Reprenons le fil de l’histoire au début du XVIIIe siècle.
Louis XIV est toujours roi de France et les visites de la famille royale
dans la région sont de grands évènements : la communauté
fait porter ses fusils à dos de mules à Avignon, pour armer
la garde lors de l’entrée des Princes de France (Duc de Bourgogne
et du Berry) et les fait ramener après leur passage.
En 1702, un coup de peinture fraîche est nécessaire sur les
armoiries du pape, du vice-légat et du recteur.
A la mort de Charles II, roi d’Espagne, Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis
XIV, occupe le trône d’Espagne. La puissance franco-espagnole est
trop grande et l’Autriche, l’Angleterre et la Hollande s’arment et forment
une coalition.
Dès 1705, les Français remettent le siège devant Nice,
qui se rend en 1706.
La Savoie, vainqueur en Italie (1706), dégage Turin assiégée
par les Français. Le prince Eugène de Savoie-Carignan bat
les Français et envahit la Provence jusqu’à Toulon (1707).
Mais il échoue au siège de Toulon, et, pour la quatrième
fois les piémontais-savoyards doivent battre en retraite, laissant
17.000 morts. Les Français réoccupent Nice. Le terrible hiver
1708-1709 arrête les hostilités.
La fin de la principauté
d’Orange.
Louis XIV avait déjà dépouillé la maison de Nassau
pour donner Orange au prince de Conti (1703). Le traité d'Utrecht
confirme l'intégration de la principauté d'Orange à
la France [101]. S’en est fini des frontières multiples autour de
nos villages : désormais la France est de partout : à Suzette,
au nord de Vaison et au sud de la Durance. Refuge des protestants, jusque-là
protégés, plus de 5.000 d’entre eux doivent s’exiler en Suisse
et en Prusse. Le traité d’Utrecht échange Barcelonnette et
la vallée de l’Ubaye contre quelques vallées dauphinoises qui
passent à la Savoie. Légères rectifications de
frontières, sûrement, sauf que mes ancêtres dauphinois
du Val Varaita deviennent savoyards, puis sardes, alors que la vallée
de l’Ubaye est rattachée à la Provence.
La Paix revenue, on constate l’étendue des dégâts de
la guerre : les communes de Provence sont endettées, une foule de
mendiants court la campagne. Débris de toutes les guerres, ces gens
arrivent au moindre tumulte et provoquent une grande insécurité.
Victor Amédée II de Savoie est le grand gagnant de ce traité.
S’il doit rendre la Sicile à l’Espagne (1720), en échange
de la Sardaigne, il se voit attribuer le titre de Roi (de Sardaigne). Il
se fait couronner à Turin. C’est la naissance du Royaume
de Sardaigne ou Etat sarde.
Le traité d’Utrecht ouvre une période de paix qui va durer
un siècle, malgré la guerre de succession d’Autriche.
Les biens que possédait le mont-de-piété de Caromb,
inventoriés au cours d'une visite pastorale en 1713, s'élevaient
à la somme de 4.323 écus [58].
Nos religieuses augustines enseignent aux jeunes filles dans leur local de
l'hôpital qu'elles viennent de créer. Elles reçoivent
ensuite les garçons. Il y a cependant beaucoup d'illettrés
dans le village, car beaucoup ne comprennent pas l'importance d'une bonne
instruction.
Les sœurs reçoivent comme consigne «d'être comme les anges
gardiens de leurs élèves et les aimer tendrement... que s'il
y a dans le cœur quelques prédilections, ce doit être pour
les enfants pauvres, parce que cet institut en est beaucoup plus chargé
que les riches». Voltaire écrit en 1763 «que les artisans
et des laboureurs envoient leurs enfants dans les collèges des petites
villes» et «ce sont les frères qui ont perdu en apprenant
à lire et à écrire à des enfants qui n'eussent
dû apprendre qu'à manier le rabot et la lime» [54].
Nos ursulines de Caromb sont parfois détachées dans les villages
environnants : les deux sœurs Agnès et Rose de Marsant sont à
Mormoiron en 1737.
Quelques nouvelles de l’orgue de Caromb : l’année du traité
d’Utrecht, un ermite, le frère Paul Blanc, remplace M. Gautier, puis
c’est un clerc du nom de Michel Rondet qui prend l’instrument en 1720, l’humble
et dévoué ermite Paul Blanc reprend ses fonctions en 1728,
jusqu’à ce qu’il soit remplacé (1734) par M. André
Baptiste.
Les élections
"professionnelles".
