Le Dauphiné.
Le petit village de Vion (Ardèche), sur la rive droite du Rhône,
près de Tournon, est le berceau des futurs dauphins. Cette famille,
par l’usage de la force et par d’habiles alliances matrimoniales, accroît
sensiblement ses biens. Les seigneurs de Vion sont suffisamment en vue
pour retenir l'attention de l'archevêque de Vienne lors des circonstances
bien particulières que voici : la reine Hermangarde, femme
du dernier roi de Bourgogne Rodolphe III, âgée et sans héritier,
cède en 1029 à l'Eglise de Vienne gouvernée par l'archevêque
Brochard, le comté de Viennois qu'elle tenait de son époux.
L'archevêque, “se sentant lui-même proche de la mort” ne conserve
sous son autorité directe que la ville de Vienne, et partage aussitôt
le comté entre deux seigneurs à qui le lie une parenté
assez proche et dont la force lui inspire confiance. A son beau-frère
Humbert aux blanches-mains, il inféode la partie nord, en direction
de Genève ; à Guigues le Vieux, sire de Vion, la partie sud,
sur la rive gauche du Rhône. Ainsi naissent deux états féodaux
qui vont devenir des frères ennemis : la Savoie et le Dauphiné
[55].
Origine du nom “dauphin”.
Guigues III, comte d'Albon,
époux de la reine Mathilde a pour fils Guigues
IV Dauphin, en 1106. Tous ses successeurs portent ce titre et le “Comté”
(Comitatus) devint “Dauphiné” (Delphinatus). L’origine du nom Dauphin
est incertaine : le terme de “Dalphinus” utilisé comme prénom
aussi bien en France qu'en Italie (le féminin Delphine est toujours
en usage), serait devenu un surnom mettant en valeur la signification symbolique
de “fier, puissant par la grâce de Dieu”. Les parents du jeune Guigues
Dauphin auraient voulu par ce titre cacher I'infériorité
de leur qualité comtale au regard de celle de marquis porté
en Italie par le comte de Savoie.
C'est donc volontairement
que le surnom “dauphin” serait devenu un titre et aurait engendré
le Dauphiné. De plus, le titre “dauphin de Viennois” fait référence
au Viennois, plus important que le comté d’Albon.[55]
Guigues le Vieux
s'implante solidement dans ses nouveaux domaines et les
étend. C'est lui sans doute qui prend le titre de comte d'Albon.
Très vite, un concours de circonstances favorables lui indique les
objectifs à poursuivre. L'empereur germanique Henri III (dans
la mouvance duquel se trouvent, rappelons-le, les domaines de Guigues)
lui donne en 1033 l'investiture du Briançonnais, à cheval
sur les Alpes.
Il s'agit donc de relier
les territoires rhodaniens au fief alpestre en maîtrisant les régions
intermédiaires, et de favoriser la circulation par le Mont Genèvre.
Comme Humbert, le savoyard, a reçu de la même main la Maurienne
et le Mont-Cenis, le parallélisme des deux états se poursuit,
comme s'aiguise leur concurrence de portier des Alpes.[55]
La Savoie.
La Maison de Savoie débute,
en 1040, favorisée par des princes de valeur, comme Humbert Ier
(Humbert Blanche-Main). Au XIeme siècle, les possessions originelles
de la Savoie sont limites au sud de Chambéry.
La faiblesse du royaume
de Bourgogne explique les débuts de la Maison de Savoie : la première
référence à « Humbert, comte » apparaît
en 1003 dans une concession faite par l’évêque de Belley.
Bien en cour depuis 1009 au moins, le comte devient conseiller de la reine
et prend possession de terres, entre 1014 et 1016, dans le futur comté
de Savoie : Aix, Miolans semblent faire partie de ces acquisitions. Un
peu plutard, en 1025, Humbert Ier prête serment pour les comtés
de Viennois, Bugey et Sermorens.
Des rapports de vassalité
s’établissent peu à peu entre l’empereur germanique et le
petit royaume de Bourgogne-transjurane, jusqu’à ce que l’empereur
Conrad II reçoive la couronne de Bourgogne. La Savoie entre alors
dans l’orbite du Saint Empire romain-germanique : à la mort de Rodolphe
III (933-1032), en Bourgogne, une véritable guerre de succession
oppose Conrad II et un autre Rodolphe, dit Eudes de Blois. Le comte Humbert
est du côté du vainqueur, Conrad, et il tire parti de la reconnaissance
du nouveau roi.
Humbert, dont le fils, on
l’a vu, épouse une marquise de Suse, s’ouvre la voie de l’Italie.
