Mise à jour 4/05 Copyright JG © 2005

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ARTS et TRADITIONS de BELLINO (Blins)
INTRODUCTION : En dépit de polémiques ardentes et passionnées, félibres adeptes de la graphie mistralienne et occitanistes partisans d’un rapprochement avec les écoles médiévistes de la région toulousaine, s’accordent à accueillir sans hésitation le dialecte de la vallée de BLINS dans la grande famille des parlers de langue d’Oc.

Cette promotion, confirmée par des analyses linguistiques, permet d’élever ce parler au rang de langue respectueuse de règles grammaticales établies et non pas de simple patois procédant par formules et idiomes (cf. l’ouvrage NOSTO MODO, Jean-Luc BERNARD 1992).

Plus modestes, les montagnards inscrivent leurs racines dans le cadre de leur vallée voire de leur paroisse et, contraints de pratiquer plusieurs langues au gré des déplacements de frontières ou à l’occasion de migrations hivernales, considèrent simplement qu’ils s’expriment à NOSTO MODO (à leur manière).

Français, Piémontais et bien évidemment Italien constituant tour à tour langue officielle, noble, commerciale ou administrative, ne sont évidemment pas inconnus de ces polyglottes par nécessité.

En dépit de quelques traits communs avec le Franco Provençal savoyard, les linguistes tel Raoul MARIN rattachent assez logiquement le parler à NOSTO MODO au VIVARO ALPIN des occitanistes, GAVOT ou PROVENCAL ALPIN des félibres.

Au sein de la langue d’oc, le parler de BLINS appartient au sous-groupe intra alpin dont les caractéristiques correspondent à une aire géographique concernant le bassin de la Durance au Nord de Sisteron et la zone montagneuse limitée à l’Ouest au Sud de Lure par la barrière autrefois marécageuse du lit du Pô drainant le Piémont.

Le parler de BLINS est doux et mélodieux, il n’a pas le caractère sonore et un peu rude de certains parlers du Queyras, du Briançonnais ou même des autres vallées du Castellar et de la basse Varaita.

Paradoxalement, le jeu de certaines affinités le rapprocherait plutôt des vallées méridionales du versant Piémontais (Val Maira) et d’autre part de celles de la Haute Ubaye, de Ceillac ou de Saint Véran.

L’élocution est plutôt lente et articulée.

Pour sa part, Paul-Louis ROUSSET retrouve dans ses analyses de toponymes les racines d’une langue indo européenne plus ancienne précédant en ces lieux la langue d’Oc issue du bas latin telle qu’importée les premiers siècles de notre ère par les Romains (LES ALPES, leurs noms de lieux – 6000 ans d’histoire – 1988).

 Bien évidemment, l’analyse des ressorts de la grande famille de langues issues du latin telles le Gallo Roman incluant Français et Langue d’Oc comme leur articulation avec les parlers antérieurs sont loin d’être éclaircis et leur domaine géographique précis loin d’être exactement défini.

Les grandes entités linguistiques du Gallo Roman ne sont pas uniformes dans leurs manifestations.

Par des processus sans doute semblables à ceux qui avaient scindé le latin en diverses langues, chaque idiome composant vraisemblablement en lui les germes d’une fragmentation s’est subdivisé en entités secondaires : les dialectes.

Ces dialectes ne constituent pas des types linguistiques parfaitement déterminés : leur aire d’extension est souvent capricieuse et se moque généralement des barrières définies par la tradition historique. Les zones dialectales s’interpénètrent souvent à leurs frontières et l’on passe la plupart du temps insensiblement d’une zone à l’autre.

Mais oublions à présent savants, félibres et occitanistes et dirigeons nous vers les montagnes du haut Val Varaita dénommé LE CASTELLAR.

Dans notre confortable auto, il nous est difficile d’imaginer la vie des paysans avant 1936, date à laquelle la première route carrossable fut aménagée vers BLINS.

