Le Général Matteo Roux, de Fontanil
Matteo Roux
Article de Giovanni Antonio Richard de Bellino
Publié dans Corriere di Saluzzo
Introduction
Une grande pierre tombale au pied
du Pelvo
.
La famille émigre en France,
à Toulon
.
Militaire à la place de
son frère
.
Notes sur sa carrière militaire
.
La malchance
.
Puissant, mais seul
.
Sa nouvelle maison à Fontanil
.
Un Général cultivateur
:
Président de l‘Hôpital
de Saluces
.
Introduction :
Cet article
n’a pas l’ambition d’être une étude exhaustive sur le Général
Matteo Roux, natif de Bellino à la fin du XVIIIe siècle. Plus
modestement, il cherche, à travers une recherche des sources disponibles,
à lever le voile que le temps a posé sur l’image de cet homme
et pour connaître l'histoire véridique de sa vie extraordinaire.
Et aussi, comprendre comment un homme d’origine montagnarde et paysanne a
réussi la prouesse impensable de gravir la pyramide sociale jusqu'à
son sommet ; ou comment le grand jeu du destin lui a permis d'avoir libre
accès aux palais des Princes de la Maison de Savoie, sans ressentir
aucune crainte liée à ses origines modestes, ou à sa
façon de s'exprimer en leur présence dans sa langue maternelle
occitane ; et sortir indemne après un demi-siècle de terribles
événements liés à la guerre, endurci par les
faits, mais toujours conservant la fierté de sa culture.
Une grande pierre tombale :
Une pierre
tombale presque toujours nue s’étale dans le petit cimetière,
au pied du Pelvo, entourée comme par une étreinte de nombreuses
petites pierres. Le grand tombeau de pierres et le seul à avoir survécu
aux multiples rationalisations du cimetière. La photo sur la pierre
tombale représente un homme distingué en uniforme militaire
avec les mots suivants :
Matteo Roux
Generale di Corpo d’Armata
Bellino 14 luglio 1881 -Chiavari 3 luglio 1952.
Depuis
60 ans cette tombe suscite un sentiment de respect de la part des villageois
et suscite la curiosité des touristes visiteurs de l'église
paroissiale adjacente, par ailleurs intrigués par les noms de famille,
presque tous français, sur les pierres tombales. Si quelqu'un veut
combler son manque de connaissances historiques, il faut parler de cette
longue période de démocratie avancée accordée
par les Dauphins au peuple de ce lieu, appelée la « République
briançonnaise des Escartons », une période de l'histoire
que l'école n'enseigne pas.
Les nouvelles générations sont curieuses,
à la vue du tombeau contenant les restes de cette illustre personnage,
et se pose la question de savoir comment il a réussi, à partir
d’une bourgade de Bellino à monter si haut.
Les anciens du village, contemporains du général,
se rappelle sa silhouette austère et pourtant simple, et le décrivent
comme une personne qui n'a jamais montrer sa puissance, et était toujours
disponible pour ceux qui en avaient besoin. Les villageois connaissent surtout
l'automne de sa vie, et se rappelle sa contribution en tant qu'animateur
des jeux pour la fête de San Giacomo. De nombreuses anecdotes, réelles
ou imaginaires, ont prospéré au fil du temps, qui montrent
son caractère et sa personnalité. Le Général Roux
est mort subitement alors que la famille se rendait à Chiavari rendre
visite à sa sœur Margaret. Il avait 70 ans.
