Chapitre 5 : Missionnaires Capucins contre Pasteurs Calvinistes


Naturellement, les rudes pasteurs et le noyau dur des communautés réformées s'opposent par tous les moyens à ces arrivées massives de capucins gonflés à bloc, ainsi, en pays vaudois :

« Les ministres avaient cédé à la tentation de répondre [aux Missionnaires]; ils avaient même cru leur honneur et leur ministère intéressés à leur participation à ces luttes. Mais ils s'aperçurent bientôt qu'ils se consumaient en paroles, sans grande édification, à cause de la souplesse de leurs adversaires à changer le terrain du combat, aussitôt qu'ils le sentaient trop glissant. Les flèches de la vérité s'éparpillaient, et le but n'était pas atteint. Les ministres résolurent donc de ne plus discuter qu'en séances régulières et publiques sur un sujet énoncé avec précision, et ils s'en tinrent à leur décision. La première de ces disputes eut lieu à Saint-Jean, en 1596, sous la présidence du comte de Luserne; elle tourna tellement à la défaite du jésuite, que le comte, pressé de se prononcer et de donner raison au ministre, recourut à un échappatoire et clôtura précipitamment les débats. » (Histoire de l'Église Vaudoise)

Faut-il préciser que les relations de telles confrontations par un auteur catholique concluent en général sur la victoire du capucin ou du jésuite? Voici une dispute telle que relatée dans la Castellata pour l'année 1624 :

« [Le Pasteur] résidait à Château-Dauphin, d'où il se rendait à Chianale et à Bellino pour son office. Dans ses heures de liberté, il sortait dans la rue pour discuter. Le Missionnaire averti du lieu où il se trouvait, s'y rendit un beau jour pour le rencontrer et le provoqua en dispute publique. Pris entre l'enclume et le marteau, il accepta. Le sujet de la dispute fut alors convenu, et de nombreux catholiques et hérétiques se rassemblèrent pour écouter. Le missionnaire, avec son argumentation claire et précise, mis en difficulté son adversaire, qui lui concéda la palme (de la victoire). » (traduction personnelle)

On retrouve ici la typologie de la controverse évoquée plus haut. D'autres disputes similaires se tinrent entre ces deux-là (nous n'allons pas toutes les décrire), et l'auteur tient à souligner que le Pasteur, après avoir loué la grand érudition de son vainqueur, tenait à raccompagner son adversaire jusqu'à chez lui, à la grande joie des catholiques. Ne nous attarderons pas sur le côté édifiant de ce passage, la Castellata en est remplie. Néanmoins, la chronique contient suffisamment d'affrontements parfois violents pour ne pas envisager qu'une estime réciproque, voire de l'amitié entre ministres réformés et missionnaires romains ait parfois pu se développer lors de ces rencontres. N'oublions pas que le pays était rude, les hivers y sont longs et rigoureux, les communautés humaines soudées par l'épreuve et par la misère.

Pour illustrer le « côté obscur » des relations entre les capucins et les pasteurs, citons ici ce débat public tenu à Chianale entre le capucin Fra Stefano et un groupe de « Vaudois, Calvinistes et Luthériens » (rien que tout ça !) qui tourne au pugilat. Le récit relate que les réformés s'attaquent aux pieds (nus) du capucin avec leur bâtons ferrés et leurs semelles cloutées (cap. Cap XV). Peu de temps après, un « sicaire », armé d'un fusil met en joue le missionnaire sur la route en Château-Dauphin et Pont : « Je vais t'apprendre à maudire et à combattre notre religion de Calvin ». Ce à quoi le Capucin répond : « Doucement, ô frère, si tu veux m'enlever la vie terrestre à cause de la religion, je veux bien mourir pour la foi catholique, mais permets-moi de réciter une fois la salutation angélique encore une fois », et joingant le geste à la parole, il se met à genoux et commençe à prier. Décontenancé, le « sicaire » renonce à son dessein meurtrier et se retire ... Les récits édifiants de ce genre abondent, et en l'absence du récit de l'autre partie, il est difficielle de se prononcer sur le degré d'exagération et de réécriture de ces « fairs divers ». Par exemple, le lecteur aura noté que les bâtons ferrés et les chaussures « cloutées » qui blessent le capucin isolé renvoient bien évidemment à la Passion du Christ. La contemplation méditative (et un peu morbide) du corps du Christ est une caractéristique de la spiritualité (parfois morbide à nos yeux) de l'époque baroque, tant chez les catholiques que chez les réformés, dont l'origine commune est (une fois encore) les mystiques rhénans et saint Bernard.

