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Chapitre XI. Marquisat
et comtés sous le Saint Empire romain-germanique (1125-1200).
L’Italie sous domination germanique.
Depuis 961, l’Italie est
un fief germanique: l’empereur germanique occupe le Piémont, invoquant
les droits de son épouse. En 1128 , Conrad de Hohenstauffen est
couronné roi d’Italie à Milan. Jusqu’en 1254, c’est l’empire
des Hohenstauffen, avec Conrad ( 1138 - 1152 ), puis Barberousse
(1152 - 1189).
Guelfes et Gibelins.
En Italie, des guerres se succèdent : guerres civiles entre Pise
et Gênes, en 1133, luttes entre les Guelfes, partisans du pape, et
les Gibelins, partisans de l’empereur, Frédéric Ier.
Barberousse,
Celui-ci entreprend six
campagnes en Italie entre 1153 et 1168, pour contrer la puissance croissante
des villes italiennes, dont Milan, et pour obtenir le couronnement impérial
par le pape.
Les villes italiennes du
Nord (Gènes, Pise, Venise, Sienne, Florence,...). s’érigent
en Républiques, avec des consuls (qui remplacent les évêques).
Pour finir, Frédéric Barberousse, occupe Rome en 1166.
Le territoire de Gênes
s’avance alors jusqu’à la Turbie. Les archives de Tende nous ont
conservé le traité conclu entre les Gènois, Vintimille
et Tende. Les consuls de Tende se nomment alors Albert Boéro
et Paul Ralus. [52]
Le marquis de Savone, maître de Saluces
et des vallées.
Revenons au comté
d’Auriate où la comtesse Adélaïde après avoir
fait réédifier et restaurer l’église et le monastère
de S. Costanzo, quitte ce monde, le 19 décembre 1091, à Canischio,
terre d’Ivréa. Elle a été précédée,
dans la tombe, par tous les fils de son troisième mariage et par
Agnes de Monbéliard, sa petite fille.
A sa succession, se présentent :
-
Corrado, premier fils de l’empereur Arrigo IV et de Berthe, le fils
d’Adélaïde de Svevia,
-
Humbert II, fils d’Amédée II, de Savoie
-
Pietro de Monbelliard, fils d’Agnes et de Frédérico,
chacun avec ses raisons et ses prétextes.
De tant de prétentions, il résulte des tourmentes graves
et il y a de nombreuses batailles. Pietro de Monbelliard, plus fortuné
que la comtesse, prend possession d’une grande partie de l’état,
mais Corrado, aidé par son père, envahit et dévaste
les terres et crée une position forte en Piémont.
Le marquis Bonifacio de
Savone, resté jusqu’alors spectateur de ce grave litige, considérant
que l’empereur Arrigo a perdu son prestige en Italie, se range du côté
de Corrado et se présente comme prétendant à la succession
pour des raisons de dot que la défunte devait à sa petite
fille Alice, et cousine de Corrado. Pour réussir dans ses prétentions,
non seulement il s’humilie devant lui mais s’attaque, à la pointe
de l’épée, aux Astesi. En partie par la négociation
et en partie par les armes, il réussit à envahir les comtés
de Berdulo, d’Alba, d’Auriate et d’autres terres du Piémont.
Humbert II, pour garder
une partie de la dot d’Adélaïde, est obligé de démembrer
son héritage sous la pression de Boniface. Ainsi, au début
du XIe siécle, la Savoie couvre la plus grande partie de la Maurienne,
la Tarentaise, la Haute Savoie, le duché de Turin, le Val d’Aoste,
et le marquisat de Suse.
La renommée et la
puissance de Boniface s’accroît par l’agrandissement de son état
et plus particulièrement par l’unification du marquisat de Savone,
qui s’étend alors jusqu’à la « riviéra di ponente
» de Gènes, jusqu’à Saluces et à ses vallées.
Il ne tarde pas à
venir prendre possession de ses nouvelles conquêtes. A. Della-Chiesa
pense qu’il stabilise alors sa résidence au château de Saluces,
édifié par les Goths ou les Lombards sur la cime d’une colline
qui domine la cité, habitation du seigneur du lieu. Mais on ne trouve
aucun document de lui daté de Saluces et l’on sait que l’acte donnant
ses dernières volontés a été rédigé
à Savone. Il paraît plus vraisemblable que, de son vivant,
son fils Manfredo s’est établi, vers l’an 1221, à Saluces
et y a pris le titre de marquis.
