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Pierrelongue
- Pas del Chat
Le 19 juillet 1744, il
y avait du brouillard (de la "nebbia") sur la crête de Pierre Longue.
Dés que les Piémontais
purent voir l’ennemi au sommet de Pierrelongue, ils préparèrent
leur défense. Pendant ce temps les troupes françaises travaillaient
dur à ouvrir un meilleur chemin, en zigzag, à travers le ravin
de Pierrelongue, sur la face nord, pour atteindre plus facilement le haut
de la montagne.
Le brigadier Chevert
dut préparer l’attaque avec ses 1.500 hommes et, pour cela, ils durent
s’emparer du Pas du Chat, un goulet si étroit qu’il ne permettait
qu’une descente en file indienne, un passage obligé qui débouchait
sur un terrain glissant et en pente.
Des montagnards locaux
lui indiquèrent le passage à travers les rochers verticaux
de cette haute falaise, un passage périlleux pour des soldats équipés
de leurs armes. Très vite il fut sécurisé par des cordes.
" Le pont de communication
de Pierre Longue ayant sauté en l'air, comment descendre ? les nôtres
(sardes) tenaient ferme sous Pierre Longue ; pendant la nuit qui était
le samedi venant au dimanche, on examina qu'on pouvait faire un chemin au
travers du vallonet de Pierre Longue du côté de Pont : on fit
donc un chemin en zig-zag à l'envers qui descende sur les maits, et
on travailla au dit chemin du vallonet deux heures avant jour, et le construisit
de telle sorte qu'on passait à cheval.
Iil était important
aux nôtres de garder ce poste, c'est pourquoi ils s'avancèrent
jusqu'au pied de Pierre Longue [105]. "
En bas de ce goulet,
se trouvaient 400 grenadiers du régiment genèvois sous les
ordres du comte d’Oria, prêts à empêcher la descente, et
une batterie de canons postée dans les retranchements, prête
à faire feu sur ce passage.
Lorsque Chevert commença
la descente, la montagne se couvrit d’un brouillard très épais,
aussi lui fut-il impossible de voir les positions des ennemis et il se trouva
sous un tir intense venant des grenadiers piémontais, lesquels pouvaient
l’entendre mais ne pouvaient voir sa position. Chevert ordonna de descendre
plus vite, de fixer les baïonnettes aux fusils et d’éviter tout
échange de tir avec l’ennemi, puis il chargea l’ennemi.
Les premières
silhouettes qui apparurent au bas de la passe furent abattues et roulèrent
sur la pente vers le vallon de Bellino, mais le nombre de soldats arrivés
au bas des rochers augmenta. Les deux premiers assauts à la baïonnette
échouèrent, mais le troisième, au cri de " tuez, tuez
", obligea la défense piémontaise à reculer. Profitant
de la pente favorable, le groupe Chevert, toujours plus nombreux, finit par
emporter la place et repoussa l’ennemi. Le comte d’Oria fut tué.
Don Tholosan : "
les Sardes firent un feu merveilleux, mais quelques miquelets qui descendirent
à la Chaire de Pierre Longue les battent en ruine, et le chemin étant
achevé la colonne enfonça et gagna la crête au dessous
du dit Pierre Longue, et furent par conséquent les maîtres de
cet endroit [105]. "
Craignant de rester
seuls, sans appui et d’être battus par l’avancée française,
les Piémontais battirent en retraite vers la redoute de la Baraccone,
en grand désordre, semant la panique parmi la garnison de cette redoute
qui s’enfuit, elle aussi. Lors de ce rapide repli, ils abandonnèrent
les tentes à l’ennemi ; les Piémontais brûlèrent
trois grands tas de bois pour signaler à la garnison de la Bicocca
que la redoute de Pierrelongue était aux mains de l’ennemi et se replièrent
derrière la redoute du Mont Cavallo.
Barrière rocheuse de Pierre Longue vu du col de la Battagliola.
On distingue le "Pas del Chat", ce goulet que descendirent les franco-espagnols
sous le feu des Piémontais.
Redoute du pic de la Battagliola, face à Pierre Longue.
Bataïole
ou Battagliola.
La colonne française
descendit de Pierrelongue sans grosses pertes, malgré le tir d’artillerie
et elle attaqua la seconde redoute du Pic Battagliola où les fortifications
furent abandonnées après un unique tir. Comme la porte de
la redoute était très étroite et que le passage était
fort difficile, beaucoup furent blessés et quelques-uns furent tués.
