Chapitre 3 : La Contre-Réforme


On entend traditionnellement par « Contre-Réforme » l’ensemble des mesures prises par l'Église Romaine et les milieux catholiques pour contenir les progrès de la réformation protestante, et reconquérir les territoires gagnés aux idées nouvelles.

Le terme de Contre-Réforme suggère une opposition pure et simple de la part du monde catholique non seulement à la Réforme, mais également à toutes les idées « humanistes » héritées de la Renaissance. Ainsi « L'affaire Galilée » ne date pas d'un Moyen-Age obscurantiste et attardé comme tout un chacun le pense mais bien du début du XVIIe siècle, qui est entre autres le siècle de Descartes, Pascal, Molière et de quelques autres …

Des travaux récents d'historiens remettent sérieusement en question cette notion de Contre-Réforme pure et dure, forgée par des historiens allemands au XIXème siècle.

« Il est impropre et injuste de confondre Réforme catholique et Contre-Réforme. Celle-ci n’a constitué qu’un aspect, et non le plus intéressant, de l’histoire du catholicisme entre 1520 et 1789. [...] Les dernières mises au point historiques montrent qu'une réforme avait été engagée dans l'Eglise catholique dès la fin du XVème siècle, mais qu'elle a été dépassée en vitesse et en exigences par la Réforme luthérienne ».1

La plupart des auteurs s'accordent à penser que les racines communes des deux Réformes seraient les mouvements spirituels médiévaux désignés communément sous le vocable de « Devotio moderna ». Leur hypothèse est que :

« à la veille de la Réforme, l’Occidental moyen n’aurait été que superficiellement christianisé. Dans ces conditions, les deux Réformes, celle de Luther et celle de Rome, n’auraient été que deux processus apparemment concurrents, mais finalement convergents de christianisation des masses et de spiritualisation du sentiment religieux ».2

Ainsi, ce mouvement ne se définirait pas uniquement comme une réaction aux idées de la Réforme, et donc comme une « Anti-Réforme », mais par bien d'autres aspects constitue une autre Réforme, parallèle mais concurrente. A plus d'un titre, les deux Réformes visent aux mêmes objectifs : mieux encadrer et instruire les fidèles, séparer le profane (et le pouvoir Civil) du Sacré, revenir aux Écritures. Certains proposent même d'employer le terme de « Réforme Catholique », mais ce serait minimiser l'incontestable rôle de catalyseur de la Réforme luthérienne puis calviniste, qui a accéléré le mouvement réformiste au sein de l'Église Romaine.

« Le bas clergé répugna longtemps à s’instruire, à porter l’habit clérical, et à enseigner le catéchisme, tandis que la richesse restait la grande entrave de la haute Église romaine. ». 3

Pour refermer ce rapide tableau, signalons que la Contre-Réforme n’a pas concerné que l’Europe « latine », mais que l’Europe du Nord a également été traversée par des tensions entre luthériens et calvinistes.

« Dans les pays [Suède, Danemark, Allemagne luthérienne et Angleterre] où se manifesta cette Contre-Réforme entendue au sens large, on mit l’accent sur l’autorité et la liturgie, on oublia la prédestination et on censura les livres calvinistes. Après la révocation de l’édit de Nantes [1685], les réfugiés français qui se rendirent en Scandinavie y furent mal accueillis parce qu’ils étaient [calvinistes] et non luthériens. ».4

Le développement exponentiel de la Réforme luthérienne et calviniste pousse donc l'Église Romaine à convoquer un Concile, un peu aiguillonnée, il est vrai, par l’Empereur Charles Quint qui s'inquiète de la tournure des évènements dans ses États.

En effet, les conséquences du coup d'éclat de Luther ne se sont pas limitées à une nouvelle querelle entre théologiens d'université. L'Allemagne au sens large est alors morcelée à plus de 350 états, principautés, duchés, évêchés, villes-états, etc ...