Création du marquisat de Saluces et
des fiefs alémaniques.
Le marquis Boniface, bien
qu’âgé de plus de 80 ans fait son testament au château
de Lorretto, bourg de Costiglole d’Asti, le 5 octobre 1125, nommant ses
7 fils comme légataires universels, Manfredo, Guglielmo, Ugone,
Anseme, Arrigo, Bonifacio et Oddone, sans avoir spécifié
à chacun la part qui lui revenait. Bonifacio meurt en 1130. Les
frères continuent, indivis, pour quelques temps, à gérer
l’ Etat de leur père, puis décident, par acte public rédigé
au château de Savone, le 22 décembre 1142, en la présence
de Pietro, évêque d’Asti et de Aldizio, évêque
de Savone, de partager leurs biens.
Le marquisat de Savone
est donc fractionné entre les 8 fils de Boniface, après avoir
arraché la région de Saluces au marquis de Turin : c’est
le création du marquisat de Saluces et de 7 autres petits fiefs
alémaniques (Busca, Cravenzana, Ceva, Savone, Cortemilla, Loreto
et Incisa).
Manfredo Ier, de Saluces.
Manfredo, le fils aîné,
reçoit la ville et le château de Saluces et toutes les terres
entre les Alpes, du Monviso au fleuve Stura et au comté «
bredolése » près de Mondovi. La frontière du
marquisat, à l’ouest, suit les crêtes, du mont Vesolo à
la vallée de la Stura ( « cohœrent ex una mons Vesulus a jugo
in iussum Sturea fiumen » ) ; les vallées du Pô, Varaita
et Macra et la rive gauche de la Stura font partie du marquisat.
Avant le partage, Manfredo
avait déjà son habitation principale à Saluces.
Pendant quatre siècles
le marquisat sera transmis, de père en fils ou petit-fils ou bien
de frère à frère.
-> Généalogie des marquis
de Saluces
Manfredo est âgé
de 43 à 45 ans, lorsqu’il prends le pouvoir. Il a épousé
un Eléonora, fille de Zudich, comte de Torre Arborea et descendant
du roi d’Aragon.
De nombreux seigneurs ayant
été nommés dans le pays depuis le partage de Charlemagne,
doivent reconnaître sa souveraineté pour leurs propres terres
et lui rendent hommage. Seuls les seigneurs de Venasca et de Brossasco,
dans la basse vallée Varaita, refusent l’hommage, en 1150, occupent
leurs terres et poussent leurs troupes jusqu’à Villafalleto (22),
puis se soumettent et rentrent dans leur domaine.
En ce temps là, la
féodalité piémontaise suit un certain nombre de règles
: la loi Salique promulguée par l’empereur d’Allemagne Conrad II
mais adaptée pour tenir compte des coutumes italiennes, est en vigueur
à cette époque où l’Allemagne domine l’Italie et considère
ce pays comme un droit inséparable de la couronne impériale.
Cette loi régit les principes de la féodalité pour
les seigneurs, barons, comtes et marquis de la noblesse piémontaise.
L’empereur conserve les droits sur les hommes et sur les terres et la juridiction
suprême pour certaines causes est de son ressort. De même,
le droit de guerre et de paix. Le droit régalien majeur lui permet
de léguer n’importe quelle terre de son Etat, de battre monnaie,
de légitimer les fils naturels, de réhabiliter les hommes,
de remplacer la loi écrite, de nommer de nouveaux nobles ou notaires,
de créer des universités, de nommer des magistrats à
la cour suprême de justice.
Le droit régalien
mineur est associé au fisc et à la récolte des impôts
publics. Lorsque l’empereur délègue un droit régalien
à un noble, il le nomme vicaire ou délégué
de l’empereur. Dignité temporaire ou à perpétuité
qui se donnait sans qu’il soit nécessaire de prêter hommage.
La féodalité
est hiérarchisée : les seigneurs « majeurs »
doivent des comptes à l’empereur ou au roi et sont pourvus, en principe
de la pleine autorité : ils sont investis de la justice civile et
criminelle, du droit de chasse et de pêche ; ils sont maîtres
des moulins et fours et récupèrent la majorité des
revenus de leurs terres.
