Geoffroy,
petit-fils de Guillaume, mort vers 1063, fit sculpter sur sa pierre
tombale une croix tressée, élargie aux extrémités
et cantonnée de quatre fleurs. Emma de Venasque était
contemporaine de ce Geoffroy.
Nombreux sont les grands seigneurs de notre région, vassaux
des marquis de Provence, qui adoptèrent pour emblème
une croix du même type (celle de leurs suzerains ?) :
Venasque
Gigondas Forcalquier
Adhémar de la Garde
Croix de Venasque
:
D’abord la Maison de Venasque, à
deux pas de Sarrians, qui porte ces armes depuis bien longtemps
et dont la description de l'an 1043 précise qu'elle était
d'azur sur champ d'or. Le sceau de la famille de Venasque, de 1094,
représente cette croix avec toutes ses caractéristiques.
Elle décore le tombeau de Geoffroy de Venasque à l'abbaye
de Sénanque.
Une autre pierre tombale, celle de
François de Thézan, est conservée au baptistère.On
sait qu'un membre de cette famille épousa la dernière
héritière de la famille de Venasque.
Croix de Gigondas
:
Celle de Gigondas, village tout prêt
de Sarrians, portait la même croix, d'argent sur fond
d'azur, aussi depuis le XIIe siècle, au moins.
On le voit, la croix grecque, patté,
cléchée, vuidée et pommetée a pour
origine le Marquisat de Provence (qui
deviendra Venaissin).
Elle est grecque car les branches
sont de même longueur ;
elle est pattée ou atésée
car ces branches s'élargissent du centre vers l'extérieur
;
elle est cléchée
car les extrémités se referment en formant une pointe
saillante ;
elle est vuidiée car évidée
de manière pour faire apparaître à l'intérieur
une croix plus petite ;
elle est pommetée car les
points saillants sont couronnés de boules {trois par branche).
Croix de Forcalquier
:
En 1168 apparaît la croix de Bertrand
II de Forcalquier. Toujours au XIIe siècle, celle des
Adhémar de la Garde (Paréol) et celle des vicomtes
de Marseille.
................
... Sceaux de
Guillaume III de Forcalquier
Sceau du comte de Forcalquier
en 1230.(Louis Blanchard -
1860)
La croix de St Gilles.
Taillefer, comte de
St Gilles, marquis de Provence par Emma, vécut le plus souvent
sur les bords du Rhône. A sa mort en 1037, il fut inhumé
dans un sarcophage dont la cuve de pierre prend appui sur trois paires
de colonnettes aux chapiteaux sculptés de la croix « plutôt
pattée que cléchée ».
Lorsque Raymond IV
de St Gilles, petit-fils de Taillefer, dota en fiefs l’abbaye de
St André d’Avignon, le sceau comtal qu’il utilise représente
une croix « cléchée, vidée et pommetée
» qui deviendra l’emblème du Languedoc.
Lorsqu’il prend
la tête de la croisade, en octobre 1096, la « croix de
gueules d’or, cléchée, vidée et pommetée
» sur fond pourpre sert-elle de bannière au ralliement
des Provençaux et des Languedociens ? Rien ne permet de l’affirmer
mais reconnaissons qu’il y a quelques probabilités à cela.
De nombreux nobles de la région, les Adhémar, les Baux,
les Sabran, les Agoult, les Raimond, les Venasques, les Porcelets,
sept nobles de Malaucène, se rangent sous l’étendard
de Saint Gilles.
1220 : sceau des comtes de Toulouse pour
le Venaissin.
|
Raymond
IV, Saint Gilles, mort en 1105, fut le premier des comtes à arborer
cette croix particulière et les nombreux seigneurs du marquisat
qui l’accompagnèrent dessinèrent peut-être sur
leur écu, ce « double faisceau de six lances entrecroisées
définissant douze extrémités organisées
en croix à branches égales ». Portèrent-ils
très haut cet emblème « écarlate à
la croix d’or à douze boules » lors des prises des grandes
villes d’Orient, Antioche ou Jérusalem ou bien adoptèrent-ils
ce symbole au retour de leur croisade ?
|
On peut imaginer que ce fut le signe de ralliement des Provençaux
et des Languedociens.
Autres origines possibles
de cette croix :
A Venasque, la pierre tombale ou dalle funéraire
de l'évêque Bohétius (583-604) fut exhumée
au XVIe siècle : elle présente
des similitudes, avec la croix de Venasque connue six ou sept siècles
plus tard : croix pattée et rosaces.
Cette dalle est visible à Notre-Dame de Vie (Venasque)
A Toulouse, on trouve des origines bien plus lointaines à
cette croix : Un autel gallo-romain du IVe siècle, à
Garin en Haute-Garonne porte une croix à douze extrémités.
Au Ve siècle, une monnaie frappée par les rois wisigoths,
alors maîtres de l’Aquitaine, porte une croix cléchée,
elle aussi à douze extrémités.
...............
.............
Croix copte
Croix de Constantinople
Il y a plus longtemps encore, la croix copte
à 12 boules de Saint-Maurice existait au IVe siècle et
était utilisée par l’église copte d’Alexandrie
et par le Grand Patriarcat de Constantinople. Saint Maurice fut honoré
par les Burgondes chrétiens dont dépendait la Provence.
