Chapitre XVII : Barral joue "gros".
Le double jeu de Barral
Bien que
jouant parfaitement le jeu des trois grandes villes alliées, Barral
qui a un sens politique très développé et qui évalue
les risques encourus en étant à la tête de la révolte,
décide de prendre quelques précautions pour l’avenir : il
fait le voyage de Melun avec Raimond Gaucelin
pour rencontrer la régente.
Il nous reste son écrit,
daté du 1er mars 1249 adressé à Blanche de Castille,
régente de France, dans lequel il promet que la ville d'Avignon
se soumettra à son fils Alphonse de Poitiers, sa vie durant et que
le comte en percevra tous les revenus sauf les franchises des habitants,
et qu’après la mort du comte, la commune retrouvera ses pleins droits
et la juridiction qu’elle a actuellement. Il promet aussi qu'Arles fera
de même pour le comte Charles d'Anjou, sa vie durant, que la ville
lui restituera les droits légitimes du comte de Provence dont elle
s’est emparée. Il s’engage à abandonner ces deux cités,
ses pouvoirs de podestat, à ne plus donner de conseils ou fournir
son aide et même à leur faire la guerre s’il en reçoit
l’ordre, oralement ou par lettres patentes. Il interdirait tout rapport
avec ses seigneuries. Il ne se réconcilierait avec eux que sur consentement
de la reine ou de ses fils.
Il prend l’engagement d’exécuter
ses promesses d’ici un mois après les prochaines fêtes de
Pâques et donne en garantie à la reine tous les fiefs qu’il
tient de ses fils Charles et Alphonse, fiefs que ceux-ci reprendront s’il
manque à ses promesses. A échéance du délai prévu,
il livrera son propre fils en otage.
Ces promesses, que l’on a peine
à croire tant elles sont à l’opposé de ses actions
jusqu’à ce jour, Barral les signe. Il dispose de ces deux villes
comme s’il s’agissait de ses propres biens, de ses habitants comme s’il
s’agissait de ses vassaux, des volontés communales comme si elles
n’existaient pas.
En échange, il demande
que la reine le reçoive en grâce, qu’elle prie ses fils par
lettres et leur conseille de lui accorder leur bienveillance avec des
témoignages de faveur et que ses droits sur Arles et ailleurs soient
maintenus (1).
Il réclame l'oubli du
passé et le maintien de ses fiefs, ou titres contre son ralliement
au parti français.
Essaie-t-il de jouer avec les
capétiens le même jeu qu’avec l’Eglise ? Pense-t-il que le
double jeu des paroles apaisantes et des actes contraires lui donnera
quelques garanties pour le futur ? A-t-il évalué qu’il faut
faire évoluer ses positions ? Y a-t-il quelque sincérité
dans sa démarche dans sa subite évolution ? C’est peu probable,
lui l’homme rusé, sans scrupule, prêt à tout pour accroître
son pouvoir, qui revendique des droits sur le comté de Provence,
qui est à la tête du mouvement anti-français, qui est
le maître d’Arles et d’Avignon, dont la popularité est immense,
et qui vient de démontrer face à l’Eglise jusqu’où
il est capable d’aller, comment pourrait-il envisager alors sa reddition
?
Il est informé de la
situation des capétiens en Orient. Il a appris l’arrivée
de Louis IX et de Charles d’Anjou en Egypte, leur victoire et la prise
de Damiette. Il a appris qu’Alphonse de Poitiers les a rejoint dès
le mois d’octobre et que les choses ne se passent pas aussi bien depuis
que l’armée marche sur le Caire par Mansourah. Il sait qu’en décembre,
à Mansourah, ce fut une véritable boucherie pour les croisés,
que l’épidémie de typhus et de scorbut a décimé
les troupes et que les sarrasins se défendirent et coupèrent
la route du Caire. Le frère du roi, Robert d’Artois a été
tué.
Barral, a-t-il intégré
les incertitudes de la situation des capétiens dans son calcul ?
Si aucun des capétiens ne revenait de la croisade, il pourrait toujours
se retrancher derrière ses promesses.
Barral joue un jeu dangereux
qui risque de lui valoir sa fortune, ses terres ancestrales et son avenir.
Il joue avec les grands, l'Eglise et le royaume de France. Il joue aussi
avec le peuple et sa confiance, car il est son représentant devant
l'adversité, le garant des libertés communales, le sauveur
de leur République naissante. Il doit garder cette confiance qui
est son propre pouvoir et lui donne suffisamment de poids pour les négociations
à venir.
Peu scrupuleux mais intelligent,
il vient d’ajouter une corde à son arc, un nouveau fer dans son
feu, et il ne les utilisera que s’ils servent sa cause dans un contexte
politique si incertain.
Ce qui est sûr c’est que
personne à Avignon ou à Arles ne se doute de cette trahison
et ne remet en cause son rôle de podestat. Il est vrai que Barral
garde sa fonction dans les deux villes sans changer quoi que ce soit dans
son attitude. Il n’essaie même pas d’exécuter sa promesse et
la situation reste inchangée, toujours opposée à l’Eglise
et aux Français. Avignonnais et Arlésiens conservent leur
indépendance vis à vis du clergé et des comtes.
Barral gère ses fiefs
du Venaissin : il donne, à perpétuité, le Mont Ventoux
aux habitants de Bédoin (1er janvier 1250). La donation est
reçue par Pierre Geoffroy, le procureur-syndic de la ville, et concerne
toutes les terres cultes ou incultes et les pâtures. Les habitants
de Bédoin et leurs descendants sont autorisés à mener
paître leur bétail, gros et menu, sur la montagne, d’y établir
des bergeries sans payer aucun droit, de couper toute espèce de bois
pour leur usage, d’extirper les garrigues et de semer les terres défrichées.
Il leur accorde, en outre, la banalité du four et du moulin, et
se réserve seulement le droit d’hommage et le paiement par la communauté
d’un florin d’or pour albergue à la première réquisition
(2).