Nombre de Princes se sont ralliés aux Propositions de Luther, et revendiquent les territoires ecclésiastiques, vastes domaines gérés par des princes-évêques, qui étaient plus princes qu'évêques d'ailleurs. L'affaire a pris donc rapidement un tour politique, et menace la stabilité de l'Empire.

Pendant les première décennies du siècle, des colloques réunissent théologiens partisans des idées de Luther et théologiens fidèles à Rome afin de trouver un terrain d'entente sur les sujets les plus épineux. Citons pour exemple la série de colloques tenus entre 1540 et 1541 à Haguenau, Worms et Ratisbonne sous l'égide du légat pontifical Contarini et d'un représentant de l'Empereur. Les comptes-rendus nous apprennent que les théologiens s'entendirent sur un certain nombre de sujets, mais échoua sur la plupart des autres thèmes abordés, dont notamment la communion, la confession et l'autorité de l'Église. Le fossé semblait désormais impossible à combler, d'autant plus que les idées de Luther s'étaient diffusées rapidement au sein de la population un peu partout en Europe.

Le Concile de Trente est finalement convoqué en 1536 sous la pression de l'Empereur Charles Quint par le Pape Paul III, dans la ville du même nom. Le Concile n'avait pas pour but de poursuivre une discussion devenue difficile sur les points de théologie faisant débat, mais bien de définir une position claire de l'Église Romaine et d'affermir le dogme.

« Le Concile de Trente ne fut pas seulement une machine de guerre contre la Réforme, mais bien le vaste creuset où se confirma et se perfectionna la purification de l'Église romaine, et le point de rencontre de toutes les forces catholiques de réforme. On ne peut nier cependant qu’il fut aussi un refus de dialoguer avec des chrétiens qualifiés d’hérétiques et une affirmation sans nuance de positions anti-protestantes. ».5

Durant les deux décennies que dura ce Concile, deux grandes tendances théologiques se sont opposés (et parfois affrontés). D'un côté se trouvaient des prélats qui prêchaient une religion intériorisée, plus intellectuelle que démonstrative, et partant plus libre voire « évangélique »; de l'autre des prélats qui militaient au contraire pour une définition claire et sans ambiguïté du dogme et pour un encadrement plus serré des fidèles par un clergé rénové, avec en arrière-pensée la lutte contre les idées de Luther. Les premiers ont été appelés les spirituali, les « évangélistes », les érasmiens, les seconds de zelanti. Bien entendu la réalité fut plus complexe : peut citer le cas d'un prélat humaniste et fin lettré, admirateur d'Érasme, militant lors des débats du Concile pour une réforme rigoureuse et profonde de l'Église, et s'opposer à tout dialogue avec Luther ... 6


Le Concile de Trente (remarquez les moines des ordres « mendiants »à droite : un dominicain, un capucin : ce seront les fers de lance de la Contre-Réforme)

La rédaction des « Décrets » finaux du Concile traduit la victoire des « zelanti » et met clairement l'accent sur l'affermissement d'un certain nombre de dogmes et sur l'encadrement des fidèles, et en particulier :

Le Concile affirme donc avec force que l'Église est donc le passage obligé vers Dieu, au travers notamment des sacrements :

« Le fidèle catholique est invité à une relation individuelle avec Dieu, non par le moyen de l'Ecriture, mais par celui de la confession et de l'eucharistie, avec la médiation du prêtre ».8

De façon concrète, le Concile renforce significativement la position de l'évêque et du prêtre. On peut dire que la reprise en main des fidèles a été précédée par celle de l'Église elle-même. Le prêtre, à l'instruction alors souvent modeste, doit à présent passer préalablement par une institution nouvellement créée par le Concile dans chaque diocèse, le Séminaire, pour y recevoir une instruction intellectuelle poussée. Il doit en outre porter l'habit ecclésiastique en permanence, et être physiquement présent dans sa paroisse. Les archives de l'époque débordent des doléances des paroissiens ruraux ou urbains se plaignant amèrement des prêtres délaissant leur paroisse ou incapables d'assumer correctement leur charge. Une reprise en mains s'imposait donc. Le « cléricalisme » est une conséquence du Concile de Trente.