Emigrés en France :
La famille
Roux, le père Bernardo, la mère Maria Allemand et les trois
enfants, Luca l’aîné, Matteo, le futur général
et Margherita quittèrent Bellino pour émigrer à Toulon,
en France, à la recherche d’une vie meilleure. On sait qu’à
Toulon son père s’occupa de diverses activités, mais la plus
importante fut la gestion d'un bar. Dans le cadre de cette activité,
il a expérimenté la production et la commercialisation d'une
nouvelle boisson alcoolisée, peut-être une variante d'une ancienne
composition à base de racines d’impératoire , une liqueur qui
était très appréciée et se propageait dans le
Midi français. Grace aux droits exclusifs sur la recette, il réalisa
rapidement des gains importants jusqu’à atteindre un degré
de sécurité financière qui permis aux enfants de poursuivre
leurs études, tout en restant très attachés à
leurs racines. Puis retour en Italie, non pas à Bellino mais à
Cuneo, où ils se sont consacrés à une activité
dans la restauration. Il eut aussi la main bénie dans ce secteur par
plusieurs innovations importantes, brevetées, en vertu desquelles
il reçut des prix prestigieux. Les enfants Matteo et Margherita continuèrent
à Cuneo les études commencées en France. Luca, l’aîné,
avait obtenu un diplôme en engineering et, très tôt,
reçut une offre d'emploi tentante de l'industrie de Brème en
Allemagne. Presque en même temps, cependant, ils ont reçu de
mauvaises nouvelles qui pouvaient arrêter sa carrière dans une
période si troublée politiquement.
Militaire à la place de son frère
:
Matteo,
qui n’avait jamais exprimé de sympathie pour une carrière
militaire, demanda de prendre la place de son frère. La substitution
fut acceptée et Matteo fut intégré dans l’Artillerie
de Campagne. Encore jeune et par passion, il fréquenta aussitôt
une Ecole supérieure d’équitation, ce qui lui ouvrit les portes
de l’Académie Militaire de Turin. Le destin d’une personne se fait
parfois sur des évènements aussi simples. Matteo, brillant
instructeur de Cavalerie, fut appelé par rien moins que la Maison de
Savoie pour former les Princes, d’abord Umberto, puis Amédée
de Savoie-Aoste. Ce fait fortuit et inattendu lui ouvrit l'accès aux
palais royaux. Lui, pas du tout intimidé apprit à se déplacer
parmi eux avec aisance. C’est dans ce contexte que Matteo rencontra Margherita
Bellezza, qui, comme son nom l’indique, était une belle femme de la
noblesse d’un rameau cadet des Savoie.
Margherita Bellezza
L’ancien montagnard Matteo était un beau jeune
homme et aima immédiatement Margherita qui fut vite dépassée
par son charme un peu sauvage et très différent des courtisans
raffinés qu’elle fréquentait. Vêtu de l’uniforme de
sa fonction, il était plus solennel, un peu comme un modèle
à un défilé de mode. Lorsqu’ils convolèrent
en justes noces, le fascinant Matteo avait 22 ans et sa belle épouse
guère plus. L'habileté de Matteo était chose innée,
mais ses connaissances royales ont aidé sa carrière en douceur,
grade après grade, de sous-lieutenant à Général
de Corps d’Armée.
Notes sur sa carrière militaire :
Tout juste
enrôlé chez les militaires, comme déjà mentionné,
Matteo fréquenta la sévère Ecole de Cavalerie et, peu
de temps après, eut accès à l’Académie militaire
à Turin. Il passa ensuite à l’Ecole de Guerre et entra à
l’Etat-Major des Armées. Avec le grade de colonel, il participa à
la campagne d’Abyssinie (Ethiopie) dans les années 1936/37 puis fut
colonel d’Artillerie à Brescia, Chef d’Etat-Major du Corps d’armée
de Bologne, Général de Division à Milan. Directeur
général des services logistiques au Ministère de la
Guerre, Commandant du Corps d’armée d’Alexandrie, Commandant du Corps
d’armée d’Udine, Commandant des troupes en Albanie et à nouveau
directeur des services logistiques au Ministère de la Guerre.
Son épouse, Margherita, si habituée
au confort de la noblesse, suivi son mari dans ces transferts interminables
et de leur union est née une fille, Marie.
La malchance
Sans regarder
personne en face, la malchance arrive souvent dans la vie de chacun pour
semer la confusion et apporter la douleur. Celle qui a frappé la famille
du Général Roux fut des plus cruelles. Au commandement de la
XIème armée, le général Roux, en 1939, dirigea
les opérations d’occupation, d’abord de l’Albanie puis successivement
de la Grèce et du Monténégro où de terribles
combats firent rage pendant des mois sans vainqueurs ni vaincus. Arriva le
moment de se retirer du front. Matteo a demandé que sa femme et sa
fille l’attendent à Bari, le jour du débarquement des troupes.
