont des maîtres d’école payés par toute
la vallée qui parcourent les villages, passant huit jours dans ceux-ci,
dix dans celui-là, et enseignant » (Les Misérables, 1862).
« Ces magister vont aux foires où je les ai vus ; on les reconnaît
à des plumes à écrire qu’ils portent dans la ganse de
leur chapeau, ceux qui n’enseignent qu’à lire n’ont qu’une plume,
ceux qui enseignent la lecture et le calcul ont deux plumes, ceux qui enseignent
le latin ont trois plumes » (Citation de Monseigneur MYRIEL, Evêque,
d’après Victor HUGO).
En dépit de ces analyses et d’une littérature importante, le
monde des hautes vallées demeure une réalité délicate
à appréhender.
Comment définir cet étrange monde montagnard, sans intégrer
le rôle déterminant de ces incessantes pérégrinations
?.
Il apparaît, cultivé, noble et populaire à la fois, tantôt
autonome et tantôt ballotté au gré de diverses
autorités aveugles. Contraint d’émigrer sans cesse, il survit
tant bien que mal à la merci d’un climat instable et capricieux,
de récoltes incertaines, de guerres et d’épidémies.
Profondément attaché à ses terres ingrates, il devient
semi nomade par nécessité .Paradoxalement superstitieux il
témoigne d’un sentiment profondément religieux.
Manifestement, ce passé tumultueux a forgé une éthique,
des mentalités, un monde particulier façonné par l’isolement,
les rigueurs de la haute montagne mais aussi le partage d’une existence sans
concession, l’expérience de contacts permanents avec d’autres cultures.
Concédons- lui la diversité de ses origines ethniques et culturelles
et gardons nous de l’enfermer dans quelque schéma simplificateur ou
seul folklore traditionnel.
Jean-Luc BERNARD
Aix-en-Provence,
le 1° Septembre 2008
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