Chapitre XVI :
Révolte de Barral contre les
"français"
Alphonse de Poitiers et Charles d'Anjou.
La Révolte de
Barral pendant la croisade des "français" (1)
:
Il nous faut revenir
sur la situation avignonnaise qui s’est aggravée depuis 1246.
On a peine à suivre les évènements sérieux
qui s’y produisirent. Barral nommé podestat, l’évêque
Zoen chassé de la ville, le mouvement populaire anticlérical
s’était amplifié. Les Curiates, c’est à dire le podestat
et son représentant le viguier, les juges, syndics et clavaires
de la commune s’emparèrent du palais épiscopal, s’y
établirent, prirent le blé et le vin du palais et interdirent
de payer à Zoen les revenus de la ville. De plus, ils imposèrent
leurs gardes pour les quelques hérétiques que les inquisiteurs
gardaient prisonniers au palais, libérant au passage le seul Avignonais
détenu. Ils imposèrent d’assister à la procédure
des inquisiteurs qui préférèrent abandonner plutôt
que d’admettre l’ingérence du pouvoir public. C’était une
véritable révolution.
L’évêque
Zoen Tencarari, ayant excommunié les rebelles se porta à
Lyon et demanda l’aide du pape Innocent IV. Celui-ci envoya un émissaire
négocier avec Barral et la commune. Ces derniers montrèrent
les meilleures dispositions, promirent tout, s’engagèrent à
obéir au pape et garantirent leurs bonnes intentions par une somme
de 8 000 marcs d’argent et ... ne firent rien.
Le juge nommé
par le pape pour aplanir le conflit, le cardinal de Saint-Laurent in
Lucina, Jean Tolet ou Toleto, un anglais cistercien, convoqua les deux
parties devant lui, l’évêque et les rebelles, prit connaissance
des faits que chacun lui documenta à sa façon, puis chargea
des arbitres pour trancher : l’évêque d’Orange pour Barral
et les siens, le sacriste d’Arles pour Zoen .
Tout cela n’était
que temporisation, poudre aux yeux, malice, ruse et Barral et les
Avignonnais trouvèrent toutes les excuses pour ne rien faire,
récusant l’évêque d’Orange et le sacriste d’Arles,
qu’ils avaient pourtant accepté, et faisant directement appel
au cardinal.
Au contraire, leur
position se radicalisa : ils expulsèrent le prévôt
et les chanoines de Notre-Dame-des-Doms de leur église et de
leurs habitations et ne perdirent pas une occasion pour montrer leur
sentiment anticlérical et leur volonté de s’affranchir
de la tutelle de l’évêque ; le peuple applaudissait lorsqu’un
juge menaçait de mort quiconque prendra la défense de l’évêque
; un diacre fut jeté en prison et fut frappé par un
juge communal ; le prieur de Saint-Etienne fut traîné
dans les rues et menacé d’être jeté dans le Rhône
; un autre prêtre fut frappé ; d’autres étaient
obligés de quitter leurs vêtements sacrés et étaient
interpellés injurieusement dans les églises ; on interdisait
de faire des offrandes trop élevées aux prêtres
et aux autels ; la commune chassait les prieurs des établissements
religieux comme la maison de Saint-Bénézet et l’hôpital
de Durand Hugues pour y établir ses propres recteurs. Tous ces
évènements nous sont connus par la défense que
présentérent plus tard l’évêque et le cardinal
délégués par le pape et sont peut-être exagérés
pour appuyer cette défense. Quoi qu’il en soit la situation était
des plus sérieuses à Avignon.
On en est là
au moment de la signature de l’accord avec Marseille et Arles qui
confirme pourtant la volonté d’apaisement et de trouver un
accord.
