Une Savoie en pleine expansion.
Pendant ce temps, Amédée VIII de Savoie, qui est un
législateur habile et un guerrier intrépide, connaît
un énorme accroissement de prestige. Des officiers savoyards s’implantent
à Nice et Amédée favorise de nouvelles familles (niçoises
ou venues du Piémont) au détriment des anciennes. Il séjourne
à Nice de 1404 à 1406 pour asseoir son autorité et
décide de fortifier la ville et d’en faire une place-forte militaire.
En Piémont, apanage
des Savoie-Achaïe, l’affaiblissement des Visconti, de Montferrat et
de Saluces permet à Amédée VIII de recevoir l’hommage
de nombreux seigneurs de la région de Bielle. A la mort de Louis
d’Achaïe, en 1418, le Piémont revient directement à la
Savoie. [72]
Au nord, la Savoie continue
de s’agrandir par l’achat du comté de Genève en 1401, puis
de la Bresse et du Bugey. En 1405, acquisition du Genévois.
En 1408, la chrétienté
se mobilise pour mettre fin au schisme et les deux papes doivent se rencontrer
à Nice. Mais cela ne se fait pas.
Revenons à Benoit XIII et au Comtat : il essaie de rallier l’Italie
à ses vues, propose un concile à Perpignan sur des terres
qui lui sont favorables. En réaction, un autre concile, à
Pise, condamne les deux papes et les remplace par Alexandre V, puis par
Jean XXIII. Le monde chrétien se retrouve avec trois papes !
La France reconnaît
ce troisième pape alors qu’Avignon reste fidèle à Benoit
XIII. Le roi fait remettre la ville à Jean XXIII.
Tandis que l’empire a deux chefs, l’église trois antipapes et que
la Maison d’Anjou croule en Sicile, Amédée VIII de Savoie,
grand prince, affermit son pouvoir. Il achète la vallée d’Ossola,
après Bielle et Verceil [72].
La fin du
schisme et le retour des papes à Rome.
L’empereur Sigismond récemment élu dans ses états
germaniques souhaite se faire couronner par un vrai pape. Il convoque un
nouveau concile en 1414 à Constance, y invite Jean XXIII, notre
troisième pape, le fait mettre en prison, se débarrasse de
Grégoire XII en lui donnant un évêché, puis se
déplace jusqu’à Perpignan pour y rencontrer Benoit XIII et
traiter avec lui. Benoit ne cède pas et doit se réfugier en
Catalogne, où il finira ses jours sans successeur.
Le concile reconnaît
Martin V comme seul pape et l’installe à Rome. Le schisme est terminé,
Rome redevient le siège de la papauté. Martin V, déjà
cité est un fils de marquis de Saluces.
Création
du duché de Savoie.
En 1416, l’empereur Sigismond, de retour de son voyage en Espagne passe
par la Savoie. Il est reçu triomphalement à Chambéry
où il accorde les titres de duc et de vicaire de l’empire à
Amédée VIII. [72]
Alors qu’en France Bourguignons
et Armagnacs se disputent, que les Anglais arrachent quelques belles provinces
françaises, la Savoie entre dans la cour des Grands.
La Savoie
occupe le marquisat de Saluces et le Piémont.
La Savoie persiste, selon sa vieille habitude malgré les procès
perdus contre Saluces à Paris, et devant l’esprit belliqueux du
comte, Thomas III fait appel au Dauphiné. La querelle s’amplifie,
la Savoie augmente sa pression, l’aide dauphinoise ne vient pas.
L’affaiblissement de ses alliés
l’isole diplomatiquement et Thomas, comme son père, subit la loi
du plus fort : Amédée VIII de Savoie et son parent Ludovic
d’Achaïe le déclarent vassal félon et marche contre le
marquisat avec 20.000 hommes, se portent jusqu’à Saluces et assiègent
la cité le 19 juin 1413, sous des prétextes imaginaires.
La ville prépare sa
défense devant cette attaque brutale, mais le marquis souhaite limiter
les pertes humaines et ne trouvant aucun avantage à résister
devant cette énorme puissance, il se résout à rendre
l’hommage demandé par la Savoie pour des terres qui sont les siennes.
Il cède et lui rend hommage à Rivoli et doit accepter que tous
ses vassaux fassent de même.
Notons que Thomas III sera
fidèle à son hommage. [72]
Louis, fils aîné
du roi de France et dauphin de Vienne réagit devant cette audace et
en fait une affaire personnelle, car le marquisat est à lui, après
l’hommage du marquis.
Le comte de Savoie comprend
qu’il faut jouer finement. Fourbe et prévoyant, il traite le marquis
de Saluces avec courtoisie, lui lègue en fief le marquisat récemment
conquis, confirme ses droits, privilèges antérieurs et le
comble d’honneur en le faisant chevalier de l’ordre suprême du collier.
La vie en
Savoie.
Tandis que dans les châteaux et à la cour s'épanouit
la civilisation courtoise de langue française un brillant essor monastique
peuple nos montagnes de couvents. En cette époque de foi ardente,
de nombreuses communautés religieuses, à
qui les souverains consentent d'amples donations de forêts
et d'alpages, cherchent l'oubli du monde dans les combes les plus reculées
des montagnes préalpines [9]
Certes, tout n'est pas lumières dans le Moyen Âge savoyard
où le menu peuple subit les maux répétés des
famines, des épidémies, des guerres et des charges féodales
qui engendrent parfois des jacqueries sanglantes.
