Chapitre XII : Le Traité de Paris
en 1229
Dès la fin de l'année
1228, Raymond VII, pensant qu'il n'a plus d'autres choix, envoie Hélie
Guérin, abbé cistercien de Granselve pour négocier
la paix avec la régente de la Maison de France et se réconcilier
avec l'église. Le légat du pape, Frangipani, participe
aux négociations de paix. Il en résulte un traité
de Paix que Raymond VII signe à Paris.
Le 12 avril 1229, le comte de Toulouse doit se
rendre pieds nus, en chemise, devant le portail de Notre-Dame et fait
le serment d’obéir aux ordres de l’Eglise et aussi de prendre
la croix. Son excommunication est levée.
En fait, le traité de Paris fait passer
toutes les provinces du Midi sous le contrôle du roi. Le comte
de Toulouse cède au roi en pleine propriété
les quatre vicomtés Trencavel, le duché de Narbonne et
le marquisat de Provence. Il garde en usufruit un comté de Toulouse
très réduit, l'Agenais, le Rouergue, une partie de l'Albigeois
et du Quercy. S'en est fini de la domination du comte de Toulouse,
bien que le traité le réconcilie avec l'Eglise et qu'une
clause prévoit que sa fille unique, Jeanne, sera donnée
en mariage à un frère du roi de France, sans préciser
lequel [90], à l'exclusion de toute autre éventuelle
descendance. Au cas où sa fille Jeanne décèderait
sans enfant, ses terres seraient rattachées directement à
la Couronne.
La plupart de ses forteresses doit être
démantelé et il doit entretenir des garnisons royales
dans les quelques-unes qui resteront, à ses frais, pendant
10 ans. Il doit payer une indemnité de 27 000 marcs d'argent
sur quatre ans.
Le marquisat de Provence est concédé
à l'Eglise, au nom du roi Louis IX : " Quant aux pays et
domaines qui sont au-delà du Rhône dans l’Empire, avec
tous les droits qui peuvent m’y appartenir, je les ai cédés
précisément et absolument à perpétuité
à l’Eglise romaine entre les mains du pape ".
Immédiatement
le cardinal de Saint-Ange se rend à Mornas et confie la garde du
Venaissin à Adam deMilly, vice-gérant du roi de France en Languedoc
et à Pèlerin Latinier, sénéchal de Beaucaire.
Il faudra quelques décennies et de nombreux soubresauts avant
que la propriété du pape soit bien établie.
Raymond VII de Toulouse vient à Carpentras se jeter aux
genoux de l'évêque qui consent à lever son
excommunication. Il est alors obligé de respecter ses engagements
et est impuissant malgré les soulèvements dus à
l’Inquisition, à la pression des agents royaux dans les nouvelles
sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne
et la résistance de ses vassaux aux occupants « français
».
La reine Blanche de Castille
choisit de marier sa fille Jeanne, à Alfonse de Poitiers,
un des frères de Louis IX, qui est du même âge
que la princesse, c'est à dire âgé de neuf ans.
Les fiançailles sont célébrées en
juin 1229 par le légat du pape, mais le mariage n'est contracté
en face de l'Eglise qu'en 1237.
La commune de Marseille, détentrice de 20/24e
des droits vicomtaux, n’a rien voulu entendre lorsque Hugues l’a attaqué
en justice, en 1225, ni quand l’empereur leur a fait demander de rendre
la vicomté, ni quand le roi de France Louis VIII a donné la
suzeraineté au comte de Provence, suzeraineté qu’elle a refusé.
La ville basse, après une nouvelle révolte contre l’évêque,
est interdite et excommuniée.
Hugues, Barral et Gilbert continuent
à se battre contre la pression des Marseillais.
Le 16 janvier 1230, après
avoir passé un compromis avec le légat du pape, le cardinal
de Saint-Ange, les parties choisissent pour arbitre Gilbert des Baux de
Marignane et Vivaud de Lamure, et à défaut l’évêque
de Nîmes.