" Toute la colonne
française s'étant rendue au pied de Pierre Longue, le canon
du fortin de Mont Caval commença à jouer, mais sans faire un
grand massacre ; ils descendirent donc sans interruption et avec bonne contenance,
jusqu'au point de la Bataïole ou les piémontais avaient encore
une redoute. Elle fût prise sans perte et ils l'abandonnèrent
après avoir fait leur décharge sur l'ennemi ; là les
Français firent une halte [105]. "
Au col de la Battagliola,
les Français arrêtèrent leur avance et occupèrent
la position pendant deux heures afin d’assister à la messe célébrée,
en ce jour saint, par un prêtre et ils prirent quelque repos.
Juste en
face, au mont Cavallo, 5.000 piémontais attendaient leurs ennemis.
Il y avait là tout ce que l’armée piémontaise comptait
de régiments de prestige : cinq bataillons d’infanterie des régiments
Roquin, Audibert, Saluces, des Gardes et les bataillons de Savoie et des
Suisses de Guibert. Leur commandant était le lieutenant général
du Verger et le brigadier était le chevalier de Castagnole.
Redoute du pic de la Battagliola, du côté de Pont.
Au fond, le Mont Viso.
Mont Cavallo
" Après
s'être un peu rafraîchis les Français continuèrent
leur route le long du couteau qui va à Mont Caval, et étant
arrivés sur la pointe des crêtes des chaussards ils firent encore
une seconde halte. Nôtre canon jouait alors avec toute l'activité
possible et était servi à la perfection car on aurait dit qu'il
y eût une batterie de six pièces, tandis qu'il n'y en avait
que deux. Cette colonne commandée par Monsieur de Givri, qui fût
blessé à Bondormir, n'était composée que de
onze bataillons, de Travers, de Poytou, de Conté, de Brie, et de
Provence ; elle s'avança vers le fortin malgré le feu continuel
du canon qui chargé à cartouche leur causait un mal considérable,
jusqu'à la portée du fusil : ils étaient en balance
de se retirer ou d'avancer plus avant, lorsqu'un petit brouillard montant
du côté du Puy vint couvrir le dit fortin, alors cette troupe
se porta à toute jambe sur le fort [105]. "
Puis ils
partirent à l’assaut de la redoute de Mont Cavallo, mieux fortifiée
que les autres et défendue par les sept bataillons alignés
contre le parapet et par les canons d’invention récente.
Avant la
bataille, le brigadier Chevert envoya son aide de camp (un major du régiment
de Provence) à du Verger, pour lui intimer l’ordre de se rendre, le
menaçant d’exécuter toute sa garnison. Du Verger lui répondit
qu’il l’attendait et qu’il ferait son devoir. L’officier français
envoyé pour parlementer, n’eut pas l’autorisation de pénétrer
dans la redoute. Aussi ne put-il pas ramener d’information sur la solidité
des fortifications, ni sur la composition de la garnison.
Chevert
voulait attaquer sans délai, mais il devait avoir l’autorisation de
Bailli de Givri. Celui-ci lui répondit de ne rien faire sans qu’il
lui ait donné les ordres qui convenaient.
Redoute au pied du Mont Cavallo.
Comme le jour
précédent, il trouva un chemin permettant une retraite en
toute sécurité. Ce jour-là, on manquait de nourriture
car les miliciens piémontais avaient capturé le chargement
de 50 mules chargées des sacs de repas, aussi Chevert souhaitait attaquer
immédiatement.
Figure : les armées face
à face au mont Cavallo.
Armée française (19 juillet 1744)
Commandant en
chef : Lieutenant Général Bailli de Givri, environ
5.000 hommes.
- Un bataillon
de milice du régiment Béziers.
- Colonne
de l'aile gauche : environ 1.000 hommes
o un bataillon du régiment de Brie. Brigadier
: Francois Chevert
o Quatre piquets de grenadiers des régiments de Poitou,
Conti et Provence
Colonel
Emmanuel Armand de Vignerod du Plessis-Richelieu. Comte d'Agenois
-
Colonne du centre : environ 1.400 hommes
o Un bataillon de la Brigade Provence du régiment de Provence.
Jacques Francois
Marie de Thibault, marquis de La Carte
o Deux
bataillons du régiment de Conti.
Colonel Joseph Henry d'Esperbes de Lussan,
Vicompte d'Aubeterre. -
Colonne de l'aile droite : environ 1.500 hommes
o Trois bataillons Brigade Poitou du régiment de Poitou. Comte
de Danois
Lieutenant Colonel M.
de Morenne
o Corps détaché : 2 bataillons, environ 1.200 hommes -
Deux bataillons du régiment Travers Grison, Camp des Espeyrasses.