Venons-en aux fidèles. La Contre-Réforme va insister largement sur la dévotion personnelle du fidèle. Rappelons que, dans la vision de la justification exprimée par le Concile, le concours du fidèle est indispensable à l'accomplissement du dessein divin : « l'homme n'est pas totalement sans rien faire, lui qui accueille cette inspiration qu'il lui possible de rejeter ». Rien de cela chez les Réformés, seul Dieu peut sauver, le fidèle quoiqu'il fasse pour se racheter, ne peut que s'en remettre à la clémence divine pour son salut.

Mais il n'est donc plus question, comme le voulait la spiritualité médiévale, de se « fondre » en Dieu en s'élevant vers lui, mais bien d'une démarche qui en est tout à fait l'inverse puisque c'est désormais le Christ qui vient habiter le fidèle et que ce dernier exerce une action là où il se trouve, sur terre. Cette nouvelle conception est née dans les milieux monastiques rhénans à la fin du XIVe siècle, et s'exprime dans différents ouvrages du temps, dont «L'Imitation de Jésus Christ ». L'influence de cet ouvrage anonyme écrit dans les années 1420-1430 environ, sera considérable : l'Imitation devient l'ouvrage le plus lu dans le monde chrétien après la Bible. Pour la première fois, un livre montre un souci constant de rendre la vie spirituelle accessible à tous. Luther le connaît et Ignace de Loyala (créateur des Jésuites) s'en inspire pour ses Exercices Spirituels.

Cette notion de dévotion personnelle s'exprimera dans une sur-activité éditoriale dans le domaine du livre religieux, et en particulier dans cet autre « best-seller » qu'est « L'introduction à la vie dévote » de François de Sales, savoyard et évêque de Genève, dont voici le passage le plus célèbre :

« Dieu commanda en la création aux plantes de porter leurs fruits, chacune « selon son genre s ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, qu’ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation. La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l’artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée; et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. [...] Serait-il à propos que l’évêque voulût être solitaire comme les chartreux ? Et si les mariés ne voulaient rien amasser non plus que les capucins, si l’artisan était tout le jour à l’église comme le religieux, et le religieux toujours exposé à toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l’évêque, cette dévotion ne serait-elle pas ridicule, déréglée et insupportable ? Cette faute néanmoins arrive bien souvent, et le monde qui ne discerne pas, ou ne veut pas discerner, entre la dévotion et l’indiscrétion de ceux qui pensent être dévots, murmure et blâme la dévotion, laquelle ne peut mais de ces désordres. [...] C’est une erreur, [pire,] une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. [...]. Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite. ».

Saint Vincent de Paul – Saint François de Sales

Cette exigence nouvelle va se concrétiser par la multiplication des pratiques pieuses « domestiques » d'une part, et par l'essor des confréries pieuses, d'autre part. Qu'il soit à l'intérieur de sa maison, ou à l'extérieur, le fidèle peut exprimer sa dévotion.


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Notes :

1« Qu'est ce que la Baroque » - H Levillain

2Delumeau, op.cit. p 329

3Encyclopaedia Universalis – Article « Réforme Catholique »

4Encyclopaedia Universalis – Article « Réforme Catholique »

5Encyclopaedia Universalis – Article « Réforme Catholique »

6Le Concile de Trente – Alain TALLON – Ed,CERF 2007

7 Vulgate : version latine établie par St Jérôme (vers 347-420) à partir du texte hébreu.

8Tallon, op.cit.


Christophe BERNARD – Les Capucins en Haute Val-Varaita au début du XVIIème siècle

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