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Chapitre VIII.
Les Sarrasins
En 869, les arabes atteignent Arles, Aix et une grande partie de la Provence
; en 870, la région niçoise, Sospel et peut-être Tende
(12)
. Certaines sources attestent une première période d'incursions
dans les années 889-920, au cours de laquelle ils occupent rapidement
la totalité du massif des Maures, où ils soumettent les
populations et se livrent ensuite à l'élevage, à
la culture du blé noir dit sarrasin et à l'exploitation du
minerai de plomb argentifère de Cogolin, la Garde-Freinet et la Londe-les-maures
(13)
. De leur base placée à « Fraissinet »(La
Garde-Freinet) vers 891, ils entreprennent des incursions répétées
dans les hautes vallées alpines.
Après une très probable destruction de Vintimille (894),
ils remontent les vallées de la Nervia, de la Bevera et de la Roya,
la tradition leur attribuant un nouveau camp sur les hauteurs du col de
Tende. De là viennent des noms comme Morel, More, Maurel ou des noms
de pays comme Colomars, Isoard, Castellar.[52]
Le notaire Berardenco, érudit chroniqueur piémontais du
XVIe siècle, rapporte d'ailleurs une incursion sarrasine en 906,
dont les troupes seraient en partie passées par le mont Cornélien,
et auraient détruit, l'année suivante, l'abbaye de Saint Dalmas
de Pedona. Berardenco est l'auteur d'un « Rationarium temporum
» qui est un recueil de documents relatifs à
la période 900-1540 ; l'événement qu'il relate est
confirmé par un texte des environs de l'an mil : « Anno centeno
novies - simul atque septeno mergitur in Coneo - Pedona a duce agareno. Per
te Jesu Christe - salvetur populus iste et vis comitalis - et domino contectalis
» ; c'est une partie importante de la plaine piémontaise
qui semble être l'objet de leurs pillages, ce qui montre qu'ils n'hésitent
pas à franchir les cols, voire à s'y installer afin de pousser
plus loin leurs raids meurtriers. Cette pratique est confirmée par
Odilon, dans sa vie de Saint Mayeul, lorsqu'il écrit : «
Et sic per Alpes Julias unsque juga penninorum rapido
curso pervenit »
(14)
, rapporte une chronique du monastère de Pedona : «
...iste gens pessima, quando ad nos venit, hoc anno de se ipsis duos cuneos
efformaserunt quorum anuscum militibus plurimis per montem corneum recta
descendes ad nos venit. alter vero provinciam aliam et per collem de Ardua
in multa turba irruens venit usque ad cluxam... ».
Du haut Piémont, ils détruisent de nombreux villages et monastères,
le château d’Auriate, l’abbaye de Villar S. Costanzo, le richissime
monastère de Pagno et encore le château et l’église
de Saluces.
Hughes de Provence décide d’attaquer les sarrasins au Fraxinet, mais,
suite à la trahison de son rival Bérenger, en Italie, qui
traite avec les Maures, il s’associe à eux, leur laisse les forteresses
de la région, avec pour condition qu’ils s’installent sur les principaux
sommets des Alpes pour couper le passage à ses ennemis. Déconsidéré
par sa propre armée et par tout le pays, Hughes doit se retirer
dans un cloître de Provence [52].
Dans la seconde vague d'incursions, que l'on peut situer aux environs de
920-970
(15)
, ils occupent à nouveau les cols les plus importants et y établissent
des camps fortifiés servant de point de départ à
de nouvelles razzias. Les opinions divergent quant à l'influence
que leur présence a pu avoir : parmi les auteurs qui admettent une
présence sarrasine dans les hautes vallées et jusque dans
la Gaule subalpine, certains pensent que des troupes organisées,
installées sur un territoire déterminé, devaient procéder
à une exploitation systématique des richesses locales, d'autres
soutenant au contraire que des bandes errantes exerçaient leur domination,
en vivant de brigandage et de mise à sac des centres les plus florissants.
Si la seconde thèse est valable pour les régions qui ont
connu une présence sarrasine sporadique, pour les autres, en Provence,
dans certains territoires des montagnes ligures et piémontaises,
à proximité de leurs principaux cols, la première thèse
semble mieux correspondre à la réalité.
Des traces de canalisations, de
puits, de tours, de fortifications, de cimetières, de résidus
de fonderies près de minières exploitées, sont la preuve
d'une présence prolongée et d'une organisation certaine dans
l'exploitation des richesses locales
(15)
.
Jusqu’en 972, les incursions sarrasines continuent, dans les Alpes, et même
jusqu’au col du Grand St Bernard. La cathédrale d’Embrun est ravagée
et nous savons qu’ils sont allés jusqu’à Suse. Le Queyras,
d’après la légende, se vide de ses habitants tant les pillages
et les rançons sont importants, mais cela n’est qu’une hypothèse.