Colonel
de Salis
Armée
piémontaise (19 juillet 1744)
Commandant en
chef : Major Général Charles Philibert du Verger, environ
4.000 hommes
Le marquis de Saint Simon donne la suite du récit de la bataille
:
" Le détachement de Chevert eut ordre d'attaquer en face de la
batterie, les trois bataillons de la brigade de Poitou aux ordres du commandant
de Maurenne étaient sur sa droite, le bataillon de Provence du comte
d’Aubeterre et les deux bataillons de Conti du marquis de la Carte vinrent
se placer entre les deux.
Le colonel Salis et ses deux bataillons de Travers Grison furent envoyés
prendre poste sur un plateau qui dominait la vallée de Bellins près
de la barre rocheuse de Balz, afin de garantir les communications avec le
bas de la vallée où le marquis de Camposanto avait quatre bataillons
espagnols. En le plaçant ainsi, le but était d'empêcher
les corps d'ennemis de s’approcher. Les deux bataillons de Travers ne trouvant
point de chemin pour arriver à ce plateau, furent obligés de
se laisser glisser, le terrain étant trop en pente et trop lisse pour
pouvoir s'y tenir sur les pieds ; ils se mirent aussitôt en bataille,
et leur contenance empêcha les bataillons de la vallée de se
porter au secours des retranchements.
Le bataillon de Béziers fut ordonné pour aller chercher
la poudre et les balles, et les porter à tous les points d'attaques,
où il n'était pas possible de faire passer des mulets [104].
La colonne s'étant mise en marche dans l'ordre prescrit, la brigade
de Provence du marquis de la Carte, trouva le terrain si fort en pente qu'elle
ne put garder sa direction ; elle fut emportée malgré elle
sur celle de Poitou, qui n'ayant pas un chemin plus aisé, se rejeta
de même sur la gauche, en sorte qu'en arrivant aux retranchements,
sous le feu le plus vif de l'artillerie et de la mousqueterie de l'ennemi,
ces trois corps n'en firent plus qu'un qui chargea l'ennemi tout aussi vivement
qu'il en était accueilli " [104].
Les premiers attaquants furent tués et roulèrent sur la
pente herbeuse.
Le temps était très sombre ce jour là, un épais
brouillard couvrant complètement la redoute et les Français
pouvaient arriver à 30 pas des tranchées sans que leurs ennemis
ne les voient.
Les Français arrivèrent jusque sur les palissades du chemin-couvert
dont ils délogèrent les Piémontais, et voulurent ouvrir
une brèche dans la palissade. Mais ils ne purent ni couper ni arracher
ces palissades car on leur avait fait laisser leurs sacs dans le camp pour
qu'ils fussent plus dispos et plus légers dans la marche et dans le
combat ; les outils que chaque compagnie porte habituellement firent défaut.
Ils ne purent maintenir leur position qu'en faisant un feu continuel sur
les Piémontais qui tiraient avec plus d'avantage, étant couverts
par leurs retranchements. Ils furent ainsi plus de quatre heures à
dix pas du mur des retranchements, le chemin-couvert entre-deux [104].
Ce fut un carnage et beaucoup, des deux côtés, périrent
sous les balles.
Le Bailli de Givri voulait continuer le combat ; il mit en ligne cinq
bataillons frais ; l’attaque fut renouvelée avec un tel courage et
une telle bravoure que les Français atteignirent à nouveau
le bois de la palissade grâce à un effort sans précédent,
mais ils furent rejetés avec de grosses pertes. Bailli de Givri, grièvement
blessé à une cuisse pendant le second assaut, ordonna la retraite
à ses hommes. Il renouvela l'ordre une troisième fois, perdant
confiance en la victoire. Comme l’ordre arriva au milieu de l’action, les
soldats du régiment de Poitou voulurent continuer le combat et demandant
les drapeaux, de main en main, ils les jetèrent dans le chemin-couvert
et arborèrent les drapeaux contre les retranchements. Ils arrachèrent
quelques palissades avec les mains.
