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Chapitre IX. L’affaire albigeoise.
 

    Au début du XIIIe siècle commence une affaire dont nous allons beaucoup parler et qui va modifier en profondeur le paysage politique de la région.
Il s’agit de l’affaire des Albigeois.
Barral est bien jeune quand commence cette affaire.


    L’hérésie s’est développée, principalement dans les terres du comte de Toulouse, favorisée par l’esprit de tolérance des sociétés méridionales et en réaction aux abus de l’Eglise, trop riche, trop puissante et trop attachée à ses biens temporels. La doctrine cathare, avec sa simplicité et son idéal de pauvreté, a très rapidement fait des progrès, souvent avec le soutien bienveillant des vassaux du comte de Toulouse et sans que Raymond VI n’intervienne, en particulier contre ses propres sujets.
     Innocent III, pape énergique, décide de combattre ce mal, envoie ses prêcheurs, puis ses légats et ordonne à Raymond VI d’agir contre les hérétiques. Celui-ci ne bouge pas. .

      Le 15 juin 1208, le légat Pierre de Castelnau est assassiné à Saint-Gilles par un écuyer que l’on dit être de la maison de Toulouse. Innocent III le tient pour responsable et trouve là un prétexte pour en finir. Le 10 mars 1209, il lance un appel à la croisade et les terres de Toulouse sont exposées en proie.
    Barons et chevaliers de la France du Nord répondent à l’appel du pape, d’autant plus que le roi de France Philippe-Auguste a autorisé leur participation pendant quarante jours (la quarantaine). L’appât d’un gain facile avec la bénédiction de l’Eglise est une forte motivation, bien éloignée de la défense du catholicisme.
    Raimond VI doit se rendre à Valence en mai-juin 1209, devant les évêques de la région et doit promettre de remettre sept places-fortes à l’Eglise, dont Oppède, Mornas et Beaumes dans le Comtat Venaissin. Le légat Million exige des consuls d’Avignon de se considérer comme dégagés de leur serment de fidélité si le comte de Toulouse ne respecte pas sa promesse envers l’Eglise.

    La diplomatie de l’Eglise entre alors en jeu pour faciliter la conquête. Le pape et la curie se méfient des alliés du comte de Toulouse et demandent à leur légat d’intervenir auprès d’eux, ordonnant obéissance.



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Innocent III
    Le pape Innocent III prêchet la croisade contre les Cathares ou Albigeois et demande des garanties aux Baux par l'intermédiaire de son légat Milon. Le prince d'Orange Guillaume, Hugues des Baux et Raymond des Baux doivent remettre les châteaux de Vitrolles, de Montmirail et de Clarensac au Saint-Siège en garantie de l'observation des accords sur les juifs, les hérétiques et sur les péages.
   Il est vrai que les Baux, comme les consuls et chevaliers d'Arles, viennent d'être rappelés à l'ordre par une lettre d'Innocent III datée du 2 mai 1209, de Saint-Jean de Latran car ils cherchent à s'affranchir des obligations dues à l'Eglise.


    Les évêques et le Saint Siège se méfient de cette famille des Baux, jugée trop proche de la Maison de Toulouse. Le légat Millon leur ordonne de n'avoir aucun commerce avec les hérétiques, d'éloigner les juifs des administrations publiques, de protéger les maisons religieuses, de détruire les églises fortifiées à la première réquisition des évêques et  de faire la paix  sur demande de l'Eglise. Il demande en outre aux consuls et conseillers d'Orange, comme à leur prince, leur appui pour que le comte de Toulouse respecte ses engagements, pour qu'il n'obtienne aucune aide, aucun secours, de leur part (1). Ils jurent de faire tout leur possible pour que le comte de Toulouse obéisse aux ordres de l'Eglise. Le prince jure de défendre l'Eglise de tout son pouvoir (2) et les consuls d'obéir aux ordres du pape ou de son légat et de maintenir la sûreté des chemins publics. Hugues et son neveu Raymond doivent s'engager à livrer le château de Lançon à la première réquisition du légat, reconnaissant même le tenir au nom de l'Eglise et de le garder à leurs dépens (3).