Le cardinal Jean Tolet
fait citer Barral et les Avignonnais à comparaître devant
lui et s’appuie pour cela sur l’entremise de l’archevêque d’Arles,
Jean Baussan, puisque la ligue des communes a promis de le défendre
et le protéger. Barral et les Avignonnais ignorent cette demande
et ne se rendent pas à la convocation, alors que l’évêque
Zoen a fait le voyage. Peine perdu pour tout le monde. L’affaire remonte
au pape qui est très ennuyé, pris entre le besoin de les
punir et une prudence certaine pour éviter d’envenimer le conflit.
Il est vrai que le mouvement anticlérical se propage en Provence
et que le conflit avec l’empereur risque de pousser les rebelles dans
ses bras.
Zoen est confirmé
le 29 juin 1247 pour deux ans dans son privilège d’exemption
vis à vis de son métropolitain, mais le Saint-Père
décide encore une fois de tenter une nouvelle conciliation
en déléguant Martin de Parme, un de ses chapelains, vers
les Avignonnais pour les supplier de restituer les biens de l’église
à l’évêque et pour réparer les dommages causés
par la rébellion et impose un délai pour se présenter
(2). Encore une fois, personne ne comparaît devant le nouveau
délégué.
Le délai écoulé,
le souverain pontife envoie les abbés de Saint-Gilles et de
Franquevaux avec pour mission de dissoudre la confrérie avignonnaise.
Devant l’échec de leur mission, ils renouvellent la sentence d’excommunication
contre Barral et ses partisans, mettent la ville et ses faubourgs en
interdit, avec défense d’y célébrer des offices
divins, et donnent assignation aux Avignonnais de comparaître au
plus tôt devant le pape sous peine de perdre les 8 000 marcs d’argent
stipulés dans le compromis initial et d’être sévèrement
punis.
Cela n’effraie pas
Barral qui, décidemment, est un habitué des excommunications.
Mais il a compris qu’il est temps de calmer le pape même s’il
reste, en sous-main, à la tête du parti anticlérical
et anti-Charles d’Anjou. Il décide, avec les Avignonais de faire
le voyage de Lyon, et devant la cour pontificale assure de sa bonne volonté
pour résoudre le conflit, prononce un discours de paix et d'apaisement.
Ses paroles pleines de miel et de soumission cachent sa volonté
de persévérer. La Curie doit se méfier et juger
sur les actes et les faits car il n’obtient pas l’agrément du
pape et s’en revient à Avignon.
Pendant ce temps,
le roi de France continue ses préparatifs pour la croisade.
Le port d'Aigues-Mortes est construit et en 1247, il fait partir
ses premiers bateaux avec des provisions pour Chypre.
Il voudrait laisser
derrière lui une situation politique saine et il essaie de
rétablir la paix entre l’empereur et le pape afin qu’une querelle
ne menace pas sa grande entreprise en Terre sainte. Sa piété
ne lui masque pas les faiblesses du pape et il connaît la puissance
de l’empereur avec qui il a toujours gardé des relations normales,
même après son excommunication. Il sait aussi qu’il risque
d’avoir besoin de se ravitailler en Sicile qui est un royaume impérial.
En Languedoc maintenant
français, il règle les derniers conflits : peut-être
Barral apprend-t-il par son épouse ou sa belle-famille que
le dernier des Trencavel, Raymond, a brisé le sceau familial
devant le roi de France, marquant ainsi sa soumission définitive.
L’empereur, quand
à lui, après avoir un temps envisagé le rassemblement
de ses vassaux à Chambéry et projeté de se rendre
à Lyon pour une confrontation avec le pape, doit se replier sur
l’Italie où la révolte de Parme (juin 1247) l’oblige à
batailler. Il s’éloigne ainsi de son ancien royaume d’Arles et
Barral et les communes alliées voient ainsi diminuer la probabilité
d’un éventuel recours à l’empereur.
Cela ne l’empêche
pas de pousser encore ses pions dans son combat anti clérical.