" Les Piémontais n'osaient avancer la main pour saisir les drapeaux,
tant le feu qui les protégeait était vif ; ils tiraient dessus
à bout portant pour les mettre en feu. Les soldats Français,
ne se rebutaient point, et malgré l'ordre de se retirer, qu'on ne
cessait de réitérer, ils restèrent encore quelque temps
sous les murs du retranchement ; ceux qui le touchaient n'étaient pas
même à l'abri des coups de l'ennemi ; les deux nations croisaient
le fusil sur le retranchement, et tous les coups de part et d'autre, tirés
à bout touchant, portaient à la tête et étaient
mortels. Le Bailli de Givri avait été dangereusement blessé,
le marquis de la Carte tué, les autres colonels blessés ainsi
que nombre d'officiers ; ce qui détermina le comte de Danois à
faire battre la retraite pour la quatrième fois ; mais les soldats
presque sans officiers n'obéissaient plus ; ils étaient également
effrayés de la honte et du danger d'une retraite à faire du
pied d'un mur garni de troupes nombreuses et d'artillerie jusqu'à
ce qu'on fût hors de la portée de leurs coups, sur un terrain
extrêmement difficile. Quelques palissades arrachées leur laissaient
croire qu'ils pourraient ainsi détruire avec leurs mains le reste du
retranchement : ils ne ralentissaient point leur feu ; si leur bravoure était
un effet de la crainte, la crainte formait des héros qui se battaient
comme les Horaces et les Curiaces. Le colonel de Salis, quittant alors son
poste, marcha vers les retranchements pour les attaquer par son côté
: il périt à la première charge, mais il décida
le sort. Les Piémontais se divisant pour se porter en force du côté
qu'il menaçait, dégarnirent celui qu'on assiégeait
depuis quatre heures. Un sergent se glissa par l'embrasure d'un canon, couvert
d'autant de canonniers morts qu'il s'en était présenté
pour le recharger. Ce sergent fut tué, son corps servit d'échelle
à un grenadier plus heureux, qui renversa sur son canon le canonnier
qui tenait un clou et un marteau pour l'enclouer(l’arrimer). Il sauta le
sabre à la main dans le retranchement, où il fut suivi dans
un moment par d'autres grenadiers, qui l'imitant mirent leurs fusils en bandoulière
pour n'employer que leurs sabres ; les soldats qui passèrent après
eux, les aidèrent à charger les Piémontais, qui vinrent
trop tard à leur rencontre ; ils fondirent sur eux avec tant d'intrépidité
qu'ils parvinrent à les mettre en fuite [104] ".
Ce combat à l’arme blanche fit beaucoup de morts et le chemin couvert
se remplit de cadavres.
Du côté piémontais, le chevalier de Castagnole fut
grièvement blessé. Le lieutenant général du Verger,
le colonel suisse Roquin, le marquis de Seyssel d’Aix, aide de camp du roi,
les majors de nombreux bataillons et tous les officiers des grenadiers furent
tués.
Défaite sarde
Vu par Don
Tholosan, du côté sarde, " cette prise coûta un monde
infini, ils n'avaient ni haches, ni pioches pour défaire la palissade,
et pour combler le fossé. Ils la défirent pourtant, et comblèrent
de leurs morts le fossé, et montèrent enfin dans le fort, se
saisirent des canons, et firent la garde prisonnière : que de monde
coûta ce poste, que d’officiers s'immortalisèrent en mourant
glorieusement dans cette endroit ! Ce poste gagné il restait encore
le dernier retranchement avec sa bonne palissade, et ce fût le mieux
disputé. La brigade de Savoie, et le régiment de Roguin se
firent honneur arrivant même à reprendre les deux canons ; le
colonel Roguin surtout combattit de sa personne mieux que le meilleur soldat,
avec son spouton il défendait la palissade avec la dernière
valeur jusqu'à ce que ayant reçu un coup à la tête
il tomba raide mort. Si les autres officiers généraux s'étaient
comportés de la sorte, jamais les Français malgré leur
bravoure auraient été victorieux " [105].
Les troupes
françaises ne s’arrêtèrent que lorsqu’elles furent au
sommet du mont Cavallo. Les troupes de Chabert, toujours en pointe dans cette
bataille, perdirent 750 hommes.
Le roi de Sardaigne
se tenait dans la vallée prés de la Tour du Pont, au pied de
la montagne sur laquelle on combattait, et envoyait ses ordres et des piquets
à l'attaque, gardant les régiments avec leurs drapeaux auprès
de sa personne. Il fut témoin des prodiges de valeur et de l'acharnement
des régiments français qu'il croyait écraser par l'avantage
du poste et par le nombre d'hommes qu'il envoyait successivement dans les
retranchements ; il vit enfin les siens céder à des efforts
inouïs et périr cruellement sous ses yeux sans pouvoir l'empêcher
[104].
Les Français
pillèrent tout ce qui n’avait pu être emporté et cessèrent
leur action quand ils virent arriver le régiment des Gardes et ceux
de Saluces pour aider la défense. Après une petite résistance,
ces nouvelles troupes s’enfuirent et coururent jusqu’au village de Pui (Puy),
près de Château Dauphin, ou jusqu’à la Combe de Juillard
sur le côté opposé, au nord de Pontechianale, où
beaucoup trouvèrent la mort en tombant dans le précipice pendant
ce repli.
