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Jean-Luc BERNARD Di Parondier
Aix en Pce - Septembre 2008
Texte « Nominé » au 5° Concours
Inter Linguistique « Riva del. Garda »
Giacomo Rosini – Année 2009 –
I Raccondi dell ars venandi
Tous deux issus de familles originaires
de la vallée de BLINS (Escarton de Château Dauphin devenu Casteldelfino,
Prov di Cuneo) définitivement établies en PROVENCE au lendemain
de la grande guerre, mes grands parents, nés avant 1900, avaient
conservé un lien permanent avec leur village natal.
Là haut chacun s’exprime en dialecte gallo roman de langue
d’Oc dénommé « NOSTO MODO », mais , en vertu d’une
clause du traité d’UTRECH de 1713 où cette enclave
Dauphinoise retourna au PIEMONT (alors Savoyard) , le Français
y demeura langue officielle jusqu’ en 18961
Chez nous le parler de BLINS, cher aux récits d’un conteur fameux
« BARBO MARTIN » constituait avec le FRANCAIS la langue de la
maisonnée.
Ces perpétuels va-et-vient, ce plurilinguisme naturel dont les comptes
rendus delphinaux font état depuis le Moyen-Age (1262) n’étonnaient
personne en cette communauté montagnarde frontalière contrainte
de vivre dans l’étable plusieurs mois de l’année à
cause du froid et de la neige.
Perpétrant la tradition et fuyant les températures
étouffantes des étés de Provence, nous retournions
chaque année « au pays ».
En cette région frontalière, blottie au milieu de cimes hautes
de 3 000 m, entre le massif du Chamborro et celui du célèbre
Mont Viso, la vie à 1600 m était rude, l’hiver interminable
et la vallée si pauvre que même le porc trop vorace en avait
été proscrite.
Consommer quelque viande demeurait exceptionnel et les quelques chasseurs
des hameaux bénéficiaient d’une aura bien particulière
parfaitement justifiée envers des hommes capables d’affronter les
lieux de haute montagne, là où personne n’osait s’aventurer.
Obtenir quelque témoignage de mon arrière grand père
Donat dit « la voulp » (le renard) à cause de sa grande
habilité relevait d’une impossible gageure tant était grande
sa réticence à trahir quelque mystère.
Plié par le grand âge et les nuits passées dans la
neige en embuscade , avec son antique fusil, chaussé de ses
« chastouès e chòussoun de pato »(
Raquettes et chaussures de drap à semelles cloutées)
, il emporta à tout jamais ses secrets dans la tombe.
A BLINS ,l’hiver venu , les habitants qui n’émigraient pas
jusque dans le comtat Venaissin pour s’y louer ( région d’Avignon)
, demeuraient dans l’étable avec les animaux sans trop oser s’aventurer
à l’extérieur des bourgades à cause des avalanches
.
Les veillées étaient fréquentes et à défaut
d’aventures réelles, nombre de récits fantastiques ont pu
malgré tout parvenir jusqu’ à nous.
Mon grand père JEAN, Barbo Juon Barnà di Parondier
, né en 1898, véritable oiseau sauvage fixé par les
hasards de la vie à AIX et MARSEILLE, « retournait »
au village chaque été et laissait en permanence son esprit
vagabonder par les hautes montagnes de son enfance.
Doté d’une mémoire exceptionnelle, il savait mieux que quiconque
narrer les légendes d’autrefois rapportant ainsi les
invraisemblables histoires d’un certain « MARTIN », conteur
bien connu de la RUBEIRETTO , petit hameau blotti tout près
de VARACHO, au cœur de la vallée de BLINS (Bellino).
Barbo JUON mimait à merveille ce curieux personnage qui, appuyé
sur son long bâton agrémenté de torsades taillées
dans l’écorce, contait ses propres mésaventures.
Il procédait par courtes phrases et ponctuait son monologue de longs
silences propres à entretenir le mystère.
Sa manière de parler « avec le nez », son art de créer
un « suspense » sans esquisser le moindre sentiment ni sourire,
procédait d’un grand art et ajoutait une note de vraisemblance à
d’extraordinaires récits destinés à se conclure par
l’éclat de rire de la veillée toute entière.
Parmi son inépuisable répertoire, quelques récits
de chasse témoignent du prestige auréolé de mystère
dont jouissaient ces héros capables d’affronter, parfois dans la
neige et de nuit, cette haute montagne si redoutée et d’eux seuls
connue.
Peut-être était elle hantée d’esprits maléfiques
?
Mais laissons BARBO MARTIN s’exprimer en son dialecte avant de tenter quelques
maladroites traductions.
Ces textes extrêmement brefs tout en nuances constituent un bel exemple
d’une littérature orale originale, à savourer dans l’ambiance
de la haute montagne et de ses interminables veillées sous les voûtes
sombres et humides des étables où se réfugiait la vie
en ces longs mois d’hiver.
Vouon d’òutoun a sui parti
a la chasso elh chamous elh l’amoun a la Sarsenà.
M’èrou pourtà aquel vielh fusil de moun païre que se
charjo per lou canoun .
Fasiòu la toucho arombà a n’aquel arbou qu’es dacont la gronjo
.
Aqui aî vist en bèl chamous .
Elh moument de tirar : Pa pus ren de baloutoun de pioum .
Alouro que fau qu’iou ?
Per fourtuno la m’arestavo encà en pau de bouro e de poudro ….
A fau ni uno di douès.
Senço far de brulh a fichou na pugnà de gari de levetès
din lou canoun e a tirou …
Aî chapà lou chamous que scapavo propi din lou cul,
ma la besto a sòutà a in e l’ai pà-pus troubà
.