D’après certains historiens, les Sarrasins passent par le col de
Tende pour pénétrer en Ligurie, et saccagent les campagnes,
emportant bestiaux, fruits, céréales, coupant les oliviers
et exerçant toutes sortes de barbarie.[21].
Ils vont jusqu’à Acqui, prés de Gênes où ils
pillent et massacrent les habitants, à l’exception des femmes et des
enfants qu’ils mènent en esclavage [42].
Une tradition orale, transmise
de siècle en siècle veut qu’ils aient épargné
la vallée Varaita, et qu’ils aient arrêté leurs mains
rapaces au niveau des cols. Une mémoire de leurs incursions est rappelé,
encore de nos jours, pendant le Carnaval, par les personnages dit “sarrasines”,
avec leurs somptueux et voyants costumes représentant les arabes
(La Beo de Blins).
(16)
La Beo de Blins.
Voir les photos
de la Beo de Blins
Mais d’autres vallées subissent durement la présence des
sarrasins : « Selon toute probabilité, on peut rattacher à
cette période de relative sédentarité, l'exploitation
de la mine de Vallauria à Tende, et celles de la région de
San Dalmazzo di Pedona, dans les vallées de la Stura et du Gesso
»
(17)
. Selon la tradition populaire, les sarrasins y employaient des esclaves,
ainsi que les moines de la vallée faits prisonniers qui transportaient
le minerai jusqu'au hameau de Conventi
(18)
. Ils auraient ainsi exploité les lentilles plus riches
en galène argentifère de la partie supérieure du gisement,
appelée depuis « chantier sarrasin ». Ces « travaux
anciens se composent d'une suite de grandes excavations présentant
encore les traces du feu qui a servi à étonner les roches
»
(19)
. En effet. la technique utilisée consistait à chauffer
la roche par des feux de bois allumés dans les galeries, puis à
y projeter de l'eau froide, afin que le choc thermique la fasse éclater
et la rende plus facile à attaquer par les pics des mineurs.
Pour mettre un terme a l'occupation sarrasine. diverses expéditions
sont engagées, telles que celle d'Hugues d'Arles qui, en 940, les
aurait pourchassés jusqu’au col de Tende, mais s'avèrent sans
grand résultat. A la fin du IXe siècle, les Sarrasins, qui
occupent de nombreux passages des Alpes, exercent une tyrannie féroce
sur les populations voisines et les passants. La nouvelle en court par toute
la chrétienté, et le pays "est très cruellement dépeuplé".
Leurs passages fréquents ont pour conséquence de paralyser
complètement le commerce à travers les Alpes. C’est le cas
de Tende à la mer, après l’occupation d’Eze, la Turbie et
Monaco, malgré quelques batailles avec les gens de Sospel et de
Vintimille.
Les musulmans poussent leurs bandes assez loin dans les terres, puisqu’on
les voit toucher le Mont-Cenis, toute la Tarentaise, le Mont Genèvre.
Ils pénètrent dans Briançon, Embrun, Digne et Vence
[42]. Les querelles entre comtes rivaux favorisent leurs mouvements, certains
pactisant avec eux, pour repousser des rivaux. Les sarrasins ne restent
pas longtemps sur les cols alpins, préférant revenir sur le
littoral et continuer leur pillage de la Provence. Celle-ci est à
l’agonie : les dévastations continuent, les villages sont en cendre,
les champs abandonnés, la population affamée se protège
sur les hauteurs.
II faut attendre qu'en 972, les maures poussent l'audace jusqu'à capturer
Mayeul, abbé de Cluny, pour servir de catalyseur à une réaction
unanime des seigneurs méridionaux. Guillaume II, comte de Provence,
et son frère Roubaud s'associent à Aubert 1er , comte de Vintimille,
a Aleram 1er seigneur du Montferrat, et surtout à Ardouin II, le glabre,
seigneur de la marche de Suse, comte de Turin et gouverneur d’Auriate et réussissent
enfin à mettre un terme aux incursions musulmanes. La fin des invasions
est ressentie avec un grand soulagement, et provoque regain de prospérité
(20) .
Guillaume le libérateur
devient, grâce à la notoriété acquise par sa victoire
sur les Sarrasins, un véritable chef d’état en Provence. Il
en est de même que Ardoiun II le Glabre d’Auriate et Aleram Ier
de Montferrat du côté italien.
voir Médiévalpes 021 -
Les Sarrazins des Alpes 1/2
voir Médiévalpes 022 -
Les Sarrazins des Alpes 2/2
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