Avec les Avignonnai, il organise une expédition armée
contre Bédarrides, une seigneurie de l’évêque,
coupant les arbres et les vignes, molestant les hommes du prélat,
brûlant son moulin et de là il se porte à Châteauneuf,
autre seigneurie épiscopale et à Barbentane fief de l’église
d’Avignon où ils commettent les même dégâts.
Le blé saisi dans les greniers de l’évêque est
vendu pour payer les soldats de l’expédition.
Toute cette
agitation a son écho à Arles où déjà
avant la signature du traité d’alliance le pape avait invité
Jean Baussan et les délégués de la commune à
se rendre auprès de lui (août 1246). Malgré la promesse
de défendre l’Eglise confirmée encore le 5/3/1248 par
le podestat Albert de Lavagne (il promet de défendre son archevêque,
les églises et les abbayes, comme convenu dans l’acte d’alliance
entre les trois grandes cités), un mouvement anticlérical
commence à émerger (3).
La croisade de Louis
IX (1248-1254)
C’est vers cette
époque qu’arrivent les armées du roi de France. Louis
IX a confié la régence à sa mère Blanche
de Castille et à ses conseillers, lui a aussi confié
la garde de ses 5 jeunes enfants, car il a décidé d’amener
son épouse Marguerite de Provence et descend la vallée
du Rhône vers Aigues-Mortes avec 25 000 hommes et 8 à
9 000 chevaux environ, et l’élite de la noblesse française.
L’armée des
croisès arrive sous les murs d’Avignon dans ce contexte anticlérical,
anti-français. Les Français connaissent les évènements
récents d’Avignon et se souviennent du siège d’Avignon
de 1226 et de ce que cela leur avait coûté en temps perdu
et en souffrances. L’Histoire va-t-elle se reproduire ?
Les injures françaises
fusent vers la ville et ses habitants postés au sommet de leurs
nouveaux remparts. Les esprits s’échauffent devant les accusations
de traitres, d’Albigeois et même d’assassins car tous pensent que
les Avignonnais sont pour quelque chose dans la mort subite du roi Louis
VIII, mort suspecte survenue juste après le siège d’Avignon.
Les Avignonnais exaspérés
par cette armée qui représente la dévotion à
l’Eglise, au Saint-Père, au clergé, à Charles
d’Anjou, sortent leurs machines de guerre, envoient quelques boulets
contre les croisés. Hugues de Châtillon, comte de Saint-Pol
et de Blois est frappé à mort par un boulet et quelques
croisés sont dépouillés ou tués dans quelques
chemins étroits, pris dans des embuscades. Les barons français
s’énervent et réclament au roi de faire taire ces insolents
par un bon châtiment (4) .
Louis XI pique son
cheval, fait hâter la marche de l’armée en déclarant
: « Ce n’est pas pour venger mon père,
ma mère ou mon propre honneur que je vais hors de France, mais
pour venger les insultes faites à Jésus-Christ
» (5) .
Barral et Avignon
respirent.
Le roi de France poursuit
son chemin. Il a alors 34 ans et son épouse Marguerite de Provence
tout juste 27 ans. Le 28 août 1248, le couple royal, Robert
et Charles d’Anjou, deux frères du roi, embarquent à Aigues-Mortes.
Charles d’Anjou est accompagné de son épouse Béatrice
: ils abandonnent la Provence au moment où celle-ci se révolte.
Une flotte de 38 bateaux quitte le port, bientôt rejointe par
les navires de Marseille et prend le large.
Croisade e Louis IX.
Raymond VII de Toulouse, qui doit se joindre à
la croisade, retarde son départ. Est-il déjà
malade, ou bien pense-t-il que ses affaires ou sa situation politique
nécessitent un délai ? Nul ne le sait.
Alors que le 17 septembre,
le roi est déjà arrivé à Chypre, son autre
frère Alphonse de Poitiers et son épouse Jeanne de Toulouse
sont encore en France : ils embarquent le 25 août 1249.