La situation est intenable pour
les Baux. Les arbitres n’arrivent pas à trouver une solution et
c’est l’évêque de Nîmes qui tranche : Barral et son frère,
à la suite de ses père et mère, doivent signer
à contrecœur l’acte de vente des seigneuries, juridiction et droits
dans la ville vicomtale de Marseille, moyennant 46 000 sous de royaux coronats
( 4 000 pour la cession de la seigneurie et juridiction de la ville, et 6
000 pour le Tolonée). En échange, la commune qui avait racheté
les dettes d’Hugues pour Aubagne annule celles-ci et lui laisse ses droits
acquis sur les châteaux du Castellet, La Cadière, Ceireste.
Elle versera une pension annuelle de 3 000 sous à la famille des Baux,
à perpétuité.
(1)
Deux jours auparavant, Hugues
avait donné toutes ses possessions de Marseille, sauf les châteaux,
au monastère de Saint-Victor et avait promis à l’abbé
que son épouse Barrale ferait de même pour ses biens propres
de Marseille, ceux qu’elle avait hérité de Roncelin. Barrale
s’exécute, le 6 février, sauf pour ses biens situés
en dehors de Marseille. (2)
Cette donation entraîne
un nouveau conflit avec la commune : il reste encore l’abbaye de
Saint-Victor et ses droits. Continuant sa politique d’indépendance,
elle attaque l’abbaye. L’évêque de Marseille est alors l’arbitre
du conflit. Hugues des Baux et d’autres seigneurs lui servent de caution
pour l’exécution de la sentence qu’il décidera. Sont en jeu
la juridiction de la ville comtale, certains revenus, une partie des droits
du château de Roquefort et d’Aubagne dont certains droits proviennent
de Roncelin. (3)
Barrale reconnaît aussi
la suzeraineté du prévôt de la Major sur un tiers d’Aubagne
et lui prête hommage pour les châteaux d’Aubagne, Gémenos,
Roquefort, Cuges et Jullans. Hugues lui rend encore un tiers d’Aubagne.Mabile
de Monteil rend le dernier tiers pour défaut de paiement de cens.
Les chanoines de la Major sont ainsi totalement propriétaires des
droits seigneuriaux sur ce château et ils s’empressent de faire flotter
l’étendard de la Vierge Marie, afin que cela se sache. Barrale reste
leur vassale pour la totalité du château à condition
de rendre hommage. Son fils Barral doit signer l’acte d’hommage, avec son
père et son frère. (4)
Hugues continue à vendre
ses biens : cette fois, il abandonne ses droits de seigneur sur tout
le territoire de la Visclède à l’abbaye de Montmajour pour
une somme de 3 000 sous de raymondins, puis ceux sur un moulin de Mouriès
pour 300 sous. (5)
Le comte de Toulouse est alors
en Provence où il a pris le parti de son beau-frère, l’empereur
Frédéric II, contre Raimond Bérenger qui s’est
emparé de la ville d’Arles. Il lance des raids en Provence et soutient
les consulats.
Le comte de Provence vient mettre
le siège devant Marseille (août 1230), après avoir
tenté vainement de faire soulever la ville par son évêque,
Benoît, gagné à sa cause.
Les Marseillais appellent Raimond
VII à l’aide. Celui-ci accourt. A son approche, le comte de Provence
lève le siège et regagne ses terres, faisant quelques dommages
(1er novembre 1230).
Hugues des Baux est à la
tête d'une alliance défensive qui regroupe sa famille, Tarascon
et Raimond VII, « contre tous, sauf l'église, l'empereur,
le roi de France et les habitants d'Arles ».
Le combat de Marseille pour son
indépendance, sa marche vers une République autonome passe
par une séparation avec le pouvoir comtal de Provence. La commune
le sait et fait ce qu’il faut pour s’éloigner de la Provence : les
syndics de la Ville Basse, en parlement dans le cimetière des Accoules
(son lieu habituel de réunion), décident de donner en viager
leurs droits sur la vicomté, et la juridiction sur les terres au
comte de Toulouse, Raymond VII. Celui-ci, présent dans cette réunion,
le 7 novembre 1230, accepte, jure de défendre les Marseillais, leur
ville et leurs propriétés, de conserver franchises et liberté.
(6)
Accord de Marseille avec le nouvel évêque.
La ville haute s’affranchit des
évêques.
Hugues des Baux est prisonnier
du comte de Provence, avec son fils Gilbert, à Aix. Il propose au
comte de Provence d’être son négociateur avec le comte de Toulouse.