Les « mineurs »
doivent des comptes aux ducs, marquis et comtes qui sont alors «
capitaine de l’empereur », mais sont libres de disposer de leurs
biens. La justice est partagée en « majeurs » et «
mineurs », mais le droit de grâce appartient aux « majeurs
».
Ayant reçu l’investiture de leur supérieur, ces seigneurs
deviennent « hommes nobles » et ce titre s’applique à
toute la famille. Inaliénable, puis transmissible, la noblesse est
« antique » quand elle a la qualité de « retto
et proprio », ou « paternelle », quand elle appartient
à la famille depuis quatre générations.
Seigneur et vassaux sont
liés par un contrat : le seigneur doit protéger le vassal
et le vassal lui doit le « service ». Le service consiste en
-
devoir de fidélité qui s’exprime par l’hommage de fidélité,
-
devoir d’accompagner le seigneur à la guerre, de combattre pour
lui et en cas de gêne pécuniaire de payer pour la cavalerie
Manfredo Ier est seigneur
majeur après son association avec Frédéric Barberousse.
Celui-ci, en 1155, est élevé à la dignité impériale,
à Rome, par le pape Adrien IV.
Mais les temps changent
et Barberousse connaît des moments plus difficiles en Italie, et
il se retrouve face aux armées de l’antipape Ottaviono et est excommunié,
comme Manfredo Ier.
Les villes du Piémont
profitent de cette période de pouvoirs faibles pour se fortifier
et prennent plus d’indépendance. Elles connaissent une croissance
importante et se peuplent grâce aux serfs affranchis d’Italie, de
Provence, du Dauphiné ou de Savoie qui fuient leur cabane au mépris
de la règle les contraignant à rester enchaînés
à leur sol et à leur seigneur. De plus, une bulle du pape
affranchit tous les serfs d’Italie [72]
Manfredo est un homme très
libéral. Il change alors la loi féodale, passant de la loi
Salique, à la loi romaine : il affirme que la liberté
de chacun doit sortir de la terre, et founit de quoi vivre à ses
hommes. De son temps, la monnaie utilisé à Saluces est la
monnaie de Suse et la ville a un marché sur la place. La Place est
le lieu où se rédigent les actes et les contrats, en public,
suivant l’usage du moment.
Bellino dépend alors du marquis de Saluces, au moins pour la
rive droite de la Varaita. C Allais rapporte des anecdotes importantes
sur cette période : la dignité du marquis était indiquée
par la forme et la hauteur de ses fourches ; il en existait une à
Casteldelfino, à côté de S. Eusebio, zone qui porte
encore le nom de “fourches”.
Manfredo Ier meurt en 1175.
Sa sépulture se trouve dans le monastère de S. Maria si Staffarda
qu’il a crée.
Droit de « cuissage »
Dans la pratique du féodalisme
se trouvait la primeur de la couche nuptiale ou “jus Primae noedis”,
« prizia dei talami nuziali », autrement dit, droit
de cuissage, droit réservé aux seigneurs locaux. Cette pratique
entraîna souvent conflit, bagarres et morts. Une tradition orale,
aussi rapportée par C Allais, et transmise de siècle en siècle,
raconte qu’un de ces seigneurs, informé du jour où devait
avoir lieu un mariage à Pontechianale, monta de la vallée
pour prendre part au festin nuptial, et le soir, dans les champs, montra
sa répugnante prétention d’usufruit, comme seigneur du lieu.
Sur le chemin du retour, avant d’arriver à Casteldelfino, il se
heurta à forte partie et dût faire la promesse solennelle
de renoncer à cette pratique pour sauver sa vie.
Les habitants des vallées
Stura et Gesso en particulier, irrités et affligés par ce
droit se soulèvent et se débarrassent de cette tyrannie.
C Allais ajoute, qu’ils se regroupent et se fortifient dans une cité
: c’est la première cité de Cunéo, ville fondée
en 1120 sur un coin de terres entre les fleuves Stura et Gesso, par des
habitants de la région qui voulaient se mettre à l’abri,
derrière de solides fortifications, des persécutions des
feudataires.
