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L'Histoire :
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 III  1713-1861
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Jean-Luc BERNARD Di Parondier
Aix en Pce - Septembre 2008

Texte « Nominé » au 5° Concours
Inter Linguistique « Riva del. Garda »
Giacomo Rosini – Année 2009 –
I Raccondi dell ars venandi     


Tous deux issus de familles originaires de la vallée de BLINS (Escarton de Château Dauphin devenu Casteldelfino, Prov di Cuneo) définitivement établies en PROVENCE au lendemain de la grande guerre, mes grands parents, nés avant 1900, avaient conservé un lien permanent avec leur village natal.

Là haut chacun s’exprime en  dialecte gallo roman de langue d’Oc dénommé « NOSTO MODO », mais , en vertu d’une clause du traité  d’UTRECH  de 1713 où cette enclave Dauphinoise retourna au PIEMONT (alors Savoyard) ,  le Français y demeura langue officielle jusqu’ en 18961

Chez nous le parler de BLINS, cher aux récits d’un conteur fameux  « BARBO MARTIN » constituait avec le FRANCAIS la langue de la maisonnée.

Ces perpétuels va-et-vient, ce plurilinguisme naturel dont les comptes rendus delphinaux font état depuis le Moyen-Age (1262) n’étonnaient personne en cette communauté montagnarde frontalière contrainte de vivre dans l’étable plusieurs mois de l’année à cause du froid et de la neige.

Perpétrant la  tradition et  fuyant les températures étouffantes des étés de Provence, nous retournions  chaque année « au pays  ».

En cette région frontalière, blottie au milieu de cimes hautes de  3 000 m, entre le massif du Chamborro et celui du célèbre Mont Viso,  la vie à 1600 m était rude, l’hiver interminable  et la vallée si pauvre que même le porc trop vorace en avait été proscrite.

Consommer quelque viande demeurait exceptionnel et les quelques chasseurs des hameaux bénéficiaient d’une aura bien particulière parfaitement justifiée envers des hommes capables d’affronter les lieux de haute montagne, là où personne n’osait s’aventurer.

Obtenir quelque témoignage de  mon arrière grand père Donat dit « la voulp » (le renard) à cause de sa grande habilité relevait d’une impossible gageure tant était grande sa réticence à trahir quelque mystère.

Plié par le grand âge et les nuits passées dans la neige en embuscade , avec son antique fusil,  chaussé de ses  «  chastouès e chòussoun de pato  »( Raquettes  et chaussures de drap à semelles cloutées)  , il emporta à tout jamais ses secrets  dans la tombe. 

A BLINS ,l’hiver venu , les habitants qui n’émigraient pas  jusque dans le  comtat Venaissin pour s’y louer ( région d’Avignon) , demeuraient dans l’étable avec les animaux sans trop oser s’aventurer à l’extérieur des bourgades à cause des avalanches  .

Les veillées étaient fréquentes et à défaut d’aventures réelles, nombre de récits fantastiques ont pu malgré tout parvenir jusqu’ à nous.

Mon grand père JEAN, Barbo Juon Barnà di Parondier  , né en 1898, véritable oiseau sauvage fixé par les hasards de la vie à AIX et MARSEILLE,  « retournait » au village chaque été et laissait en permanence son esprit vagabonder par les hautes montagnes de son enfance.

Doté d’une mémoire exceptionnelle, il savait mieux que quiconque narrer les  légendes d’autrefois rapportant ainsi  les invraisemblables histoires d’un certain « MARTIN », conteur bien connu de la RUBEIRETTO , petit hameau  blotti tout près de VARACHO, au cœur de la vallée de BLINS (Bellino).

Barbo JUON  mimait à merveille ce curieux personnage qui, appuyé sur son long bâton agrémenté de torsades taillées dans l’écorce, contait ses propres mésaventures.

Il procédait par courtes phrases et ponctuait son monologue de longs silences propres à entretenir le mystère.

Sa manière de parler « avec le nez », son art de créer un « suspense » sans esquisser le moindre sentiment ni sourire, procédait d’un grand art et ajoutait une note de vraisemblance à d’extraordinaires récits destinés à se conclure par l’éclat de rire de la veillée toute entière.

Parmi son inépuisable répertoire, quelques récits de chasse témoignent du prestige auréolé de mystère dont jouissaient ces héros capables d’affronter, parfois dans la neige et de nuit, cette haute montagne si redoutée et d’eux seuls connue.

Peut-être était elle hantée d’esprits maléfiques ?

Mais laissons BARBO MARTIN s’exprimer en son dialecte avant de tenter quelques maladroites traductions.

Ces textes extrêmement brefs tout en nuances constituent un bel exemple d’une littérature orale originale, à savourer dans l’ambiance de la haute montagne et de ses interminables veillées sous les voûtes sombres et humides des étables où se réfugiait la vie en ces longs mois d’hiver.


Vouon d’òutoun a sui parti  a la chasso elh chamous elh l’amoun a la Sarsenà.
M’èrou pourtà aquel vielh fusil de moun païre que se charjo per lou canoun .
Fasiòu la toucho arombà a n’aquel arbou qu’es dacont la gronjo .
Aqui aî vist en bèl chamous .
Elh moument de tirar : Pa pus ren de baloutoun de pioum .
Alouro que fau qu’iou ?
Per fourtuno la m’arestavo encà en pau de bouro e de poudro ….
A fau ni uno di douès.
Senço far de brulh a fichou na pugnà de gari de levetès din lou canoun e a tirou …
Aî chapà lou chamous que scapavo  propi din lou cul, ma la besto a sòutà a in e l’ai pà-pus troubà .
Encà l’autre jour sui anà elh bouosc propi a la Sarsenà
Ai vist carcaren a boujar din in verous ….
A m’avesinou e que vèi qu’iou ?
Lou meme chamous qu’èro ma mouort ….
 N’elvou  lh’avio creissù din lou cul  .  