A Chianale, tout au fond de la vallée, l'église Saint Laurent et une maison du village faisant office de temple se faisaient face autrefois, une plaque apposée sur la maison témoigne aujourd'hui encore de cette présence. Le Capucin Fra Pietro se serait joint sans se faire remarquer (pour une fois) à l'assemblée au Temple, aurait suivi « avec attention » l'enseignement du pasteur jusqu'à la fin, puis, s'étant fait reconnaître, aurait enseigné à son tour à cette même assemblée, cette fois en l'église St Laurent. A l'époque de ette anecdote (vers 1640), le pasteur de Chianale et de Bellino venait du Queyras voisin.

Ainsi, « La Castellata » relate au fil des années des épisodes de rencontres plus ou moins fortuites ou provoquées, entre les Ministres Protestants et les Missionnaires. Un Ministre a tout de même été déposé par le Consistoire des diacres et ces anciens pour s'être systématiquement soustrait aux confrontations (Castallata cap. XXVI).

Au delà de l'intérêt anecdotique, cet épisode, témoigne qu'une organisation structurée existait du côté réformé, et que la pays n'était pas livré à l'anarchie. Les « Ordonnances Ecclésiastiques » de Calvin instituaient en effet quatre ministères :

« les pasteurs prêchent la Parole et administrent les deux sacrements (baptême et cène), les docteurs enseignent l'écriture, les anciens surveillent la moralité des fidèles et le respect de la discipline, les diacres assistent les malades et les pauvres ».1




Au fil du temps, les Pasteurs ont évité autant que possible la confrontation, moins par crainte de l'affrontement, qu'à la suite du constat que le dialogue n'était pas possible, les missionnaires s'en tenant à asséner les argumentaires-chocs appris au cours de leur formation. Ce qui transparaît des témoignages, c'est que ces capucins sont, comme leurs adversaires pasteurs au demeurant, des gens instruits et agiles d'esprits. Une vertu du Concile de Trente, on l'a dit plus haut, a justement été de mettre en avant la formation de ses clercs, et de promouvoir ainsi une génération de personnages brillants, instruits, motivés, et par dessus tout prêts à en découdre avec les Réformés.

« Le ministère apostolique n’était pas conféré à la légère ; les Constitutions exigeaient pour le prédicateur des études approfondies et un esprit de prière éprouvé. […] Ceux qui étaient destinés à travailler parmi les hérétiques devaient être sélectionnés, sur le plan moral et culturel, très préparés et maîtres en Écriture Sainte, en grec et en hébreu, ainsi que le décida le Chapitre de 1656. Ils devaient suivre un cours spécial en controverse, selon un décret de 1624 émanant de la Congrégation. […] Sur consigne de l’Ordre, la méthode préférée pour traiter les dissidents était de saint François de Sales : compréhension, douceur, exemple de sacrifice, pureté de vie. Les capucins ne se préoccupaient pas seulement de faire revenir les protestants ; ils cherchaient aussi à obtenir des catholiques leur coopération à une entreprise aussi difficile. »2

Par exemple, le frère Zacharie Boverio de Saluzzo, envoyé pour une année (entre 1605 et 1606) à Château-Dauphin savait (selon Allais) l'hébreu, le grec, le latin, l'italien et le français, et avait publié un certain nombre d'ouvrages de controverses contre les Réformés (tous renseignements pris, c'est rigoureusement exact). On peut ajouter que Zacharie est né à Saluzzo en 1568, qu'il y obtint un doctorat en Droit avant d'entrer chez les Capucins d'Alexandrie en 1591. Après quelques années passées en tant que missionnaire dans les vallées Alpines, il devient en 1621 conseiller du général de l'ordre, voyageant à Madrid, Rome, en France. En 1627, il devient chroniqueur officiel des capucins. Il décède en 1638.

L'Histoire du Franciscanisme le cite comme un auteur majeur de controverse :

« La prédication et les institutions ne furent pas les seuls moyens dont se servirent les capucins dans leur lutte contre le protestantisme ; la liste des ouvrages soit de controverse générale, soit de disputes particulières, qu’ils publièrent pendant un siècle est interminable. Nous citerons seulement les auteurs les plus importants : Zacherie Boverio de Saluces (+1638), Grégoire de Pania (+1662) et Anaclet du Havre [...] »

L'auteur de La Castellata raconte que les « sectaires » sont arrivés initialement des vallées voisine du Queyras ou de Val Maïra ou plus tard de la plaine ou des vallées Vaudoises (1656) et ont imposé par la force et la terreur le culte réformé à la population locale, en chassant les prêtres, en massacrant ceux qui restaient, et en contraignant à l'exil les familles refusaient de se soumettre. Allais insiste longuement sur le caractère doux et pacifique de ses ouailles : le mal de la Réforme vient de l'extérieur. Nos anciens ont longtemps gardé quelque aversion pour tout ce qui n’était pas de « leur » vallée, mes parents, alors jeunes mariés, n’ont-ils pas dû manger l’intégralité d’un superbe et appétissante toumo de vache, personne dans la famille ou le voisinage n’y voulant toucher sous prétexte qu’elle avait été ramenée de la vallée voisine ?