Cette coutume du «
droit de cuissage » se retrouve à Beuil-sur-Roya où
la fête « a Stacada » représente encore de nos
jours l’histoire d’une jeune mariée qui aurait dû passer entre
les bras du seigneur local (« le bayle ») avant ceux de son
époux légitime et la révolte paysanne survenue au
XIIe siècle, à cette occasion. Cette fête est considérée
comme l’une des plus anciennes traditions du comté de Nice (23)
.
A Beuil, entre Var et Tinée,
le seigneur Guillaume Rostang est massacré par ses sujets au début
du XIVe siècle à cause de la fâcheuse habitude qu’il
a d’user de ce même droit pour obtenir les faveurs des nouvelles
mariées par priorité sur le légitime époux
[86].
Les cols alpins.
La circulation au col de
Mont Genèvre et au col de Larche décline au profit du Mont-Cenis.
On cite bien le passage au Mont Genèvre d'Innocent II en 1131, fuyant
en France l'anti-pape Anaclet, et quelques années plus tard (1177)
celui du fameux Barberousse allant se faire couronner à Arles, mais
c'est plutôt au XIVe siècle que le Mont Genèvre reprend
de l'activité, à cause de la présence des papes en
Avignon, et des très importantes foires de Briançon qui attirent
à la fois les gens du Dauphiné, de Lombardie et du Piémont.
Un hospice s'élève sur le col vers 1342. La traversée
est lente : pas plus de 30 à 40 km par jour pour les convois de
marchandises, encore plus lents l'hiver et dans les terrains accidentés.
Quant aux gens, on connaît l'exemple d'un marchand qui, en 1350,
mit 23 jours pour se rendre de Montauban à Rome. Les étapes
journalières, au mieux, ne dépassent pas 60 km, c'est-à-dire
un peu moins de la moitié de celles de Jules César, accomplies
en temps de crise, treize siècles auparavant! Il est vrai que les
problèmes de portage du matériel et des chars ne devaient
pas gêner ce seigneur de la guerre car ses hommes étaient
nombreux.
Dans les Alpes, le Queyras,
soucieux d'exporter ses produits, surveille depuis toujours les routes
nécessaires à ses expéditions de produits laitiers
; “son beurre... passait pour le meilleur des Alpes dauphinoises et provençales
; aussi il n’est pas vendu uniquement aux marchés de Gap et d'Embrun,
mais s'écoule encore pour une large part en Provence”.
Début du conflit entre la Savoie et
le Dauphiné.
Amédée III
de Savoie, puissant souverain, toujours dans l’orbite du Saint Empire romain-germanique,
repousse le roi de France (1103-1148), réussit à occuper
Turin en 1138 et Rivoli, et entre en lutte contre le Dauphin Guigues
V : c’est le début d’un conflit séculaire entre la Savoie
et le Dauphiné. Rappelons que Savoie et Dauphiné ont chacun
des droits féodaux sur des terres enclavées dans le domaine
de l’autre, ce qui est la base de nombreux conflits. Amédée
III de Savoie a une politique brillante et de nombreux vassaux doivent
lui rendre hommage. Il meurt à Chypre lors de la deuxième
croisade (1147 – 1148).
Amédée III
régne de 1103 à 1149. Il est le premier souverain de Savoie
à soutenir la guerre contre le dauphin à propos de la frontière
de leur domaine, bien qu’il ait épousé Mahaut d’Albon, sœur
du dauphin Guigues IV.
Dans un combat sanglant
qui a lieu près de Montméllian, le premier dauphin Guigues
IV est blessé et meurt des suites de ses blessures.
Mort de Guigues IV
La Provence déchirée.
A partir du XIe siècle,
le comté de Provence devient un véritable état où
les comtes empêchent l’émergence de puissants vassaux et s’imposent
comme les maîtres incontestés. L’autorité de l’empereur
est très lointaine et ne se manifeste vraiment qu’aux changements
de dynastie.
Dès 1119 commence
une guerre de succession, entre les Maisons de Toulouse et de Barcelone,
qui aboutissent en 1125 au partage de la Provence: le marquisat de Provence
passe à Alphonse Jourdain (Toulouse) qui reçoit la partie
située entre l’Isère et la Durance et la ville de Beaucaire,
et le comté de Provence passe à Raymond Béranger Ier
(Barcelone) qui occupe les terres du sud de la Durance jusqu’au Rhône
à l’ouest et à Nice à l’est, et le comté
de Forcalquier.
