Chapitre 2 : La Réforme


L'acte de naissance communément retenu par les manuels d'histoire pour le mouvement de Réforme est l'affichage en 1517 par le moine augustinien Martin Luther de ses 95 propositions sur la porte de l'église de sa ville. Mais de même que la naissance d'un enfant est le résultat de neuf mois de gestation (principalement), de même l'acte du brillant professeur de l'Université de est le résultat d'un cheminement personnel, analysé et décrit de façon exaustive dans de nombreuses publications sur le sujet, auxquelles nous renvoyons le lecteur. 1

Luther n'est pas le premier (ni le dernier) à contester l'autorité de l'Église romaine sur un certain nombre de sujets théologiques sensibles. En revanche, la diffusion rapide de ses thèses (grâce à l'imprimerie) rencontre un écho immense d'abord dans les pays germaniques, puis dans l'Europe entière.

« La Réforme a fourni une réponse au problème religieux qui préoccupait de nombreux chrétiens déçus de l'Église institutionnelle. Quatre raisons peuvent expliquer son succès : une sensibilité religieuse très vive, frappée par les malheurs du temps, hantée par une présence obsédante de la mort et de la peur, et qui éprouvait le besoin d’un refuge ; l’évolution vers le sacerdoce universel, qui a suscité un anti-cléricalisme dirigé contre les privilèges et les pratiques financières des clercs ; l’importance des abus et le développement de l’imprimerie qui assurait la diffusion de la Bible. » (Encyclopaedia Universalis – Article « Réforme »).


Martin Luther


Jean Calvin

Outre l'imprimerie,

« Quatre groupes sociaux ont contribué à la diffusion de la Réforme [en Allemagne]. En premier lieu, une fraction importante du clergé, en particulier dans la jeune génération, embrassa avec enthousiasme les idées de Luther ; il s’agissait de moines aussi bien que de séculiers […] ». (Encyclopaedia Universalis – Article « Réforme »)

Sera-t-on surpris de lire que les idées de Luther auraient été prêchées dans la région de Gap par un binôme de moines, l’un Dominicain, l’autre franciscain ?

« La Réforme éveilla très tôt de profonds échos dans les pays francophones. Dès 1519, les ouvrages de Luther étaient vendus à Paris. […]. Calvin exerça son activité à la fois à Genève et auprès des huguenots français. Après des études de droit, de lettres et de théologie, le jeune et brillant humaniste converti à la Réforme fut retenu à Genève en 1536 par Guillaume Farel qui y prêchait depuis quatre ans. ». 2

Les nombreux petits groupes qui s’étaient constitués en France à partir des années 1520 se transformèrent peu à peu en véritables Églises grâce aux nombreux prédicateurs envoyés par Genève : Guillaume Farel, natif de Gap y avait prêché la réforme dès 1522 après des études théologiques à Paris. On estime qu'il existait presque 700 communautés fin 1561, le quart de la population étant gagné aux idées de la Réforme. 3

« Il faut en tous cas se persuader, contrairement à ce que l’on a cru longtemps, que ce n’est pas l’inconduite du clergé, notamment celle du bas clergé séculier avec lequel les fidèles étaient le plus souvent en contact, qui a fait basculer une partie de l’Europe du côté de la Réforme protestante. L’enquête à cet égard doit s’orienter dans une direction religieuse et non morale et chercher pourquoi l'Église a le plus souvent mal répondu à l’attente religieuse des foules, mal distribué les sacrements, mal dit la messe, mal prié. Si les prêtres avaient eu femmes et enfants, mais avaient célébré dévotement la messe, avaient été des confesseurs éclairés, et surtout avaient enseigné le catéchisme, il y a bien des chances que la Réforme protestante ne se serait jamais produite ». 4

Ainsi, saint Vincent de Paul fonda la congrégation de la Mission après avoir rencontré un curé que ne connaissait même pas les paroles de l’absolution.

L'introduction de la Réforme dans nos Vallées remonterait à l'époque de la prédication de Guillaume Farel à Gap en 1522, en 1540 un paysan de Guillestre est condamné par l'Inquisition. 5 Les sanglantes persécutions contre les vaudois de Provence (massacre de Mérindol et des villages du Lubéron en 1545) voient affluer les réfugiés.