Un détachement
du régiment de Saluces qui prit une autre route, fut poussé
si vivement sur une de ces pentes pareilles à celle sur laquelle le
régiment de Travers s'était laissé glisser pour gagner
son poste, que les soldats renversés et roulant avec leurs armes
et leurs cartouches furent jetés sans vie ou expirants sur les rochers
et contre les arbres de la vallée, froissés et brisés
de manière à ne pouvoir jamais être guéris de
ces meurtrissures, aussi mortelles que les plaies les plus cruelles [104].
" Le baron
du Verger et le marquis de Seyssel auteurs de la coupe de nos bois furent
du nombre des morts, et y furent enterrés sans pompe et sans cérémonie,
comme le reste des soldats restés dans le combat. L'attaque de ce
dernier retranchement dura quatre heures et demi, et on ne la finit qu'à
l'entrée de la nuit. Que de sang répandu pour une chose de
rien, quel combat opiniâtre dans un lieu, ou l'on ne se pouvait point
ranger en bataille, l'honneur de part et d'autre y était engagé,
il fallait vaincre ou mourir "[105].
Le combat pris
fin une heure avant la nuit du 19 juillet 1744.
Le roi de Sardaigne
ne pouvait accuser ses troupes, il ne revenait presque que des soldats, tous
ses officiers s'étaient fait tuer sous ses yeux, plutôt que
d'y paraître en fuyant : il ne jugea point à propos de soutenir
plus longtemps la tête des montagnes, et d'y disputer le terrain à
des ennemis qui l'emportaient avec autant de valeur que de force.
Ce poste étant
forcé, le Roi qui était au Villaret fit retirer toute l'artillerie
des forts Saint Charles, Château, et Bertola, et les camps de la Levé
partirent sans plier leurs tentes, qui restèrent toutes entre les
mains de qui en a voulu [105].
A l’issue de
la bataille, le roi Charles Emmanuel s’installa à Château Dauphin
où il voulait recevoir près de 200 survivants du massacre du
Mont Cavallo.
Puis il abandonna
la butte de Château Dauphin, qui n'ayant aucune espèce de fortifications,
est d'ailleurs dominée de tous côtés par les montagnes
qui la joignent, et se retira deux lieues plus loin, mettant le village
de St. Pierre entre ses ennemis et ses troupes. Il rassembla 21 bataillons
qu'il fit camper en ligne, bien résolu de soutenir un combat dans la
vallée, où il ne doutait pas que les Français ne le
suivissent pour s'ouvrir un chemin jusqu'à la plaine. On compta sur
le champ de bataille 1.350 morts piémontais, presque tous tués
par des coups à la tête ; plus de 300 avaient péri dans
les vallées, soit des coups des Français, soit des chutes faites
en fuyant dans les rochers et les escarpements. On prit aussi deux pièces
de canon qui se démontaient ainsi que leurs affûts ; le corps
du canon se divisait en trois parties qui s'assujettissaient par des barres
de fer ; chaque canon pouvait être porté sur le dos de trois
mulets [104].
La perte des
Français avait été très considérable,
quoique moindre que celle des ennemis. Le Bailli de Givri était blessé,
deux des colonels restèrent sur la place. Le duc d'Aiguillon et le
comte d'Aubeterre furent blessés ; le comte de Danois n'eut qu'une
légère blessure ; trois sergents et deux soldats sur lesquels
il s'appuyait successivement, furent tués sous sa main. Quatorze hommes
furent tués ou blessés autour du brigadier Chevert qui fut
blessé à la main, mais si légèrement qu'il ne
voulut pas être mis sur la liste des blessés, ne regardant point,
ainsi que quelques officiers, une blessure comme un mérite ; le régiment
du Poitou qui se couvrit de gloire dans cette journée, perdit nombre
d'officiers ; à peine les deux bataillons de Conti en trouvèrent-ils
le soir dix en état de faire le service, de soixante environ qu'ils
étaient au commencement de l'action : le nombre des soldats de tous
les régiments était considérablement diminué
[104].
Dans la vallée.
Don Tholosan
: " On nous fit alors plus de trois cent prisonniers, pour les blessés
ont les fit d'abord conduire à Château Dauphin. Cette journée
fût une des plus rudes qu'on puisse se passer en temps de guerre, car
le duc d'Agenois, et le comte d'Aubeterre passant ici le lundi matin légèrement
blessés, nous assurèrent qu'il avait péri dans le combat,
de part ou d'autre, plus de trois mille cinq cent hommes. Je suis bien persuadé
que nos successeurs auront peine à le croire mais c'est la vérité,
il s'est fait un feu d'enfer et on a combattu de part et d'autre avec la
dernière opiniâtreté. On fit donc enlever les morts,
et on ramassa les blessés dans la redoute, ensuite on ordonna à
tous les habitants de la vallée de les porter à leurs respectifs
endroits [105] ".