La Savoie en détresse.
Revenons du côté
italien, avec la formation de la Ligue Lombarde contre Barberousse en 1167
et la reprise des combats. Battu en 1176 par les Lombards/Guelfes à
Legnano, Barberousse se réfugie dans le marquisat de Monferrat et
négocie avec Humbert III de Savoie pour rentrer en Allemagne par
la Savoie. L’empereur Frédéric Barberousse, traverse de nouveau
les Alpes (1177) et profite de sa présence en Provence pour se faire
remettre la prestigieuse couronne de roi d’Arles (1178) [52].
Humbert en profite pour
négocier des concessions. Cela déplaît à l’empereur
qui réplique en brûlant Suse (1174), en donnant leur autonomie
à l’évêque de Belley et à l’ archevêque
de Tarentaise (1186), en reprenant ses droits sur l’évêché
de Sion et sur le comté de Turin , et en le mettant au ban de l’empire.
Humbert III meurt en 1185.
Son fils Thomas Ier, d’abord par l’intermédiaire de son tuteur le
marquis de Montferrat, puis de lui même, rétablit de meilleurs
rapports avec l’empereur et redresse la situation [67].
L’armée de Barberousse,
en passant par Tende pour retourner vers Pavie, réduit le pays à
la plus profonde misère, à tel point que les gens de Saorge
se jettent sur les bagages des Impériaux et les pillent. L’empereur
se venge en faisant mettre le feu à la bourgade. [52]
La Savoie de Humbert III,
mise au ban de l’empire, perd tous ses fiefs en Piémont (1185).
L’Italie développe, au XIIe et XIIIe siècles, un système
politique original : la péninsule fait partie du St Empire, mais
le pouvoir de l’empereur ne se fait sentir qu’à l’occasion de brèves
campagnes militaires. Les cités s’affirment comme entités
autonomes des 1170-1220.
Une troisième croisade
s’organise entre 1188 et 1192.
Manfredo II, marquis de Saluces.
Reprenons la chronique de
C Allais : à la mort de Manfredo Ier, en 1175, son fils lui succède
à la tête du marquisat, sous le nom de Manfredo II. Marié
en 1173 avec sa cousine Alasia, fille de Guglielmo il Vecchio, marquis
de Montferrat, ils ont un fils, en 1183, qu’ils appellent Bonifacio.
Manfredo II continue les
pratiques et la politique de son père : il confirme les privilèges
accordés et les donations faites aux monastères de Staffarda
et Casanova et à d’autres églises, parmi lesquelles celles
de Dogliani et Costigliola.
Pour accroître son
domaine, il achète des terres :
-
le domaine de Caramagnola acheté au marquis de Romagne,
-
Dronero, la vallée Macra, et d’autres terres de son cousin le marquis
de Busca,
-
le château de Polonghera et les terres de Cavallermaggiore, du seigneur
de Rossana.
-
par concession faite à son fils Boniface, il contrôle aussi
le Val Stura.
-
par l’investiture obtenue de l’empereur d’Allemagne, par droit de succession
et par l’acquisition de plusieurs propriétaires et seigneurs, il
devient propriétaire de nombreux autres domaines parmi lesquels
il faut citer Brossasco, en Val Varaita.
En l’an 1179, par acte public
daté du 1er mars, le marquis reçoit de Daniele Urtica et
de Guglielme de Verzuolo, son petit-fils, leur domaine familial du Val
Varaita qui va de Pietra Eschilianda au col Agnel, soit toutes les montagnes
qui se dressent de Chianale jusqu’aux limites du Piémont et de la
France, dernières terres de la vallée.
La localisation de Pietra Eschilianda n’est cependant pas connue. Gioffredo
Della Chiesa la situe entre Piasco et Venasca, mais il est peu probable
qu’une seule personne privée ait possédé une bande
de terre aussi longue. En fait, il semble plus près de la vérité
de situer ce lieu sur la commune de Casteldelfino, près d’un rocher,
à l’ouest du bourg Rabioux, sur la rive gauche du ruisseau dit «
Cobalas », que le langage local appelle encore aujourd’hui Peiro
Schiant, Pietra Eschilianda.
