Leur histoire est la nôtre.
Ils ont
vécu les changements de frontière, de pays : de Celto-ligures,
à Romain, de Dauphinois-Français à Savoyards, puis
à Sardes, ils sont devenus enfin Italiens. Certains sont Français
par émigration.
La France et l’Italie sont devenus de grands états et la Savoie
a disparu. Elle a laissé des traces dans la population, pas seulement
dans les vallées de l’est des Alpes, mais aussi dans le comté
de Nice et dans les départements de Savoie actuels. Nous
lui devons une partie de notre identité, pas tout à fait
française, pas tout à fait italienne.
Ne voit-on pas, encore aujourd’hui un parti politique, la Ligue Savoisienne,
qui milite pour l’indépendance de la Savoie, qui arrive à
regrouper quelques centaines de personnes lors de manifestations entre
le Mont Blanc et Genève et qui compte quelques milliers d’adhérents?
Elle estime caduc le Traité de Turin de 1860 cédant la Savoie
à la France, notant que certaines clauses du Traité signé
entre Napoléon III et le roi de Sardaigne ne sont plus remplies
depuis la première guerre mondiale.
Sur le plan religieux, le catholicisme l’a emporté, mais nos
protestants-vaudois des vallées piémontaises que nous
avons suivis pendant des siècles ont créé une diaspora
importante : leur Eglise compterait une population de 45.000 personnes,
en Italie, en Europe, en Amérique et en Afrique du Sud. Si près
de nos vallées, nul doute qu’ils ont eu une influence sur nos ancêtres
pendant quelques siècles et que certaines branches de notre famille
ont suivi leurs émigrations forcées.
“A ceux qui la découvrent
aujourd’hui, la montagne alpestre présente des vallées
industrielles et urbaines, des routeset des autoroutes, des alpages sans
bétail hérissés de remonte-pentes, des villages
ruraux dont beaucoup meurent, des agglomérations touristiques bettoneuses
: ce n’est pas le visage qu’avaient façonné deux millénaires
d’intense activité agricole. Ces deux millénaires ont ouvert
la forêt primitive, créé le paysage plaisant des prés
et des bois, tracé une multitude de sentiers, épierré
les champs, discipliné les eaux sauvages, construit un habitat
rural bien intégré au paysage. Nous sommes les héritiers
souvent ignorants de ces générations de paysans qui ont fait
des Alpes la montagne la plus humanisée,...
Cette civilisation mobilisait
toutes les ressources d'une nature parcimonieuse pour faire
vivre pauvrement une population ancienne, persistante, qui
avait tendance à s'accroître. Bien que le passage n'ait
jamais cessé, l'isolement d'une économie autarcique obligeait
à presque tout produire soi-même, voire à tirer du
dehors un peu d'argent sans lui en donner d'autre que celui des impôts.
”[20]
Notre identité, c’est l’histoire du Val Varaita,
de Bellino, de Sampeyre, du Queyras, des Alpes Occidentales
. Ces vallées alpines, occitanes, jadis dauphinoises ou françaises,
pas encore tout à fait italiennes, avec quelques restes savoyards,
à la langue d’oc si particulière, ne nous permettent pas
de nous rattacher à l’Histoire de France apprise à l’école,
trop centrée sur Paris et les pays de la Loire.
Nous sommes alpins du sud, provençaux certainement.
Intégrés depuis une ou deux générations
dans le Sud Est - La Provence - nous nous sentons aujourd’hui français,
toujours attachés à nos vallées alpines. L’école,
les médias, l’armée, les relations, la vie professionnelle,
pour nous, qui sommes nés en France, ont forgé notre conscience
française. Mais, au fond de nos cœurs, comme cela a été
pour nos parents migrants, il restera quelque chose de Bellino, du Val
Varaita ou de Sampeyre.
La branche italienne de la famille subit les même changements.
L’italien parlé remplace le “Berlingogne”, « Nosto Modo
», le parlé de Blins, et l’intégration s’effectue sans
pour autant perdre l’identité particulière de cette vallée.
Nos vallées se meurent ; il ne reste, en l'an 2000, que 52 habitants
dans tous les hameaux de Bellino.
Mais nos cœurs sont pleins de leur Histoire.
La Varaita de Bellino, déjà détournée par
l'Enel pour alimenter le barrage de Pont, est maintenant canalisée
dans la partie la plus haute pour une nouvelle usine hydro-électrique.
Le torrent, qui jadis emportait tout sur son passage, se transforme en
un filet d'eau pendant les chaudes journées d'été.
"Varacho", Varaita, tu resteras gravée dans nos mémoire.