Des Français
blessés furent trouvés dans les ruines de la redoute de Mont
Cavallo [104].
La nuit rassembla
tous ceux qui s'étaient dispersés pour suivre les fuyards épars
de tous côtés ; le Comte de Danois les fit coucher sur le champ
de bataille, envoyant des détachements chercher les tentes et les
sacs ; mais ayant peu de vivres lui-même, il ne trouva de ressource
que dans ceux que les ennemis avaient laissés [104]. Il soupa.
Ce Lieutenant
Général, jadis étendu pendant trois jours avec les morts
dans les plaines de Valenciennes, sauvé par les soins de sa nourrice,
ne voyait dans la mort rien d'extraordinaire. Jamais il ne perdait son
sang-froid et sifflait tranquillement au milieu du carnage horrible qui
se faisait à ses côtés.
" Ce Bailli
de Givri, disait il, ne sera plus occupé de sa blessure et emmènera
le mulet qui portait des provisions pour nous deux ; et moi, je n'aurai rien
à manger ".
Le maréchal
de Camp des Piémontais (du Verger), qui souffrait cruellement de sa
blessure interrompit les cris qu'elle lui arrachait pour lui enseigner où
étaient ses cantines : le comte de Danois les fit apporter et mangea
près du mourant ; mais comme celui ci ne cessait de se plaindre,
il lui dit : "Monsieur, ne pourriez-vous pas mourir tranquillement et nous
laisser manger tranquillement ? [104] ".
L'étonnement
ou la mort fit taire le Maréchal de Camp qu'on ne regarda qu'après
avoir cessé de manger [104].
Le roi, descendu
à Sampeyre, rencontra le général défenseur de
la Bicocca, donna ordre au chevalier Cumina d’évacuer la vallée
Maira, au marquis de Fabrosa de quitter le val Stura et de gagner la ligne
défensive Costigliola-Saluces, au bas des vallées, et là
il rassembla toute son armée.
" Ceux
qui étaient à la Bicoque et sur le col de Luc firent de la
même façon, et toute nôtre armée se retira avec
le plus grand désordre à Saint Pierre ; elle serait allée
plus loin, si les Français l'eussent poursuivie ; canons, équipages,
et autres choses, auraient été perdus ; mais là on rencontra
le baron de Leutron qui venait avec huit bataillons, il représenta
au Roi qu'il ne fallait pas se retirer avec une semblable précipitation
; qu'il fallait s'arrêter et attendre l'ennemi de pied ferme ; on s'arrêta
là, et pour se mettre mieux en défense ils allèrent
camper au Beché ou le Roi y établit son quartier, et là
on revint un peu de la terreur panique où ils avaient été
jetés par celle vigoureuse attaque [105] ".
Les morts
de la bataille de Pierrelongue furent enterrés sur le champ de bataille,
dans une fosse commune.
La légende
de Bellino raconte que le torrent Varaita coula rouge pendant plusieurs jours,
du sang des victimes de cette bataille,...
Les pertes militaires.
Armée
française :
L’armée
française perdit un tiers des soldats engagés dans ces batailles
du Val Varaita, soit 1654 hommes dont plus de 811 furent tués. Parmi
les officiers français,
-
le Lieutenant Général Bailli de Givri fut mortellement
blessé au combat.
-
le colonel Emmanuel Armand de Vignerod du Plessis-Richelieu, fut très
grièvement blessé.
-
le colonel Joseph Henry d'Esperbes de Lussan, fut blessé.
-
Jacques François Marie de Thibault Marquis de La Carte fut tué.
-
Le colonel Charles Claude Andrault de Maulevrier fut tué.
Armée
piémontaise :
L’armée
piémontaise compta ses pertes : un millier d’hommes, dont 700 furent
tués ou blessés à mont Cavallo, et quelques 300 autres
le furent dans les vallées.
Don Tholosan,
lui, cite le chiffre de 1350 hommes perdus sur les crêtes entre les
vallées Varaita.
Nous
avons le total des pertes (tués, blessés, prisonniers ou disparus
) par régiment :
-
Roquin 372
-
Guibert 166
-
Savoie 154
-
Audibert 139
-
Saluces 98
-
Gardes 36
Parmi
les officiers,
-
Le Major Général Charles Philibert du Verger fut tué
au combat,
-
Le colonel Agustine Roquin fut tué,
-
Le colonel Giuseppe Faletto di Castagnole fut tué,
-
Le marquis François de Seyssel fut tué.