L’an passé, en automne, je suis parti à la chasse là-haut à la SARSENA.
J’avais pris ce vieux fusil de mon père qu’il faut charger par le canon.
Je m’étais embusqué près de ce gros arbre, tout près de la grange.
Au moment de tirer : plus de projectiles de plomb...
Que pouvais je faire ?
 Par chance, il me restait encore de la bourre et de la poudre ….
Sans hésiter , je ramasse une poignée de pignes de pin cembro, les glisse dans le canon et tire.
J’ai atteint l’animal dans le postérieur, mais la bête s’est échappée...
L’autre jour, allant au bois, précisément à la SARSENA j’ai vu les buissons s’agiter .
Je m’approche et que vois-je ?
Mon fameux chamois !
Il n’était pas mort !
Un pin cembro  lui avait poussé sur le dos... »




N’autre bòt  sui  encà parti a la chasso .
Fasiòu la toucho e èrou soulet .
Coumo l’èro de nuèch m’èrou pourtà moun lonternin …
D’en crèp ai crouzeà en gros chamous ….
Aquel diàu m’a passà talament proch qu’elh ses prés lou lonternin din i couorn .
Pei elh s’es escapà e sui està din lou nièr fin elh matin .
Erou verament gialà….
L’an d’après ai encà vista quel diàou de bestiasso
Lou  lonternin èro sempre estachà alh  couorn , e a l’èro encà viòu…
« Une autre fois, je suis à nouveau parti à la chasse.
J’étais en embuscade et j’étais seul
Comme il faisait nuit, j’avais emporté ma lanterne.
Soudain un gros chamois a croisé ma route
Il m’est passé tellement près qu’il est pris ma lanterne dans ses cornes.
Puis il s’est échappé et je suis resté dans l’obscurité toute la nuit .
J’étais vraiment glacé .
L’année suivante, j’ai aperçu ce diable d’animal
La lanterne , toujours accrochée aux cornes ,était encore  allumée... »




Encà n’autre bòt sui parti a la chasso a la FOULIO .
Coumo l’èro escur ai mancà dui chamous que passavoun per aqui
Alouro que fau qu’iou
Ai pendù moun lonternin a l’arbou qu es amoun e a me sui estremà dreire les gronges
Couro la bestio es passà dessout l’ai ben visto
Ai tirà
E l’ai tuà


« Encore une autre fois, je suis parti à la chasse à la « foulio ».
Comme il faisait sombre, j’ai manqué deux beaux chamois qui passaient par là …
Que pouvais je bien faire …
J’ai pendu ma lanterne à un arbre et me suis embusqué derrière les granges.
Lorsque l’animal est passé sous la lumière, je l’ai bien vu...
J’ai tiré
Je l’ai foudroyé »




Encà n’autre bot erou anà a la chasso elh CHALVEILS
Avioù pà pres lou permes de chasso…
M’erou estremà dreire en gros codou  e attendiòu que i chamous passessoun
Maramon ai vist arribar i berlic
Ai scapà de courso ton qu’a poulhòu bate .
Ma arribà a en post l’aviò de sagnas e a me sui entompà.
Aribavou pa pus a sourtir e i berlic s’avesinavoun
Aviòu pus que la testo de fouoro ….
Per qu’i me veighessoun pà  me sui betà na mouto sus la testo .
Coumo co i m’on pà vist .
Ma après aribavou pà pus a me sourtir .
Alouro que fau qu’iou ?
A me betou a bramar per  sounar aquié  delh FOUNTANIL  que venessoun me tirar fouoro
Coumo cò sus està salvà .



« Une nouvelle fois, je suis parti à la chasse au lieu dit CHALVEIS.
Je n’avais pas souscrit de permis de chasse ; caché derrière un gros bloc de rocher, j’attendais le passage des chamois.
Je vis soudain arriver des garde-chasse...
Je me suis enfui à toutes jambes...
Parvenu à quelque distance, j’ai dû traverser une SAGNO (Prairie marécageuse de haute montagne ) et me suis enlisé.
Je ne parvenais plus à me dégager alors même que les gardes continuaient d’approcher ; seule ma tête émergeait encore du marécage...
Afin qu’ils ne puissent pas m’apercevoir, je plaçais une motte de terre sur ma tête.
Ainsi, ils n’ont pas réussi à me voir …
Mais ensuite, je ne parvenais plus à me dégager...
Alors, que pouvais-je bien faire ? J’ai appelé au secours les habitants  du FOUNTANIL afin qu’ils viennent me dégager.
Ainsi, j’ai  pu être sauvé... »




Rompant avec la tradition épique ou dramatique des récits de chasse, le caractère à la fois naïf et surréaliste des contes très  répandus dans la vallée de BLINS peut déconcerter.

Puisant savamment dans l’absurde les effets comiques souhaités, ces récits imaginaires servant d’exutoires contribuaient peut-être à exorciser la crainte de ces aventuriers d’un autre âge capables d’affronter les superstitions comme les dangers objectifs de la haute montagne.

Peut-être recèlent ils au delà de leur apparente innocence quelques aspects magiques qu’il reste encore à décrypter ?.

Qui sait ?


NOTA = La graphie dialectale utilisée est celle dite de «  l’escolo dòu Pô »

                            Jean-Luc BERNARD
                            Aix-en-Provence, le 1° Sept  2008
 
   
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