Mais le destin décida autrement : Marie, l'ange adoré et aimé,
contacta la terrible fièvre espagnole et s’éteignit en quelques
jours sans attendre l’arrivée de son père. La malchance pas
encore satisfaite s’en pris à sa mère, Marguerite, elle aussi
atteinte par la terrible maladie contagieuse et lui vola sa vie.
Puissant, mais seul
L’homme
de commandement, de puissance, se retrouva seul. Ce fut une période
très difficile pour lui, au milieu de toutes les batailles. La jeune
domestique Maria Manzo di Cervignasco continua à s’occuper de la maison
Roux. Il n’y avait plus un souffle de vie dans cette maison. Marie représentait
une bouffée d'air frais vitale pour le Général. Entre
les deux naquit une relation qui aboutit à la naissance d’un fils,
Mario. Le Général Roux épousa Marie en secondes noces
quelques années après. Maria était d’origine modeste,
très éloigné de la finesse de la première épouse,
mais l’origine modeste, il connaissait. Epouse du Général,
elle le stabilisa et il reprit le chemin d’une brillante carrière.
Dans les années suivantes le Général travailla à
Rome avec la fonction de Directeur des Services logistiques au Ministère
de la Guerre et continua à fréquenter les Savoie. Marie vit
fièrement son fils jouer avec les descendants de la maison de Savoie.
Nouvelle maison à Fontanil.
C’est pendant
cette période que le Général Roux fit construire une
villa à Fontanil. La vieille maison qui l’avait vu naître était
inhabitable depuis que les parents étaient partis en France.
Arrivé à l’âge de la retraite, ayant transmis ses
fonctions et rangé dans un tiroir ses titres militaires et ses décorations,
le Général Roux séjourna alternativement à Bellino
et Saluzzo pendant plusieurs années. L’austère villa construite
sans style et très différent des autres maisons du village,
contient de nombreuses photographies, des décorations militaires,
des peintures.
Le Général cultivateur :
Comme tout
retraité, il passait ses journées à couper du bois, cultiver
des pommes de terre, à faire son jardin et même à rafistoler
les fissures dans le mur d'enceinte de sa maison, laquelle ne voyait
pratiquement jamais le soleil car elle était entourée par une
forêt de pins qui filtrait et arrêtait souvent les rayons. Parmi
ses lieux de vie, Saluzzo fut son véritable port d’attache : souvent,
il pourrait être vu dans les rues du centre-ville encore libre de voitures,
à cheval sur son destrier blanc. Une des nombreuses anecdotes nées
en cette période: une dame de Bellino se promenait sur un trottoir,
le Général s'approcha d'elle, descendit de son cheval et, en
occitan, lui demanda les nouvelles de là-haut.
Son fils Mario, ne voulait pas d’une carrière
militaire, et pour que cela n'arrive pas, il se fit exempté
de service militaire. Mais ensuite il réussit un concours pour l'Armée
de l'Air et arriva au grade de Colonel. A cause d’une maladie insidieuse,
il fut pensionné très jeune (il avait 47 ans). Il était
très conscient que ses racines étaient dans ce bourg de Bellino,
mais sa vie le quitta très vite.
Président de l‘Hôpital :
Le 1er
juin 1949, la préfecture honora Matteo Roux, l’illustre citoyen de
Saluzzo, par l’attribution d’un poste prestigieux : la Présidence
de l’Hôpital. Presque chaque jour, le général s'y est
rendu et a voulu être informé par les médecins. Il prenait
son café avec des infirmières et parlait avec les patients hospitalisés.
Il est décédé avant la fin de
son mandat de 4 années.
A Saluzzo résident toujours sa belle-fille
et deux petits-fils du Général Roux.
Signé : Giovanni Antonio
Richard, de Bellino.
avec son aimable autorisation (août 2013)
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