Introduction

Blotties entre les massifs du Chambeyron et du Viso, les Hautes Vallées de Pont, Blins et Château-Dauphin (aujourd’hui Pontechianale, Bellino et Casteldelfino) ne manquent pas séduire les amoureux de la montagne, randonneurs à pied, à ski, en raquettes, grimpeurs de parois ou de cascades de glaces … mais aussi les écrivains et les chercheurs.

La majesté des paysages, une nature préservée associés à de beaux exemples d’architecture ont pu nourrir la recherche, voire l’imaginaire, au point que certains ont pu voir des indices d’hérésies ou de cultures païens dans des vestiges romans tels la fameuse tête « solaire » de Rua la Glheiso ou la vierge en majesté du cimetière jouxtant la même église. Concernant cette dernière, une simple excursion à l’église d’Arvieux et de Guillestre par delà la Col Agnel suffit à dissiper le doute : notre vierge « de Bellino » a au moins deux sœurs jumelles dans deux églises voisines, sans doute due au même sculpteur itinérant (c'est une hypothèse), mais incontestablement d'une seule et même inspiration naïve.

Val Varaita – San Giacomo

Queyras - Guillestre

Queyras - Arvieux


A défaut de documentation précise concernant cette région de haute montagne, une analyse cartésienne à la lumière de « la grande histoire » permet de reconstituer avec un maximum de vraisemblance le passé de ces vallées comme la vie de ses habitants.

Vraisemblablement peuplée depuis la plus haute antiquité, la région a probablement connu plusieurs vagues d’occupation permanentes ou saisonnières. On sait désormais qu'à partir de XIème siècle, les peuples d’Europe s’ingénient à défricher et à (re)conquérir les vastes territoires encore en friche. De nombreux noms de lieux témoignent de cet essor de l’habitat, tels les différents Villeneuve, Freiburg, Villafranca, Les Essarts, Cabannes, signes encore tangibles de ces concessions seigneuriales (curtis) ou monastiques données à de courageux pionniers. En nos vallées, les noms de Chazal, Mas ou Prafaucier attestent de l’existence lointaine de telles implantations. Intégrées au Royaume de France avec le Dauphiné en 1375, ces Vallées constituent l’Escarton de Château-Dauphin jusqu’en 1713, année du Traité d’Ultrech qui remodèle les frontières alpines selon le bon plaisir des lointains monarques européens. Les Vallées deviennent donc savoyardes, tandis que l’Ubaye voisine passe au Royaume de France. La langue française perdurera comme langue officielle jusqu’en 1860.

Parcourant les hameaux composant la vallée de Bellino (Bellins ou Blins), le visiteur peut être ébloui par la beauté architecturale des maisons, dont la plupart portent des dates postérieures aux destructions de la guerre de succession d’Autriche, signe tangible de la reconstruction, mais également d'un accroissement significatif de la population alpine.

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Architecture alpine à Celle di Bellino (Photo CB)

Parvenu à Prafauchier (nom dérivant de Faucherère, parcelle delfinale conçédée à un « tenancier »), borgata étirée le long de son unique rue principale, il pourra s’étonner de la minuscule et modeste chapelle San Felice (Saint Félix) sertie au milieu des maisons. A quelques pas de celle-ci, un curieux portail barre l’accès à la courette d’une maison, que la tradition locale crédite d’avoir hébergé un couvent de capucins à une époque reculée et incertaine … Ce portail porte une inscription latine :

PORTA.PATENS.ESTO.NULLI.CALUDIARIS.HONESTO

Ce qui signifie, selon la ponctuation que l’on voudra bien y mettre :

Qu’on n’ouvre la porte à personne, qu’on la ferme à tout homme honnête (Porta, patens esto nulli, claudaris honesto.)

ou alors :

Qu’on ouvre la porte, et qu’on ne la ferme point à quiconque est honnête (Porta, patens esto, nulli claudaris honesto).

Cette expression est bien connu des typographes, et l’astucieux peintre (ou son commenditaire désireux d'afficher son érudition latine sur la place publique) a bien pris soin de ponctuer chaque mot, ce qui évite toute erreur …

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Dans Prafaucier (photo CB)

La petite chapelle quant à elle remonte au premier tiers du XVIIIème siècle et est dédiée à San Felice, Capucin (1515-1631, canonisé en 1712).

Fions-nous à la Tradition locale, et admettons que des moines capucins aient pour un temps élu domicile à Prafauchier,
ne serait-ce que le temps de superviser les travaux de la chapelle voisine.

Qui sont ces Capucins, et que sont-ils venus faire au beau milieu d'un village de haute montagne, alors qu'il est notoire que les moines recherchent les lieux reculés et les « déserts »? Pour répondre à cela, il nous faut rouvrir nos manuels d'Histoire,et un peu ranimer nos lointains souvenirs d'école.


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Christophe BERNARD - Version du 10 juillet 2009

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