Don
Tholosan pense que la postérité regardera comme un conte
fait à plaisir, le pont de Pierre Longue, et le chemin du Vallonet
du côté de Pont, où à peine les brebis y pouvaient
aller pâturer, et les bergers ne passaient qu'avec crainte ; cependant
on y fit passer une division d'armée, avec des chevaux et de mulets,
on jugeait dans nôtre armée ce passage impraticable, et on se
tenait assurés de ce côté là, mais l'industrie
de l'homme vient à bout de tout ; et nous pouvons dire qu'encore
que nos montagnes soient des plus rudes et des plus escarpées ayant
passé là ils pouvaient passer partout : à quoi aboutit,
cependant tant de fatigues et tant de sang répandu, que servit aux
Français d'avoir gagné un semblable poste, et aux nôtres
de le défendre avec tant d'opiniâtreté, un peu de fumée
de gloire d'avoir vaincu pour les uns, et un peu d'honneur pour les autres
de savoir se défendre. Mais qui croira que Mont Caval ait servit
de cimetière à des marquis, à des comtes et des barons,
enfin à un grand nombre de la plus belle noblesse de France, et de
Piémont ; cette montagne portait le nom de Bataiole et on ignorait
ce qui lui avait donné ce nom ; mais à présent c'est
avec juste titre qu'elle le porte, et ces endroits qu'on ignoraient dans
les pays étrangers y seront connus comme des endroits fort considérables,
et auront place dans les histoires qu'on écrira de ces guerres : il
ne fallait point faire tant de travaux, si on ne voulait mieux les défendre,
si les nôtres eussent tenu ferme à la Levée peut être
les auraient ils conservées, car la division des Français
n'était pas assez forte pour pousser plus loin leur victoire, du
moins n'auraient ils pas montré une espèce de confusion, mais
disons mieux nos troupes ne sont pas bonnes pour la montagne, la plaine
leur est plus propre pour combattre, aussi je crois qu'ils ne tourneront
pas attendre l'ennemi dans ces gorges-ci, attendu qu'ils ont toujours le
dessous [105].
Lazare
Carnot rapporte aussi les exploits du commandant Petit Guillaume qui enleva
à la baïonnette les camps de La Chenal, Sambuck, Prats et autres
postes, prenant deux canons, 600 fusils et bien d’autres munitions, tuant
200 ennemis et faisant 90 prisonniers [100].
Une batailles inutile.
Le comte de Danois n'était pas encore établi dans son camp
et deux heures ne s'étaient pas écoulées depuis le dernier
coup de fusil tiré, qu'il reçut une lettre du prince de Conti,
adressée au Bailli de Givri, par laquelle il lui recommandait de
ne point attaquer les retranchements, lui faisant part des succès qu'il
avait dans la vallée Stura, et de l'intention où il était
de ne point chercher d'autre passage pour pénétrer dans la
plaine. Si l'on peut juger de l'impression que fit cette lettre sur le comte
de Danois et sur ceux des siens qui la virent, il ne sera pas aussi facile
de peindre l'effet que produisit sa réponse [104].
En effet, depuis deux jours les premières colonnes franco-espagnoles
avaient enfoncé les défenses des Barricades et le Val Stura
était à eux depuis le 17 juillet.
Sac de Bellino et de Château Dauphin.
Après cette bataille de juillet 1744, le comte de Danois, qui était
alors le commandantà la place de Monsieur de Givri, n’ayant plus de
nourriture et, afin de payer ses soldats épuisés, autorisa
un sac libre et sauvage de trois heures, tant à Bellino qu’à
Château Dauphinet cela par manière de rafraîchissement.
Le jour suivant, tôt dans la matinée, les soldats arrivèrent
dans ces deux pauvres villages et pillèrent les maisons et les églises.
A Bellino, ils tuèrent deux hommes et il se commit quelques viols.
Il s'agit
de Chaffré Michel feu Donnat de Rua l'église, tué le
21/7/1744 au dessous de l'Espeyria? par les ennemis français et le
lendemain, de Mathieu Levet fils de Chaffré du Plainé tué
d'un coup de pistolet aux épaules par les ennemis espagnols...
A Château Dauphin ils n’oublièrent aucune maison, pillant aussi
la maison des Capucins où ils firent main basse sur de nombreux objets
du campement piémontais évacué.
Les villages de la haute vallée Varaita subirent, pendant ce mois
de juillet 1744, la période la plus triste de leur histoire. Au pied
du col de l’Autaret, c’était la désolation : Les hameaux de
Bellino venaient d’être saccagés et nos ancêtres souffraient.