Dès que les nouveaux
comtes, Charles d'Anjou et son frère Alphonse de Poitiers,
sont au loin, Barral, qui a tout préparé, espérant
relever l'éclat de sa maison, prend le flambeau de la révolte,
tentant de leur enlever le comté et le marquisat de Provence.
Il s'appuie sur ses accords avec les villes signés en 1247, leur
esprit d'indépendance, leur besoin de liberté pour leur
commerce et la rébellion anticléricale. Il sait qu’un changement
de dynastie s’accompagne toujours de difficultés et a évalué
le mécontentement provençal face aux premières
pressions fiscales
C’est toute la région,
déjà influencée par les évènements
impunis d’Avignon, qui se soulève sous sa bannière.
A Arles, les gens de
la commune s’emparent du péage et du château de la Trouille
qui appartient au comte de Provence et de tous les droits qu’il peut
revendiquer dans le bourg. Dans le voisinage, les Arlésiens armés
pillent les biens provençaux, et le sénéchal de Provence,
Amaury de Thury qui s’est avancé en Camargue est battu, à
l’automne. En ville, la confrérie se reconstitue avec à
sa tête un de ses anciens chefs les plus fougueux, Pons Gaillard.
L’archevêque, qui avait pourtant admis les chefs de métier
à la direction des affaires de la vill, doit s’incliner.
Prenant exemple sur Avignon,
la confrérie s’attaque aux Hospitaliers de Saint-Thomas de Trinquetaille
et en massacre quelques-uns dans leur église ; elle détruit
quelques maisons des Templiers. Les modérés qui essaient
de s’interposer sont tués ou jetés en prison. L’archevêque,
intervenant pour calmer les rébelles, est menacé par
l’arme de Pons Gaillard. Marseille offre son arbitrage, envoie
des ambassadeurs, sans résultat.
Barral est informé, bien sûr, de ces évènements.
Pour l’heure, il est occupé par ses fonctions de podestat
d’Avignon et ses affaires du Venaissin : le 15 décembre 1247,
les chevaliers de Monteux, par l’intermédiaire de leurs syndics
lui donnent les droits sur leur commune : ils lui cèdent leurs
franchises et privilèges, le consulat sur les notaire, le sceau
de la ville et il est reconnu comme leur seigneur (6).
En peu de temps, il récupère
aussi tous les droits sur Entraigues : c’est Raymond Amorosi qui rend
hommage, puis Guillaume Raynoard, et enfin la ville d’Avignon qui lui
donne les droits sur le château contre remise d’une dette qu’elle
a envers lui. Elzéar de Sabran, son vassal pour le château
et la juridiction d’Entraigues, prête hommage (7).
Il est arbitre et exécuteur
testamentaire pour Guillaume II des Baux, coprince d’Orange qui lègue
ses biens à son épouse enceinte pour le cas où
elle accoucherait d’un garçon, y compris ses biens en Sardaigne,
sinon il laisse son héritage à son frère Bertrand
qui n’est pas encore marié et n’a donc pas de descendance. . Si
celui-ci n’a pas d’enfant mâle, c’est son oncle le prince d’Orange
Raymond Ier qui aura l’héritage, sauf Courthézon et Orange
qu’il laisse à ses frères (8) .
Il reçoit encore
le droit de cavalcade sur Bédarrides du comte de Toulouse
(9).
Bref, il s’impose en Venaissin,
agrandissant son domaine.
Trop, c’est trop ! le
clergé réagit : réunis en concile à Valence
sous la présidence de Pierre de Colmieu cardinal-évêque
d’Albano et d’Hugues de Saint-Cher, cardinal-prêtre de Sainte-Sabine,
le 5 décembre 1248, après avoir entendu les doléances
de Jean Baussan et de Zoen Tencarari, le clergé prend des mesures
contre les rebelles d’Avignon et d’Arles. Sont présents les archevêques
de Narbonne, Vienne, Arles et Aix, les évêques d’Agde,
Agen, Avignon, Béziers, Carpentras, Cavaillon, Die, Fréjus,
Marseille, Nîmes, Lodève, Uzès, Vaison, Viviers et
Saint-Paul-Trois-Châteaux.