Vraisemblablement, celui-ci accepte à condition d’avoir des garanties.
Le 16 juillet, la ville d’Arles, par l’intermédiaire de son podestat
Parceval Doria et de ses syndics, accepte d’être garante, pour 1
000 marcs d’argent, afin qu’Hugues soit libéré et négocie
une trêve avec Raimond VII. Hugues à trois mois pour réussir.
S’il échoue ou bien si le comte de Toulouse passe le Rhône
pour envahir la Provence, Arles perdra sa caution.
(7)
L’aide de la ville d’Arles s’explique
par la confiance qu’elle a en Hugues et aussi par le fait que le comte de
Toulouse vient de dévaster toutes les contrées autour d’Arles
et qu’il faut retrouver la paix.
Le troubadour Bertrand d’Alamanon,
dans son Sirventès, montre bien ce que pense le peuple : «
Comte du pays de Toulouse, par votre vaillance vous
avez effacé et vous avez réparé par votre courage les
peines et les pertes, la honte et le préjudice que le seigneur des
Baux a essuyé ici ; car vous êtes un comte plein de valeur et
de sens, vous êtes un comte qui aime la joie et les amusements et
qui est honoré par dessus tous les autres, un comte enfin qui apprécie
le mérite et la bravoure ».
Survient alors une intervention
directe de l’empereur dont les causes relèvent de la grande politique.
L’époque est à la réconciliation entre la papauté
et l’empire. De retour de Terre sainte où il a réussi à
négocier la restitution de Jérusalem, l’empereur Frédéric
II a rétabli son autorité sur la Sicile, puis sur les barons
germaniques, mais se heurte à la Ligue lombarde, Milan en tête.
Il a besoin du pape contre cette Ligue, or le Saint père en conflit
avec les Romains l’invite « à écraser de sa dextre
triomphale l’orgueil des insolents Romains, à disperser les légions
démoniaques et à briser les cornes des impies ».
L’empereur est alors en Sicile et ne souhaite pas se heurter directement
aux Romains et à la Curie, aussi fait-il appel à ses feudataires
de Provence et de Bourgogne, en 1232, afin qu’ils se portent au secours
au pape. C’est la première fois que l’empereur fait appel au comte
de Provence pour contribuer directement à sa politique impériale.
En septembre 1232, l’empereur
Frédéric II, intervient pour faire cesser les guerres locales
car, dit-il , il a besoin du comte de Provence pour qu’il aille défendre
le Saint-Siège avec son armée. Son mandataire Caille de Gurzan
demande la paix à la ville de Marseille, aux seigneurs des Baux,
à Guillaume de Sabran et au comte de Toulouse, en bref, à
tout ceux qui s’opposent à Raimond Bérenger V, menaçant
de les traduire devant sa cour et d’être mis au banc de l’Empire.
Comment résister à
une pareille menace ? En mars 1233, tous promettent d’obéir, Barral
en tête pour les Baux, ceux de Provence et d’Orange, les Sabran, Giraud-Amic,
le comte de Toulouse et Marseille. Tous se conforment aux ordres de l’empereur,
répondant qu’ils donneront des gages et se rendront où on
leur demandera. (8)
En mai, à Aix, Caille
de Curzan signe une convention avec le comte de Provence pour libérer
Hugues et son fils Gilbert. Hugues donnera 1 500 marcs d’argent pour recouvrer
la liberté et encore 500 marcs d'argent pour libérer son
fils. Ses châteaux du Castellet et de La Cadière seront confiés
à la garde de Guillaume de Cotignac et il lui en coûtera 1
000 livres pour récupérer son bien ou bien il restera en
prison. Dans ce cas-là, c’est son fils Barral qui récupèrera
les châteaux. (9)
En mai toujours, Caille de Curzan
est à Marseille où il demande aux habitants de comparaître
devant lui sous 15 jours et de donner des otages pour garantir la paix.
(10)
La donation "inter-vivos" des
Marseillais n’est faite au comte de Toulouse qu’en viager et n’ouvre aucun
droit à ses héritiers. L’acte est signé par le chancelier
du comte, Pons Astoaud, par le notaire impérial Guillaume Ymbert,
par de nombreux nobles de l’entourage du comte de Toulouse et, pour les
Marseillais, par Hugues des Baux et son neveu Raymond de Berre, par Rostand
Reboul, Raolin le Drapier et bien d’autres Marseillais .
