Chapitre 4 : Les axes de la reconquête catholique


A la suite du Concile, qui donne une nouvelle assise à l'Église Romaine, la « reconquête intérieure » des pays passés à la Réforme va débuter aussitôt, en privilégia trois axes d'action, que nous allons détailler successivement :

Les controverses

Nous ne nous attarderons pas sur ce premier aspect, qui concerne moins nos Vallées. Les controverses sont des débats théologiques autour d'un ou de plusieurs sujets précis, le plus souvent par ouvrages interposés. Toutefois, le débat face à face est parfois provoqué par un Prince ou une Université.

L'Histoire de l'Église Vaudoise1 narre ainsi un tel affrontement par ouvrages interposés :

« De tous les ennemis des Vaudois, il n'y en avait point de plus actifs ni de plus redoutables que les prêtres et les moines, comme on a déjà pu le voir. Ils l'étaient surtout à l'époque où nous sommes parvenus. C'étaient eux qui s'opposaient le plus au renouvellement et à l'observation des concessions et privilèges accordés jadis aux Vaudois. Entre tous ces hommes d'église se faisaient remarquer le prieur de Lucerne, Marc Aurèle Rorenco, et le préfet des moines, Théodore Belvédère. Pour atteindre plus sûrement leur but, en se saisissant de l'opinion publique, ils eurent recours à l'imprimerie. Rorenco, le premier, publia en 1632, sous le titre de Breve narrazione, un livre qui calomniait la religion et la vie des chrétiens réformés, et spécialement des Vaudois. Il y avait recueilli les édits contre les Vaudois arrachés à la bonne foi du souverain par les manœuvres de leurs ennemis, et révoqués, pour la plupart, peu après, par la justice et la bienveillance éclairée de leurs altesses de Savoie. Et, quoique l'auteur eût parlé des concessions accordées, il ne l'avait fait que d'une manière décousue, incomplète et partiale. Le pasteur Valère Gros avait préparé une réponse qui ne fut cependant point imprimée, grâce aux perfides conseils de quelques faux amis papistes, et surtout des commissaires délégués aux Vallées qui assuraient qu'elle n'était point nécessaire, vu le peu de cas que l'on faisait en haut lieu du livre de leur adversaire; ce qui était faux.

(...)

Le préfet des moines publia enfin un livre italien, dédié à la congrégation pour la propagation de la foi, séant à Rome, sur l'état de l'Église vaudoise, sur leur ordre (discipline), leur doctrine et leurs cérémonies, livre farci de mensonges et de calomnies, dans lequel il insinuait obliquement la nécessité, de leur extermination. Gilles le réfuta aussi, avec soin, dans un ouvrage spécial approfondi et détaillé, chapitre par chapitre. Mais les accusations étaient mieux accueillies de la généralité des lecteurs italiens que les réfutations, et, chose déplorable, elles excitèrent sourdement à la haine et à la persécution. Qui dira jusqu'à quel point ces productions monacales ont préparé la grande et épouvantable persécution qui éclata quelques années après? ».

Nous verrons plus loin que les missionnaires envoyés « sur le terrain » vont débattre eux aussi avec passion avec les pasteurs réformés.

Les missions

Les « missions » en territoire métropolitain procèdent de la même logique de diffusion de l'Évangile que les fameuses missions vers des contrées lointaine : à la même époque, le jésuite saint François-Xavier est en Chine et au Japon, le lecteur se rappelle également un superbe film justement intitulé « Mission » dont l'action se situe en Amérique du Sud au milieu du XVIIIe siècle. Les missions en territoire « métropolitain » ont pour but de re-évangélisation ou de reconquête des populations autochtones, urbaines d'abord et rurales ensuite, ce qui est une nouveauté. Nos campagnes sont encore parsemées de plus ou moins grandes croix en bois, gravées de l'année de la « mission » qui les a plantées là.

En effet, bien que l'effort missionnaire de l'Église ne se soit jamais éteint, les prédicateurs itinérants, principalement dominicains et franciscains, restaient dans les villes et leurs environs immédiats, et ne s'aventuraient qu'à l'occasion dans les paroisses rurales. Nombre de témoignages pré-tridentins montrent des prêtres locaux aux moyens matériels et spirituels modestes, livrés à eux-mêmes, et parfois débordés par la tâche à accomplir. Comment s'étonner alors du succès des prédicateurs Vaudois, puis plus tard Luthériens ou Calvinistes, parcourant à pied les routes, souvent colporteurs ou artisans, une Bible cachée dans les vêtements ..., prêchant et citant l'Évangile dans la langue des populations et non pas en latin savant?