Au préalable, les montagnards vivaient en semi autarcie et se procuraient eux-mêmes l’essentiel des denrées nécessaires à leur nourriture, à leur habillement et logement. L’entretien des routes et ponts était assuré par des corvées (les " rueïdes ") organisées par les habitants eux-mêmes dans le cadre de règles très précises. L’été permettait de constituer d’importantes réserves en vue d’affronter un hiver long et rigoureux.

Les seuls contacts des habitants avec l’extérieur se limitaient au service militaire, aux échanges commerciaux entretenus par des colporteurs migrant de vallée en vallée, au marché local, aux opérations de contrebande, aux migrations des " amoulaïre " en Provence.

Il paraît en fait intéressant d’analyser ces divers contacts. Les Bellinois payèrent de tout temps un lourd tribut à l’autorité politique dominante ; solides fantassins, ils participèrent à de nombreuses campagnes et ramenèrent des contacts ainsi établis essentiellement des chansons à boire...

Les échanges commerciaux avec la basse vallée se réduisaient quant à eux à descendre au marché les veaux et à ramener le soir les quelques biens manufacturés non produits dans la vallée (outils, ustensiles de cuisine métalliques) ; ces échanges pouvaient avoir lieu en Piémontais mais aussi à NOSTO MODO au marché local de San Peïre.

La contrebande avait lieu avec la complicité des habitants de la Haute Ubaye utilisant un idiome très voisin de NOSTO MODO et pourvoyeurs habituels de sel. Pour atteindre la vallée de Maurin, les Bellinois franchissaient le col de l’Autaret et rencontraient leurs homologues au lieu dit " La Casse des Marchands ". Les contacts avec cette communauté dépassèrent largement le simple commerce puisque les Bellinois, habiles menuisiers et couvreurs, venaient ajuster les lauzes des hameaux de Maurin (seule commune de la haute Ubaye à ne pas utiliser le chaume ou les bardeaux) ou fournir des meubles.

Quelques bals poussèrent également de jeunes Bellinois à franchir les 25 kilomètres les séparant de ces villages et trouver peut-être à s’y marier.
 
 

Des colporteurs (étameurs, marchands d’étoffes) ou artisans parcouraient les chemins muletiers, contribuant à la circulation de modes vestimentaires (rubans de soie), marchandises nouvelles plus ou moins déformées, voire même convictions religieuses telles le Valdisme introduit par ce canal en Dauphiné (cf. GROFFIER, Le Feu Ardent des Vaudois).

Enfin, depuis des temps fort anciens, les jeunes Bellinois franchissaient le col de l’Autaret puis le col des Monzès pour se rendre à Ceillac (via Maurin) et gagner le plus souvent le Vaucluse et y exercer, l’hiver durant, le métier de rémouleur ambulant (amoulaïre).

Le privilège de se rendre en ces lieux tel qu’accordé aux citoyens de la médiévale " République de Briançon " (art 32 de la Charte) explique-t-il cette destination ?

Nul ne saurait l’affirmer, d’autant plus que les rapports avec le milieu provençal apparaissent assez superficiels.

Misérables travailleurs salariés, les " amoulaïres " demeuraient entre eux, pratiquant un langage spécial leur permettant de s’exprimer sans être compris de leurs clients ; ces rémouleurs ramenèrent peut-être quelques mots, tel l’élément EMBE (" avec " au lieu de OUBE) généralement peu usité en pays gavot.

Il n’a malheureusement pas été possible de recueillir beaucoup d’informations sur ce " parler spécial " ; il consistait, semble-t-il, à insérer quelques mots de Piémontais :

Vaï poudir en dorgo de chimo (Amoulaïre)

Vaï quere na bouto de vin (Nosto Modo)

Vas chercher une bouteille de vin (Français)

Lou ganival lugo i feni (Amoulaïre)

Lou client ghincho i soldi (Nosto Modo)

Le client surveille l’argent (Français)

Pour certains, les contacts entre communes de la haute vallée ou même hameaux éloignés, paraissent assez peu fréquents et le cercle de vie se limitait en fait à sa paroisse (des personnes décédées vers 1960 ne s’étaient jamais rendues au delà de San Peïre, situé au coeur de la moyenne vallée, et ne parlaient ni l’Italien, ni le Piémontais, ni le Français).

