Mise à jour 4/05 Copyright JG © 2005

 - Le Col de l'Autaret ou
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    1743-1744
 - Blason de Bellino

 - Breve cronologia della
 Castellata E de l' Escartoun
   de CHASTEL DELFIN
      (Italiano)
 - Brève chronologie du
 Castellar et de l' Escarton de
  CHÂTEAU DAUPHIN

 - République de Briançon (F)
 - Republica di Briancon (It)

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Chapitre VI.   LA REPUBLIQUE DES « ESCARTOUNS » .
Début de la “République de Briançon”, origine des Escartons. 
      En 1343, la cinquantaine de communautés villageoises autour de Briançon compte 7.200 foyers, soit 30 à 40.000 habitants. Dans ces lieux inhospitaliers, ces vallées encaissées, de chaque côté des Alpes, la population ne pouvait pas être gouvernée par un pouvoir central ou un pouvoir féodal et avait prit l’habitude de gérer directement ses propres affaires. 
     Déjà certaines libertés avaient été rachetées : charte contre toute taille arbitraire (1244), rachat de canaux d’irrigation (1255). Cette "république" s'est formée lentement sans qu'on puisse lui affecter de point de départ précis. Elle ne pouvait guère  se constituer avant que la politique delphinale eût assigné ses limites  territoriales à la principauté (milieu du XIIIe siècle). 
     On peut noter, pour  la première fois, semble-t-il, une action concertée de tout le bailliage  auprès du dauphin, le 22 août 1319, qui aboutit à l'exemption de la  gabelle et de la garde. 

     Les municipalités étaient en place et chaque année, le jour de la Chandeleur (le 2 février), les chefs de famille de chaque village élisaient leur "consul". Un notaire enquêtait auprès de ces chefs de famille pour identifier les candidats potentiels. Celui qui avait le plus de voix était élu, quelquefois sans son accord. Il ne pouvait pas refuser. Il devait déposer une caution de 200 écus pendant le temps de son mandat d’un an, somme qu’il recouvrait avec intérêt lors de son départ. Il était responsable devant tous et cette somme garantissait le bon recouvrement de l’impôt et éventuellement l’excédent des dépenses par rapport au budget prévisionnel. S’il était âgé de moins de 25 ans, même marié, son père devait le cautionner. Il n’était plus éligible pendant 4 années après la fin de son mandat.
     En contrepartie, il disposait de pouvoirs étendus et ses décisions étaient rarement critiquées. Il s’entourait d’adjoints élus ou choisis par lui-même avec des responsabilités spécifiques : ainsi le "mansier" s’occupait de la gestion de l’eau alors qu’un autre devait préserver les forêts.

     Le pouvoir central était celui du dauphin, Humbert II en ce mois de mai 1343, et celui-ci était dans une situation financière désastreuse. Profitant de cette opportunité, les communautés briançonnaises proposèrent et négocièrent l’achat de leur affranchissement.

     Le 29 mai 1343, 18 députés des communes se rendirent au château de Beauvoir pour signer l’accord final de cette négociation. Rédigé en latin par le notaire Guigues Froment, sur deux grandes peaux de mouton réunies, l’accord fut garanti par l’évêque de Grenoble et de nombreux autres dignitaires.

     Les communautés s’engageaient à payer une somme de 12.000 florins d’or et une rente annuelle de 4.000 ducats, en échange de quoi le Dauphin abandonnait tous les services féodaux et toutes les redevances (à l’exception des droits attachés à sa dignité de Dauphin et à la gabelle du bétail à laine), confirmait les libertés, franchises concédées précédemment, et reconnaissait de nouvelles franchises personnelles et municipales.On s’accorde sur cette somme, mais avec une remise de 1000 florins pour la garde des frontières, et une rente annuelle. 