Constatant que les zones rurales étaient sous-christianisées (c'est l'époque des grandes chasses aux « sorcières »), et que les Réformés se chargeaient d'annoncer la Bonne Nouvelle à la place du clergé romain, l'Église y envoie en masse ses missionnaires issus des « nouveaux ordres » : capucins, mais aussi oratoriens, lazaristes. Ces missionnaires étaient cette fois formés au public des campagnes : les religieux se déplaçaient à pied, souvent par deux, habillés modestement, vivant pauvrement et prêchant uniquement dans la langue du peuple. En somme, l'Église Romaine reprend à son compte les méthodes des Réformés, des Vaudois, et des premiers Apôtres, comme elle l'avait fait à l'époque contre les cathares avec les Dominicains et les Franciscains.

Ainsi, les Lazaristes envoyés par Saint Vincent de Paul vers le « petit peuple des champs », avec comme consigne « de ne point sortir d'un village avant que tout le peuple ne soit instruit des choses nécessaires au salut et que chacun n'ait fait sa confession ». Ces missionnaires s'adaptent aux contingences du monde rural, évitant par exemple de prêcher pendant la moisson, la vendange, privilégiant les moyens de communication adaptés à leur public, comme les images pieuses, le théâtre de rue, ou l'adaptation de paroles pieuses sur des airs de musique populaires.

Les Jésuites créés en 1540 quant à eux, prennent en charge avec la jeunesse des villes par leurs célèbres collèges, tout en participant aux missions rurales.

Dans les zones où existait une présence ou une majorité réformée (en France : Poitou, Dauphiné, Cévennes), des « Missions » plus conséquentes sont organisées.

En Valais suisse, les protestants sont encerclés par les capucins savoyards et ceux de Suisse centrale, et abandonnent la partie au début du XVIIe siècle. Tandis qu'ils se maintiennent aux Grisons et évidemment dans les vallées alpines dépendant des villes réformées de Berne, de Saint-Gall et de Zurich.

Au Sud des Alpes, en haute Val-Varaita, nous disposons d'une chronique détaillée de ces missions, vues du côté Catholique cette fois, et résumé dans l'ouvrage intitulé « La Castellata » de Claude Allais, prêtre de l'endroit, publiée à la fin du XIXe siècle. Dans son mémorial, Allais gratifie les réformés d'épithètes aussi charmants que « sicaires », « sectaires », « fanatiques », « Vaudois, Calvinistes et Luthériens », « hérétiques » ... ce qui oblige bien entendu à prendre avec d'infinies précautions ce qui a trait à la section dédiée aux « Mémoires politico-religieuses », et à chausser une bonne paire de lunettes à lire entre les lignes ...

Notre Vallée, gagnée à la réforme depuis une vingtaine d'années, reçut en 1596 la visite d'un dominicain et de deux jésuites du Piémont (car si politiquement, le pays appartient au Royaume de France, il dépend de l'évêché de Turin pour les affaires de la religion) :

« le Père Gioanni Battista Rosetti piémontais, et le père Deiderio français, en mission extraordinaire pour la conversion des dissidents. » (Castellata - Capo IX. Traduction personnelle).

L'Histoire du Franciscanisme citée plus haut nous confirme la vérité historique de cette mission, qui s'inscrivait dans un cadre plus large de reconquête des hautes Vallées :

« Les Vallées des Alpes, zones de perpétuel litige politique et religieux parce que zone frontalières, représentèrent l'objectif premier des missions organisées par les Provinces [capucines] italiennes. La première à être fondée fut celle de Valteline, en 1572, sur requête de saint François de Sales. [...] . Sur demande du duc de Savoie Charles-Emmanuel, Clément VIII envoya en 1596 une mission dans les vallées du Piémont envahies par le calvinisme ».2

Pour ce qui est de la haute Val Varaita, cette première mission ne dura semble-t-il pas très longtemps ...

Dans les Vallées dites aujourd'hui « Vaudoises » situées plus au Nord, l'envoi d'une mission fait suite à une visite de l'évêque lui-même, comme le relate avec une réjouissante ironie l' « Histoire de l'Église Vaudoise » :

« L'archevêque de Turin se fit voir aux Vallées avec une suite nombreuse. On semblait attendre un grand effet de sa présence. Les Vaudois, éblouis par l'éclat qui entoure un prince de l'Église, allaient, pensait-on, se jeter à ses pieds ; ou du moins, s'ils retardaient encore un peu leur passage au papisme, ils écouteraient avec faveur les missionnaires placés sous son haut patronage et installés par lui.