Une parenthèse s'impose à nouveau. À l’origine, un riche marchand de Lyon, dénommé Pierre Vaudès, ou Valdès, ou encore Valdo, abandonne ses biens et prêche l'Évangile sur les places publiques. La mort subite et brutale d'un mai proche au beau milieu d'une fête qu'il donnait l'aurait- dit-on, bouleversé. 6 Bientôt rejoint par de nombreux sympathisants, les Vaudois suscitent d'abord l'intérêt de l'Église Romaine, qui entend Valdo à l'occasion du Concile de 1177, puis le rejet en 1179 et finalement l'excommunication en 1184 : il était hors de question pour l'Église Romaine que de simples laïcs prêchent l'Évangile, et en langue du peuple de surcroît !

Après avoir essaimé en Allemagne, en Flandre, en Aragon, en Italie du Nord, les Vaudois firent l’objet de persécutions pendant plusieurs siècles. Au XVIe siècle, les seuls groupes organisés de Vaudois ne subsistaient plus que dans quelques vallées alpines, en Dauphiné, en Piémont et en Savoie et ils adhérèrent au protestantisme en 1532, sous l’impulsion du savoisien Guillaume Farel. Dès lors, tous les protestants des États de Savoie furent désignés communément sous le nom de Vaudois.

En 1560, le duc de Savoie lance soudainement son armée dans les vallées du versant italien et en Ubaye pour extirper l'hérésie. Repoussé dans les vallées piémontaises, il est contraint de conclure la paix et reconnaît la religion en 1561. Une décennie de paix permet aux Réformés de d'organiser ses les deux versants des Alpes.

Mais le contexte agité du Royaume de France, déchiré par la guerre civile entre réformés, ultra-catholiques ligueurs, catholiques modérés (etc) va rattraper nos Vallées. Briançon est une ville tenue par le parti ultra-catholique. Le voisinage d'églises Réformées fortes dans le Queyras voisin ne pouvant qu'agacer les ligueurs briançonnais, une compagnie militaire est bientôt conduite par la Cazette en 1574 vers le village de Molines pour y interdire le prêche. Alertés, les protestants du lieu appellent derechef leurs coreligionnaires des vallées piémontaises et de Grenoble au secours. Ceux-ci envoient chacun une compagnie, commandées respectivement par le capitaine Frache et par les sieurs du Mas et Blusset (parents du gouverneur Lesdiguières). 7 Ces derniers ravagent la Vallée et brûlent les Églises en chassant les prêtres catholiques, mettant fin à une coexistence que l'on se plaît à imaginer sans doute fort pacifique.

Quelques années plus tard en 1578, une nouvelle compagnie huguenote forte de 400 hommes passe le col Agnel et va cette fois occuper militairement Château-Dauphin, massacrant au passage le curé de Chianale (une plaque à l'entrée de l'église rappelle ce triste évènement). Les autres prêtres de la haute vallée (Bellino, Château-Dauphin) s'enfuient, les églises sont saccagées et abandonnées ou transformées en temples. « La Castellata » relate avec force détails le martyre du curé de Chianale, et insiste sur la réticence des habitants vis à vis de la religion réformée, imposée « de force » par les « envahisseurs » venus du Queyras.

Au XVII e siècle, le Dauphiné comptera dans son ensemble environ 72 000 protestants.

Pour nos montagnes :

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Notes :

1 Voir en particulier « Le Temps des Réformes » - Pierre CHAUNU – Ed. Hachette

2 Encyclopaedia Universalis – Article « Réforme »

3 Encyclopaedia Universalis – Article « Réforme »

4 « Le Catholicisme entre Luther et Voltaire » - Jean DELUMEAU – Ed.

5 Le Queyras – Général A. Guillaume

6 « L'épopée Vaudoise » - Jeanne DECORVET – Editions Excelsis

7 Le Queyras – Général A. Guillaume; La Castellata – A Allais



Christophe BERNARD – Les Capucins en Haute Val-Varaita au début du XVIIème siècle - version du 10 juillet 2009

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