Encà l’autre jour sui anà elh bouosc propi a la Sarsenà
Ai vist carcaren a boujar din in verous ….
A m’avesinou e que vèi qu’iou ?
Lou meme chamous qu’èro ma mouort ….
N’elvou lh’avio creissù din lou cul .
L’an passé, en automne, je suis
parti à la chasse là-haut à la SARSENA.
J’avais pris ce vieux fusil de mon père qu’il faut charger par le
canon.
Je m’étais embusqué près de ce gros arbre, tout près
de la grange.
Au moment de tirer : plus de projectiles de plomb...
Que pouvais je faire ?
Par chance, il me restait encore de la bourre et de la poudre ….
Sans hésiter , je ramasse une poignée de pignes de pin cembro,
les glisse dans le canon et tire.
J’ai atteint l’animal dans le postérieur, mais la bête s’est
échappée...
L’autre jour, allant au bois, précisément à la SARSENA
j’ai vu les buissons s’agiter .
Je m’approche et que vois-je ?
Mon fameux chamois !
Il n’était pas mort !
Un pin cembro lui avait poussé sur le dos... »
N’autre bòt sui encà
parti a la chasso .
Fasiòu la toucho e èrou soulet .
Coumo l’èro de nuèch m’èrou pourtà moun lonternin
…
D’en crèp ai crouzeà en gros chamous ….
Aquel diàu m’a passà talament proch qu’elh ses prés
lou lonternin din i couorn .
Pei elh s’es escapà e sui està din lou nièr fin elh
matin .
Erou verament gialà….
L’an d’après ai encà vista quel diàou de bestiasso
Lou lonternin èro sempre estachà alh couorn ,
e a l’èro encà viòu…
« Une autre fois, je suis à
nouveau parti à la chasse.
J’étais en embuscade et j’étais seul
Comme il faisait nuit, j’avais emporté ma lanterne.
Soudain un gros chamois a croisé ma route
Il m’est passé tellement près qu’il est pris ma lanterne
dans ses cornes.
Puis il s’est échappé et je suis resté dans l’obscurité
toute la nuit .
J’étais vraiment glacé .
L’année suivante, j’ai aperçu ce diable d’animal
La lanterne , toujours accrochée aux cornes ,était encore
allumée... »
Encà n’autre bòt sui parti
a la chasso a la FOULIO .
Coumo l’èro escur ai mancà dui chamous que passavoun per
aqui
Alouro que fau qu’iou
Ai pendù moun lonternin a l’arbou qu es amoun e a me sui estremà
dreire les gronges
Couro la bestio es passà dessout l’ai ben visto
Ai tirà
E l’ai tuà
« Encore une autre fois, je suis
parti à la chasse à la « foulio ».
Comme il faisait sombre, j’ai manqué deux beaux chamois qui passaient
par là …
Que pouvais je bien faire …
J’ai pendu ma lanterne à un arbre et me suis embusqué derrière
les granges.
Lorsque l’animal est passé sous la lumière, je l’ai bien
vu...
J’ai tiré
Je l’ai foudroyé »
Encà n’autre bot erou anà
a la chasso elh CHALVEILS
Avioù pà pres lou permes de chasso…
M’erou estremà dreire en gros codou e attendiòu que
i chamous passessoun
Maramon ai vist arribar i berlic
Ai scapà de courso ton qu’a poulhòu bate .
Ma arribà a en post l’aviò de sagnas e a me sui entompà.
Aribavou pa pus a sourtir e i berlic s’avesinavoun
Aviòu pus que la testo de fouoro ….
Per qu’i me veighessoun pà me sui betà na mouto sus
la testo .
Coumo co i m’on pà vist .
Ma après aribavou pà pus a me sourtir .
Alouro que fau qu’iou ?
A me betou a bramar per sounar aquié delh FOUNTANIL
que venessoun me tirar fouoro
Coumo cò sus està salvà .
« Une nouvelle fois, je suis parti
à la chasse au lieu dit CHALVEIS.
Je n’avais pas souscrit de permis de chasse ; caché derrière
un gros bloc de rocher, j’attendais le passage des chamois.
Je vis soudain arriver des garde-chasse...
Je me suis enfui à toutes jambes...
Parvenu à quelque distance, j’ai dû traverser une SAGNO (Prairie
marécageuse de haute montagne ) et me suis enlisé.
Je ne parvenais plus à me dégager alors même que les
gardes continuaient d’approcher ; seule ma tête émergeait encore
du marécage...
Afin qu’ils ne puissent pas m’apercevoir, je plaçais une motte de
terre sur ma tête.
Ainsi, ils n’ont pas réussi à me voir …
Mais ensuite, je ne parvenais plus à me dégager...
Alors, que pouvais-je bien faire ? J’ai appelé au secours les habitants
du FOUNTANIL afin qu’ils viennent me dégager.
Ainsi, j’ai pu être sauvé... »
Rompant avec la tradition
épique ou dramatique des récits de chasse, le caractère
à la fois naïf et surréaliste des contes très
répandus dans la vallée de BLINS peut déconcerter.
Puisant savamment dans l’absurde les
effets comiques souhaités, ces récits imaginaires servant
d’exutoires contribuaient peut-être à exorciser la crainte
de ces aventuriers d’un autre âge capables d’affronter les superstitions
comme les dangers objectifs de la haute montagne.
Peut-être recèlent ils
au delà de leur apparente innocence quelques aspects magiques qu’il
reste encore à décrypter ?.
Qui sait ?
NOTA = La graphie dialectale utilisée
est celle dite de « l’escolo dòu Pô »
Jean-Luc BERNARD
Aix-en-Provence,
le 1° Sept 2008
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