Cette visite désastreuse pour le parti catholique eut lieu en août-septembre 1595. Le duc fonda alors une mission à Pignerol en 1596, sous l'égide du pape Clément VIII. L'on confia les vallées de Luzerne et d'Angrogne aux Jésuites, et les vallées de Pérouse et de Saint-Martin aux Capucins piémontais. »

En 1601 le Marquisat de Saluzzo passa sous le contrôle du Duc de Savoie (en échange de vastes territoires par ailleurs). Début 1602, un édit y interdit l'exercice du culte réformé, et provoque un exode des protestants, dont un certain nombre se réfugie en Haute Val Varaita, venant renforcer la communauté réformée locale.

Là, « ils s'adonnent jour et nuit à exercer en public le culte sectaire avec tant de pétulance et d'insolence qui les Catholiques, qui n'avaient à aucun prix voulu plier l'échine devant l'hérésie, non ne hasardaient plus à sortir de chez eux pour accomplir leurs devoirs religieux. Il suffisait qu'ils soient reconnus pour être publiquement couverts d'injures et d'ordures. Les églises, qui leur avaient été enlevées, ressemblaient davantage à des étables qu'à des lieux sacrés. Privés de leurs pasteurs sacrés, ils mourraient sans sacrements et allaient au cimetière sans aucun service funèbre. Un prêtre, qui avait eu charge d'âmes et qui était connu sous le nom de Prêtre Renégat, s'était dépouillé de ses attributs et était passé dans les rangs des sectaires, exerçant en tant que pédagogue pour corrompre la jeunesse. Une telle infamie, ajoutée à l'œuvre dissolvante et destructrice des sectaires ne contribua pas peu à la perversion des âmes et à la corruption des coutumes de la Castellata, qui présentait alors un déplorable et vilain aspect. » (Castallata Ch IX)

Quel sombre tableau ! Heureusement que les « bons capucins » arrivent et vont mettre un peu d'ordre dans tout cela.

En 1602, un Capucin est envoyé en éclaireur dans la Castellata, avec la consigne de s'y établir durablement et de fonder une « Mission ». Notre Capucin commence à prêcher dans les rues, sur les places. Contre toute attente, il ne se fait pas massacrer séance tenante par les hordes « sectaires » qui pourtant terrorisaient « la douzaine » de familles restées catholiques ... quelque pages avant. Et la population paraît l'écouter et ouvrir ses portes : on le voit participer aux longues veillées hivernales dans les caves des maisons (voûtos), dont les habitants, désertant les étages glaciaux des maisons, venaient s'établir pour profiter de la chaleur dégagé par le bétail.

L'arrivée de ces missionnaires côté protestant est décrite, faut-il le préciser, un tout petit peu différemment :

« Ces missionnaires étaient, les uns, des jésuites dans la vallée de Luserne; les autres, de révérends capucins, dans celles de Pérouse et de Saint-Martin. Ces serviteurs du pape ne s'épargnèrent point. Ils étaient partout, dans les assemblées publiques, dans les maisons particulières, dans les boutiques, dans les champs, sur les chemins. Ils entraient en discussion avec chacun, passant aussi rapidement d'un auditeur à un suivant que d'un sujet à un autre. Ce n'était que criailleries continuelles. » (Histoire de l'Eglise Vaudoise).

Sur le fond, le Capucin décrit dans les deux extraits ci-dessus est le même, tel que le décrit Jean Delumeau (p.108) :

« Vêtus de bure grossière, les pieds nus en toute saison, s'astreingant à des jeunes fréquents et rigoureux, couchant sur des planches, prêchant à temps et à contre-temps sans aucun respect humain, les Capucins firent une vive impression sur les hommes des XVIèmes et XVIIèmes siècles.(...) Leurs prédications populaires connurent un vif succès. ».


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Notes :

1HISTOIRE DE L'EGLISE DEPUIS SON ORIGINE ET DES VAUDOIS DU PIÉMONT JUSQU'A NOS JOURS. Antoine MONASTIER

2« Histoire du Franciscanisme » - op.cit. p 349


Christophe BERNARD – Les Capucins en Haute Val-Varaita au début du XVIIème siècle - Version du 10 juillet 2009
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