L’élection d’un boucher ou d’un comptable n’est pas chose facile dans
notre village : en 1712, le vice-légat propose une candidate pour
tenir la boucherie. On met pourtant aux enchères la ferme de la boucherie,
mais la dame se présente seule candidate. Il y a des opposants à
ce choix.
Aucun exacteur de la taille ne se propose
aux élections de 1714. On le comprend : tenir les comptes de Caromb
n’est pas de tout repos. Le conseil vote avec la liste des 6 dernières
personnes ayant tenu ce poste, avec obligation pour l’élu d’accepter.
L’élu est proposé au parlement, mais celui-ci le refuse.
Le vice-légat ordonne de recommencer l’élection. Le nouvel
élu refuse à son tour. Personne ne se présente à
une nouvelle élection. Le parlement s’étant récusé,
le conseil nomme, à suffrage secret, une des 6 personnes de la liste
initiale.
Un nouveau procès débute pour empêcher un monsieur Cohorn
de Carpentras, qui a fait des excavations dans la raille de Lespine, de
conduire des eaux du terroir carombais vers Carpentras.
Le conseil carombais
en 1716.
Le conseil est composé de deux consuls et de 22 conseillers, divisé
en deux collèges, le 1er rang pour ceux qui comptent plus de 600
florins au cadastre et le deuxième rang pour ceux qui ont au moins
400 florins au cadastre. Chaque groupe a son consul et la moitié des
conseillers. Le 1er consul est un noble ou un bourgeois, comme docteur ou
apothicaire, “ne faisant aucun art mécanique”.
Consuls et conseillers touchent des honoraires de 5 livres.
Le conseil se réunit sous l’autorité du viguier.
Les élections ont lieu le premier mai et le premier consul propose
4 candidats. Le second consul fait de même. Les élus sortants
ne sont pas rééligibles pendant trois ans. Chaque collège
a son urne ou “boite à ballottage”.
La candidature du secrétaire est proposée par le 1er consul
et il est élu par vote secret. Son salaire est de 30 écus
de monnaie courante.
Les prêtres envoient deux députés pour les représenter
au conseil. La convocation du conseil se fait par le valet de ville puis
au son de la cloche. La présence est obligatoire et les absents sans
excuse se voient infliger une amende de 20 sols.
Pendant une de ces réunions de septembre 1716, le viguier quitte le
conseil en pleine assemblée, sans expliquer ses raisons et on dépêche
le valet de ville pour le ramener. Les archives n’en disent pas plus : envie
pressante ou problème réel ?
On plante des mûriers le long des chemins publics en 1717, sans respecter
une distance de 5 pans (1,25 m) pour permettre aux chevaux de passer.
De 1718 à
1720, des années difficiles.
On décide de créer une seconde boucherie pour les moutons,
en plus de celle qui existe pour les bœufs et les brebis. Un conseiller de
chaque main surveille les boucheries en les visitant chaque semaine.
En 1718, on souhaite réduire les missions qui ont lieu tous les quatre
ans : elles coûtent cher (voiture à louer, logement gratuit)
et on propose une fréquence de 6 ans. La motion est rejetée
“après ballote” et certains étaient déjà prêts
à réclamer ce changement au vice-légat.
Nos boites de confitures sont ressorties cette année-là pour
la visite du recteur.
Les deux années 1719 et 1720 montrent bien que le village est dans
la peine : pauvres et endettés par les guerres de Louis XIV, par les
invasions des troupes françaises et par la pression fiscale, les
carombais doivent prendre des mesures protectionnistes ou conservatrices.
- Ainsi tout étranger
venant s’installer à Caromb sans y avoir des biens, même s’il
se marie à une femme du lieu, devra payer 5 écus de monnaie
courante, fournir des témoignages qu’il est homme de bien et recevoir
l’agrément des consuls.
- Ainsi chasse-t-on un habitant
reconnu “voleur de champ et mal famé”.
- Ainsi constitue-t-on une
garde bourgeoise pour surveiller les vergers et chaque habitant doit y participer,
sauf s’il loue un homme à sa place.
- Il n’y a plus de blé
et quelques grains sont distribués aux pauvres.
- Le pain est rationné,
vendu à prix réduit aux nécessiteux.
- Le prix de la viande monte
à 14 patas la livre de bœuf.
Pourtant nos conseillers ne perdent pas espoir : ils souscrivent à
la construction d’un canal qui sera construit pour le bien-être de
tout le Comtat. Nos consuls ont besoin de dignité : ils souhaitent
porter des chaperons, comme ceux des autres villages.
C’est dans ces conditions qu’arrive la peste.