    Hugues, son épouse Barrale, tout comme son frère le prince d'Orange, font maintes donations afin d'appuyer leur engagement envers l'Eglise : Donation au monastère de Saint-Cézaire du droit d'Albergue sur Orgon ; liberté de pâturage et affranchissement de tout péage sur leur domaine, pour l'abbaye de Notre-Dame de La-Val-Benite ; don au monastère de Saint-André de Pébayon du cens annuel sur 10 livres de poivre ou sur une saumée de poisson pêché dans l'étang de Vacarès.

    Devant la pression de l'Eglise, Raymond VI accepte sa pénitence à Saint-Gilles. Il est flagellé devant le portail de l'église de cette ville et doit s'engager à aider les croisés contre ses propres vassaux toujours considérés comme cathares.

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Pénitence du comte de Toulouse, Raimond VI. Dessin de J. M. Moreau. Gravé par Delvaux, 1782.
Le comte de Toulouse, Raimond VI, demande à être réconcilié à l'Eglise.
Il reçoit l'absolution du légat du pape

    Cela n'empêche pas la croisade de se mettre en mouvement.
    En juin 1209, les croisés descendent en Languedoc par la vallée du Rhône et son chef, Simon de Montfort, conquiert et s'approprie les terres des hérétiques. Béziers résiste en juillet, ce qui entraîne un massacre : 15 000 cadavres seront comptés après la prise de la ville.
    Il est vrai qu’Arnaud Amaury avait lancé son fameux message : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ».

    Puis, c’est au tour de Carcassonne où Raymond Roger Trencavel finit par se rendre : il mourra dans son propre cachot.
    Beaucoup de barons français, ayant fini leur quarantaine, quittent la croisade et rentrent chez eux.
    En 1210, le comte de Toulouse est à nouveau excommunié. 

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Les Cathares chassés de la ville de Carcassonne (4)

    Les Baux surveillés de près par les hommes d'Eglise, sont restés jusque-là sans réaction Alors, le Prince d'Orange, Guillaume des Baux, décide d'agir et de profiter de cette période trouble. Il prend le prétexte de son association avec les croisés pour envahir tout le marquisat (Comtat Venaissin), afin dit-il, de défendre les droits du Saint-Siège (1213). Les Avignonnais en sont choqués, eux qui sont déjà de chauds partisans du comte de Toulouse.

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Bataille de Muret

    Un grand Etat occitan aurait pu naître lors de la constitution de la grande coalition occitano-catalane (13 janvier 1213) qui regroupe le comte de Toulouse (Raymond VI) avec ses terres du marquisat de Provence, le comte de Foix, le comte de Comminges, le vicomte du Béarn et le roi d’Aragon. Ce dernier, lié par ses sœurs au comte de Toulouse est poussé par l'ambition de créer un vaste domaine catalan. Opposés aux barons français et bien supérieurs en nombre, ils subissent une imprévisible défaite à la bataille de Muret, près de Toulouse, le 13 septembre 1213, défaite qui marque la fin de la domination toulousaine sur le Sud de la France.

    Pierre II, roi d'Aragon, le grand allié du comte de Toulouse, est tué pendant cette bataille. Cela a des conséquences sur la Provence : le comte Sanche qui gouverne la Provence doit retourner en Aragon et laisser le pouvoir à son fils Nũno, pendant que le jeune Raymond Bérenger V, pas encore majeur doit rester en Aragon.

    S'il est un tournant important dans notre histoire, c'est celui de la défaite de la Maison de Toulouse : elle entraîne l'extension de la France vers nos régions, alors qu'un avenir indépendant semblait se dessiner pour toutes les terres du Midi, un nouvel Etat autonome, de langue d'oc, qui aurait pu perdurer jusqu'à nos jours.

