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Chapitre XXII.  Barral prépare son voyage à Naples.

Vente de priviléges en Comtat.


        Depuis longtemps, le pape et l’empereur se disputaient la suprématie sur les Etats européens. Leurs partisans, Guelfes ou Gibelins, s’opposaient principalement dans une Italie morcelée et les alliances variaient au gré des intérêts des cités, des marquisats et des comtés.
        L'empereur Frédéric II avait déjà été excommunié plusieurs fois, mais avait réussi à récupérer Jérusalem. Roi de Sicile d’un côté et empereur germanique de l’autre, il avait été une menace constante pour les biens temporels de l’Eglise, le Patrimoine de Saint-Pierre, terres où le pape était souverain autour de Rome. Le royaume de Sicile, ou des Deux-Siciles s’étendait largement sur le sud de la botte italienne, jusqu’aux Abruzzes, à deux pas de Rome.
        A la mort de l’empereur Frédéric II, en 1250, le pape Innocent IV souhaite éloigner ce danger en empêchant que son fils Conrad IV de recueillir sa succession sicilienne. Il offre la couronne de ce royaume au roi de France, qui le refuse, puis à son frère Charles Ier d’Anjou. Louis IX n’autorise pas son frère à l’accepter. Richard de Cornouailles, sollicité, n’accepte pas non plus.
        La couronne impériale ne reste pas très longtemps sur la tête de Conrad IV car il meurt à son tour en 1254. Peut-être empoisonné par Manfred, son frère naturel, un bâtard de Frédéric II, il laisse un tout jeune enfant, Conradin. Manfred, en vrai Hohenstaufen , assume la régence pour le jeune prince.
        N’ayant pas obtenu le support des rois européens, le pape s’attribue la couronne de Sicile, nomme un de ses légats pour prendre possession du royaume et lève quelques armées qui sont vite battues par Manfred.
        Celui-ci qui était prince de Tarente, lassé de son rôle de régent, s’empare de la couronne royale et relève le flambeau de la grande Maison des Hohenstaufen. Il affiche immédiatement son intention de créer un grand royaume italien, signe des traités d’alliance avec de nombreuses villes, comme Gênes, s’allie avec la ville de Rome et le roi d’Aragon. Il négocie avec les Etats de l’Italie centrale.
        Le nouvel éclat de cette maison ravive les craintes du Saint-Père et de la curie.

        Des négociations s’engagent à nouveau avec Charles Ier d’Anjou et le roi de France. Cette fois Louis IX hésite : il connaît l’ambition de son frère, souhaite l’éloigner depuis qu’il lui a désobéi en prenant le comté de Flandres et lui donner un royaume loin de la France a ses avantages. La reine Marguerite de Provence, toujours discrète sur les affaires politiques de son mari, doit quand même abonder dans ce sens car elle n’aime pas son beau-frère. Sa jeune sœur  Béatrice, épouse de Charles, rêve d’avoir un titre de reine comme ses trois sœurs. Charles d’Anjou a déjà affiché d’autres prétentions et projette une expédition contre le nouvel empereur de Constantinople, Michel Paléologue, que le roi souhaite éviter. Le vertueux Louis IX pense aussi à une prochaine croisade et un frère en Sicile lui servirait de relais.
        Toutes ses considérations font qu’il tergiverse un temps puis laisse son frère négocier avec le pape. Urbain IV s’engage à donner sa protection, à ne pas consentir à l’élection d’un empereur qui puisse revendiquer la couronne de Sicile, renonce à la dîme de l’Eglise de France, de Provence et d’Arles pour une durée de trois ans afin de financer l’expédition.
        Charles, de son côté, s’engage à rentrer en possession du royaume de Sicile et à ne rien prétendre sur les terres de l’Eglise, le domaine de Saint-Pierre .Louis IX accepte l’accord conclu en 1263.

        Béatrix de Provence, l'épouse de Charles d'Anjou, qui était jalouse du titre de reine de ses trois soeurs (la reine de France, la reine d'Angleterre, et la troisième, femme de Richard, frère du roi d'Angleterre élu des Romains), obligea son époux à accepter l'offre du pape, et elle vendit toutes ses pierreries pour l'aider à lever des troupes.

        Alors Charles Ier d’Anjou lance un appel en Provence et aussi en France pour inviter barons et chevaliers à se jo indre à lui.

        Il demande à Barral des Baux de l’accompagner dans son expédition avec plusieurs autres personnes de la Maison des Baux.
        Le 12 janvier 1264, Charles d’Anjou le qualifie déjà, par écrit, de "grand justicier du royaume de Sicile" dans une lettre   (1). A cette date il a déjà pris la décision de lui donner ce titre  reconnaissant sa capacité à régler les problèmes, à trouver les compromis nécessaires à cette fonction. Il a apprécié sa fidélité dans l’affaire de la rébellion marseillaise et a vu comment il gère ses affaires et celles de sa grande famille des Baux. Il connaît son caractère autoritaire, tenace, et son sens des affaires. Il sait que sa renommée l’aidera au milieu des seigneurs et chevaliers provençaux qui vont l’accompagner en Sicile. Il a besoin de lui.