     Ils achetèrent ainsi leur liberté, le droit de gérer eux même leurs problèmes communautaires. Ils s’organisèrent très vite, dans chacune des vallées concernées, sans avoir à demander des autorisations aux représentants du Dauphin. Ils établirent un système de répartition des charges dans chaque commune, dans chaque vallée et comprirent très vite l’intérêt de se regrouper dans des entités plus importantes que leur village pour gérer les tâches, les travaux plus importants, comme l’entretien des chemins, des canaux d’irrigation ou l’endiguement des rivières si souvent meurtrières. C’est l’"escartonnement", un système de répartition au sein d’une même entité, d’où les escartons.

     Ainsi apparurent les 5 escartons :
- celui de Briançon regroupait 12 communes,
- celui du Queyras avec 7 communes,
- celui d’Oulx avec 21 communes,
- celui de Vaucluson (Pragelas) avec 7 communes,
- et celui de Château-Dauphin avec 4 communes.
51 communes, au total, formaient le Grand Escarton.


Le Grand Escartoun de Briançon
ou "République de Briançon"
         Les châtellenies de Val Cluson et d'Exilles ayant négligé de se faire représenter, doivent, plus tard, poursuivre leur admission aux privilèges.
         La châtellenie de Château-Dauphin, la Castellata, n'est pas représentée lors de la signature de cette Grande Charte et ce n'est que le 3 septembre 1363 que ses hommes, nobles, affranchis et roturiers, se rendent à Château-Queyras pour faire hommage au dauphin en la personne de Rodolphe de Loupy, gouverneur du Dauphiné et deviennent ainsi Francs-bourgeois
        C’est donc l’autonomie administrative pour la fédération de Briançon ou la “République des Escartouns”, créée par la Grande Charte des libertés briançonnaises

     Le Grand Escarton tenait son assemblée à Briançon avec les délégués des cinq Escartons. Pour les affaires importantes, les délégués devaient en référer à l'assemblée de leur Escarton qui pouvait, elle même, consulter les consuls et les chefs de famille. Parfois, des "délégués" complémentaires étaient désignés pour traiter des affaires particulières

     Les Escartons se mirent au travail dès le retour des 18 députés signataires de la Grande Charte de Beauvoir. Ceux-ci rendirent compte de leur mission et des avantages obtenus.

     Les Briançonnais devenaient Francs Bourgeois, un statut social entre la roture et la noblesse, bref des hommes libres. 

     S'en était finit de la féodalité, de la noblesse attachée au pouvoir delphinal. Certains nobles réalisèrent leurs biens. D'autres quittèrent le pays. D'autres encore obtinrent quelques indemnités puis furent considérés comme des personnes normales, sans droits additionnels, d'autres furent élus consuls de leur communauté

       Les habitants pouvaient se réunir librement, où et quand ils le désiraient, sans autorisation et sans la présence d’un officier, pour leurs affaires communes. [53] 

     Les habitants de ces vallées inventèrent alors un système d’entraide, une sorte d’autogestion, un système de solidarité pour répondre à leurs préoccupations communes. Dans ces pays montagneux où la vie était difficile, ils comprirent l’intérêt que chacun avait à partager les risques. Une maison en feu ou une maison emportée par une avalanche ou par une rivière en furie devenait l’affaire de tous. Les matériaux nécessaires à la construction d’une nouvelle maison, poutres, planches, pierres étaient préparées, transportées, installées par la communauté. Le bénéfice de la première journée de fauche des prairies d’altitude d’Arvieu allait aux veuves et aux orphelins.

     Ils établirent leur propre règlement de police suivant la coutume, avec des contraventions, et élirent leurs juges d'abord chaque année. Ceux-ci furent ensuite renouvelés par moitié tous les deux ans pour faciliter la continuité de cette justice locale. Ce système de justice perdura jusqu'à la Révolution et les ordonnances royales y mettant fin n'eurent aucun effet.

     Ils avaient le droit de chasse et le droit de porter des armes, ce qui n'était pas habituel dans le reste du pays.
 

     La transaction de 1343, reconnaissant la liberté  de réunion, donna pleine faculté de fonctionnement aux escartouns. 
     Cependant l'organisation n'en était pas encore parfaitement réglée.  La châtellenie de Briançon par exemple, fut la plus fortement  représentée en 1343, chacune de ses communautés avant envoyé un  député. Au contraire, les communautés d'au-delà des  monts furent proportionnellement moins nombreuses (d'où la réserve de l'article 37 sur l'accord définitif de certaines d'entre elles) : elles  envoyèrent leurs mandataires à plus ou moins long terme : 1344 pour  le Valcluson. 1459 pour Exilles. 