En 1202, Boniface, fils du marquis, épouse Maria, fille d’un juge
(« comita giudice ») à Torres. Le jeune couple a deux
enfants, Manfredo et Agnès.
En 1204, le marquis Manfredo,
voyant que ses voisins les Astesi, deviennent chaque jour plus puissants,
et que les habitants de Cunéo et de Mondovi se sont associés
avec eux, et prévoyant une attaque de leur part, prépare
sa défense en s’unissant avec plusieurs autres seigneurs : le marquis
de Montferrat, Del Carretto, celui de Busca, Guglielmo di Ceva, le seigneur
de Bra et d’autres.
Il fait le projet de s’emparer de Cunéo, envoie des fidèles
préparer le terrain et trouver des partisans. Il s’active jusqu’en
1206, attendant une opportunité. Les habitants de Cunéo,
réduit à un faible nombre par la peste de 1199, acceptent
de nouveaux habitants dans leur cité pour augmenter leur défense
contre cette attaque. Mais ceux-ci, refusant de se battre contre leur seigneur,
ils sont contraints de se rendre et Manfredo occupe Cunéo, sans
coup flétrir. Il construit alors un château-fort pour défendre
la ville.
Les habitants de Cunéo
n’acceptent pas cette domination et se tournent alors vers ceux de San
Dalmazzo qui s’opposent au marquis, et concluent un pacte avec Raymond,
comte de Provence, le reconnaissant comme seigneur légitime, pour
qu’il envoie des troupes en Piémont et les rétablisse dans
leurs biens et dans leurs droits. L’accord est tenu secret. En 1210, Raymond,
pour divers prétextes, commence à masser des troupes dans
les terres qu’il possède dans la vallée Gresso.
Manfredo, ignorant l’accord,
pensant que la paix est revenue sur son domaine, quitte sa résidence
pour aller saluer et accompagner l’empereur Otton IV alors en Lombardie.
On le trouve, fin mars à Ferrare, fin avril à Milan, en juin
à Tortona et à Turin, où il signe, comme témoin,
divers documents impériaux. En signe de reconnaissance de sa grande
fidélité et de son dévouement à la couronne
impériale, il est nommé procureur de la haute Lombardie et
du Piémont.
Pendant son absence, parvient
à Saluces la nouvelle de la présence de l’extraordinaire
armée du comte de Provence et de ses intentions. La comtesse Alasia,
sans atermoiements, se tourne vers Guigues, le dauphin de Vienne, son cousin,
pour contrer le péril imminent d’une invasion et lui demande son
secours en échange de l’hommage du marquisat.
Les historiens se disputent
encore sur les raisons de cet hommage du marquisat au dauphin. Les historiens
français, comme Andréa Du-Chesne (24)
ou un autre auteur anonyme (25), pensent que
le fait est véridique et produisent un document (en latin) rédigé
à Embrun, le 3 Août 1210. Ce document est donné intégralement
par C Allais dans la Castellata.
A ces deux historiens s’associe
le sieur Le Quien de la Neufville (26) qui
suggère que la princesse du Piémont, Adélaïde,ou
Alasia, reprit possession du marquisat, en 1215, au nom de Manfredo. Gioffredo
de la Chiesa suppose ce document authentique mais pense que Manfredo II
a épousé deux femmes du nom d’Alasia : Alasia, fille d Guglielmo
il Vecchio de Monferrat, en première noce, puis Alasia, fille d’Olderico,
frère de Guigues le dauphin de Vienne. Cette opinion est partagée
par d’autres auteurs (27).
Mais, des documents postérieurs
à l’acte d’hommage du marquisat, montrent qu’Alasia de Monferrat
était toujours en vie, et Guichenon (28)
ou Muletti (29) auteurs plus éclairés
et plus documentés, prêtent peu de crédit à
ce document et en relèvent les inexactitudes :
-
le document indique que l’acte a été rédigé
sous l’empereur Frédéric, alors que cette année là,
l’empereur était Otton IV.
-
l’abbesse de Staffarta n’était pas Simone de Piossaco, mais un certain
Bernardon, de 1206 à 1216.
-
Adélaïde ou Alasia ne portait pas le titre de comtesse du Piémont,
mais celui de « Salutiis o Salutiarum.
-
qualifié de fille d’Olrico, elle était en fait fille de Guiglielmo,
marquis de Monferrat. La fameuse comtesse Adélaïde, fille d’Olrico,
était morte depuis un siècle et plus.