        Avant de partir pour le royaume des Deux-Siciles, Barral doit mettre l’ordre dans ses affaires et financer son expédition. Charles d’Anjou l’aide, comme il le fait pour tous les chevaliers qui acceptent de partir avec lui. Il écrit, en mars 1264, à son juge mage de Provence, Jean de Bonnemène et à son juge de Tarascon, Nicolas Faramia, pour qu’ils terminent immédiatement l’enquête qu’ils ont commencé au sujet de droits de pâturages contestés par des vassaux d’Arles et de Tarascon (2).
        Barral pense qu’il sait régler ses problèmes tout seul, qu’il n’a pas besoin de son intervention et il le fait savoir : il réagit, à Trinquetaille, dans la cour de l’hôpital Saint-Jean, et déclare au viguier de Tarascon et devant le juge qu’il est prêt à répondre devant eux et le sénéchal de Provence pour tout ce qu’il possède dans la vallée des Baux, les châteaux de Montpaon, Castillon, Mouriès, Lansac, Mamussane et leurs territoires ; devant l’archevêque d’Arles pour Trinquetaille, devant le juge et la cour ordinaire pour ses possessions du district arlésien, et pour  le tout, devant quiconque aura le droit de faire des enquêtes (3).
 
        Il fera écrire à Charles d’Anjou de les laisser continuer leur enquête et informera les juges  de faire diligence suivant la nouvelle commission donnée par le comte, nommant le bailli des Baux, Ricard, pour le représenter dans tout éventuel procès.

Préparation au voyage de Naples :

        Avec déjà un titre de "Grand justicier du Royaume de Naples", Barral met tout en oeuvre pour aider Charles d'Anjou et pour être prêt à participer à la conquête. Il  régle ses affaires

        Il est à Monteux, en mars 1264, pour régler la dette qu'il a envers sa belle-fille Philippine de Poitiers-Valentinois, épouse de son fils Bertrand. Il n’a toujours pas payé la dot de 1 000 marcs d’argent, promise à son père Aymar de Poitiers lorsqu’ils ont convenu du mariage, ni au moment du mariage, ni après. Cette somme d’argent lui a permis de régler ce qu’il devait à Giraude de Monteil, pour l’achat d’Aubagne. Il n’a plus les moyens financiers de la payer maintenant qu’il doit préparer et financer son voyage. Il trouve la solution en lui assignant, sur cette dot, les châteaux de Marsanne, Sauzet, La Laupie, Octavion, le Puy-Saint-Martin, les revenus de la vallée de Poët-Laval et les cinquante livres viennoises du péage de l’Etoile  (4).
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        En échange, il donne procuration à Dalmas de Roquemaure pour récupérer 15 000 sous de valentinois que lui doit le comte de Valentinois et lui fournit une quittance, un reçu de cette somme à remettre au comte (5).
S’occupant toujours de ses fiefs de l’ex-marquisat, il rappelle sa possession de Nyons, Mirabel, Vinsobres, et en particulier dit attendre de Dragonet de Montauban  le serment d’hommage (6).

        En juillet, il dispense l’abbaye de Saint-Victor de payer le vingtain pour Aubagne, rappelant de ce fait qu’il est propriétaire de la maison de l’Aumône dans cette ville (7). Six mois plus tard, il traite avec l’abbaye au sujet de Ceireste et La Cadière faisant reconnaître sa haute seigneurie.

Les fiefs de Barral des Baux

Les fiefs historiques des Baux  : Les Baux, Arles en partie, TRinquetaille, , partie de la Crau et de la Camargue
vicomté de Marseille,...
Seigneur d'Aubagne, du Castelet, de La Cadière, de Céreste et de Rochefort en Provence
Seigneur de Cadenet, Fourques et Cornillon en Languedoc
Seigneur de Loriol, Bédoin, Brantes, Caromb, Entraigues, Savoillan, St Léger, St Savornin/Saturnin, Bédarrides, Flassan, Monteux, Frontenian, Augens et Parroyan,...
fiefs baux baux


Vente de privilèges :

        Afin de financer son expédition, Barral vend des privilèges aux communes qui ne demandent que cela. En Comtat, il traite avec trois communes : Loriol, Bédoin et  Caromb. Les communes avaient  un intérêt certain à réduire les redevances dues au seigneur et l’occasion était belle de récupérer quelques avantages pour le futur.
        Pour Loriol, il accorde aux habitants, le 1er octobre 1264, le droit de quitter la ville, d’emporter leurs meubles et de vendre leurs immeubles sans payer de droits, de ne plus lui payer de taille, ni le trezain sur les droits de mutation, ni les autres impôts. Il leur donne le droit l’élire des syndics pour représenter la communauté, d’emprunter si nécessaire, de poursuivre en justice son représentant local s’il s’attaque aux libertés ainsi acquises.  Il abandonne son droit de lever des soldats sauf si c’est un ordre du comte. Il autorise la chasse des bêtes fauves, sauf les lapins, pigeons et autres qu’il se réserve. Tout cela pour 6 000 sous tournois que le syndic lui donne immédiatement. Il promet l’accord du comte Alphonse de Poitiers, de son épouse et de son fils Bertrand. Le sénéchal de Comtat confirme immédiatement, à Orange, et Sibylle approuve une semaine plus tard (8).
        A Bédoin, en échange de leur création, le 1er octobre 1264, les syndics de Bédoin donnent 20 000 sous tournois à Barral ; Il est vrai que les fontaines, les ruisseaux du Mont Ventoux, les fours et les moulins sont libres d'utilisation depuis la donation de Barral du 1er janvier 1250 devant le notaire Arnaldus Rodulfi et le syndic Pierre Gaufredy. Il a donné la montagne du Ventoux " aux enfants de Bédoin, nés ou à naître ".  