Don Tholosan a peur pour sa paroisse : " Ce qu'ayant appris, et craignant
que le même n'arrivât dans ma paroisse, j’envoyai d'abord mon
frère prêtre avec quelques habitants, pour s'aller soumettre
et implorer la protection du comte Danois, qui nous l'accorda moyennant qu'on
leur envoya du monde pour porter leur blessés à la Gardette,
et de là à Maurin ; tout cela fût exécuté,
et nous ne souffrîmes aucune insulte. Il nous envoya un détachement
de cent hommes, et pendant huit jours nous fournîmes plus de cinquante
hommes pour leurs malades, et ils envoyèrent un autre détachement
au Château de Pont, et un autre à Château Dauphin ; ils
campèrent à Bellino pendant trois semaines, pendant le quel
temps il nous fallut leur fournir vingt cinq vaches qu'ils payèrent,
mais non pas ce qu'elles valaient. Le comte de l'Autrec était campé
au dessus de Briansolles sur le col de la val de Maïra avec quatorze
bataillons. D'abord que cette troupe fût un peu reposée, on
ordonna de défaire tous les retranchements depuis la Bicoque jusqu'au
Viso. Tous les particuliers de la vallée étant commandés
pour cela on vint à bout de les détruire en moins de cinq jours
: pour les forts, attendu qu'il n'étaient que du bois et de gazons,
on y mit le feu, et tout fût réduit en cendre en peu de temps
quoique le feu s'y conserva près de quatre mois ; de sorte que de
tous ces beaux travaux on n'en voit presque plus les vestiges, et ce qu'on
resta quatre mois à construire fût ruiné et anéanti
dans quatre jours. On estima près d'un million tous les beaux ouvrages,
et les Français même en admiraient la régularité
et la symétrie, louaient extrêmement de si sages précautions,
et confessaient ingénument qu'ils n'auraient pas pu les forcer s'ils
n'eussent pris le chemin qu'ils tinrent " [105].
Le Bailli de Givri fut l’un de ces blessés et, transporté
par le col, il fut dirigé ensuite vers Lyon où il mourut peu
après de ses blessures.
" Nous passâmes huit jours en liberté, il ne paraissait ni
Français, ni Piémontais ici lorsqu'il nous arriva encore le
bon homme du marquis de Lucey qui avec un détachement alla prendre
dans l'église de Molines cinquante sacs de farine que les Français
y avaient lassés et, le coup de main fait, il retourna au camp du
Beché qui partit pour Dronier le jour de Nôtre Dame de septembre,
il nous arriva encore par la Lauzette cinq cent Vaudois commandés
par Monsieur Rogier, qui après quatre jours de résidence s'en
alla joindre l'armée, nous fûmes encore libres pour tout le
reste de ce mois, et nous pensions que nôtre tranquillité dût
être de plus longue durée, lorsqu'on nous donna avis que Don
Juan de Villabe brigadier des armées du Roi d'Espagne, avec quatre
mille hommes montait par Molines pour se rendre dans cette vallée
; cette alerte nous replongea dans nos anciens troubles ; il fallut cacher
ce que nous avions de plus précieux, et écarter nos bestiaux.
C'était le huit du mois d'octobre lorsqu'ils parurent sur le Crapon,
mais la pluie qui fût abondante dans cet automne là, et qui
sur la montagne se convertissait en neige, les fit retourner à Molines
; ils se souvenaient encore de l'année passée crainte d'en
faire l'anniversaire ils ne s'avancèrent pas d'avantage, ils nous
envoyèrent un exprès avec une lettre par la quelle il nous
demandait une contribution de dix mille livres, à peine d'être
saccagés, et brûlés ; pour détourner ces maux
de dessus nos têtes nous leur envoyâmes des otages, et ensuite
huit vaches avec de l'argent pour payer la dite contribution qui fût
réglée à deux mille livres de Piémont compris
les vaches ; après quoi les Espagnols s'en retournèrent dans
la Savoie. Nous fumes blâmés d'avoir si tôt payé
la dite contribution, sans en avoir donné avis à la chancellerie
de guerre, mais si fussent descendu pour la venir prendre, et que nous eussions
attendu l'avis des magistrats, quel mal nous auraient ils pas fait. Cependant
Monsieur Rogier avec ces Vaudois vint à Château Dauphin pour
défendre cette vallée, et il voulait mettre les consuls de
Saint Eusèbe en prison pour être allés à l'encontre
des Espagnols pour leur porter aussi leur contribution. Il ne fit pas tout
ce qu'il dit, et répartit dans peu de temps pour aller sur les montagnes
de la vallée Stura, et nous n'eûmes plus dans la suite qu'un
détachement ordinaire tantôt des Vaudois, tantôt des compagnies
franches, tantôt enfin des milices qui ont toujours continuées
jusqu'à aujourd’hui " [105].
Suite
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