        Mais à partir de là, l'habitude fut régulièrement prise d'envisager  ensemble les problèmes communs. Ce pouvait être, suivant les cas, dans  le cadre limité de la châtellenie. comme en 1344, où les communautés  de Monétier, les Pananches, Saint-Chaffrey, Briançon, les Puys, Villard-Saint-Pancrace, Cervières, Val-des-Prés, Plampinet se répartirent une  dette delphinale de 577 florins, 8 tournois d'or, Briançon étant imposée,  pour sa part, à 66 florins 5 tournois et demi. 

        Ce pouvait être aussi bien dans un cadre plus large. En  1344,  toute une délégation de députés élus par les communautés se rendit,  avec le bailli et le juge, devant le Conseil delphinal pour la réforme des  anciennes mesures briançonnaises. Mais en 1349, lors du « Transport » ou rattachement du  Dauphiné à la France, quatre députés seulement, Jouvencel d'Oulx, Guillaume Albert de Vallouise, Mathieu Mathieu d'Abriès,  François Chaix de Briançon  représentaient l'ensemble du bailliage, auprès de l'ancien et du nouveau dauphin. c’était là le signe d'une évolution vers une organisation plus rigoureuse. 
 

     Ils firent des envieux et très vite ils durent s'organiser pour limiter l'immigration dans leurs vallées : ils établirent un droit d'entrée, payant (de 50 à 300 livres suivant la fortune du postulant et le lieu) et une enquête de bonnes mœurs. On ne devenait pas citoyen facilement, et il fallait l'accord de tous.

     Ils s'organisèrent si bien et travaillèrent si dur que le pays devint prospère. Les foires étaient franches, sans droits et elles attiraient des marchands de toute l'Europe, de Hollande comme du Portugal. Le commerce est libre jusqu’en Provence (avec quelques droits de passage). La sécurité des voyageurs était assurée. Les monnaies de tous les pays étaient utilisées, malgré les édits royaux français.

Voir Grande Charte. 

        « Escarter » signifie répartir et s’applique aux impôts, redevances et autres taxes imposés  la communauté. Il s’agissait donc d’une organisation de gestion communautaire des charges, en quelque sorte une autogestion interne et un organisme de décision commun de répartition des charges entre les différentes vallées, les divers bourgs et les divers feux ou familles.  
        Disposant librement de leurs biens, ils avaient la faculté d’acquérir des terres, même de possession noble.  Certaines foires sont “franches”. 

        Il est intéressant de noter les limites des escartouns : en haute vallée de Suse, la frontière passait entre les bourgs de Chiomonte (dauphinois) et de Gravère (piémontais). En Val Cluson, la limite était en amont de Pérosa. En Val Varaita, la limite se situe quelques kilomètres en aval de Château Dauphin (au hameau de Confine). Des bourgades importantes comme Suse, Pignerol, Guillestre, étaient exclues des escartouns. Nos montagnards ont une culture homogène, dont les limites ne sont pas situées sur les crêtes, mais plutôt au débouché des vallées. La vraie frontière culturelle était entre la plaine et la montagne. 