-
de plus, pour faire une cession si importante, il aurait fallu l’autorisation
du mari, et le document ne parle pas de cette autorisation, ni de comment
elle a été obtenue.
C Allais pense qu’il est probable
que ce document a été manipulé dans des temps postérieurs
pour servir lors d’une affaire, au parlement de Paris, entre 1375 et 1380,
avec les ducs de Savoie, Amédée VI et Amédée
VII, afin de prouver que le marquisat de Saluces dépendait du domaine
du dauphin. Il précise aussi que le style utilisé par le
document diffère de celui que l’on utilisait à l’époque.
De tout cela il faut conclure que la comtesse Alasia s’est portée,
personnellement ou par l’intermédiaire de son procurateur à
Embrun où elle a traité l’affaire avec Guigues, le dauphin.
Pour défendre les frontières du marquisat de l’invasion imminente
du comte Raimond Bérenger de Provence, la comtesse avait besoin
d’une aide importante qui ne pouvait venir que du dauphin totalement étranger
à toutes les querelles et divergences entre les cités et
les Etats italiens. Il
est probable que dans cet accord de défense, et alors que Bérenger
a dévasté les terres et incendié le pays au delà
de la Stura, le dauphin a proposé à la comtesse de prendre
tout le marquisat sous sa domination, mais Alasia, femme intelligente,
au lieu de faire hommage pour toute marquisat, lui a proposé de
céder seulement une partie des terres, au sommet de la montagne
et adjacentes à son domaine, abandonnant, en compensation, les revenus
perçus annuellement, en faveur de la Maison du dauphin de Briançon.
Les terres cédées
seraient délimitées par les deux Varaita, triangle montagneux
partant de la frontière française jusqu’à la rive
droite du Varaita de Pontechianale et à la rive gauche du Varaita
de Bellino, formant un angle aigu dont la pointe se trouve près
de l’antique ville de San Eusébio, sur le territoire de Casteldelfino.
Ces terres comprenait la ville de San Eusébio et divers bourgs de
la vallée de Bellino.. N’ayant aucun document précis de cette
cession et n’ayant aucune preuve que le dauphin ait posé le pied
en Piémont avant cette époque, et par le fait que Guigues
Andréa, dauphin V de Vienne jusqu’en 1237, a ordonné la construction
d’un fort au bourg de Ribiera de Bellino, en 1228, pour défendre
le pont qui reliait les deux Etats, C Allais croît pouvoir dire que
cet accord d’Embrun marque le début du Dauphiné cisalpin.
L’exigence n’a pas que des motifs économiques, mais bien stratégiques
et expansionnistes.
Les premiers Vaudois (1170-1215)
L’affaire des Vaudois commence
à la fin du XIIe siècle lorsqu’un nommé Vaudes, riche
marchand de Lyon, décide d’abandonner sa fortune, sa vie familiale
et mondaine, fait vœux de pauvreté et crée le mouvement des
Pauvres de Lyon fondé sur l’Evangile, la pauvreté et la prédication.
Dans les premières années (1170-1175), il fait des disciples
laïques, hommes ou femmes, qui prêchent dans la région.
En ces temps où l’hérésie cathare est le fléau
majeur, l’Eglise catholique les laisse prêcher ouvertement, d’autant
plus qu’ils sont anti-cathares. Le vœu de pauvreté marque les foules
et le mouvement s’étend rapidement, à cette époque
où les évêques oppressent le peuple, où le clergé
est riche de biens matériels {77].
Entre 1175 et 1184, les
Pauvres de Lyon, ou Vaudois, s’en vont prêcher dans le Sud-Ouest
contre les cathares. L’Eglise catholique s’en accommode, ferme les yeux
sur leurs hérésies. Laïques et refusant de s’intégrer
dans un ordre religieux, leur prêche pose cependant un problème
aux catholiques qui y voient une perte de leur monopole, de leur influence
par le poids de la parole sur les foules d’illettrés du monde rural.
Le concile de Latran de 1215 condamne le mouvement, obligeant les prêcheurs
à rentrer dans la clandestinité [77].
Telle est l’histoire des
premiers Vaudois, histoire que nous allons suivre pendant plusieurs siècles.
Suite
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