Les décrets visent
les parjures, ceux qui s’étaient engagés à être
fidèle à l’Eglise, à défendre ses libertés
et qui font le contraire. Sont visés ceux qui troublent les inquisiteurs
dans l’exercise de leur fonction, qui interdisent aux clercs le feu et
l’eau, les fours et les moulins. Il est défendu expressément
de confier des offices publics à des excommuniés, de les nommer
consuls, podestats, recteurs, assesseurs, baillis ou bayles sous peine
de nullité de leur nomination. Tout rapport avec les excommuniès
est interdit ; ceux qui assassinent les clercs, s’emparent de leurs biens,
violent les libertés, sont condamnés.
La mesure majeure est
l’interdiction des confédérations et des confréries,
leur dissolution dans les deux mois sous peine d’excommunier les auteurs
de ces associations et leurs complices. C’est une condamnation de
Barral et de son alliance avec les trois communes.
La condamnation rappelle
en outre que personne ne doit aider ou écouter les conseils de
l’empereur Frédéric II et de ses délégués
provençaux comme décidé à Lyon et que les
fidèles doivent jurer tous les trois ans d’observer la paix et
de ne pas favoriser les menées de l’Empereur.
Mais il ne s’écoule
pas trois mois avant que le pape lui-même ne revienne en arrière
au moins sur la condamnation du traité de Barral et des trois
villes : le 24 février, il intervient auprès de l’archevêque
d’Arles et des évêques de Marseille et de Nîmes,
leur indiquant qu’il souhaite rediscuter cet article et, en attendant,
demande de suspendre les sentences menaçant les auteurs et complices
de la confédération (10).
Barral et les insurgés
ne risquant que des peines spirituelles, continuent leur combat mais
envoient quelques délégués vers le pape, à
Lyon, pour protester à nouveau de leur volonté d’apaisement.
Ils se déclarent prêts à entrer en discussion et
à réparer les dommages subis par l’évêque,
à condition d’être absous au préalable de toutes les
sentences qui pèsent sur eux.
La condition étant
bien sûr inacceptable par le Saint-Père, il s’agit encore
une fois de gagner du temps par des palabres, des assurances que personne
ne tiendra, de faire diversion. Le pape dont la prudence est jugée
comme une faiblesse, accorde quatre semaines pour voir des résultats
de toutes ces promesses. Il semble que l’intervention des délégués
marseillais et arlésiens contribue à l’obtention de ce
répit de courte durée.
Quatre semaines après,
Barral et Avignon n’ont pas fait le moindre geste favorable à
l’évêque ou à son église.
Alors, Innocent IV fait
envoyer une dernière citation et assignation, le jeudi saint
(1er avril de l’année 1249), patiente encore un mois sans que
personne ne bouge, puis donne entière liberté au cardinal
de Saint-Laurent pour prononcer la sentence solennelle d’excommunication
contre Barral et les Avignonnais, sentence qu’il confirme le 24 avril.
Les conditions d’absolution
sont inacceptables pour Barral et la commune : il faudrait donner
entière satisfaction à l’évêque et au clergé
d’Avignon ; il faudrait payer les dommages subis par l’Eglise, jurer
obéissance, se soumettre et obéir à l’évêque.
Il faudrait dissoudre la confrérie. Bref il faudrait faire exactement
le contraire de tout ce qui a été entrepris depuis 1246
et mettre fin à la Révolution.
L’évêque
d’Avignon Zoen Tencarini lance l’interdit sur les villes alliées
d’Avignon, Arles et Marseille (11). Il accuse la commune d’Avignon
d’avoir créé des consuls, des podestats, des recteurs,
sans respecter les droits de son église et de troubler l’exercice
des fonctions sacerdotales de ses prêtres.