Rôle des escartons

        Dès cette époque, les attributions essentielles de l'escarton, qui iront s'amplifiant au cours des siècles, apparaissaient assez diversifiées. De même que la question des impôts avait été à l’origine de  l'autonomie communale, la principale raison d’être des escartons fut d'ordre  fiscal. Ils se répartissaient annuellement les contributions, opération qui prendra de plus en plus d'importance, au fur et à mesure qu’augmentèrent les charges financières imposées par la fiscalité royale. 
        Le second rôle des escartons et non des moindres, était la défense des libertés, qu'elles fussent politiques ou économiques, en exigeant du pouvoir leur respect et leur application. Ainsi, après la cession définitive, le 31 mars 1349, du Dauphiné au fils aîné du roi de France, quatre députés du Briançonnais se rendirent à Beauvoir-en-Royans, auprès du dauphin Humbert II. Ils se firent au nom de tous, délier du serment qui les engageait vis-à-vis de lui et obtinrent l'autorisation de prêter serment au nouveau dauphin Charles Ier (futur Charles VI ). Mais leur démarche le 31 août à Romans auprès de Charles fut pour lui demander, suivant la transaction, de reconnaître et de jurer d’observer la charte : ils firent établir par le notaire Pilati un acte public de ce serment. Ensuite ils retournèrent dans leur “Patrie Briançonnaise”. D'autres députés furent élus qui, alors seulement, prêtèrent serment au nouveau dauphin Charles, au nom de tous les Briançonnais. Il en sera ainsi à l'avenir, lors de chaque avènement de dauphin, d'arrivée d'agents delphinaux, de châtelains et baillis afin qu'aucune contestation sur l'application de la charte ne fût possible. Lorsque le pouvoir la transgressait, les députés du Briançonnais intervenaient aussitôt pour la faire rétablir. 
        L'escarton  veillait  également  au  maintien  des  libertés  économiques, contenues ou non dans la transaction : liberté de circulation des hommes, des marchandises et des monnaies étrangères, liberté des prix. Parfois cependant, ils durent se soumettre à la taxation des denrées. Ainsi, lorsqu'en juin 1420 le gouverneur du Dauphiné l'eut décidée, ils ne s'y résignèrent, après une résistance obstinée, qu'en octobre “contraints et forcés” entendant par leur geste “n'entamer en rien les libertés et les privilèges du pays”. 
        Les escartons étaient responsables de la levée des milices, établissaient la contribution en hommes de chaque communauté ainsi que les dépenses en résultant. Bien vite, ils auront à répartir les frais de séjour des troupes royales, charge qui prendra des proportions considérables à partir du XVe siècle. 
        Cette union pour la défense des libertés et des intérêts économiques avait pour corollaire l'esprit de solidarité. Et c'est le troisième aspect des escartons que celui d'un service d'entraide : le pays briançonnais supportait en commun ce qui arrivait à l'une ou l'autre des communautés. Et ce que les habitants de Briançon et ceux de la tierce écrivaient lors de leur accord de 1382 “qu'il est meilleur de s'unir et de jouir d'un même émolument de société en sorte que lorsque l'un vient à tomber, l'autre le relève” s'appliquait exactement aux escartons. Les communautés surent triompher de quelques dissensions internes qui - on le verra plus loin  - ne pouvaient manquer de se produire au cours de plus de quatre cents ans de vie commune. Elles surent comprendre la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, montrant ainsi leur sagesse et leur habileté à conduire leurs affaires. 

        Les escartons furent une force morale et matérielle extraordinaire qui permit aux habitants de ces vallées de surmonter bien des misères et surtout de conserver leurs libertés pendant tout l'Ancien Régime. Ils furent de ce fait, leur légitime fierté, rivant l'individu à son pays, façonnant un particularisme local chèrement cultivé jusqu'à notre époque. Se sachant et se voulant différents des autres, s'estimant plus dignes qu'eux de jouir de cette Liberté, conservée souvent au prix de réels sacrifices, ils n'hésiteront pas à l'affirmer nettement à la veille de la Révolution : « il serait peut-être dangereux d'accorder la même  indépendance à toutes les communautés en général ; mais le Briançonnais ne peut qu'en ressentir les avantages sans en éprouver les inconvénients ». 

        Aussi, dans la mentalité collective, les escartons, qui s'enracinent fortement dans ce Moyen Âge agité par la conquête des libertés, sont-ils demeurés, jusqu'à nos jours, symbole du courage et de l'indépendance qui caractérisent l'histoire de la République Briançonnaise. 
       Le terme de “République” est cependant trop fort : le souverain reste le Dauphin, mais les habitants sont des hommes libres. Les Escartons ont été un élément précurseur des démocraties modernes. 

Voir "La République de Briançon, pourquoi, comment?"  J.L. Bernard 
Voir "la Grande charte"


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