    Ayant perdu l'appui de la Maison de Toulouse, il ne reste aux Baux qu'une seule solution : se tourner vers l'Empereur.
     Frédéric II, petit-fils de Frédéric Barberousse, fils de l’empereur Henri IV, est alors âgé de vingt ans.
    Orphelin à quatre ans, confié à la tutelle du pape, élevé en Sicile,  il en était devenu roi en 1198, puis avait été désigné comme roi des Romains. Il n’a pas encore récupéré la couronne impériale, mais se comporte déjà comme s’il l’avait et rappelle ses droits sur le royaume d’Arles et sur ses vassaux de Provence : Le 8 janvier 1214, il renouvelle à Hugues des Baux, à son frère Guillaume Ier, le prince d’Orange et à leur neveu Raymond le privilège donné par Conrad III et confirmé par son aïeul Frédéric Ier, de porter librement leurs enseignes depuis les Alpes jusqu’au Rhône et depuis l’Isère à la mer, avec faculté de battre monnaie où ils le voudront par toute la Provence. Il leur cède en fief les terres possédées par feu Guillaume d’Orange car celui-ci n’était pas venu recevoir l’investiture des mains de l’empereur lorsqu’il était à Arles.
    Un an plus tard, jour pour jour, Guillaume des Baux, prince d'Orange, devient vicaire du royaume d'Arles. Frédéric II  lui concède, de Metz, le royaume de Vienne et d’Arles, à cause des nombreux et grand services rendus à sa famille, et de ceux que lui ou ses successeurs pourront lui rendre à l'avenir, avec promesse de le faire couronner, ordonnant à tous les habitants du royaume, clercs ou laïcs, nobles ou roturiers, de lui obéir et prêter serment de fidélité .

       

   Fort de cette nouvelle alliance réaffirmée, les Baux relèvent la tête et les choses se compliquent à Arles. Hugues des Baux s'oppose aux habitants et la guerre commence ; Hugues s'assure l'aide du comte de Provence : le 13 août 1214, Nũ non Sanche promet à Hugues des Baux de faire consentir le comte Sanche, son père, et son neveu Raymond-Bérenger, à la ratification de la convention qu’ils font à propos de cette guerre d’Arles. Sanche promet d’aider Hugues et Raymond des Baux, de leur fournir trente chevaliers ou arbalétriers, pendant toute la durée de la guerre, et d’exhorter ses vassaux à lui venir en aide. Les seigneurs des Baux s’engagent à leur tour à se conduire loyalement, et à ne faire aucune trêve sans le consentement de Sanche.  

    En 1215, au concile de Montpellier, Raymond VI est déchu de ses droits et Simon de Montfort obtient le comté de Toulouse sauf le Comtat Venaissin qui est attribué à l'Eglise romaine. Le pape établit ainsi son autorité temporelle sur l'ancien marquisat de Provence, c'est à dire sur le Comtat, le Bas-Dauphiné et le Diois.
    Simon de Montfort entre dans la ville de Toulouse.

    Après la soumission de la ville de Toulouse, Raimond VI se réfugie à Barcelone, alors que son fils va en Angleterre, chez son oncle. N’ayant plus rien à perdre, ils décident d’aller défendre leur cause au concile de Latran. Le vieux pape Innocent III les écoute, le 14 novembre, mais il ne peut aller contre ses évêques : il confirme que Simon de Montfort conserve les terres acquises, mais s'engage à donner à Raimondet le Comtat Venaissin et le marquisat, ainsi que les terres de sa mère Jeanne d’Angleterre, à savoir Beaucaire et la terre d’Argence.
    Innocent III écrit le 4 février 1215 de Latran à son légat pour lui annoncer son souhait, précisant que Raymondet ayant demandé pardon de ses crimes, il faut lui remettre une pension convenable sur les terres du marquisat, après avoir gardé suffisamment d'argent pour l'entretien des châteaux. 

