Chapitre IX.
Conclusions.
Notre identité
est celle de nos ancêtres.
Leur histoire est la nôtre.
Ils ont vécu les changements de frontière, de pays : de Celto-ligures,
à Romain, de Dauphinois-Français à Savoyards, puis à
Sardes, ils sont devenus enfin Italiens. Certains sont Français par
émigration.
La France et l’Italie sont devenus de grands états et la Savoie a
disparu. Elle a laissé des traces dans la population, pas seulement
dans les vallées de l’est des Alpes, mais aussi dans le comté
de Nice et dans les départements de Savoie actuels. Nous lui
devons une partie de notre identité, pas tout à fait française,
pas tout à fait italienne.
Ne voit-on pas, encore aujourd’hui un parti politique, la Ligue Savoisienne,
qui milite pour l’indépendance de la Savoie, qui arrive à regrouper
quelques centaines de personnes lors de manifestations entre le Mont Blanc
et Genève et qui compte quelques milliers d’adhérents? Elle
estime caduc le Traité de Turin de 1860 cédant la Savoie à
la France, notant que certaines clauses du Traité signé entre
Napoléon III et le roi de Sardaigne ne sont plus remplies depuis la
première guerre mondiale.
Sur le plan religieux, le catholicisme l’a emporté, mais nos protestants-vaudois
des vallées piémontaises que nous avons suivi pendant des siècles
ont créé une diaspora importante : leur Eglise compterait une
population de 45.000 personnes, en Italie, en Europe, en Amérique
et en Afrique du Sud. Si près de nos vallées, nul doute qu’ils
ont eu une influence sur nos ancêtres pendant quelques siècles
et que certaines branches de notre famille ont suivi leurs émigrations
forcées.
“A ceux qui la découvrent aujourd’hui,
la montagne alpestre présente des vallées industrielles et
urbaines, des routeset des autoroutes, des alpages sans bétail hérissés
de remonte-pentes, des villages ruraux dont beaucoup meurent, des agglomérations
touristiques bettoneuses : ce n’est pas le visage qu’avaient façonné
deux millénaires d’intense activité agricole. Ces deux millénaires
ont ouvert la forêt primitive, créé le paysage plaisant
des prés et des bois, tracé une multitude de sentiers, épierré
les champs, discipliné les eaux sauvages, construit un habitat rural
bien intégré au paysage. Nous sommes les héritiers souvent
ignorants de ces générations de paysans qui ont fait des Alpes
la montagne la plus humanisée,...
Cette civilisation mobilisait toutes
les ressources d'une nature parcimonieuse pour faire vivre
pauvrement une population ancienne, persistante, qui avait tendance
à s'accroître. Bien que le passage n'ait jamais cessé,
l'isolement d'une économie autarcique obligeait à presque
tout produire soi-même, voire à tirer du dehors un peu d'argent
sans lui en donner d'autre que celui des impôts.”[20]
Notre identité, c’est l’histoire du Val Varaita, de
Bellino, de Sampeyre, du Queyras, des Alpes Occidentales. Ces
vallées alpines, occitanes, jadis dauphinoises ou françaises,
pas encore tout à fait italiennes, avec quelques restes savoyards,
à la langue d’oc si particulière, ne nous permettent pas de
nous rattacher à l’Histoire de France apprise à l’école,
trop centrée sur Paris et les pays de la Loire.
Nous sommes alpins du sud, provençal.
Intégrés depuis une ou deux générations dans
le Sud Est - La Provence - nous nous sentons aujourd’hui français,
toujours attachés à nos vallées alpines. L’école,
les médias, l’armée, les relations, la vie professionnelle,
pour nous, qui sommes nés en France, ont forgé notre conscience
française. Mais, au fond de nos cœurs, comme cela a été
pour nos parents migrants, il restera quelque chose de Bellino, du Val Varaita
ou de Sampeyre.
La branche italienne de la famille subit les même changements. L’italien
parlé remplace le “Berlingogne”, « Nostro Modo », le parlé
de Blins, et l’intégration s’effectue sans pour autant perdre l’identité
particulière de cette vallée.
Nos vallées se meurent ; il ne reste, en l'an 2000, que 52 habitants
dans tous les hameaux de Bellino.
Mais nos cœurs sont pleins de leur Histoire.
La Varaita de Bellino, déjà détournée par l'Enel
pour alimenter le barrage de Pont, est maintenant canalisée dans la
partie la plus haute pour une nouvelle usine hydro-électrique. Le
torrent, qui jadis emportait tout sur son passage, se transforme en un filet
d'eau pendant les chaudes journées d'été.
"Varacho", Varaita, tu resteras gravée dans nos mémoire.