En Arles, le résultat
de cette condamnation au plus haut niveau de l’Eglise est contraire
à celui qu’attend le pape : le peuple se déchaîne,
refuse de payer la dîme au clergé, expulse les partisans de
Charles d’Anjou ou des Français et bloque l’archevêque Jean
Baussan, malade, dans son palais. Les conseillers de la commune et les
chefs de métiers délibèrent et publient un décret
interdisant à toute personne de communiquer avec l’archevêque
(le 20 août), malgré l’opposition du podestat Alberto de
Lavagna.
Jean Baussan est prisonnier de son propre palais avec quelques
serviteurs.
Barral podestat d’Arles
(1249-1251)
Il est temps pour Barral
de prendre la tête de ce mouvement arlésien. Il arrive
dans la ville et se déclare hostile au clergé : «
Les excommuniés sont mes amis et ceux qui cherchent l’absolution
sont mes ennemis ». Il n’en faut pas plus pour qu’il soit
reconnu comme le chef principal du parti anticlérical.
Jean Baussan décide
alors de quitter la ville car sa situation est intenable. Il demande
un sauf-conduit qu’on lui accorde volontiers et il se réfugie
près de Beaucaire, à Saint-Pierre-du-Camp-Public Il ne
lui reste plus qu’à se plaindre auprès du pape de ces mauvais
traitements.
Pierre de Colmieu est
à nouveau envoyé pour tenter une réconciliation.
Sa mission est encore un échec et Jean Baussan se voit refuser
l’entrée de la ville lorsqu’il sollicite d’y venir célébrer
les fêtes de Noël (12).
Barral maintenant bien
établi à la tête du parti antifrançais et
anticlérical, est nommé podestat de la commune d’Arles,
rôle qu’il tient déjà à Avignon. Le conseil
lui fait remettre son titre par douze citoyens de la ville.
L'archevêque proteste, le 12
janvier 1250, écrit à ses prieurs et prêtres d'Arles
que Barral encourt la peine d'excommunication, tout comme ceux qui
l'ont élu, pour ne pas lui avoir rendu hommage, ni jurer fidélité,
alors qu'il exerce la charge de podestat et donc le gouvernement de la
ville. Il ordonne à son clergé d'aller trouver les chefs de
métiers, les conseillers de la ville et le peuple pour leur signifier
qu'ils doivent enlever à Barral son titre de Podestat, sous trois
jours (13)
.
Ces prêtres, Pierre et Motet et le prieur de Sainte-Croix d'Arles,
se transportent sans délai dans le palais de la commune d'Arles
et veulent donner communication de la lettre à Barral, aux juges,
au Grand-Conseil et aux chefs des métiers réunis en assemblée.
Barral se fait livrer la lettre, promet d'en faire lecture
au Grand-Conseil, d'en délibérer avec les semainiers
et les juges et leur demande de partir. Il entre alors dans la salle
du Conseil. Mais la clameur de la foule excitée par l’arrivée
des envoyés de l'archevêque empêche toute discussion
(13).
Barral résiste
à la menace, soutenu par les Arlésiens.
L'archevêque attend
un peu, puis lance son excommunication, le 9 mai 1250, contre Barral
et les habitants d'Arles, contre la ville et son district, contre le
château d'Aureille. L'interdit frappe tous les domaines de Barral
(14).
Marseille, la troisième
ville ayant signé le traité d’alliance, ne connaît
pas de mouvement anticlérical aussi violent. Son évêque,
Benoît d’Alignan est parti avec la croisade de Saint-Louis et
seul son vicaire assure les fonctions de l’Eglise. Pourtant la ville
a été excommuniée par le pape, comme ses alliés.
Il est vrai que magistrats municipaux, conseillers et chef de métiers
ont usurpé depuis longtemps les droits seigneuriaux de l’évêque
sur la ville haute. La ville est administrée par des agents
de Charles d’Anjou qui ont l’intelligence ou le sens des négociations
et qui parviennent à trouver des compromis avec la commune. Un
traité est signé entre le cardinal d’Albano et approuvé
par la commune en décembre 1249.