La relation des mêmes évènements du côté Queyras par Jean TIVOLLIER dans sa Monographie de la Vallée du Queyras, écrite à la même époque (1897) signale également sur le côté « étrangers » des fauteurs de troubles … Alors, d'où venaient-ils?

Rappelons que quelques mois après leur arrivée, les deux Capucins sont non seulement toujours en vie, mais ont restauré et restructuré l'église Sainte Marguerite de Château-Dauphin (1603), laissée à l'abandon :

« avec l'aide des bons [catholiques] construisent la voûte de la nef, rehaussent le chœur et érigent l'autel majeur [...] et quelques autels latéraux ».

Le choeur baroque de l'Eglise Sainte-Marguerite

Quelques paragraphes plus haut, seule une douzaine de famille réparties sur les trois habitats, Château-Dauphin, Bellino et Pont. étaient restées catholiques : quelle chance qu'ils tous été maçons ! On peut aussi s'interroger (sans apporter de réponse) sur le total bénévolat de ces « bons catholiques ». Une source catholique un peu plus tardive3 nous apprend que la Papauté a financé la campagne du duc de Savoie contre les « hérétiques vaudois », et que les Missions installés en Avignon sont alimentées par les intérêts générés par le placement d'une somme de 11 000 Livres (provenant d'une Dispense Matrimoniale acquittée par un comte italien). Si les capucins sont personnellement pauvres c'est dans le sens où individuellement ils ne possèdent rien, car leur ordre et plus généralement l'église romaine disposent de suffisamment ressources financières pour soutenir les missions et accessoirement la restauration des églises.

Non contents de relever l'église voisine de leur maison, les deux capucins restaurent en quelques mois toutes les autres chapelles et l'église de Pont (aujourd'hui submergée par les eaux du barrage), qui avaient été laissées à l'abandon ou transformées en Temples (on en reparlera) ... Par ailleurs, ils érigent peu à peu des chapelles nouvelles dans les villages qui en étaient dépourvus. La Chapelle St Joseph de la Ribiero daterait de cette époque. Le choix de saint Joseph comme dédicataire de la nouvelle chapelle de la Ribiero n’est pas anodin.

« Le personnage est valorisé au début du XVIème siècle dans un poème de Gerson, un ouvrage du Dominicain italien en 1522 raconte sa mort exemplaire entre les bras de Jésus et Marie. C’est le début du succès ; saint Joseph rajeunit, ses représentations sont plus fréquentes et il devient la patron de la « bonne mort ». […]. La Réforme catholique le présente comme le père nourricier, affectueux et bienveillant, tenant bien souvent l’Enfant Jésus par la main ; le culte de saint Joseph correspond à un incontestable changement dans l’image du père. ».4

On a toujours peine à imaginer que tout cela ait pu se faire alors que des meutes de brutes épaisses (et étrangères à la vallée) terrorisaient le pays (selon l'auteur) sous l'œil indifférent de la garnison militaire de Château-Dauphin, qui avait du mal à choisir son camp … à moins qu'elle n'ait été universellement détestée par la population?

Connaissant un peu la région et son histoire, on devine que la population était sans doute bien plus préoccupée par sa survie au quotidien dans un milieu montagnard dur et hostile, qu'aux querelles dogmatiques dont elles ne saisissaient pas toujours le bien fondé .... Ainsi, en 1626, le chroniqueur rapporte l'anecdote suivante :

« Leur ministre (pasteur) faisant défaut, les sectaires de Bellino se rendirent à l'église catholique pour faire baptiser leurs enfants, en présentant leurs coreligionnaires comme parrains et marraines, ce que le curé refusa avec raison, en demandant qu'ils se conforment aux règles de la même Église » .

La condition est, on l'aura compris, que les parrains et marraines « sectaires » abjurent et qu'ils se convertissent au catholicisme …

Les témoignages que l'on possède sur d'autres communautés « mixtes » semblent montrer que en de nombreux endroits la solidarité « humaine » pouvait être plus forte que les questions de confession. Ainsi, à Saint-Laurent les Arbres, dans le Gard, a-t-on retrouvé le compte-rendu de l'assemblée de 1568 où les habitants déclarent « vouloir vivre ensemble en paix et union, et de faire confédération les uns avec les autres »5. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

Notes :

1« Les Réformes : Luther, Calcin et les protestants » - Olivier CHRISTIN - Gallimard

2« Histoire du Franciscanisme » - op.cit.

3« Etat présent de l'Eglise Romaine » - Urbano Cerri - 1716

4Jean Delumeau op.cit. p.310

5 M. Vanard « Problèmes de modalités de la coexistence religieuse au XVIème siècle » in BOLLE


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Christophe BERNARD – Les Capucins en Haute Val-Varaita au début du XVIIème siècle - Version du 10 juillet 2009

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