Hugues et Raymond des Baux garantissent
la trêve, en juillet, pour les Marseillais. Le comte de Toulouse,
donne les châteaux des Baux et d’Eguilles en gage. Barral accepte
de donner cette garantie, comme son frère.
(11)
Raimond VII établit un
viguier dans la ville, espérant tirer des revenus conséquents
de cette donation. En fait, il n’en est rien car la ville est toujours déchirée
entre les intérêts des vicomtes, de la commune et des factions.
Aucune décision ne peut être prise sans le consentement de
tous. Marseille s’est fait protégé par le comte de Toulouse
sans que cela lui coûte beaucoup.
Décès de Barrale
de Marseille, mère de Barral.
En octobre 1233, les chanoines de la Major donnent un tiers du château
d’Aubagne, les châteaux de Roquefort et Jullans en fief à Hugues
et ses fils. Il s’agit toujours des biens de Barrale, mais Barrale ne signe
pas cet acte. (12)
Est-elle déjà malade ? Est-elle déjà morte
? Nous savons qu’elle est décédée avant octobre 1234.
Peut-être n’a-t-elle pas
supporté l’emprisonnement de son mari et de son fils Gilbert, les
soucis d’argent de son mari, la pression des Marseillais pour acquérir
les parts de la vicomté qui lui appartenaient en propre. De plus,
Barral n'est pas présent : il est avec le comte de Toulouse et s’occupe
de fomenter des troubles pour qu’il récupère le marquisat.
Tout cela a pesé sur sa personne, elle qui naquit dans un milieu
plus délicat, avec une mère poète et un père
au pouvoir vicomtal incontesté. Elle disparaît au moment où
son mari et ses enfants jouent "gros".
Elle a toujours aidé de
ses biens propres comme, sûrement, de son amour familial.
Barral, Gilbert et Alasacie, ses
enfants, sont bien tristes alors qu’ils doivent faire face à leurs
nombreux engagements et régler les problèmes de succession.
Hugues décide alors de
donner ses grandes propriétés en gage à l’Ordre du
Temple. C’est d’abord la ville de Lansac, la Visclède, Saint-Gabriel
et Montmajour avec tous les droits de seigneurie, puis l’île de la
Camargue avec les châteaux et ville de Trinquetaille, Villeneuve,
Méjanes et tous les droits associés. L’Ordre lui prête
alors 100 000 sous de nouveaux raymondins, une somme très importante.
Gilbert et Alasacie signent cet
acte de donation. Barral, absent, ne le signe que le 28 novembre 1234 dans
le château des Baux. (13)
Gilbert ayant abandonné
des biens qui appartenaient à sa mère à l’Ordre du
Temple, Barral approuve la donation, ce même jour. (14)
Sur la somme reçue du Temple, Hugues
donne 60 marcs d’argent à l’archevêque d’Arles pour les frais
de son excommunication et celle de son fils Gilbert, 18 000 sous pour le
gage de Trinquetaille, la même somme pour le gage de Méjanes
et 430 sous pour Montpaon et règle encore d’autres frais. Il respecte
les volontés de son épouse qui avait promis de léguer
3 000 sous au monastère de Saint-Pons de Gémenos. Avec le reste,
il rembourse ses créanciers. (15)
Ayant réglé ses
dettes, Hugues pense qu’il est opportun, après la mort de son épouse,
de partager ses biens entre ses deux fils, Alasacie, leur sœur ayant
était doté lors de son mariage. L’acte de partage est signé
le 26 novembre 1234. Hugues souhaite que ses fils vivent en paix et se prêtent
une mutuelle défense :
• Gilbert, déjà seigneur d’Aubagne,
de Castellet et de Revest par le testament de sa mère, reçoit
les domaines situés entre Neian, Albaron et Trinquetaille avec leurs
appartenances et dépendances, telles que droit de tasque, cens, trézain,
chasse et pêche.
• Barral devient propriétaire de tous les droits
sur Villeneuve, Méjanes, Malmissane, la mergue et la roubine Baussenque,
de la moitié du péage des ports de Trinquetaille et du petit
Rhône. (16)
Gilbert des Baux rend hommage pour Aubagne avec sa mère.
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