En 1032, il devient comte
du Chablais et en 1043, de la Maurienne. Il semble aussi qu’il possède
déjà quelques terres en Tarentaise.
Ainsi, dans la première
moitié du XIe siècle, et grâce à un ferme soutien
à l’empereur, Humbert Ier parvient à réunir une large
bande de terres qui va du Rhône aux versants italiens des Alpes.
En 1063, la Savoie perd
Exilles et Fenestrelle au Mont Genèvre, au profit du Dauphiné.
Berthe de Savoie, se marie avec l’empereur allemand, poussant ce pays,
à nouveau vers l’Italie. La Savoie s’étend du Bugey au Grand
St Bernard et jusqu’à la Doire.
Nous voilà bien loin
de nos vallées alpines et du col de l’Autaret ! Pourtant, nous allons
suivre l’ascension de cette Maison de Savoie pendant sept à huit
siècles, jusqu’à ce qu’elle devienne maître de nos
vallées [67].
La Provence.
La Provence, elle aussi suit
le destin du royaume de Bourgogne et entre dans l’orbite du Saint Empire
germanique.
Dans les Alpes,
Les Alpes subissent des alternances
de sous-peuplement (calamités de toutes sortes) et de surpeuplement,
les défrichements de terrains médiocres (essarts) révélant
alors un besoin en terres.
Les serfs sont exploités
par abbés et barons. Alors que du côté italien et dans
la plaine piémontaise, ils connaissent une pression un peu moins
forte et goûtent leurs premières libertés, du côté
savoyard, leur vie est plus rude. Serfs et vilains des terres abbatiales
de Savoie désertent, traversent les monts et sont bien reçus
par leurs frères affranchis du Piémont.
La circulation, dans les
cols alpins devient plus importante. En décembre 1077, l'empereur
des Allemagnes, Henri IV, révolté contre le pape et excommunié,
se hâte avec sa cour vers Canossa où l'attend l'agréable
corvée de faire, pieds nus, amende honorable. En 1174, une autre
barbe d'empereur, cette fois rousse, celle de Frédéric 1er,
Friedrich Rotbart, apparaît aux horizons.
L’origine des noms de lieux de nos vallées
alpines.
C Allais nous indique, dans
son ouvrage, les premières références apparaissant
dans les documents du XIe siècle.
Une carte antique porte l’inscription
de « Vracta » et de « Valle Varaitana »
et un diplôme de l’empereur Frédéric Barberousse, du
26 janvier 1159, nomme le Val Varaita « Vallis Vallactana
», donc vallée du lait.
La haute vallée Varaita,
divisée en trois cantons, Casteldelfino, Pontechianale et Bellino,
sous le gouvernement du marquis de Saluces, prendra le nom de « Castellania
», lors de son incorporation au Dauphiné, et par
légère déformation, deviendra « Castellata».
Pour le moment, nous n’en sommes pas encore là : le Val Varaita
n’appartient ni au Dauphiné, ni à la Savoie, encore moins
à la Provence. Le Val Varaita et Bellino font partie du marquisat
de Turin. C Allais, lui, indique une appartenance au comté d’Auriate.
Casteldelfino : d’abord appelé
« Vellaut » ou « Villalt » ville
haute, vers le IVe ou Ve siècle, la ville devient Villa S. Eusebio
vers le Xe siècle. En 1336, Umbert II, dauphin de Vienne y fait
construire un château et l’appelle « Castrum Delphini
», qui est à l’origine de Casteldelfino.
Pontechianale : un document de 1247
cite Torre di Pont : c’était un village très peuplé
et très antique.
Chianale doit son nom à son
canal large et profond qui coupe le village en deux, laissant s’écouler
les eaux de la Varaita. Il faut attendre 1459 pour que Ludovic de Romagne,
évêque de Turin, regroupe les deux communes de Pont
et de Chianale pour former une paroisse. La partie ancienne de l’église
fut construite en 1461.
Bellino : le nom peut être
considéré comme un diminutif de « bello »,
mais sa position topographique par rapport à Casteldelfino ou Pontechianale
ne répond pas de façon adéquate à une telle
interprétation. Il paraît plus probable que l’origine vient
du latin « Belluinus », terre de bons patûrages
pour les moutons. Ceux-ci, passant l’été sur les hauts patûrages,
étaient très renommés pour leur viande et leur laine.
De « Belluinus » s’est dérivé «
Bellinus », puis Bellino.
A cette époque (1039),
le comte d’Albon reçoit ou achète donc le Briançonnais,
alors fief de l’empire, avec Oulx, Exilles, et l’annexe au Viennois [52].
Du Col de l’Autaret, nous
voyons le Dauphiné s’étendre et se rapprocher.