        La charte de Caromb, donnée aux chevaliers et aux « probi homines » ne comporte que cinq articles et on sait qu’elle ne fut pas payé par Caromb, alors que Bédoin donna 20 000 sous tournois et Loriol 6 000 sous tournois, il est vrai pour des privilèges plus nombreux. L’histoire n’a pas gardé trace des négociations entre les communes et les représentants de Barral et nous ne saurons jamais pourquoi les privilèges accordés à Caromb furent réduits par rapport aux communes voisines et pourquoi  la communauté décida de ne pas payer.
        Il est un fait que la commune bénéficia des libéralités de cette charte pendant toute l’époque de domination pontificale, malgré quelques contestations dans les années qui suivirent la signature de cette charte.

        Ces chartes accordées par Barral sont en fait des ventes déguisées. Barral a besoin d'argent et monnaie les privilèges accordés. Barral se réserve la juridiction, l’albergue, les chevauchées et un droit sur les juifs.
 
        Le départ de Barral pour le Napolitain est peut-être la raison pour laquelle le consentement d’Alphonse de Potiers, suzerain de Barral, fut différé. Ce consentement devait être acquis pour valider les actes, et il était promis par Barral (charte de Bédoin), nonobstant la ratification par le sénéchal Jean d’Arcis.
        Le 31 juillet 1267, moins de trois ans après la signature des actes par Barral, Alphonse de Poitiers prétendra que les privilèges accordés à Monteux, Loriol et Bédoin n’étaient pas valables, soutenant que pour l’être, toute charte de franchise devait être approuvée par le suzerain ; il agissait sans doute à l’instigation de Bertrand des Baux, fils et héritier de Barral, qui avait cependant donné son agrément aux actes de 1264 ; l’affaire était encore en suspens en juin 1269.
        Il n’est pas dit que la charte de Caromb fut contestée .

        Il restait un problème important à régler : Barral avait promis à Alphonse de Poitiers, lorsque celui-ci lui avait rendu ses fiefs comtadins, de partir en Terre sainte. Il n’avait pas encore rempli cet engagement et franchement n’avait jamais eu envie de le faire.
        Aussi, le 19 janvier 1265, profite-t-il de l’expédition à Naples avec Charles d’Anjou pour faire annuler cette promesse par son frère Alphonse. Il fait intervenir le pape Clément IV, probablement en accord avec Charles d’Anjou, pour qu’il intervienne auprès d’Alphonse. Le pape s’exécute le 2 juin 1265 et écrit à Alphonse, de Pérouse, lettre dans laquelle il explique que Barral, conformément à sa promesse est prêt à partir en Terre sainte, qu’il a été obligé de refuser la demande de son frère Charles d’Anjou, qui a pourtant besoin de lui pour faciliter la conquête. Le pape prie Alphonse de le dégager de son serment et l’informe qu’il a déjà donné des ordres à son évêque de Carpentras pour qu’il le délit de son serment.
Que pouvez faire Alphonse de Poitiers devant une demande du pape qui aidait son frère ? Il accepta, évidemment. (9) acte 504
        Le 23 janvier 1265, il est encore avec le comte de Provence à Aix, pour la signature d’un traité d’alliance avec divers seigneurs milanais. Ces derniers s’engagent à aider Charles d’Anjou pour la conquête prévue et à faciliter le passage de ses troupes à travers la Lombardie. La grande famille des Baux est présente aux côtés de Barral : Guillaume Ier de Berre, Bertrand des Baux de Meyrargues, tous témoins de cet acte qui va faciliter l’opération militaire (10).
         Barral  assiste à un traité entre le dauphin du Viennois et Charles d’Anjou.
       Il ratifie, avec son épouse Sibylle, un arrangement de Louis IX au sujet des droits de son épouse et de la Maison d'Anduze. On sait que Louis IX souhaite alors rendre certains biens aux vassaux de Toulouse dépossédés pendant la guerre contre les hérétiques.


  (1) et (2)  acte 481.
  (3) acte 484
  (4) acte 485
  (5)  acte 486.
  (6)  acte 487.
  (7)  acte 491
  (8) acte 493.
  (9) acte 504
 (10) acte 500.