      Le retour des comtes de Toulouse, Raimond VI et Raimondet, provoque une liesse générale : la ville de Marseille les accueille chaleureusement, les consuls et les chefs de métier promettant de soutenir leur cause. Sous peu, l'évêque est chassé, la ville Basse s'érige en Commune dès 1216, bientôt suivi par la ville Haute ; ce qui vaut une excommunication des habitants et la dissolution de la confrérie du Saint-Esprit, première "municipalité" de la ville basse. Hugues des Baux doit jouer les arbitres : le 19 février 1219, dans l'église des Accoules, il promet d'intervenir auprès du cardinal, de l'archevêque d'Arles et de l'évêque de Marseille, de faire tout son possible pour que l'excommunication soit levée et de défendre la ville.
      Les consuls d’Avignon envoient un message à Raimondet et à son père :
« Sire comte, ne vous attardez pas, car les plus notables d’Avignon vous attendent : ils sont plus de trois cents qui vous feront hommage ». Ils arrivent à Avignon dès le lendemain de leur débarquement à Marseille et la commune leur remet les clefs de la ville. Beaumes, Pernes, Malaucène et maints autres châteaux du Venaissin ouvrent leurs portes, prêtent hommage, les reconnaissant comme leurs souverains légitimes. Dragonet de Montdragon, Guiraud de Montélimar, les comtes du Valentinois, père et fils, Guy de Cavaillon, tous se pressent pour leur rendre hommage.


     Résolument du côté du comte de Toulouse, Avignon s’arme (1215) contre Guillaume II des Baux qui occupe le Comtat Venaissin. Battu et fait prisonnier dans une embuscade, il est écorché vif et son corps coupé en morceaux, à coup de hache, par les Avignonnais.
    Le prince d'Orange a cependant eu le temps de faire deux mariages et cinq enfants qui se partagent la principauté et le titre de prince d'Orange. Notons un personnage illustre de cette famille : Raimbaud III des Baux, prince d'Orange est le troubadour bien connu, dont la statue honore l’une des places d’Orange. Celui-ci s'est rangé du côté du pape Innocent III contre les hérétiques albigeois.
    Avignon reçoit, en remerciement de son soutien à Toulouse, les bourgs de Caumont, le Thor, Thouzon et Jonquerette (1218).  En remboursement d'un prêt accordé, elle reçoit, plus tard, en 1226, les châteaux de Malaucène et de Beaucaire.
 
    Un autre événement marque l’année 1216 : c'est la rupture entre la Maison d’Aragon et le comté de Provence. Le jeune Raimond Bérenger V s’échappe du château de Monzon où il était détenu ; et revient en Provence ; sa mère, Garsende de Sabran, prend la tête d’un conseil de régence purement provençal et adopte une politique prudente pendant le conflit avec les Albigeois, clairement du côté de l’Eglise, mais sans pour autant participer à la croisade ou profiter de la guerre pour essayer d’acquérir de nouvelles terres. Raimond Bérenger V n'est proclamé majeur qu'à 15 ans, en 1219.

    La résistance occitane commence à s’organiser, à partir du Venaissin, avec ses villes et ses barons qui soutiennent le comte de Toulouse ; de l’autre côté du Rhône, tous les barons dépossédés souhaitent récupérer leurs fiefs et leur pouvoir ; Avignon et Marseille sont derrière eux, Tarascon aussi.
    Les Baux d’Orange sont hors d’état de nuire à la croisade, mais ceux de Provence sont encore là, prêts à agir. Aussi, l'Eglise les occupe : le 11 septembre 1216, le doyen de l’archevêché d’Arles donne à Hugues des Baux la garde du château de Mornas et la perception du péage de Piolenc. En garantie, Hugues donne ses châteaux de Trinquetaille, de Villeneuve et de Méjanes.

  La commune d'Avignon, à l'apogée de sa puissance, se comporte en véritable seigneur féodal et se croît même capable de résister au roi de France. Elle bat monnaie et lève une petite armée. Si l'évêque est le président de la commune, l'autorité appartient de fait aux huit consuls, quatre chevaliers et quatre prud'hommes, élus pour un an.

 
(1) Barthélémy, acte 142
(2) Barthélémy, acte 146
(3) Barthélémy, acte 143
(4)  Enluminure des Grandes Chroniques de France. British Library