Fin des comtes de Toulouse ; Alphonse de Poitiers
hérite du Venaissin
D’ailleurs Marseille
se retrouve en pleine possession de sa propre seigneurie. Ou se souvient
que celle-ci avait été donnée au comte de Toulouse
pendant sa vie durant. Or celui-ci vient de décéder. Ayant
rédigé son testament le 23 septembre 1249 et ayant nommé
comme exécuteurs testamentaires les évêques de
Toulouse, d’Albi, d’Agen, de Cahors, de Rodez, de Cavaillon et de Carpentras,
Raymond VII de Toulouse rend son dernier soupir le 27 septembre 1249,
pleuré et regretté par tous les peuples de son comté.
La fin de cette maison
de Toulouse ou de Saint-Gilles est d’une importance majeure.
Cette maison qui dominait le
Midi, qui fut anéantie par la guerre des Albigeois, qui fut humiliée
par les Français et les barons du Nord, qui fut si souvent un
recours, une protection, un rempart pour la famille des Baux contre les
comtes de Provence, cette maison s’éteint avec Raimond VII.
Pourtant, depuis le traité de Paris
il avait tout essayé pour reprendre pleine possession de son
comté. Ses tentatives matrimoniales, ses guerres même contre
le roi de France, son testament laissant le marquisat à Cécile
des Baux, fille de Barral, ses associations avec les villes, il avait
tout essayé pour sauver son patrimoine et éviter qu’il
ne tombe dans les mains des capétiens.
Sa
fille Jeanne et son époux Alphonse de Poitiers, frère
du roi de France héritent de tous ses domaines.
Sceau de Jeanne de Toulouse
Jeanne et Alphonse de
Poitiers sont alors en Orient, à la croisade, ayant quitté
la France depuis à peine un mois.
En tant que régente, la reine-mère, Blanche de Castille,
fait occuper sans délai les domaines du comte de Toulouse et envoie
les commissaires d'Alphonse en prendre possession : en Comtat Venaissin,
que le pape avait rendu à Raymond VII, les commissaires français,
informés que le légat pontifical Pierre de Colmieu, cardinal
d'Albano s'est précipité pour tâcher de faire restituer
cette province au Saint-Siège (15), craignent des difficultés
et dépêchent Raimond Gaucelin pour faire reconnaître
le comte de Poitiers par les Comtadins. Raimond Gaucelin, seigneur
de Lunel était sénéchal du Venaissin depuis 1242,
ayant succédé à Barral et à Massip de Toulouse
et s’était rangé immédiatement sous la bannière
d’Alphonse de Poitiers.
Le cardinal d’Albano n’obtient
aucun ralliement en Venaissin. Par une bulle adressée à
l’évêque de Carpentras et aux autres prélats du
comté, le 9 mars 1250, le pape interdit qu’ils obéissent
à d’autres qu’aux représentants de l’Eglise et leur demande
d’excommunier les usurpateurs.
Par contre, Raimond Gaucelin
qui représentait encore récemment la maison de Toulouse,
obtient l’hommage des principaux vassaux du Venaissin pour le
compte du capétien. Ancien compagnon d’armes de Barral, les contacts
entre les deux hommes durent être nombreux et animés. On
ne sait pas grand-chose sur les relations des deux hommes à ce
moment-là et beaucoup pensent que le sénéchal joua
un rôle majeur dans l’évolution de la position de Barral
vis à vis du pouvoir français. Peut-être arrive-t-il
à convaincre Barral que malgré sa forte position à
Avignon, à Arles, en Provence et en Venaissin, il n’est pas de
taille à affronter les trois frères capétiens qui
prennent le pouvoir et qu’il a beaucoup à perdre en persistant
dans ses positions.
La partie du Languedoc,
que le comte de Toulouse possédait encore, se soumet aux représentants
envoyés par Blanche de Castille.
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