Mais une paysannerie active se livre à de grands défrichements
qui font reculer la forêt. L'occupation humaine, jusque-là
assez dispersée, devient plus étoffée. Tandis que le
bas pays reste assez misérable, une vie locale intense se dessine
autour de la gestion des pâturages et des bois collectifs, et les
communiers des paroisses voisines se disputent, à coups
de procès, la possession de ces richesses. Dans les villes, un
mouvement communal, plus tardif qu'en France, puisqu'il
ne débute qu'au commencement du XIIIe siècle, émancipe
les habitants de la tutelle féodale, en leur concédant une
administration autonome consacrée par une charte de franchises. [9]
La Savoie se procure son sel marin en Provence et en Languedoc qui appartiennent
au roi de France. Les convois de sel remontent le Rhône et le Durance
; Briançon est un grand marché de sel provencal où
nos montagnards descendus vendre leur bétail s’approvisionnent. En
1441, le roi de France augmente les taxes sur le sel qui passe de France
en Savoie. Le duc organise le «boycott», crée des greniers
à sel à Nice où la «route du sel» permet
de l’acheminer en Piémont et en Savoie. [72]
La première route muletière
entre Nice et le Piémont vient d’être tracée en 1414,
par la vallée de la Vésubie, puis par Saorge (1436). La Savoie
est coincée entre le duché de Bourgogne et le duché
de Milan, qui est alors français.
Mais, au sommet de la puissance et des honneurs, le premier duc résigne
ses pouvoirs, se retire, avec les membres de l'ordre mauricien, au château
de Ripaille, sur les bords du lac Léman, pour y mener une existence
confortable. Elu pape en 1429, sous le nom de Félix V, au moment
du grand schisme, il revient, au bout de 10 ans d’un pontificat agité,
finir ses jours dans sa retraite chablaisienne. Sous son règne,
la Savoie reçoit une organisation modèle, et les châtelains,
fonctionnaires ducaux, assurent une bonne administration, et une bonne
justice.
Chambéry, capitale
de la Savoie, commande un vaste état, à cheval sur les Alpes,
et qui tire une bonne partie de ses ressources des péages perçus
sur les caravaniers se rendant en Italie.
En 1430, la Savoie, à cause de l’éloignement de Chambéry
et plus encore de la barrière linguistique, crée un Conseil
“di qua dei monti” à Turin, première scission administrative.
Nice est rattaché, administrativement, à Turin.
La Provence,
sans le pays niçois.
Après les troubles de la succession de la reine Jeanne et du schisme,
la Provence connaît une période calme de 1410 à 1481,
marquée par un redressement économique, une modernisation
de l’agriculture, et aussi par une immigration importante des savoyards
et des piémontais. Aix est une capitale politique et judiciaire.
Louis II d’Anjou y fonde une Université afin de pourvoir la ville
en administrateurs compétents
Ce dernier meurt en 1417, laissant un fils encore jeune et c’est sa mère,
la reine Yolande d’Anjou qui règne. A peine sur le trône,
la reine voit le duc de Savoie réclamer une somme de 167.000 florins
d’or pour frais de guerre. Amédée, se référant
à l’aide apportée par son père à Louis I d’Anjou,
en Sicile, réclame cette somme d’argent. La reine Yolande tombe dans
le panneau, car en fait, le duc de Savoie ne cherche qu’à raffermir
son autorité sur le comté de Nice. Le 6 octobre 1419, Amédée
reçoit officiellement la ville de Nice, Villefranche et son port,
Eze, La Turbie, la vallée de la Tinée, celle de Barcelonnette
et Allos, Vinay, Jausiers, ainsi que toutes les vallées et monts entourant
ces villes et châteaux [40], car la reine Yolande abandonne ses droits,
reconnaît la souveraineté du duc de Savoie. Le duc accepte
alors d’annuler la dette pour frais de guerre.
La frontière entre
la Provence et les Etats savoyards s’établit sur le fleuve Var [40].
Chercheurs
d’or dans la Castellata.
Dans nos vallées, de terribles innondations détruisent
ponts et chemins en Queyras en 1408. La révision des feux de 1433,
en Queyras, montre que les habitants sont misérables : "ils ne
font pas usage du vin, ni ne mangent de la viande, se nourissent de laitage,
du pain d'orge, de raves, d'herbages et bien modiquement de légumes
; ils n'emploient pas de sel ou parcimonieusement, n'ayant pas les moyens
d'en acheter ; ils n'usent de l'huile qu'en petite quantité. Beaucoup
n'ont pas de draps de lin à leur lit, ni de chemises ; même pour
les enfants au berceau, on les enveloppe dans des draps de laine, à
cause de la très grande pénurie et de la pauvreté
" (33). A Château-Queyras, Jacques Galéan et d'autres expliquent
au vice-châtelain que le lieu a perdu la moitié de ses habitants
en une vingtaine d'années.
Le gouverneur du Dauphiné cherche à tirer profit de son domaine
cisalpin. Le 17 août 1415, il accorde la permission de chercher or,
argent et tout autre métal sur les terres de la Castellata et le
droit de transporter tout minerai juqu’à quatre lieux du marquisat
de Saluces cités par décret, à condition que le quinzième
du produit net de l’exploitation soit cédé au gouverneur
par l’entremise du châtelain de la Castellata, Colinet de Roqueville.
Les bénéficiaires sont Porfirio Benedetto Berard et Almérico
de Ripalta, frères de Fossano du diocèse de Turin et leurs
descendants directs.