Cette réduction extrême de l’horizon quotidien a donné naissance à de véritables sous-communautés caractérisées par des différences dans la prononciation ou l’emploi de certains mots. Ainsi au niveau de Castellar, ou escarton de Château Dauphin dont BLINS constitue la communauté la plus méridionale, il est de coutume de distinguer le NOSTO MODO Bellinois de celui en usage au sein des autres communes, par la prononciation de certaines syllabes ou l' emploi de certains mots isolés :

Le " eï " bellinois se transforme souvent en " i "

    • la " meïsoun " devient la " mizoun "
    • la " meïna " devient " i minà " (au pluriel)
Le " es " final se prononce " os ", " o " ou " è "
    • les " vachès " : los " vachos "
    • les " fremès " : li " freme "
Le " ouont " s’élude en " ount "
    • lou " pouont " : lou " pount "
    • lou " bouosc " : lou " bosc "
 L’emploi de certains idiomes diffère parfois :
    • " bèïquar " au lieu de " ghinchar "
    • " esberlo " au lieu de " patoun "
    • " piar " au lieu de " prene "
Le même phénomène existe à une échelle plus réduite au sein de la dizaine de hameaux composant BLINS et eux-mêmes regroupés en deux quartiers correspondant aux deux paroisses. Le quartier de la paroisse du Saint-Esprit est formé des trois derniers hameaux de la vallée et se voit désigné sous l’appellation de " quartier N’aout " par opposition au " quartier N’aval " composé des sept hameaux du bas de la vallée (paroisse de Saint Jacques). La séparation de BLINS en deux quartiers fut matérialisée en 1770 par l’inauguration de la paroisse du Saint-Esprit, souhaitée depuis fort longtemps pour des raisons de commodité.

Les dissensions opposant les deux quartiers trouvent à s’exprimer jusque dans les mentalités et le langage ; la prononciation de certains mots et l’accent varient de façon relativement sensible : ainsi, la syllabe " on " se transforme assez fréquemment en " an " au quartier N’aval (" lou plhonchà –pionchà " au lieu de " plhanchà – pianchà "), comme l’accent tonique se place différemment dans certains mots comme " crio " (troisième personne de l’indicatif présent du verbe " criar ") ou que certaines formes grammaticales ou certains mots s’emploient plus volontiers au quartier N’aval qu’au quartier N’aout.

Tel particularisme, s’il ne démontre en rien l’origine de communautés distinctes, constitue un phénomène humain intéressant et illustre en tout cas un caractère assez répandu au sein de la langue d’Oc.

Bien évidemment, peu d’auteurs se sont hasardés à s’exprimer en parler à NOSTO MODO.

Quelques chansons utilisant des mélodies d’emprunt ont pu parvenir jusqu’à nous. Plus récemment, sous l’impulsion des écoles félibrenne ou occitaniste, quelques écrivains ont tenté l’expérience.

Bien que constituant une langue à part entière, le NOSTO MODO apparaît comme un outil mieux adapté au langage oral.

Reprenant le thème d’antiques légendes, les récits proposés plus haut tentent dans une graphie très simple d’utiliser l’écrit, tour à tour sous une forme rédactionnelle classique ou usant du stratagème de conversations.


(Extraits de l’ouvrage NOSTO MODO Tome II :
" Culture et parler d’un monde entre Provence et Piémont ")
Texte : Jean-Luc BERNARD  Dessins : Mathieu BERNARD (à ajouter)
 

 AIX, Mars 2006

© Jean-Luc BERNARD (Mars 2006)