Saint Maurice est le patron du village de Caromb.
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Boucle en os de l'époque
burgonde.
Fin du Ve siècle.
Elle est ornée d'un chrisme.
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On sait aussi qu’une telle croix, dite " nestorienne " existait
dans le Turkestan chinois vers l’an 450.
Croix nestorienne
Et puis, on se demande si cette croix de Toulouse vient d’Emma
de Venasque ou bien si les Venasque portent cette croix parce qu’Emma
a épousé "leur" comte Taillefer, de Saint Gilles au
bord du Rhône…
Allez donc savoir !
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Croix du XIIe ou XIIIe siècle
en Catalogne. |
Croix de Toulouse
:
Alfonse-Jourdain et Raymond V de Toulouse, successeurs de Raymond IV de
Saint Gilles, n’utilisèrent pas cette croix. Il faut attendre Raymond
VI, en 1194 et 1222, pour voir re-apparaître cette « croix
grecque à branches égales, cléchée et pommetée
d’or dont les extrémités des branches sont triplement bouletées
et perlées », qui restera l’emblème des comtes de
Toulouse. Son sceau, utilisé dans les actes du Marquisat porte
cette croix avec le mot « Venaissini », en 1222.
Sceau du marquisat en 1222
Pour
les comtes de Toulouse, cette croix fut l’emblème de leur
titre de
marquis de Provence. Elle
deviendra emblème de l’Occitanie.
Sceau de Raymond VI, marquis
de Provence.
.............................
Sceau de Jeanne Plantagenêt,
épouse de Raymond VI
de 1196 à 1199. Marquise de
Provence, elle porte la croix sur son bras (agrandissement).
Bulle de Raymond V, attestée
en 1171, pour le Marquisat de Provence.
Frise représentant la croix
et la fleur de lys. Don d'Alfonse de Poitiers
et de son épouse Jeanne de
Toulouse (Lisle-sur-Tarn).
Milieu du XIIIe siècle.
Sceau d'Alphonse de Poitiers
La chapelle
Sainte-Croix, au sommet du mont Ventoux.
Quoi qu’il en soit,
en Comtat Venaissin on a toujours porté très haut cette
fameuse croix. D’abord sur les armoiries des familles nobles et ensuite
par la vénération de toute une région : Entre
1500 et 1504, l’évêque de Carpentras, Pierre Valétariis,
neveu du pape Sixte IV, fit édifier, au sommet du mont Ventoux
une chapelle « Sainte-Croix ». Cette chapelle devint très
vite un lieu de pèlerinage. Saccagée en 1562 par les
troupes calvinistes de Puy-Montbrun alors que le baron des Adrets assiégeait
la ville de Carpentras, elle fut reconstruite à la fin du XVIIe
siècle, sur l’initiative du chanoine César de Vervins
du chapitre d’Avignon.
La chapelle Sainte-Croix
au sommet du mont Ventoux.
Extrait de la carte de Jacques de Chieze Orangeois
Au hasard des Archives communales, on trouve des traces de la ferveur
comtadine : ainsi, pour la Pentecôte de 1583, 6.000 pèlerins
des villages du Comtat montent à la Sainte Croix du mont «
Ventour ». « Des pèlerins venant de partout (de
Bollène, Valréas, du Dauphiné et de la Provence)
se dirigent vers le sommet du Ventoux où se trouve depuis le
début du siècle la chapelle Sainte-Croix, afin de remercier
le ciel de la paix retrouvée. On montait, dit Guimier (Histoire
de Malaucène) par groupe de deux cents ou trois cents et selon
un ordre réglé d’avance, si bien qu’il se trouva là-haut,
pour la Pentecôte, des milliers de personnes ».
Au mois de mai 1584,
les processions de Beaumes, d’Entrechaux de Vaison et de Montdragon,
retournant du Ventoux et aussi de Notre-Dame-de-Vie (près
de Venasque) passent par Caromb où la municipalité leur
offre une collation.
La bêtise révolutionnaire,
après avoir décrété Bédoin «
infâme » va jusqu’à faire détruire cette
chapelle Sainte-Croix au sommet du Ventoux. Elle sera relevée
à nouveau en 1818. S’étant écroulée au début
du XXe siècle, une nouvelle chapelle fut inaugurée en
grande pompe le 20 juillet 1936.
Alors
?
Laissons à
nos historiens le soin de trouver de nouvelles preuves sur l’origine
de cette croix, aujourd’hui communément appelée «
de Toulouse » et continuons à croire, au pied du Ventoux,
qu’elle est « de chez nous », sûrement
de Venasque.
Sources :
- P.G. Ruffino : les comtes de Toulouse,
des croisades aux Cathares
- Général François
Barillon : Sainte-Jalle, une autre histoire de la Provence
- Bertran de La Farge : Raimon VI, le
comte excommunié, et divers articles sur cette croix.
- Jean Antoine Pithon-Curt : Histoire
de la noblesse du Comté Venaissin, d’Avignon et ...
- Hervé Aliquot - Robert Merceron
: Armorial d’Avignon et du Comtat Venaissin.
- Carte : extrait de la carte de Jacques
de Chieze Orangeois de 1627.
- Dessins de l’auteur d’après
la documentation existante.